Texte intégral
La politique culturelle s'invite dans le débat public. Après des années d'anesthésie, c'est un fait nouveau. Je l'avais appelé de mes vux, et je m'en réjouis. Sans discuter, sans débattre, si âprement que ce soit, on ne peut pas résoudre les problèmes. On ne peut pas même les poser. L'enjeu mérite bien qu'on affronte, dans le contexte politique et électoral qui est le nôtre, les inévitables postures démagogiques, les amalgames les plus improbables, sans parler des "grands soirs" et des révolutions de Châtelet.
Qu'on se rassure : j'ai vu bien pire, et aussi bien meilleur !
Alors, divorce entre le gouvernement et les milieux culturels ? Je ne le crois pas. En revanche, une remise en question était au fil du temps devenue indispensable, pour éviter le risque de paralysie pure et simple de la politique culturelle vers lequel nous dirigeaient les gouvernements socialistes successifs.
La gauche a tenté, et continue de tenter, de faire des milieux culturels une base sociologique de son influence. Cette visée explique l'inaction et la démagogie qui caractérisent, aujourd'hui comme hier, ses choix et prises de position en matière culturelle.
Nous lui laissons ces conceptions et ces pratiques, et nous lui laissons la responsabilité de l'état dans lequel elle a abandonné le paysage de la culture et de la communication.
S'agissant de l'intermittence, qui constitue aujourd'hui la vitrine du désarroi qu'elle a créé, j'aimerais qu'on considère un instant la réalité de la situation.
Il y a un an exactement, au moment déjà des Césars, Victoires de la musique et Molières, le régime d'assurance-chômage spécifique des professionnels du spectacle, de l'audiovisuel et du cinéma, régi par les annexes 8 et 10 de l'Unedic, était tout simplement menacé de disparition, les partenaires sociaux étant majoritairement décidés à ne plus assumer le caractère galopant du déficit de ce régime - plus de 800 millions d'euros en 2002.
C'est bien le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui les a convaincus de renoncer à un projet à mes yeux contraire aux intérêts du développement du secteur. Les accords alors conclus au sein de l'Unedic visent, c'est vrai, à en rendre l'accès plus difficile, l'usage moins déséquilibré. C'était inévitable, sauf à accepter l'implosion financière du système.
J'avais alors indiqué que je serais vigilant quant aux modalités d'application de ces accords. C'est ce que j'ai fait en intervenant, il y a quelques semaines auprès du président de l'Unedic, sur la situation des intermittentes enceintes, puis sur la question du statut des droits d'auteur quand ils sont perçus par des intermittents. Dans les deux cas, ma position a été d'une totale netteté. Il serait en effet injuste que les femmes enceintes ne bénéficient pas d'aménagements spécifiques de leur régime d'assurance- chômage suspendant pendant la durée de leur congé leur obligation de reconstituer des droits à la prestation et préservant l'usage postérieur des droits acquis.
De même, j'estime que les droits d'auteur ont un caractère patrimonial et que leur perception ne saurait remettre en cause le droit à des indemnités de chômage justifiées par les cotisations prélevées sur la base des salaires ou cachets perçus par la même personne. Je continuerai d'être d'une totale vigilance vis-à-vis de l'Unedic sur ces deux sujets et sur tous les autres lorsqu'ils concernent les intérêts fondamentaux des salariés concernés.
Ma vigilance s'appliquera également à la suite des choses, puisque 2005 marquera le moment de la renégociation de tous les accords Unedic. Je l'ai souvent dit, il faudra à ce moment-là remettre à plat l'ensemble du système. Nous sommes, à vrai dire, à une croisée des chemins. Ou les intermittents veulent rester au sein de l'Unedic et bénéficier de la solidarité interprofessionnelle. Il faut alors qu'ils acceptent le principe d'une vraie négociation avec ceux qui financent et qui gèrent l'Unedic, c'est-à-dire les représentants des organisations des salariés et des employeurs.
Qu'on cesse, dans ce cas, d'affirmer que les accords majoritaires qui y sont pris seraient "minoritaires", au prétexte qu'une organisation réputée représentative n'y aurait pas souscrit. Ou alors qu'on sorte de l'Unedic, que les employeurs et que les employés des secteurs concernés créent une caisse d'assurance-chômage spécifique, financée par leurs propres cotisations, qu'on devra alors fixer à un niveau plus important que l'actuel. Ce serait désastreux. Mais on ne peut pas indéfiniment vouloir jouer sur tous les tableaux à la fois ! C'est bien un choix qui doit désormais être fait dans la clarté.
S'agissant, de façon plus générale, de la politique que je mets en uvre, j'assume et je revendique la rupture qu'elle marque par rapport aux habitudes du ministère de la culture et de la communication. Ministère parisien, centralisateur, autoritaire jusqu'au caporalisme, indifférent aux évolutions et à la nécessité d'innover. Oui, je crois à la nécessité de la décentralisation ; oui, je crois à la nécessité d'alléger le poids de la gestion directe par les services de l'Etat d'un trop grand nombre d'actions ; oui, je crois pour cette raison à la nécessité de donner une plus large autonomie aux établissements publics et aux sociétés nationales ; oui, je crois à la nécessité de favoriser l'émergence d'initiatives privées plus nombreuses, de soutenir le développement des fondations et du mécénat ; oui, je crois à la nécessité de soutenir de façon plus volontaire les industries culturelles ; oui, je crois à la nécessité de donner à la politique et à l'engagement du ministère une dimension plus européenne...
Voilà bien les objectifs de la politique que j'ai mise en uvre pour assurer au développement culturel, et donc à la création, plus de souffle, plus d'ampleur. Je l'ai fait sans remettre en cause, comme l'affirment avec une persévérance mensongère mes détracteurs, l'engagement budgétaire de l'Etat. Les crédits d'intervention que mobilise le ministère de la culture et de la communication, notamment en faveur du théâtre, de la danse, de la musique et des arts plastiques, ont augmenté au budget 2004 comme ils ont augmenté en 2003, de 6,5 % au total par rapport à 2002.
Le cinéma a bénéficié d'une sollicitude renforcée : création du crédit d'impôt cinéma, abondement par le Centre national de la cinématographie des fonds régionaux de soutien à la production, amélioration du rendement de la taxation du DVD au profit du compte de soutien, défense auprès de la Commission européenne des spécificités de notre régime d'aide si nécessaire à la pérennité des industries du cinéma. Où voir alors la moindre trace de désengagement de l'Etat ? Ceux qui le dénoncent font de la politique de la pire façon. En appuyant de façon partisane leur propos sur un échafaudage de contrevérités, d'approximations et d'amalgames.
Ce sont également ces procédés qui caractérisent tristement la pétition présentée comme un appel contre la guerre à l'intelligence. La France était donc plongée dans une guerre implacable, terrifiante, et elle l'ignorait, sans doute par bêtise ! Quelle outrecuidance cette prétention à s'arroger le monopole de la défense de l'intelligence ! Quelle vulnérabilité, encore, à l'instrumentalisation politicienne que souligne si bien l'empressement des signataires, élus socialistes, verts, communistes ! Quel manque de rigueur, s'agissant de mettre avec artifice dans le même lot enseignants, archéologues, avocats, intermittents, chercheurs, psychanalystes..., pour tenter d'accréditer la thèse d'un complot de la droite contre l'intelligence !
Je dis aux signataires, parmi lesquels je vois des personnalités pour qui j'ai de l'estime, du respect, de l'amitié : attention ! Ceux qui sont porteurs d'une exigence intellectuelle plus aiguë ne doivent pas céder à la tentation de s'ériger en caste, en ordre au sens de l'Ancien Régime, un ordre du clergé en quelque sorte, avec ses privilèges de juridiction, ses bénéfices, sa domination intellectuelle, son intimité flatteuse avec le pouvoir.
Le propre de l'intelligence, c'est la liberté qu'elle donne au jugement. Ce n'est pas la recherche d'un enclos protégé.
L'intelligence, c'est l'audace, ce n'est pas le repli. C'est la réforme, c'est le mouvement, et non le conservatisme. La pire des choses qui pourrait guetter l'intelligence de ce pays, c'est de s'enfermer dans un immobilisme et un protectionnisme qui finiraient par l'engloutir.
(Source http://www.u-m-p.org, le 26 février 2004)