Interviews de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT dans "Le Parisien" du 9 mars 2005, dans "Libération", à Radio Notre Dame et à France 2 le 10 mars, sur la manifestation sur la défense des 35 heures et du pouvoir d'achat, les négociations salariales dans la fonction publique et dans le privé et le climat social.

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Média : Emission Forum RMC Libération - France 2 - Le Parisien - Libération - Radio Notre Dame - Télévision

Texte intégral

LE PARISIEN le 9 mars 2005
Le Parisien - Si Paris obtient les jeux Olympiques, doit-on craindre une multiplication des conflits sociaux ?
François Chérèque - On ne peut pas utiliser les conflits sociaux contre les jeux Olympiques à Paris. Pour les Jeux, le mot d'ordre de la CFDT sera " Laissons les conflits aux vestiaires ! ". On règlera tout avant ou après. Dailleurs, je prends l'engagement que pendant les 3 semaines des Jeux en 2012, il ne sera pas question de service minbimum mais de service maximum pour accueillir les visiteurs.
Q - Cela veut dire que l'on ne bloque ni les chantiers, ni les transports ?
R - Cela veut dire qu'on a des services publics qui sont au service du public du monde entier. Des services publics qui les accueillent et les amènent là où ils en ont besoin, c'est-à-dire dans les sites olympiques.
Q - Sauf que la journée d'action demain en pleine visite du CIO laisse planer un doute...
R - Lorsque l'intersyndicale a décidé de cette date pour notre mouvement, personne n'a fait le rapprochement avec la visite du CIO. Nous ferons tout pour qu'il n'y ait aucune gêne. Le CIO n'a pas attendu le 10 mars pour découvrir que des journées d'action sociale agitent la société française.
Q - Comment contourner cet obstacle ?
R - C'est tout l'enjeu de la Charte du développement durable que la CFDT propose à la Mairie de Paris. Puisque la France possède déjà beaucoup d'équipements sportifs, investissons surtout dans le social.
Trois propositions :
1) Durant la préparation des Jeux, régler les problèmes sociaux en abordant les questions économiques, de formation et d'emploi. En sachant qu'en 2012, on aura pénurie d'emplois à cause de nombreux départs à la retraite notamment dans le bâtiment et les travaux publics.
2) Garantir la paix sociale pendant les Jeux.
3) Anticiper l'après JO afin de pérenniser les 45 000 emplois crées pour les Jeux. Il faut créer de vraies cellules de reclassement comme lors des crises industrielles pour inscrire ces emplois dans la durée.

Q - Les Jeux sont très gros consommateurs de bénévoles. N'est-ce pas en contradiction avec l'emploi ?
R - On a besoin des deux. Le bénévolat fait partie de la réussite des Jeux car il marque un engagement national. Au moment où on a ce débat sur la RTT, on sera bien content de trouver ces RTT soit pour devenir bénévole, soit pour mettre des jours sur son compte-épargne-temps pour l'utiliser pendant les Jeux.
Q - Pourquoi soutenez-vous personnellement aussi fort la candidature de Paris ?
R - On ne peut qu'être pour. D'autant qu'on ferait une pierre deux coups. Ces Jeux représentent une formidable image pour la France, une grande fête mondiale et surtout la fête de la jeunesse. C'est bon qu'un pays montre qu'il est capable d'offrir cela au monde entier. Et puis, nous avons besoin d'emplois en France. Or, justement, les Jeux apportent de l'emploi durable pour plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant des années. Tout cela est important pour un syndicaliste.
Propos recueillis par Didier Romain
(Source http://www.cfdt.fr, le 14 mars 2005)
LIBERATION le 10 mars 2005
Libération - Les revendications salariales fédèrent les mobilisations d'aujourd'hui. Pensez-vous que le gouvernement puisse bouger ?
François Chérèque - Jean-Louis Borloo vient de faire un geste en direction des salariés du privé en annonçant une réunion de la commission nationale de la négociation collective pour le 18 mars. Il faut maintenant voir sur quoi cela peut déboucher. Pour le secteur public, on attend toujours. Le gouvernement ne peut pas rester dans un silence total vis-à-vis des fonctionnaires. Et il n'y a pas que le pouvoir d'achat. Sur l'évolution des métiers, sur l'égalité homme-femme, sur la formation professionnelle, sur le dialogue social, l'Etat est à la traîne. Le gouvernement ne peut pas reprocher aux syndicats de ne pas vouloir discuter et, de son côté, ne rien proposer. Il se comporte de la pire façon en tant qu'employeur, et il se permet de donner des leçons au secteur privé ! Mais la CFDT s'est aussi fixé un autre objectif prioritaire pour cette journée : la défense des 35 heures. Il n'est pas question d'abandonner au motif que la proposition de loi a été votée en première lecture à l'Assemblée et au Sénat.
Q - Ne menez-vous pas un combat d'arrière-garde ? Pour Jean-Pierre Raffarin, le dossier 35 heures est clos.
R - Pour nous, il est loin d'être terminé. La discussion reprend à l'Assemblée le 16 mars en deuxième lecture. Il est encore temps d'apporter des modifications. Après la mobilisation massive du 5 février, il y a eu quelques inflexions non négligeables du texte. Ainsi le Sénat a exclu la possibilité de monétiser la cinquième semaine de congés payés, et il a verrouillé la date de 2008, à partir de laquelle le régime des heures supplémentaires doit être harmonisé entre petites et grandes entreprises. Le Parlement peut encore aller plus loin. Ensuite, quelle que soit l'évolution du texte, c'est dans les branches professionnelles et dans les entreprises que nous allons nous battre pour les 35 heures.
Q - Pourquoi la CFDT avait-elle hésité à participer à cette journée d'action ?
R - Nous avions un mandat très clair pour la défense des 35 heures. Mais cette mobilisation du 10 mars est aussi apparue comme une journée de globalisation des mécontentements, ce dont nous ne voulions pas. Nous avons pesé le pour et le contre, et nous avons décidé de participer pour défendre les 35 heures, revendication que nous avons toujours portée, parfois même seuls.

Q - Redoutez-vous que cette addition de mécontentements nourrisse le rejet de la Constitution européenne ? Et qu'après le détournement de la manifestation en faveur de la sauvegarde des services publics, à Guéret samedi dernier, les tenants du non ne transforment le défilé d'aujourd'hui en nouvelle tribune pour leur campagne ?
R - En tout cas, la CFDT est suffisamment claire sur son soutien au traité constitutionnel pour qu'il n'y ait aucune confusion avec notre opposition aux mesures gouvernementales. Si le mouvement social interfère avec le débat européen, ce n'est certainement pas de notre fait. Qui a décidé de faire voter une loi sur les 35 heures ? Qui refuse de discuter avec les fonctionnaires ? Qui a choisi d'engager une réforme de l'école ? C'est le gouvernement ! Qui a choisi la voie du référendum et qui a fixé la date ? C'est le président de la République ! Les manifestations et les débrayages d'aujourd'hui ne nous empêcheront pas d'organiser le 7 avril un grand meeting de soutien à la Constitution européenne.
Q - Avec qui ?
R - Des militants et adhérents CFDT, en présence de députés européens d'autres nationalités. Nous ne voulons pas de confusion des genres avec le débat politique français. Le secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES), John Monks, y participera.
Q - Ne regrettez-vous pas d'avoir soutenu la candidature de la CGT au sein de la CES, et de la voir maintenant militer pour le non ?
R - Certainement pas. D'autant que les plus déçus par la prise de position adoptée par les instances de la CGT sont ses propres dirigeants. Pas question pour la CFDT d'intervenir dans le débat interne à la CGT, même si on ne peut oublier que nous sommes le seul pays d'Europe où des syndicats s'opposent au traité. Partout ailleurs, ils le soutiennent très logiquement, car il apporte des outils pour faire progresser le modèle social européen.
Q - Vous avez déploré la date de cette mobilisation qui coïncide avec la visite à Paris de la délégation du Comité international olympique sur les Jeux 2012...
R - Nous regrettons que les autres organisations n'aient pas accepté, comme nous l'avons proposé, de la décaler d'un jour ou deux. Il aurait été utile pour le syndicalisme d'avoir ce réflexe de souplesse. Maintenant, la décision a été prise et nous l'assumons en essayant de faire qu'il y ait le moins possible d'interférences. Le tracé du cortège parisien a été choisi pour perturber le moins possible les déplacements de la délégation du CIO. Et la CFDT n'appelle pas à la grève à la RATP. Nous avons aussi adressé une lettre de soutien, et on pourra voir dans le cortège des tee-shirts et des drapeaux en faveur de la candidature de Paris pour les JO de 2012.
Propos recueillis par Renaud Dely et François Wenz-Dumas
(Source http://www.cfdt.fr, le 14 mars 2005)
Radio Notre-Dame le 10 mars 2005
Q - La CFDT voulait axer cette journée sur la défense des 35 heures. Cette revendication ne s'est-elle pas effacée devant celle du pouvoir d'achat ?
François Chérèque : Les 35 heures, c'est un peu nous qui les avons inventées, c'est bien souvent nous qui les avons négociées dans les entreprises et c'est nous aujourd'hui qui allons les défendre. Cela reste donc pour la CFDT une revendication emblématique et on ne lâchera pas le morceau. Dans le même temps, on ne peut pas découper en tranches les revendications de cette journée d'action : les 35 heures, les salaires et l'emploi. Ces trois sujets sont directement liés car lorsqu'il y a eu des négociations sur le passage aux 35 heures dans les entreprises, il y a eu des arbitrages entre réduction du temps de travail, emploi et salaire.
Q - Que proposez-vous pour doper le pouvoir d'achat des ménages ?
R - La seule façon, c'est de négocier pour recréer de vrais déroulements de carrière et aussi de travailler sur le problème des charges sociales alors que le gouvernement a augmenté celles qui pèsent sur les salariés. L'augmentation du SMIC ne peut pas être la seule politique des salaires dans notre pays. Nous demandons donc des négociations dans les branches professionnelles et les entreprises.
Q - Et pour les fonctionnaires ?
R - Lorsque Monsieur Borloo dit qu'il faut des négociations sur les salaires dans le privé, sa leçon devrait aussi porter pour le gouvernement et le secteur public. C'est une bonne chose qu'il y ait une préoccupation politique sur les salaires dans ce pays, mais on sait que ce n'est pas le gouvernement qui décide pour le privé. Il faut donc que le gouvernement montre l'exemple et qu'il ouvre des négociations dans le public.
Q - Les 35 heures ne sont-elles pas perçues par de nombreux salariés comme un frein aux augmentations des salaires ?
R - Pour le passage à 35 heures, il y a eu 72 000 accords d'entreprises, cela a été l'élément de dialogue social le plus important de ces vingt dernières années. Dans ces entreprises, il y a parfois eu un arbitrage avec les salaires, avec une forme de modération salariale. C'était il y a cinq ans. Et, en échange, les entreprises ont réorganisé le travail, obtenu une meilleure productivité et bénéficié de gros allégements de charges. Elles ont maintenant financé cette réduction du temps de travail et il est normal que l'on revienne sur cette modération salariale, que l'on ouvre un nouveau débat sur le partage des richesses.
Q - Le gouvernement dit que sa réforme permettra justement aux salariés qui le veulent de gagner plus en travaillant plus.
R - C'est un mensonge ! Dans les entreprises, il y a très peu d'heures supplémentaires. De plus, on sait bien que les entreprises ne donnent jamais le choix à un salarié. Le fait que le gouvernement permette aux entreprises d'aller très loin en matière d'heures supplémentaires, montre surtout le choix qu'il fait d'abandonner une politique pour l'emploi. Quand la reprise économique arrivera, les entreprises pourront alors faire le choix des heures supplémentaires plutôt que l'embauche.
Q - Comment expliquez-vous le climat social agité que nous vivons depuis plusieurs semaines ?
R - Les hommes politiques sont en train de découvrir qu'il y a un malaise dans notre pays. Mais ce malaise dure depuis plusieurs années. On a oublié avril 2002 ! Il faut pourtant voir que, dans notre pays, il y a des gens en désespérance parce qu'ils ne voient pas quel sera l'avenir pour eux, pour leurs enfants. Depuis trois ans, le gouvernement a pris des décisions graves, notamment celle de supprimer le traitement social du chômage, l'accompagnement des personnes les plus en difficulté. Il y a ensuite eu le projet de loi de cohésion sociale de Monsieur Borloo, mais aujourd'hui, rien n'est fait. Or, dans une période de montée du chômage de longue durée on n'a pas le droit d'abandonner les gens les plus en difficulté. C'est pourtant ce que le gouvernement fait.
Q - Ne craignez-vous pas de vous retrouver en porte-à-faux entre vos critiques du gouvernement et votre soutien à la Constitution européenne ?
R - La majorité des Français est favorable à ce traité. Bien sûr, il y a toujours la crainte d'une confusion entre le débat européen et le débat français qui est la non-réponse du gouvernement au mécontentement social. Moi, quand je parle de l'Europe, je parle de l'Europe. Une énorme majorité des syndicats européens sont pour le traité et seuls deux syndicats français sont contre. Ce sont eux qui sont isolés. Notre démarche, c'est un soutien au traité, ce n'est pas une consigne de vote. Dans le meeting que nous allons organiser sur le sujet, il n'y aura pas de confrontation politique. Chaque sympathisant de la CFDT choisira en conscience, mais il est important que sur un tel sujet notre syndicat donne son avis.
Q - Briguerez-vous en 2006 un second mandat à la tête de la CFDT ?
R - La discussion aura lieu à la fin de cette année, mais j'ai bien envie de continuer.
Propos recueillis par Aymeric Pourbaix (Radio-Notre-Dame), Rémy Nelson (RCF) et Mathieu Castagnet (La Croix).
(Source http://www.cfdt.fr, le 14 mars 2005)
France 2 Le 10 mars 2005
Q- Nous allons évoquer cette journée d'action et de revendications. A l'origine, la revendication principale était les 35 heures. Cela évolue un peu vers le pouvoir d'achat et puis l'emploi. N'y a-t-il pas un côté un peu fourre-tout finalement, aujourd'hui, dans cette manif ?
R- Pour la CFDT, la revendication de la défense des 35 heures reste, mais c'est le Gouvernement qui, alors que les 35 heures avaient été créées pour créer des emplois, a transformé cette démarche en un "on vous propose de travailler plus pour gagner plus". Il a donc reconnu, par cette démarche, qu'il y avait un vrai problème de pouvoir d'achat dans notre pays. En plus, M. Sarkozy a fait toute une campagne, quand il était à Bercy, sur "les prix sont trop chers, il faut les baisser". Là aussi, il a mis le doigt sur un vrai problème de pouvoir d'achat. Le Gouvernement soulève donc un problème d'achat et ne le règle pas, parce que cette loi sur les 35 heures (sic) ne permettra pas, bien évidemment, de travailler plus, puisqu'il n'y a pas d'heures supplémentaires à faire et qu'il bloque les négociations dans la fonction publique. En soulevant un problème, il n'y répond pas. Il faut donc maintenant qu'il le fasse.
Q- Il n'y a pas de différence d'analyse entre la CFDT, la CGT et FO, sur l'ordre des priorités ?
R- Si, certainement. On sait très bien que la CFDT est très attachée aux 35 heures. C'est nous qui les avons voulues, c'est nous qui les avons bien souvent négociées dans les entreprises et on les défendra jusqu'au bout. Il ne faut pas croire : la CFDT ne lâchera pas les 35 heures, on ne lâchera pas le morceau. Même si la loi n'est pas satisfaisante - et on va faire pression jusqu'au débat parlementaire, le 16 mars -, on défendra ensuite les 35 heures dans les branches et les entreprises. Ceci dit, on a un vrai problème de pouvoir d'achat et la CFDT ne le néglige pas.
Q- J.-L. Borloo a reconnu en effet qu'il y avait quelques difficultés et il invite à ouvrir des négociations collectives, notamment le 18 mars. Ce type de démarche vous satisfait-il ?
R- Il est bien que M. Borloo reconnaisse que l'on a un problème de pouvoir d'achat et que le Gouvernement n'arrive pas à le régler. Il fait donc un appel, qui est un discours politique du Gouvernement, sur la nécessité d'ouvrir des négociations. Mais quand même, le premier conseil que doit donner M. Borloo, c'est de donner l'exemple au niveau de la fonction publique et, au minimum, d'ouvrir des négociations aussi dans la fonction publique.
Q- C'est-à-dire qu'il devrait d'abord dire à son confrère, R. Dutreil, de faire la même chose dans la fonction publique ?
R- On a un Gouvernement qui donne beaucoup de leçons au privé. Le Gouvernement fait une loi sur la formation professionnelle pour le privé : pas de négociations dans le public. Il va nous faire une loi sur l'égalité salariale entre les hommes et les femmes : rien pour le public. Il nous fait une loi sur le dialogue social, qui ne concerne que le privé, pas pour le public. Il donne des leçons sur les salaires pour le privé et ne fait rien dans le public. Il serait quand même bien qu'il donne l'exemple.
Q- Si je vous comprends bien, dans le public, la revendication n'est pas tant une question de pouvoir d'achat que d'évolution des carrières ?
R- L'évolution des carrières concerne l'évolution des salaires pour les fonctionnaires, c'est donc un problème global. Et la CFDT propose d'ouvrir de grands chantiers de négociations dans la fonction publique, sur l'évolution des salaires, des carrières, sur la formation, sur l'égalité hommes-femmes, sur le dialogue social. On a beaucoup de sujets. Le Gouvernement nous dit qu'il faut moderniser la fonction publique. Faisons-le par la négociation.
Q- J.-L. Borloo a mis en place une loi de cohésion sociale, qui est faite justement pour éviter la grogne sociale. Correspond-elle à cet objectif aujourd'hui ?
R- La loi de cohésion sociale a des points positifs. On l'a vue pour le logement, la CFDT l'a soutenue. Il y a des points positifs aussi pour accompagner les personnes qui sont en voie d'exclusion, les chômeurs de longue durée. Mais depuis l'abandon des emplois-jeunes, depuis l'abandon du traitement social du chômage, quand le Gouvernement est arrivé au pouvoir avec M. Fillon, il n'y a rien eu de nouveau de fait. Et la loi de cohésion sociale, sur ce volet d'accompagnement des chômeurs, n'est pas encore en oeuvre. On a donc là un vide de trois ans d'aides aux chômeurs les plus en difficulté qu'inévitablement, on retrouve dans l'augmentation du chômage. Le Gouvernement est en échec sur ce plan-là et tarde à agir.
Q- C'est-à-dire que les 10 % de chômeurs, aujourd'hui, n'ont aucun accompagnement social satisfaisant, qu'il y a des textes, mais il n'y a rien dans les faits ?
R- Globalement, toute la démarche des emplois aidés qu'a proposée M. Borloo, pour le moment, c'est au point mort et on tarde trois ans à reprendre cette démarche-là. Inévitablement, il y a des effets. Et les effets jouent sur le mécontentement, puisque inévitablement, les personnes voient qu'il y a une inquiétude. M. Raffarin a promis de faire baisser le chômage de 10 % cette année. Depuis qu'il a fait cette promesse, le chômage augmente ! On voit donc bien que cette inquiétude ne peut que continuer à s'installer.
Q- On a aussi le sentiment que s'agrègent, dans ce mouvement d'aujourd'hui, d'autres mouvements. Certains lycéens vont par exemple aller à la manifestation, on voit qu'il y a certains profs... Y a-t-il une sorte de grogne, de plainte sociale diffuse, qui fait que tout le monde a envie d'aller manifester dans la rue, parce que "y'en a marre", comme on dit dans les cours de récréation ?
R- Cette plainte, cette grogne, elle s'exprime depuis plusieurs années. On a oublié, dans notre pays, qu'en 2002, on a eu une catastrophe électorale, avec l'extrême droite au deuxième tour des élections présidentielles, que toutes ces personnes qui sont en désespérance sociale n'ont pas été voter ou ont voté à l'extrême droite ou à l'extrême gauche, ce qui a amené ce résultat. Les motifs de cette désaffection électorale existent toujours dans notre pays aujourd'hui. Que disent les jeunes aujourd'hui ? Ils disent qu'ils ne veulent pas être traités différemment selon le lycée où ils sont, qu'ils soient à Sarcelles ou à Henri IV. Mais quelle est la réponse que donne le Gouvernement ? Aucune actuellement ! Est-ce que l'on est en capacité, dans notre pays, à répondre à cette inquiétude des jeunes, qui pour moi est positive : "on veut être traités de la même façon, que l'on soit fils de bourgeois ou fils de banlieusard" ? Est-ce que l'on est en capacité de réfléchir, comme on le fait par exemple en Hollande, où dans les zones où il y a des difficultés, on met 200 % de moyens en plus que par rapport aux autres ? En France, on leur donne à peine 10 à 20 % de moyens supplémentaires. On ne fait donc pas ces choix-là. Et la demande des jeunes, c'est simplement la peur de l'avenir, la peur d'être au chômage comme leurs parents. Donc, inévitablement qu'est-ce que vous faites pour combler
cette peur ?
Q- De ce point de vue, est-ce un problème français ? Quand vous parlez avec vos confrères des autres pays européens, avez-vous le sentiment qu'il y a en effet, en France, une sorte d'angoisse existentielle plus forte que dans les autres pays ?
R- On a un problème franco-français sur le chômage : le chômage de longue durée et le chômage massif sont particulièrement importants dans notre pays, moins dans d'autres pays. On l'a aussi en Allemagne. Mais en même temps, ce que l'on a en plus en France, c'est que l'on a une division de la classe politique. On le voit sur le traité constitutionnel à gauche, on le voit avec le combat des chefs à droite deux ans avant les présidentielles. On n'a donc pas une unité de la classe politique pour discuter des vrais problèmes.
Q- Vous voulez dire qu'il faudrait un vrai rapport droite-gauche, avec des vraies de droite d'un côté et des vraies idées de gauche de l'autre, et pas une sorte de confusion des genres et des disputes internes à chaque formation politique ?
R- En tout état de cause, un débat sur les problèmes principaux dans notre pays, qui sont d'abord l'emploi. Notre slogan, à la CFDT, c'est : "Travailler tous pour gagner tous", et non pas "travailler plus pour gagner plus", et faire travailler plus ceux qui ont déjà un emploi et oublier ceux qui sont au chômage. Et il y a un vrai débat politique sur les politiques industrielles, les politiques de formation, les politiques de l'emploi, pour que vraiment les salariés français aient une augmentation de leur pouvoir d'achat d'abord par l'emploi de tous.
Q- Vous trouvez que la classe politique française est décevante aujourd'hui ?
R- Oui, parce que je pense qu'ils n'ont pas fait le bilan de cet échec électoral d'il y a trois ans et que l'on n'est pas sur les vrais problèmes, qui sont les problèmes d'exclusions, d'inégalités importantes qui se créent dans notre pays. Et le vrai combat politique aujourd'hui, c'est de lutter contre l'exclusion et faire en sorte que l'on fasse face à ce vrai défi du chômage. Cela fait trente ans que l'on a un problème de chômage dans notre pays. Il serait quand même temps que l'on ait une unité de la classe politique pour travailler sur ce problème-là.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 mars 2005)