Interviews de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à France-Inter le 18 mars 2005 et à RMC le 21, sur les négociations sur le pouvoir d'achat suite aux manifestations du 11 mars et sur la définition du pacte social.

Prononcé le

Média : Emission Forum RMC FR3 - France Inter - RMC

Texte intégral

France Inter le 18 mars 2005
Q- Alors que le président de l'UMP, N. Sarkozy, vient de se prononcer pour une augmentation immédiate du pouvoir d'achat, de quelles marges de manuvre le ministre délégué aux Relations du travail, G. Larcher, disposera-t-il cet après-midi pour la réunion entre syndicats, Medef et administrations, s'agissant des salaires dans le secteur privé ? La prime d'intéressement annoncée par le ministre de l'Economie, T. Breton, est jugée dérisoire par les syndicats. Concernant la réouverture des négociations dans la fonction publique mardi prochain, le Premier ministre a déjà annoncé de minces possibilités d'augmentations. [...] On a commencé à réfléchir sur l'enjeu du "non" tout à l'heure et je vous posais la question de savoir si, au fond - je reprends le titre de votre essai "Réformiste et impatient", à paraître aujourd'hui aux éditions du Seuil ; - si au fond, l'opinion n'est pas comme vous, impatiente, avec dans le mot impatient quelque chose qui relèverait aussi de l'exaspération.
R- Impatiente, oui, l'opinion l'est et moi aussi. Si je suis réformiste aujourd'hui, c'est justement parce que je n'ai pas le temps d'attendre des changements qui viendraient d'une hypothétique révolution qui serait renvoyée aux calendes grecques. Notre pays aujourd'hui est victime de nouvelles inégalités de plus en plus importantes, qu'on a du mal à regarder, nous les syndicalistes, parce qu'elles ne sont pas obligatoirement dans les entreprises où on est présent et je suis impatient de modifier ces inégalités, de réduire ces inégalités. Et pour cela, nous avons besoin de réformes aujourd'hui et ces réformes doivent s'appuyer sur une Europe forte et cette Europe forte s'appuiera, je l'espère, sur cette Constitution.
Q- Vous évoquiez, juste avant 8 heures, ce qui vous apparaît comme étant une sorte de paradoxe français : "voilà donc que le non l'emporterait parce que les Français exprimant leur opposition à tout ce qui se passe aujourd'hui dans l'enjeu du référendum". N'y a t-il pas plus qu'un paradoxe, une étonnante cacophonie, pas seulement politique d'ailleurs, enfin on a entendu messieurs Dutreil, Raffarin, Seillière, Breton et maintenant N. Sarkozy qui, hier soir, se disaient partisan d'une augmentation immédiate alors que des négociations vont s'ouvrir cet après-midi ? Dans quel état sommes-nous aujourd'hui ?
R- On est dans un état de confusion parce qu'on a un vrai problème de la justesse de la parole politique. Les hommes politiques dans notre pays tiennent un discours, quand ils sont dans l'opposition ou qu'ils sont dans un parti où ils ne sont pas en position de gouverner et ils ne font pas la même chose quand ils sont au Gouvernement. Monsieur Sarkozy n'a pas cessé de répéter quand il était au Gouvernement que les prix étaient trop chers et il s'étonne aujourd'hui que les salariés veuillent une augmentation de leur pouvoir d'achat.
Q- Il propose une augmentation immédiate...
R- Mais il propose une augmentation immédiate, mais il ne dit pas comment. Il dit pour les fonctionnaires, j'ai trouvé le moyen d'augmenter les fonctionnaires : les départs de retraite, on en remplacera que la moitié, donc on propose aux fonctionnaires d'être moins nombreux et que ceux qui restent gagnent plus, c'est un marché de dupes qu'aucun syndicat ne peut accepter. Donc les hommes politiques ont un discours mais n'ont pas, quand ils sont en position politique, d'actes qui permettent d'avancer et de décider. Donc voilà le paradoxe français : c'est l'écart entre le discours quand on est en dehors et le discours quand on gouverne.
Q- Mais alors, à 14h00 tout à l'heure, qu'est-ce qui peut se passer, quelles sont les marges de manuvre de monsieur Larcher, sachant, tenez ! la Une des Echos : "CAC - il s'agit du CAC 40, les principales entreprises françaises qui sont cotées en bourse ; CAC : 50 milliards de profits pour les stars de la bourse. On est dans le ressenti, dans la réalité économique, on est dans quoi là ?
R- Là, on est dans la réalité, mais on est dans une réalité que l'on ne pourra pas faire avancer par la commission de cet après-midi. Qu'est-ce qui se passe dans notre pays ? On a des grandes entreprises, vous avez dit celles du CAC 40, qui fonctionnent bien et qui font de grands bénéfices, une grande partie de ces bénéfices sont faits à l'étranger, mais ces bénéfices qui sont faits en France, ils sont comment, ils se sont faits en particulier avec un système de sous-traitance régulière où ces grandes entreprises serrent la vis à leurs sous-traitants, les pousse bien souvent à la délocalisation et c'est la délocalisation des petites entreprises ou les difficultés des petites entreprises qui font les profits des grandes. Dans ces entreprises-là on négocie des accords salariaux pour les salariés, donc le problème c'est comment on va revoir ces règles du capitalisme mondial non régulé, pour faire en sorte que les profits des grandes entreprises puissent être redistribués aussi dans les pays où ils sont ou dans les petites entreprises dans les nôtres. Et pour ça, qu'est-ce qu'il faut ? Eh bien il faut plus d'Europe, comme ça vient d'être dit ; il faut plus d'Europe et plus de règles européennes parce que la France toute seule ne luttera pas contre ce problème-là et il faut une Europe forte pour le faire.
Q- Mais vous avez entendu comme nous, F. Chérèque, et comment ne pas l'écouter, ce patron d'une petite ou d'une moyenne entreprise qu'on a entendu dans le journal de 8h00, il demande pas mieux lui que de pouvoir augmenter ceux qui travaillent avec lui, qui constituent son équipe, qui constituent son entreprise, sauf qu'il ne peut pas. Alors comment on fait, où sont les marges de négociations, comment on peut aujourd'hui répondre à cet enjeu
du niveau des salaires dans ce pays ?
R- Ce patron de petite entreprise, il dit exactement la même chose que moi. Dans mon livre, je prends l'exemple d'une entreprise que j'ai rencontrée en Lorraine qui s'appelait Chauffette, qui est en train de fermer parce qu'elle est délocalisée en Hongrie. Ils avaient le sentiment que c'était la faute à Peugeot. Et je me suis rendu compte que Chauffette travaillait pour un autre sous-traitant qui faisait des sièges, qui travaillait pour le sous-traitant général de Peugeot, qui travaillait pour Peugeot. Donc les bénéfices de Peugeot aujourd'hui, est-ce qu'ils ne sont pas faits par la délocalisation de la petite entreprise ? Donc comment on fait en sorte pour recréer ce lien, cette chaîne sociale entre les grandes et les petites entreprises pour faire en sorte qu'on ait aussi une responsabilité sur les petites. Et je le répète la France ne le fera pas toute seule dans son coin, ça se fera par une réorganisation du marché mondial et pour ça il nous faut une Europe forte. Donc il nous faut des règles européennes qui permettent de le faire. Cependant, pour revenir à la commission de cet après-midi, on a un vrai débat vis-à-vis de ces petites entreprises. Le Gouvernement a accordé des allègements de charges énormes pour ces entreprises, mais des allègements de charges qui sont uniquement centrés sur les bas salaires entre le SMIC et 1,6 % du SMIC. Donc inévitablement ces entreprises, s'ils augmentent trop les salaires et ce n'est jamais trop pour un syndicaliste, mais s'ils augmentent, non seulement ils augmentent les salaires mais ils perdent des allègements de charges. Donc on a eu une réflexion, avant, avec le gouvernement : comment on peut réfléchir sur ces aides aux entreprises sous le coup du travail pour que ces allègements de charges ne maintiennent pas les salaires bas dans notre pays.
Q- Alors on a tout entendu, mais qu'est-ce que ça veut dire un gouvernement facilitateur ? Est-ce que cet après-midi, par exemple, monsieur Larcher peut imposer au Medef, de reprendre des négociations par branche ?
R- Le Gouvernement cet après-midi, après avoir fait un constat - et il nous faut quelques jours quand même pour faire ce constat - sur les négociations de branches telles qu'elles se font dans notre pays, il y a des branches professionnelles, par exemple dans l'agriculture où il y a des négociations de branche, faire ce constat et que de toutes les branches professionnelles, nous dit-on, pratiquement la moitié qui ont des salaires de base en dessous du Smic, qu'il oblige la négociation.
Q- Mais on peut les obliger ?
R- Mais bien évidemment, la loi donne la possibilité au Gouvernement de réunir ce qu'on appelle des commissions mixtes paritaires. Qu'est-ce que ça veut dire "mixtes" ? C'est-à-dire d'un côté il y a les salariés et les syndicats, de l'autre côté les patrons animés par un représentant du gouvernement pour obliger la négociation. C'est un outil que parfois les gouvernements font, monsieur Rocard l'a fait en 1990, qui a amené des négociations dans les branches et qui nous a permis de relever le niveau de branches. Donc ça c'est une démarche qui est totalement possible.
Q- Mais à vous lire, en tout cas dans cet essai qui paraît aujourd'hui, on a l'impression que rien ne peut se faire s'il n'y a pas une reprise en compte... vous dites redéfinir le pacte social, il y a trois objectifs ; de nouvelles régulations, il faut d'ailleurs que les salariés soient plus entendus mais comment, est-ce qu'il faut qu'ils soient plus syndiqués pour être plus
entendus ?
R- Il faut être plus syndiqué et il faut que les règles du dialogue social dans notre pays permettent aussi que les syndicats majoritaires puissent s'engager, c'est-à-dire qu'on ait des règles qui favorisent le dialogue. On a quand même dans notre pays des droits d'opposition et non pas des droits d'engagement, c'est-à-dire que c'est les syndicats qui sont majoritairement contre, qui peuvent s'opposer et il nous faut une démarche où on a un droit majoritaire d'engagement, donc réformer notre système de dialogue social.
Q- Mais quand vous dites redéfinir le pacte social. Comment et jusqu'où ? D'ailleurs vous vous rapprochez à nouveau beaucoup de la CGT, parce que quand vous dites au fond qu'il faut une meilleure protection du travail, vous n'êtes pas si loin de ce que la CGT a proposé, la fameuse sécurité sociale professionnelle.
R- Tout d'abord, j'ai fait le choix de proposer un livre d'idées et pas un livre de personnes ou de combat entre les personnes, donc de dire il faut débattre de ces idées-là. La CGT propose une sécurité sociale professionnelle, je réfute le mot "sécurité sociale", parce que faire croire aux salariés qu'ils auront une sécurité sociale qui les paie quand ils commencent à travailler jusqu'à la retraite c'est, je crois, leur mentir. Mais je pense qu'il faut réformer le travail dans deux directions ; donner de nouvelles garanties pour qu'on recrée des carrières professionnelles malgré les mobilités qui sont de plus en plus importantes, que tout le monde ait une continuité dans sa profession et revoir le système d'organisation des conditions de travail qui détériorent dans notre pays où on est un des pays en Europe ou certainement le pays en Europe où les maladies professionnelles, les accidents du travail sont les plus nombreux. Donc carrière professionnelle, recréer des carrières, conditions de travail c'est quand même deux éléments de réforme forts pour le travail qu'il faut que les syndicats ensemble prennent en charge.
Q- Serons-nous capables - c'est ma dernière question, elle est peut-être sans réponse ce matin - le "nous" c'est l'Union européenne, d'inventer, de créer un vrai système de régulation qui remette un petit peu, j'allais dire, d'humanité dans ce monde du travail mondialisé que vous décrivez, qui ressemble de plus en plus au Far West ?
R- Ce que je sais, c'est que ce traité constitutionnel donne plus de possibilités de négociations au niveau européen, donc plus de place au dialogue social. Et ne pas accepter ce traité constitutionnel, c'est faire un énorme cadeau aux libéraux, c'est-à-dire d'avoir moins de règles, et faire en sorte qu'on aille plus vers la déréglementation. Donc ceux qui ont peur du libéralisme, ceux qui ont peur, comme la CFDT, du libéralisme, qui veulent combattre le libéralisme ne doivent pas rejeter ce traité parce que c'est toujours l'affaiblissement des règles qui renforce le libéralisme. Donc ce traité n'est pas exceptionnel, il a des défauts, mais il nous donne nous syndicalistes - c'est les syndicats européens en commun, il n'y a qu'en France qu'il y a des syndicats qui s'opposent à ça - des outils pour peser sur la réglementation européenne et mondiale. Ne loupons pas cette chance.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 mars 2005)
RMC Info le 21 mars 2005
F. Chérèque, avant d'ouvrir votre livre, commençons avec l'actualité. L'actualité c'est l'Europe, vous avez vu ce dernier sondage, 52 % pour le "non" au référendum sur la Constitution européenne. Vous étiez à Bruxelles samedi, et vous nous disiez il y a un instant : "à Bruxelles, on ne comprend plus".
Samedi, nous avons fait une manifestation européenne, avec tous les syndicats européens. Tous les syndicats européens qui ont décidé de s'engager pour soutenir ce traité constitutionnel dans leur pays, ils ne comprennent pas ce qui se passe en France, ils ne comprennent pas pourquoi le débat français est sur tout, sauf sur le texte européen. Ils ne comprennent pas pourquoi un parti comme le Parti socialiste, qui a décidé de soutenir, est totalement divisé ; ils ne comprennent pas pourquoi à droite, on ne sait plus trop ce que dit Monsieur Sarkozy, est-ce qu'il attend l'échec de Monsieur Chirac ou est-ce qu'il veut soutenir l'Europe. Si j'ai un message à faire passer aux hommes politiques aujourd'hui, ressaisissez-vous, parlez de ce dont on doit parler, c'est-à-dire de l'avenir de la France dans l'Europe. Et tous les pays européens, je le dis bien, attendent que la France, qui est un des pays créateurs de cette Union européenne, s'avance avec eux dans l'évolution de l'Europe qui passe par ce traité.
F. Chérèque, je lis une partie de l'éditorial de D. Jembar dans L'Express ce matin : "parce que nos dirigeants sont incapables d'expliquer et de régler les problèmes de notre société, les citoyens n'en prennent même plus la mesure, ils ne croient plus à rien, surtout pas à la politique ni donc à l'intérêt général, ils vivent dans la peur du chômage, de la violence, de la misère, de la pollution, des retraites, de la maladie, du fascisme, de l'étranger, du terrorisme, et dans un réflexe conservateur s'accrochent désespérément à ce qu'ils ont".
C'est exactement ce que je viens de vous dire, c'est-à-dire que le sujet français existe depuis maintenant 4, 5 ans. On l'a vu aux élections résidentielles, avec l'extrême droite au deuxième tour de l'élection présidentielle. Et les hommes politiques des partis de gouvernement, qu'ils soient de droite ou de gauche, ont zappé ce qui s'est passé pendant les élections présidentielles. Ils ont fait comme si tout allait se régler, et n'ont pas réglé les vrais problèmes de fond. Et si je suis réforme et impatient, si je suis impatient, c'est qu'il faut régler vraiment les problèmes de fond, lutter contre ces inégalités profondes qui existent dans notre pays. Mais ces inégalités-là, on ne les doit pas à l'Europe, au contraire, je suis persuadé que l'Europe doit être le vecteur pour nous permettre, dans une mondialisation de plus en plus déréguler, permettre de nous aider à réduire ces inégalités.
J'ai des mails, des quantités de mails qui me parviennent, et beaucoup d'auditeurs qui nous disent "je vais voter non à l'Europe", et qui nous donnent des arguments. Je lis Bernard : "depuis le début, les Français ont toujours voté bêtement, sans se poser de question, là ils réalisent que la mariée n'est pas aussi belle que prévue, que l'Europe ne nous apporte pas grand chose". Les Français ne mesurent pas ce que l'Europe leur apporte.
L'Europe bien évidemment déçoit, et ça, je comprends Bernard. Mais en même temps, il faut bien comprendre que l'Europe c'est un aussi un vecteur pour nous aider dans la mondialisation, c'est-à-dire que cette monnaie - les gens ont eu l'impression que leur pouvoir d'achat baissait à cause de l'euro - mais en même temps cette monnaie elle nous protège dans le cadre des échanges mondiaux. Et si on n'avait pas l'euro aujourd'hui, on serait dans la situation d'il y a 25 ans, où le franc était dévalué régulièrement, et on allait de crise en crise. Donc, on voit les difficultés mais on ne voit pas ce qui nous aide, et ce dont je suis persuadé, c'est qu'on a besoin de plus de régulation au niveau mondial, pour mieux maîtriser ce capitalisme qui est complètement dérégulé, et la France ne le fera pas toute seule.
L'Europe, l'Europe, l'Europe, c'est ce qu'on entend, mais les auditeurs me disent et nous disent régulièrement "oui, l'Europe, l'Europe, l'Europe, mais moi je ne vois rien changer dans mon quotidien".
Je prends un exemple, vous avez parlé ce matin des salaires, et on dit : "la France est un pays où les salaires augmentent le moins en Europe". Mais on voit bien que les autres pays par contre ont les salaires qui évoluent. Alors pourquoi l'Europe serait bonne pour les autres pays et serait mauvaise pour la France ? Eh bien non, le problème c'est que la France a ses propres problèmes qu'elle n'arrive pas à régler, ses propres problèmes de chômage, ses propres problèmes d'exclusion, et si la France ne règle pas elle-même ses problèmes, il ne faut pas attendre que l'Europe nous aide. Parce que ce qui est bon pour les Anglais, ce qui est bon pour les Irlandais, les Belges et les Luxembourgeois doit être bon aussi pour les Français, si on fait les réformes nécessaires en France.
On va parler de questions franco-françaises dans un instant, du livre de F. Chérèque "Réformiste et Impatient" aux éditions du Seuil. Mais vous avez une question à poser aux auditeurs de RMC, F. Chérèque.
Oui, on a eu le débat sur les Jeux Olympiques, et la question que je voudrais leur poser, c'est simplement si, et je l'espère, la France obtient les Jeux Olympiques en 2012, est-ce qu'on doit faire une trêve sociale pour pouvoir accueillir ces Jeux Olympiques ?
Une trêve sociale olympique, 32.16, www.rmcinfo.fr, pour répondre à la question posée par François CHEREQUE. Les traitements des fonctionnaires, demain R. Dutreil, ministre de la Fonction publique, reçoit les syndicats de fonctionnaires. 1 % déjà accordé pour 2005, vous demandez plus ?
Oui, nous demandons simplement un rattrapage sur le pouvoir d'achat. Alors on a un désaccord sur plusieurs années, je ne vais pas vous dire ici l'objectif final de la CFDT, ça serait mettre en difficulté...
Oui, mais vous demandez plus, le double...
Par exemple au moins, et faire en sorte qu'on maintienne le pouvoir d'achat cette année, en 2005, et qu'on essaie d'avancer sur le règlement. Mais derrière ce problème-là, qui est l'entrée dans les négociations, nous voulons nous des négociations sur la modernisation de la Fonction publique...
C'est-à-dire ?
On a des sujets... Si tout le monde dit que la Fonction publique doit s'adapter à la réalité du monde d'aujourd'hui - la CFDT aussi - pour ça il faut le faire avec les fonctionnaires. Donc il faut rentrer dans des négociations sur plusieurs sujets, qui sont l'évolution de leur carrière, l'évolution des métiers dans les fonctions publiques, la mobilité entre fonctions publiques donc la formation, on a fait une loi sur la formation continue des salariés du privé, on n'en a pas fait pour le public, l'égalité salariale entre les hommes et les femmes. On est en train de faire une loi pour le privé, le Gouvernement oublie encore le public... Le dialogue social, l'équité par exemple pour ceux qui ont commencé à travailler jeunes pour qu'ils puissent partir à 60 ans. Donc il y a là plein de sujets qui sont favorables à la négociation et à la modernisation de la fonction publique, ça doit être les sujets qui viennent juste après ce problème salarial.
Vous avez vu les chiffres divulgués par les entreprises du CAC 40. Bénéfices : 57 milliards d'euros, ce qui donne des recettes fiscales complémentaires, supplémentaires au gouvernement. Le Gouvernement doit-il utiliser une partie de ces recettes fiscales supplémentaires, pour augmenter les fonctionnaires ?
Bien évidemment, de toute façon c'est sur les recettes fiscales qu'on obtient des moyens pour la politique salariale dans la Fonction publique. Mais je le dis, Nous avons, nous, à la CFDT des revendications pour aujourd'hui, mais on a aussi besoin de rentrer dans une négociation qui s'appliquera sur plusieurs années. La modernisation de la fonction publique et l'évolution des métiers, ça ne se fera pas en deux jours, ça se fera sur plusieurs années. On peut prévoir aujourd'hui ce qu'on dépensera demain, on n'est donc pas obligé de tout prévoir aujourd'hui.
Faut-il limiter le nombre de fonctionnaires dans les années qui viennent ?
Avant de parler du nombre de fonctionnaires, il serait bien qu'on ait un débat sur qu'est-ce qu'on veut de la fonction publique, qu'est-ce qu'on attend de la fonction publique, et on n'a pas ce débat politique. Quelles sont les futures missions. On a parlé désespérances dans un article de L'Express, on a besoin de plus de policiers, plus d'infirmières, plus d'enseignants, plus de fonctionnaires des impôts, je ne sais pas aujourd'hui... Ayons ce débat-là pour définir les missions, ensuite on débattra du nombre de fonctionnaires pour les faire et les qualifications des fonctionnaires. Après, ça ira peut-être sur un peu plus de fonctionnaires là, un peu moins là. La CFDT est ouverte à cette modernisation.
Le mérite, l'intéressement dans la fonction publique, c'est possible ? Ca existe déjà.
Oui, ça existe déjà, mais c'est très mal utilisé. C'est utilisé d'une façon totalement arbitraire. En plus on sanctionne les personnes qui sont malades. Je prends toujours l'exemple d'une femme qui a un cancer et qui est arrêtée 6 mois, elle perd un mois de salaire à la fin à la Fonction publique, ce n'est pas raisonnable. Là, il y a une discrimination, parce qu'on sait très bien qu'il y a certaines maladies que les femmes ont plus souvent que les hommes. Donc, rediscutons de cette masse salariale qui est déjà au mérite pour qu'elle soit mieux redistribuée.
Bien. Le privé maintenant. Là aussi, vous demandez, vous syndicats, des hausses de salaires. Le Gouvernement vous répond : "on vous offre une prime d'intéressement de 200 euros". Cela vous suffit ça, cette prime-là ?
Pour ceux qui auront les 200 euros, c'est toujours ça de pris, mais en même temps, je crains que ceux qui auront cette prime de 200 euros ont déjà une prime d'intéressement, c'est généralement dans ces grandes entreprises du CAC 40. Donc ça ne concerne que 40 % des salariés. Donc même si on peut prendre ça, ça ne fait pas une politique salariale, et ce n'est pas ça une politique salariale.
Est-ce que vous êtes ressorti satisfait des propositions du Gouvernement vendredi dernier ?
Vous savez, la CFDT savait très bien que ça n'était pas dans cette réunion-là qu'on obtiendrait une augmentation des salaires dans le privé. On obtiendra une augmentation des salaires dans le privé que si...
Comment ?
On rentre dans des négociations dans toutes les branches professionnelles et les entreprises, et pour ça, je crois qu'il faut que les chefs d'entreprise et les responsables des branches professionnelles ouvrent les négociations, en particulier dans les branches professionnelles où les salaires minimums sont en dessous du Smic.
"L'Etat n'a pas à s'immiscer dans la gestion des PME, dit E.-A. Seillière. Augmenter les salaires, la décision appartient aux entreprises".
Oui, mais Monsieur Seillière se fixe sur ce problème des PME, mais vous avez parlé des entreprises du CAC 40 qui ont fait des gros bénéfices. Et comment elles les font ces bénéfices, les entreprises du CAC 40 ?
Souvent à l'étranger.
Souvent à l'étranger, mais elles le font à l'étranger et aussi en France, parce qu'elles ont des sous-traitants. Ils serrent les vis des sous-traitants, et c'est les sous-traitants qui ont des difficultés financières pour aider les grandes entreprises à faire des bénéfices. Et parfois ces sous-traitants, ils sont tellement serrés qu'ils délocalisent à l'étranger...
Mais vous allez être content qu'elles fassent des bénéfices les entreprises, puisqu'une partie de ces bénéfices vont servir à augmenter les traitements des fonctionnaires...
Personne ne se plaint des bénéfices des grandes entreprises, bien évidemment qui amènent des deniers à l'Etat. Mais nous ce qu'on voudrait, c'est que ces grandes entreprises soient responsabilisées sur leurs sous-traitants. Je prends un exemple : Vivendi, une des grandes entreprises du CAC 40, a bénéficié d'allègements fiscaux énormes, je crois que c'est 3,5 milliards en 5 ans. Mais en même temps, Vivendi a une filiale qui s'appelle Cegetel, qui a serré la vis à son sous-traitant, son centre d'appels qui s'appelle Timing, qui elle délocalise au Maroc. Donc, il me semble que ce serait quand même utile de sensibiliser Cegetel, pour qu'il y ait un peu plus de souplesse avec les sous-traitants pour qu'ils gardent les emplois en France. Donc les bénéfices des grandes entreprises doivent aussi permettre aux petites entreprises et moyennes qui travaillent pour elles, d'avoir un petit peu plus de marge de manuvre.
Certains brandissent déjà la menace d'organiser de nouvelles mobilisations et manifestations des salariés, si le Gouvernement n'est pas assez volontariste. Vous appelez à la grève, vous appelez à de nouvelles manifestations ?
On n'en est pas là aujourd'hui. On a dit qu'on avait des grandes manifestations pour ouvrir des négociations, on ouvre des négociations demain dans la fonction publique, on espère qu'on va en ouvrir dans la plupart des branches professionnelles, et après les premières négociations, on fera un bilan et on décidera, on verra bien.
[...]
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 mars 2005)