Déclaration de M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche, sur la recherche dans le domaine des maladies infectieuses, Lyon le 12 avril 2005.

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Circonstance : Forum Biovision 2005 à Lyon du 12 au 15 avril 2005

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Sénateur-Maire,
Monsieur le Député,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Nos interrogations face aux découvertes dans le domaine des sciences de la Vie, nos espoirs et nos craintes, nos aspirations à aider les populations du monde à accéder à la santé et à l'alimentation dans le respect de l'environnement, sont au cur du débat qui anime notre société.
Le forum BioVision 2005 qui s'ouvre aujourd'hui, espace de dialogue et de réflexion prospective sur les questions d'éthique liées au développement des Sciences de la Vie, doit avoir un rôle clé dans ce débat. Aussi suis-je particulièrement heureux d'être aujourd'hui parmi vous pour participer à cet événement et ouvrir cette journée exceptionnelle, illuminée par la présence de personnalités scientifiques de premier plan, et tout particulièrement de onze lauréats du Prix Nobel à qui je souhaite rendre un profond hommage.
Aujourd'hui nous commémorons une victoire historique contre une maladie infectieuse qui de tous temps a fait des ravages : la polio. Le vaccin contre la polio inventé par Jonas Salk dans les années 50 à partir de virus inactivés, fut une réussite scientifique complète, permettant d'éradiquer totalement la maladie dans les pays appliquant une vaccination systématique. Après la variole, c'est le second fléau qui pourrait être éliminé de la planète.
Pour autant, il ne passe pas un jour, pas une heure, sans que l'actualité nous rappelle l'urgence de la situation face aux maladies infectieuses qui restent la première cause de décès : la tuberculose qui fait 5 000 morts par jour dans le monde et progresse en association avec le SIDA, les épidémies récentes de SRAS et de grippe aviaire, la fièvre hémorragique virale de Marburg qui a ressurgi en Angola et a fait au moins 150 morts ces dernières semaines, la liste est longue...
Des pandémies touchent la population mondiale, dans les pays développés comme dans les pays pauvres : le SIDA, 3,1 millions de décès par an et 40 millions de personnes infectées, les maladies respiratoires aigues (grippe, pneumonies), 3 millions de décès chaque année, les fièvres diarrhéiques (choléra, typhoïde,...), 2,5 millions de décès. La tuberculose occasionnerait près de 2 millions de décès par an, dont 230 000 co-infections tuberculose-VIH ; un tiers de la population mondiale serait infecté selon un récent rapport de l'OMS.
Dans certains cas, des vaccins existent qui pourraient prévenir l'épidémie, comme dans le cas de la rougeole qui tue encore 750 000 personnes par an, tandis que dans d'autres cas des efforts accrus sont nécessaires pour concevoir et développer des traitements thérapeutiques et vaccinaux efficaces.
Jamais les maladies infectieuses n'ont circulé et évolué aussi vite qu'aujourd'hui, dans les pays du sud comme dans les pays industrialisés. Elles ont responsables de 43 % de décès dans les pays pauvres. Nos pays ne sont pas à l'abri puisque l'incidence des maladies infectieuses (1 %) a augmenté de 10 à 20 % ces dernières années du fait de la recrudescence des maladies traditionnelles, de l'apparition de nouveaux agents pathogènes ou de multi-résistances favorisant les maladies nosocomiales, des modifications liées à notre environnement ou de l'augmentation du trafic entre les différentes régions du globe.
Au total, c'est environ 15 millions de décès qui sont occasionnés chaque année dans le monde par les maladies infectieuses. C'est donc une urgence absolue en termes de santé publique aussi bien qu'un enjeu prioritaire pour la recherche scientifique.
La situation de la recherche française face aux maladies transmissibles est exemplaire à plus d'un titre. C'est un domaine qui bénéficie de moyens importants au travers de structures de recherche publiques et privées : l'institut Pasteur, l'Inserm, le CEA, les Universités et les Centres Hospitalo-Universitaires.
L'Institut Pasteur est depuis plus de cent ans le phare mondial de la recherche sur les maladies infectieuses. Grâce au réseau international des 29 Instituts Pasteur présents dans 22 pays et au maillage du territoire par ses Centres Nationaux de Référence (CNR), l'Institut Pasteur dispose d'une extraordinaire capacité de mobilisation. C'est cette réactivité qui lui a permis en 2003, au sein du réseau coordonné par l'OMS, d'identifier l'agent pathogène responsable de la pneumopathie atypique (SRAS) et de réaliser le séquençage du coronavirus incriminé dans un temps record après le début de l'épidémie.
L'institut national de la recherche médicale, l'Inserm, est le second opérateur : 142 laboratoires sont concernés par les recherches en microbiologie et maladies infectieuses, soit environ 500 chercheurs et techniciens. C'est 10 % de la force vive de l'Institut. Depuis janvier 2004, l'Inserm a la responsabilité d'un des quatre laboratoires européens de haute sécurité, le Laboratoire P4 Jean Mérieux de Lyon, construit en 1999 grâce au financement de la Fondation Jean Mérieux et permettant d'étudier les agents hautement pathogènes comme les virus responsables de fièvres hémorragiques (Ebola, Marburg).
Enfin, dans le domaine du SIDA et des hépatites, la France dispose d'une agence de recherche dédiée, l'ANRS, apportant un financement direct sur projets. Son action s'étend sur 3 fronts :
- comprendre les déterminants biologiques et sociaux de l'épidémie ;
- développer des traitements anti-rétroviraux et surtout élaborer la réponse définitive que serait la mise au point d'un vaccin ;
- développer de nouveaux programmes de préventions, adapter et diffuser les traitement existants vers les pays du Sud.
Tous ces objectifs plus ou moins lointains nécessitent que l'effort de recherche soit maintenu, voire amplifié sur certains fronts. Si l'on prend en compte l'ensemble des crédits qui y sont affectés, la dépense du ministère chargé de la recherche ciblée sur le sida peut être estimée, en coût complet, à environ 100 M d'euros par an.
C'est beaucoup, si l'on compare cette dépense de recherche à celle consacrée à d'autres maladies qui tuent chaque année en France beaucoup plus que le sida. Mais 100 M d'euros, c'est aussi trop peu si l'on considère les millions de morts à l'échelle mondiale et surtout les effroyables perspectives à 10 ou 20 ans, qui peuvent remettre en question l'équilibre géopolitique de la planète.
Je veux donc réaffirmer devant vous que je considère comme essentielle la recherche fondamentale, source de grandes découvertes et fondement d'innovations en matière thérapeutique. Cette recherche doit être soutenue et renforcée.
Le Gouvernement français l'a parfaitement compris et, s'appuyant sur une large concertation avec les représentants de la communauté scientifique de la recherche publique et privée, proposera bientôt un projet de loi d'orientation et de programmation qui consacrera la recherche comme une priorité nationale. Le budget de la recherche augmentera de 6 Mrds d'euros entre 2005 et 2007, et 3 000 postes supplémentaires de chercheurs, d'ingénieurs et de techniciens seront créés dès 2006 dans les établissements publics de recherche.
C'est un effort important qui est consenti par la communauté nationale et qu'il convient de répartir en fonction de nos grandes priorités. Dès cette année, l'Agence Nationale de la Recherche, que nous avons créée en février dernier, pourra engager des actions pour environ 700 M d'euros. Une large part, soit 200 M d'euros des 350 M d'euros qui seront dépensés dès 2005, sera attribuée aux sciences de la vie, sur des programmes de recherche fondamentale et partenariale sur de grandes priorités thématiques, en particulier dans le domaine " microbiologie, infections et immunité " (env. 6 M d'euros en CP).
Pour autant, face à l'ampleur et à la diversité des risques, seuls nous ne pouvons rien. Les moyens que nous consacrons annuellement à notre recherche restent limités, tant par le nombre de chercheurs et de programmes engagés que par les budgets affectés, au regard des gigantesques efforts nécessaires pour combattre ces maladies.
L'Europe est le cadre dans lequel doivent s'inscrire nos recherches, au travers de réseaux d'excellence coordonnés au plan international. Je souhaite que le 7e programme-cadre de l'Union Européenne en cours d'élaboration soit l'occasion de renforcer l'espace européen de la recherche grâce à une augmentation des moyens qui lui sont consacrés et en visant deux objectifs majeurs :
- un effet de levier du financement public sur l'investissement privé, permettant d'atteindre l'objectif de 3 % de Barcelone grâce la conjonction des moyens public/privé ;
- une meilleure coordination et une meilleure intégration des équipes européennes permettant d'atteindre une masse critique gage d'une meilleure efficacité et d'une visibilité accrue.
Je souhaite également que soient prises des mesures efficaces permettant d'alléger les règles administratives de fonctionnement des programmes européens, et d'optimiser le processus de sélection des projets fondé sur l'excellence scientifique et la transparence.
Dans le domaine de la santé, la France inscrira dans ses priorités les recherches fondamentales portant sur de nouvelles approches thérapeutiques et vaccinales contre les maladies transmissibles liées à la pauvreté. Cet objectif prendra en compte la nécessité de développer les essais cliniques en vaccinologie, qui ne sont pas pris en charge par les industriels, ainsi que l' étude des effets environnementaux sur la santé humaine et les questions relatives aux maladies émergentes.
Au-delà d'une augmentation du financement de la recherche, il faut également améliorer son organisation, rassembler les efforts et jouer les complémentarités qui existent entre la recherche publique et la recherche privée. Il faut permettre à ces deux communautés de chercheurs de mieux travailler ensemble.
Nous avons la chance d'avoir en Europe une industrie pharmaceutique forte et le 1er producteur mondial de vaccins, ce qui doit nous donner la capacité à réagir face à des menaces émergentes tout autant que face à la résurgence de menaces anciennes.
Et nous avons des raisons d'être optimistes : des initiatives extrêmement ambitieuses voient le jour. Ainsi, la fondation DNDi (Drugs for Neglected Deseases Initiative), créée en 2003 à l'initiative de Médecins sans Frontières, de l'Institut Pasteur, de 4 organisations de recherche biomédicale au Brésil, en Inde, en Malaisie et au Kenya, avec le soutien de l'OMS, vient d'annoncer vendredi dernier un accord de collaboration avec le groupe français Sanofi-Aventis. Ce partenariat exemplaire a pour objectif de développer une nouvelle formulation médicamenteuse efficace contre le paludisme, simple d'utilisation et pour un prix cible inférieur à 1 dollar, l'industriel poursuivant son implication dans la lutte contre la malaria en faveur des populations les plus démunies au travers d'une stratégie à prix coûtant, sans dépôt de brevet.
Je souhaite bien évidemment soutenir et encourager ce type de partenariat public/privé.
La France a également un important rôle à jouer dans le soutien qu'elle apporte aux pays en développement. Le réseau des 29 Instituts Pasteur contribue à diffuser dans le monde entier son expertise avec une triple mission en recherche, en santé publique et en enseignement. Il est également impliqué au quotidien dans la surveillance épidémiologique des maladies infectieuses et, grâce à sa Cellule d'Alerte et de Réponse aux Epidémies (CARE) créée en 2002 à la demande de l'OMS, peut envoyer partout dans le monde des experts de haut niveau préparés à intervenir en cas d'épidémie.
L'ANRS de son côté consacre 25% de son budget à la recherche dans les pays en développement et concentre ses moyens sur des sites de recherche implantés dans plusieurs pays d'Afrique, en Asie du Sud-Est et au Brésil. Par son exigence de qualité, la recherche contribue à la formation du personnel, à l'amélioration des infrastructures, à un drainage des populations vers l'accès aux soins, à la diffusion de messages de prévention.
La France est également présente par d'autres modes d'action, notamment par sa contribution au Fonds mondial de lutte contre le sida, la malaria et la tuberculose. Elle aura versé 550 millions d'euros pour ce fonds à l'échéance de 2006 (2002-2006), c'est-à-dire la plus importante contribution après les États-Unis !
L'objectif du Forum BioVision est de " contribuer au développement des Sciences de la Vie bénéfiques à l'Homme et à son environnement et respectueuses de l'éthique ", en privilégiant le dialogue entre représentants de la société civile et l'ensemble des acteurs concernés du monde scientifique et industriel.
C'est une initiative généreuse, utile à une meilleure compréhension des enjeux de la Recherche scientifique, à un moment de notre Histoire où le questionnement sur les bienfaits de la Science se fait de plus en plus pressant. C'est un débat qui me paraît nécessaire à une meilleure appropriation par nos concitoyens, des progrès scientifiques réalisés par la recherche en sciences de la Vie, et par la recherche biomédicale en particulier.
À l'initiative de ses fondateurs, Monsieur le Premier Ministre Raymond Barre, Monsieur le Professeur François Gros, secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, et Monsieur le Professeur Federico Mayor, ancien Directeur Général de l'UNESCO, le Forum BioVision est devenu une plateforme internationale de dialogue, réunissant plus de 3 000 participants de 70 nationalités différentes. Un événement mondial couronné par cette journée exceptionnelle réunissant quelques-uns de nos plus grands scientifiques.
" Le scientifique a la responsabilité de s'exprimer clairement sur les sujets qu'il connaît, sur ceux qu'il analyse et qui peuvent affecter le progrès social " a écrit le Professeur Federico Mayor.
C'est tout l'enjeu de ce Forum et je tiens à remercier ici ses fondateurs qui par leur action contribuent à un monde de progrès fondé sur le dialogue et le respect des libertés.
Je souhaite que vos discussions soient fructueuses et constructives, et j'attends avec impatience les résultats de vos travaux.
Je vous remercie de votre attention.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 27 avril 2005)