Texte intégral
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, les événements qui viennent de se produire en Bosnie Herzégovine depuis vendredi dernier constituent un véritable traumatisme en France, en Europe, aux Nations unies, et la vision de nos soldats enchaînés et humiliés est de celle, hélas qui reste gravée dans les mémoires.
Vous le savez, dès que les événements se sont déclenchés, M. le Président de la République a immédiatement donné l'ordre à nos soldats de résister militairement à toutes nouvelles agressions ; c'est ce qu'ils ont fait avec grand courage et c'est ce qui a permis la reprise du pont de Vrbanja avec hélas, un soldat blessé, puis décédé, et un autre tué dans un lieu voisin.
Je voudrais à mon tour, comme l'ont fait les parlementaires qui viennent de s'exprimer, saluer le courage admirable de nos Casques bleus et, pour reprendre le vocabulaire militaire, leur moral élevé dont nous parlait ce matin-même leur chef.
Je m'incline à la mémoire de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie au service de la paix, puisque ce sont des soldats de la paix, et je voudrais exprimer à leur famille les condoléances du gouvernement et de la nation ; le rapatriement des dépouilles des deux dernières victimes a pu s'effectuer, vous le savez, hier, hommage leur sera bientôt rendu au milieu de leurs familles et de leurs camarades.
A l'heure où je vous parle, la tension demeure très forte dans les environs de Sarajevo où Bosniaques et Serbes continuent de s'affronter pour le contrôle d'un certain nombre de points stratégiques. Nous avons toutefois enregistré quelques évolutions positives hier avec l'évacuation de 7 blessés français et la libération de 5 de nos Casques bleus mais, vous le savez, la majorité de ceux qui ont été fait prisonniers ou qui demeurent encerclés le sont encore à cette heure, la situation demeure donc intolérable.
Au total, ce sont près de 350 personnels des Nations unies qui sont aujourd'hui au pouvoir des serbes de Bosnie, et qui se trouvent placés, je viens de l'évoquer, dans des situations assez différentes. Environ la moitié, dont 92 Français, sont désarmés et détenus à proprement parler en otages. Plusieurs d'entre eux ont été utilisés comme bouclier humain et ont fait l'objet de traitements humiliants. A la suite de pressions exercées par le commandement de la FORPRONU sur le terrain, l'assurance nous a été donnée qu'aucun prisonnier n'était plus enchaîné, la FORPRONU maintient par ailleurs des contacts permanents sur place et nous assure qu'en ce moment, ces prisonniers sont, j'hésite à dire correctement, en tous cas ne sont pas maltraités.
Les autres se trouvent encerclés et bloqués, mais ils restent formés en unités constituées et conservent leurs armes, 75 Français sont aujourd'hui dans ce cas ; ils restent en contact radio permanent avec le gros de nos forces et ils ont reçu pour instruction de se défendre s'ils étaient attaqués.
Après ce rapide point de la situation, je voudrais rappeler en quelques mots les origines de la crise qui vient ainsi de se déclencher.
A de nombreuses reprises depuis plusieurs mois, et je l'ai fait devant l'Assemblée nationale en qualité de ministre des Affaires étrangères, la France a appelé l'attention de la communauté internationale et des Nations unies sur le caractère inacceptable de l'éparpillement des forces des Nations unies sur le terrain. Nous avions demandé le regroupement et le renforcement des la FORPRONU dès le mois de novembre d'ailleurs, et, plus précisément encore, au début du mois d'avril en soumettant au Conseil de sécurité et en faisant voter à l'unanimité un projet de résolution demandant ce regroupement, demandant au Secrétaire général les moyens de renforcer la FORPRONU et demandant également la reprise du processus diplomatique. J'ai dit à plusieurs reprises qu'hélas, aucune suite n'avait été donnée à cette demande formelle de la France et à cette résolution du Conseil de sécurité. Le 23 mai dernier, le commandement des forces des Nations unies en Bosnie a enjoint les parties bosniaques de se mettre en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité et en particulier avec les dispositions concernant la zone d'exclusion des armes lourdes décrétée autour de Sarajevo depuis l'ultimatum de février 1994. Les Serbes n'ont pas obtempéré à l'expiration du délai prévu qui était fixé le 25 mai à 12 heures et l'OTAN a donc effectué deux frappes aériennes successives sur les dépôts de munitions près de Pale les 25 et 26 mai.
Je l'ai dit, et je réponds par là à la question de M. Boucheron, ces frappes ont certes été accomplies en vertu des décisions des Nations unies et de l'Alliance atlantique, en respectant la chaîne de commandement qui est prévue à ce titre, c'est-à-dire, déclenchement par le commandement ONU de la FORPRONU en Bosnie, accord du commandement de la FORPRONU sur l'ensemble du théâtre et du représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, M. Akashi.
Cette chaîne de commandement a fonctionné, je note au passage qu'elle ne comporte pas de consultation formelle des autorités des pays contributeurs de troupes, c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne, de la France. Ceci m'a donc conduit à dire, ce que je pense profondément, à savoir que cet ultimatum n'a pas été bien préparé et que les suites des frappes aériennes n'ont pas été anticipées comme il convient de le faire quand on monte une telle opération et comme nous l'avions fait au mois de février 1994 s'agissant de l'ultimatum de Sarajevo.
Il ne s'agit pas ici de désigner des responsabilités mais de rétablir des faits.
Les Serbes de Bosnie ont immédiatement réagi à leur manière, c'est-à-dire avec barbarie, en effectuant des représailles sanglantes contre les populations civiles, en bombardant Sarajevo et Tuzla, où les victimes se comptent par dizaines, et ils se sont employés à prendre le maximum d'otages parmi les personnels des Nations unies dont l'éparpillement ou la faiblesse numérique faisait dans de trop nombreux cas, des victimes faciles.
Cette situation est évidemment inacceptable et nous avons immédiatement développé une double action, à la fois politique et militaire pour essayer d'y mettre un terme. D'abord, sur le plan diplomatique, le Président de la République s'est personnellement engagé auprès de nos principaux partenaires européens et internationaux, je pense en particulier au Président Clinton et au Président Eltsine, afin d'accélérer la prise de décisions politiques au plus haut niveau. Il a également demandé au Président serbe de Belgrade de condamner sans ambiguïté les agissements des Serbes de Bosnie, ce qui a été fait, et d'utiliser les moyens d'influence dont il dispose pour favoriser la libération des otages, ce qui a été promis, mais n'a pas donné, pour l'instant, je le constate, au-delà des cinq Français libérés, les résultats attendus.
Profitant par ailleurs des rencontres déjà prévues ou organisées à notre demande dès cette semaine, rencontre bilatérale, rencontre des 15 ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne, rencontre du Groupe de contact, c'est-à-dire américains, russes, britanniques, allemands et français au niveau ministériel, session ministérielle du Conseil atlantique, nous avons fait un certain nombre de propositions regroupées dans un mémorandum français dont les grandes lignes ont été approuvées par l'ensemble de nos partenaires.
Quelles sont ces grandes lignes ?
Premièrement, et cela dans le contexte actuel, compte tenu du comportement des Bosno- Serbes, peut paraître théorique ou déclamatoire, mais c'est indispensable, un avertissement très ferme adressé aux dirigeants de Pale pour qu'ils sachent que nous les tenons tous pour responsables du sort de nos otages.
Deuxièmement, il a été décidé d'achever, dans les meilleurs délais possibles la négociation avec Belgrade sur la reconnaissance de la Bosnie ; ce qui m'a conduit à dire dimanche soir qu'effectivement, un accord de paix était à notre portée et même à portée proche. Le négociateur américain du Groupe de contact se trouve en ce moment même dans la capitale yougoslave à Belgrade, il s'agirait vous le savez de mettre en oeuvre la première étape du plan de paix que j'avais proposé, à savoir, la reconnaissance mutuelle de la République fédérale de Yougoslavie Serbie-Monténégro, de la Bosnie-Herzégovine et de la Croatie.
La reconnaissance de la Bosnie par la Serbie marquerait clairement aux yeux de tous un renoncement formel à la création de la grande Serbie par la force et cette reconnaissance constituerait donc un élément nouveau qui permettrait de faire pression, en les isolant davantage, sur les Serbes de Bosnie et de leur montrer qu'il n'y a pas d'autre issue qu'un accord négocié. Un tel accord inciterait également les autorités de Sarajevo à accepter le cessez-le feu nécessaire à la poursuite de la mission des Casques bleus. Si une telle reconnaissance était prononcée, la communauté internationale serait prête, moyennant des garanties solides, sur l'embargo appliqué aux Serbes de Bosnie par le régime de Belgrade et aussi longtemps que ces engagements seraient vérifiés sur le terrain, à proposer au Conseil de sécurité une résolution suspendant les sanctions imposées à Belgrade.
Enfin, et c'est le troisième volet des décisions soumises à nos partenaires, il été décidé de renforcer la FORPRONU, ce que nous demandions, je l'ai dit tout à l'heure, depuis des mois. Et cela signifie quelque chose de très précis. D'abord, le changement du dispositif sur le terrain. Nous ne pouvons plus accepter que des observateurs, sans arme, ou des Casques bleus armés soient mis dans une position d'aussi grande vulnérabilité que celle qu'ils connaissent depuis plusieurs mois. Par ailleurs, l'augmentation des moyens de la FORPRONU et, plus précisément, la constitution d'une force de réaction rapide à la disposition du commandement de la FORPRONU qui pourrait intervenir au sol dans l'hypothèse où se reproduiraient les événements que nous avons connu vendredi et samedi. Ceci a été décidé dans le principe ; instruit hélas par l'expérience de deux années de "gestion" de ce dossier, j'estime qu'il ne faut pas se contenter de ces déclarations de principes de l'OTAN ou des Nations unies, mais tenir la main à leur mise en uvre.
Vous avez vu que certains de nos partenaires ont annoncé un effort significatif qui va dans le sens de la constitution de cette force de réaction rapide, je pense aux Britanniques qui ont annoncé la venue sur le terrain d'un millier d'hommes ; en ce qui nous concerne, nous avons envoyé notre groupe aéronaval qui est opérationnel aujourd'hui mercredi, et qui est parvenu sur place avec 500 soldats d'élite, des hélicoptères et des avions à son bord.
La France et la Grande Bretagne ne peuvent évidemment porter seules l'effort indispensable, notre contribution doit s'inscrire dans un cadre collectif qui démontre clairement la solidarité européenne, c'est dans cet esprit que M. le Ministre de la Défense a invité à Paris samedi prochain, l'ensemble des ministres de la Défense des Etats membres de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique contributeurs de troupes pour étudier la mise au point concrète de ce renforcement de la FORPRONU.
Voilà, Mesdames et Messieurs les Députés, le point que je peux faire au moment où je me trouve devant vous de la situation en Bosnie. Quelles sont donc nos perspectives ? Dans l'immédiat, et conformément aux orientations fixées par le Président de la République, la France a maintenu ses consignes de fermeté et de résistance données à ses Casques bleus à Sarajevo. Dans le même temps, nous maintenons notre pression diplomatique avec pour premier objectif, la reconnaissance de la Bosnie par Belgrade. Je voudrais en terminant redire ici ma conviction, qui n'a pas changé depuis des mois, à savoir que, seul un règlement négocié est susceptible de rétablir la paix dans cette région déchirée et vous savez les efforts incessants que la diplomatie française a déployés dans ce sens. Toutefois, la présence de nos Casques bleus n'a de sens que si elle aide à créer les conditions du dialogue et de la négociation ; nos soldats ne peuvent remplir cette mission que s'ils sont respectés. C'est dans cet esprit que la France, pour obtenir un cessez-le-feu, a souhaité qu'un nouveau médiateur, mandaté par la communauté internationale, soit désigné rapidement. Lord Owen en effet, auquel je tiens ici à rendre hommage pour l'activité inlassable qu'il a déployée en faveur de la réconciliation des belligérants, vient d'annoncer au Président de la République française, en sa qualité de Président en exercice de l'Union européenne, son intention de démissionner d'ici la fin du mois de juin. Il faut donc que nous puissions investir une nouvelle personnalité de la responsabilité de mener maintenant ces négociations.
Pour terminer, je voudrais rappeler qu'aussitôt que possible, le gouvernement a tenu à informer le Parlement du déroulement de ces événements ; j'ai reçu personnellement l'ensemble des Présidents de groupes de l'Assemblée nationale et du Sénat hier à Matignon et je suis aujourd'hui devant vous, dans le cadre de cette procédure exceptionnelle : je remercie M. le Président de l'Assemblée nationale d'avoir bien voulu en autoriser la constitution, les ministres sont à la disposition des commissions des Affaires étrangères et de la Défense, ils sont prêts à se rendre devant elles. Enfin, en accord avec les Présidents des groupes et les Présidents des assemblées, un débat a été prévu mardi prochain, ici même à l'Assemblée nationale, pour faire le point de la situation face au défi, j'utilise à nouveau ce mot, mais je n'en trouve pas d'autre barbare qui nous est lancé par un certain nombre de responsables politiques bosno-serbes qui ne rêvent que de guerre. Je crois qu'aujourd'hui, le moment est à la cohésion nationale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2002)