Déclaration de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, sur le jumelage entre communes de l'Union européenne, à Paris le 9 mai 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journée de l'Europe, à Paris le 9 mai 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Maires,
Comme vous le savez, le Premier ministre avait prévu et aurait aimé vous accueillir aujourd'hui. Il a été contraint à une hospitalisation sans gravité, et il m'a demandé de me faire son interprète. Je suis donc heureux, en son nom, de vous souhaiter la bienvenue aujourd'hui à Matignon et de vous remercier de votre présence car je sais que beaucoup parmi vous ont effectué un long voyage.
Le Premier ministre a voulu placer la journée de l'Europe sous le signe de l'Europe des proximités et des maires des communes jumelées de l'Union européenne. Pourquoi ? Parce que votre présence ici en ce jour illustre concrètement la devise de l'Union européenne : " unie dans la diversité ". En construisant et en perpétuant des jumelages, vous, et les habitants de vos villes et de vos villages servez cette ambition concrètement. Votre présence et votre action rappellent à la France un double message : celui de la fraternité des Européens, et d'abord de leur réconciliation ; et puis celui d'une Europe humaine, vivante, politique, en un mot différente de l'image un peu bureaucratique que peuvent en avoir parfois nos concitoyens.
Un mot, tout d'abord, sur l'idée de fraternité européenne qui est au coeur de l'esprit du jumelage.
Edouard Herriot, maire de Lyon entre les deux guerres, disait : " tout divise les Etats et tout unit les communes ". Heureusement, depuis, les Etats européens ont cessé de se diviser et de s'opposer.
Mais l'histoire retiendra, alors que nous commémorons le soixantième anniversaire de la fin de la deuxième guerre mondiale en Europe, que les communes d'Europe mirent toute leur âme à sceller cette réconciliation des Etats et des peuples. Ce qui explique, par exemple, la densité extraordinaire des liens entre communes françaises et communes allemandes : 4.500 jumelages franco-allemands ! Oui, les jumelages ont été hier le moteur de la réconciliation de l'après-guerre.
Ils sont désormais l'instrument d'une fraternité européenne, continentale, avec la réunification de l'Europe. Par le développement des actions de jumelage, nos communes découvrent cette autre Europe que quarante années de communisme nous avaient dérobée.
Aujourd'hui, j'ai le plaisir de saluer ici des élus de chacun des nouveaux Etats membres de l'Union. Votre présence ici nous fait mesurer combien le jumelage de nos communes dépasse aujourd'hui la découverte des pays frontaliers de la France. Plus de 400 communes des dix pays qui ont rejoint l'Union européenne en 2004 sont jumelées avec des communes françaises. Ce lien nouveau est essentiel.
Je veux le dire franchement : certains considèrent, sans le dire, que le jumelage est une activité sympathique, mais un peu dépassée. Ma conviction, celle du Premier ministre, est qu'ils se trompent profondément.
Le jumelage n'est pas seulement du voisinage ou de la convivialité.
Le jumelage est, au-delà des distances géographiques, la découverte de la richesse et de la diversité de l'Europe. C'est rendre l'Europe plus accessible à nos concitoyens. Celle de la découverte des autres, celle des échanges scolaires, celle des échanges culturels, celle des rencontres sportives, celle de l'apprentissage linguistique ; celle de la formation. Bref, le jumelage apporte une contribution irremplaçable à la construction de la fraternité européenne, de la citoyenneté européenne. Et puis, au-delà de la fraternité, les jumelages portent vers les gens une véritable idée politique de ce qu'est l'Europe.
Ils montrent que l'Europe, c'est la diversité. Diversité des territoires, des cultures, des langues, des visages de l'Europe.
J'en parle avec la conviction de quelqu'un qui a participé à l'écriture de la Constitution européenne, et qui s'est battu avec beaucoup d'autres pour que ce texte consacre le respect de l'identité des Etats, leur diversité nationale et régionale, leur diversité culturelle, religieuse et linguistique. En un mot, que cette Constitution donne vie à une Europe plus unie, mais pas une Europe uniforme.
Les jumelages montrent aussi que l'Europe ne grandit pas par les mots, mais par des actions. Qu'il ne suffit pas de vivre ensemble, qu'il faut faire ensemble.
J'en parle avec la conviction d'ancien Commissaire européen en charge de la politique régionale, qui a voulu placer cette politique, la plus concrète peut-être des politiques européennes, dans les mains des gens de terrain comme vous.
L'Europe ne doit pas être uniquement une source de règles. Elle doit aussi apporter son aide concrètement, matériellement, à l'amélioration de la vie quotidienne. Or les jumelages sont à la source de très nombreux projets d'inspiration européenne.
Enfin, les jumelages apportent la preuve à tous que l'Europe ne se fait pas 'par le haut', mais aussi par le terrain.
Le Premier ministre vous en aurait parlé avec passion et compétence. Il n'a cessé de promouvoir et d'encourager en France une gouvernance de proximité, c'est-à-dire une profonde réforme de l'action publique pour un pays comme la France.
Il a ainsi voulu faciliter ce que nous appelons ici la " coopération décentralisée ", c'est-à-dire les relations que peut entretenir une collectivité locale française avec une collectivité locale étrangère. Vous savez peut-être qu'en matière de jumelage, la France dispose d'une sorte d'avantage structurel. Elle est le pays de l'Union qui compte le plus de communes, 36 000 communes environ. Nous avons donc suffisamment de communes pour nous jumeler avec toutes les communes d'Europe....
Encore fallait-il que la législation française rende plus aisé le montage des actions de jumelage. C'est chose faite, avec l'adoption de la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004 qui facilite la vie des élus en matière de coopération décentralisée.
Naturellement, bâtir l'Europe des proximités est une mission complémentaire et non pas concurrente de celle de rénover les institutions européennes.
Mais j'irai plus loin : c'est un aspect essentiel de l'émergence d'une Europe politique, c'est-à-dire d'une force dans laquelle les citoyens se reconnaissent et placent leurs aspirations, et qui ne se contente pas d'être un grand marché.
C'est pourquoi ce n'est pas, à mes yeux, une coïncidence que les grands serviteurs de l'Europe aient été aussi des maires ou des élus locaux, comme Konrad Adenauer, maire de Cologne pendant vingt ans. Et Valéry Giscard d'Estaing, qui avant de présider la Convention qui a préparé le projet de Constitution européenne, a été président du Comité des Communes et Régions d'Europe (CCRE) de 1997 à 2004.
L'Europe des visionnaires et l'Europe proche des gens finissent par se rejoindre. Ne le cachons pas : c'est l'enjeu de la mise en uvre de la Constitution européenne. Parce que jamais un texte européen n'a comporté autant de progrès pour les gens, et n'a mis autant de soin à protéger la diversité de l'Europe et des Européens. Elle est le pont qui permettra aux uns et aux autres de se rejoindre, de travailler ensemble, sans cesser un instant d'être eux-mêmes. C'est une Constitution qui veut changer l'avenir, mais respecte l'Histoire.
La France est heureuse d'accueillir ceux qui, comme vous, travaillent pour l'Europe mais respectent sa diversité.
Merci de votre attention.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 13 mai 2005)