Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT à RTL le 28 avril 2005, sur le lundi de Pentecôte journée de solidarité avec les personnes âgées et les handicapés, les mots d'ordre de grêve et les revendications sur le pouvoir d'achat.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel APHATIE : Bonjour Bernard Thibault. Jean-Pierre Raffarin réunit son gouvernement ce matin à Matignon pour voir dans quelles conditions va se dérouler ce fameux lundi de Pentecôte, ce sera le 16 mai prochain, ex jour férié, devenu travaillé en solidarité avec les plus âgés. Et vous, Bernard Thibault, la CGT ici et là, dans beaucoup d'endroits d'ailleurs, appelle à la grève. Pourquoi cette confrontation avec le gouvernement sur ce jour férié ?
R- Bernard THIBAULT : Nous appelons, parce que la période nous le permet encore, à créer les conditions pour ne pas accepter ce jour de travail gratuit. Nous avons dans un certain nombre d'entreprises déjà obtenu la non application de cette mesure. Je rappelle que l'Etat peut très bien avoir les ressources qu'il recherchait puisqu'il a instauré une cotisation.
Q- 0,3 %...
R- Sur la masse salariale des entreprises. La question est maintenant de savoir si cette cotisation imposée aux entreprises va s'accompagner, ou va avoir conséquence que les salariés travaillent, ou pas, le lundi de Pentecôte notamment, puisque vous avez vu que dans d'autres départements, le Gard, c'était pour le lundi de Pâques.
Q- Le Gard et le Territoire de Belfort...
R- Nous refusons le principe de ce jour de travail gratuit...
Q- Mais c'est la loi Bernard Thibault, c'est pas très civique ce que vous faites, c'est la loi ! Ce n'est pas une revendication là, la loi a été votée.
R- S'il suffisait de faire appliquer une loi pour que ça fonctionne dans un pays comme la France, ça se saurait. Cette mesure est impopulaire. Elle est inégalitaire, et c'est la raison pour laquelle le gouvernement est obligé de se réunir ce matin. Ce que j'attends de sa part, c'est un instant de lucidité, s'il en reste à ce gouvernement, pour percevoir combien il va être critiqué sur l'inefficacité de cette mesure. Et je veux redire qu'entre par exemple le niveau de la cotisation imposée aux entreprises, et les recettes susceptibles d'être reçues par une journée de production ou d'activité supplémentaire, il y a un écart. On nous parle de solidarité, le fait est que le mécanisme imposé pour ce lundi de Pentecôte va laisser des bénéfices aux entreprises. On nous a parlé de pouvoir travailler davantage pour gagner davantage. On nous impose un jour de travail gratuit. Ça n'a aucune conséquence sur les rémunérations.
Q- Et le fait que ce soit une loi, ça, ça vous est égal. Vous ne voulez pas en entendre parler. Le fait que le Parlement ait voté quelque chose...
R- Attendez, ce n'est pas la première fois que ce gouvernement impose...
Q- C'est assez rare quand même hein...
R- Impose de mauvaises lois. Nous avons - et pas uniquement nous, l'ensemble des organisations syndicales - dit les choses en son temps à ce gouvernement sur l'inefficacité, l'illégalité de cette mesure. Il n'y a aucune raison que les salariés soient les seuls (parce que c'est aussi ça la conséquence), soient les seuls à faire cet effort de solidarité, sous cette forme-là. Nous devons donc mettre les jours qui nous séparent du lundi de Pentecôte à profit pour obtenir, soit des employeurs qu'ils renoncent eux-mêmes à faire travailler les salariés. Ils paieront leur écot aux caisses de l'Etat.
Q- Une taxe supplémentaire, on va en parler...
R- Si ça n'est pas le cas, eh bien nous irons avec les autres organisations syndicales et les salariés, y compris à organiser des journées de mobilisation, par la grève s'ils en sont d'accord, pour poser des questions de salaires et de temps de travail.
Q- Alors le pompon c'est la SNCF. Plutôt que de risquer un conflit, Louis Gallois a dit : chaque cheminot travaillera une minute cinquante deux de plus et tout le monde a éclaté de rire. On se moque tout de même du monde quelquefois Bernard Thibault...
R- Non, à la SNCF on travaille à la seconde, et dans l'industrie automobile on travaille au centième de minute...
Q- Personne n'y croit ! A la SNCF personne n'y croit, personne n'y croit, franchement...
R- Écoutez, je vous amènerai si vous le souhaitez sur certaines chaînes de montage de l'automobile dans notre pays...
Q- Non, mais à la SNCF, personne n'y croit...
R- Vous verrez qu'il y a des postes de travail aujourd'hui qui sont calculés au centième de minute.
Q- A la SNCF, personne n'y croit. Un contrôleur, une minute cinquante deux de plus, franchement, ça fait rire tout le monde !
R- A la SNCF, on fonctionne à la minute. Je suis désolé, mais même pour la circulation des trains, la SNCF, les horaires de service ne sont pas à la demi ou à l'heure pile. Les horaires de service sont à la minute près à la SNCF. C'est comme ça et c'est comme ça depuis de très nombreuses années...
Q- On a l'impression qu'à la SNCF de toute façon on ne peut plus rien faire...
R- Pourquoi donc ?
Q- Eh bien je ne sais pas, quand les cheminots ne veulent pas faire quelque chose, on ne leur fait pas faire. C'est un peu ça le sentiment que se dégage de cette histoire...
R- Oui mais il n'y a pas que les cheminots, je crois qu'il n'y a pas que les cheminots qui refuseront le principe de cette journée de travail gratuit...
Q- - Les salariés de la CGT à Montreuil, à la centrale, qu'est-ce qu'ils font ?
R- Ils ne travailleront pas le lundi de Pentecôte, même si, comme d'autres jours fériés, je pense notamment au 1er mai, pour ce qui est de l'activité syndicale il y a du volontariat qui nous permet de maintenir une activité...
Q- Volontariat...
R- Et nous serons présents pour aider les salariés qui seront confrontés à la menace dans certains endroits de sanction, ou une pression pour venir travailler le lundi de Pentecôte...
Q- Ce n'est pas payé cher le volontariat hein...
R- Vous vous rendez compte que dans une usine aujourd'hui, dans notre pays, on demande aux salariés soit de prendre sur leurs congés. S'ils n'ont plus de congés parce qu'ils ont été embauchés récemment, ils seront au chômage technique. C'est-à-dire que cette journée de travail imposé va pouvoir être transférée d'un point de vue financier sur les caisses de l'indemnisation du chômage. Tout comme on va demander aux hôpitaux, il faut le savoir, on va demander aux hôpitaux de cotiser au titre de la solidarité pour les personnes dépendantes ou les personnes âgées, alors que les hôpitaux font partie de ces établissements qui sont déjà dans des impasses budgétaires à l'heure actuelle.
Q- 1er mai, c'est dimanche, on vous voit dans la rue Bernard Thibault ?
R- Bien sûr, bien sûr. Et c'est une occasion aussi pour faire pression sur ce qui se passera le 16 mai...
Q- Quel mot d'ordre dans vos défilés ?
R- Des revendications sur le pouvoir d'achat, elles sont tout à fait d'actualité, aussi bien parce qu'on refuse des augmentations dans des secteurs où, effectivement, la rémunération des PDG atteint des proportions qui sont sans commune mesure avec les revendications annoncées. Mais c'est aussi sur la question de l'emploi, la réalité des délocalisations est quelque chose de prégnant. Nous n'avons pas de discussions avec le Patronat français nous permettant d'obtenir de vraies garanties ou un socle de droits sociaux permettant aux salariés de ne pas être en but à cette précarité croissante dans notre pays. Emploi, pouvoir d'achat, je crois que ce sont deux thèmes centraux pour les manifestations du 1er mai.
Q- C'est pas un peu dépassé comme forme d'action ce 1er mai, un dimanche, au lieu de rester à la maison, c'est pas un peu archaïque comme attitude ?
R- Non, non. Le 1er mai aura, d'un pays à un autre...
Q- Il n'y aura pas grand monde dans les rues. Ça ne mobilise plus grand monde tout ça...
R- Non, non attendez, non, non il y a eu des 1er mai très importants. Nous verrons ce qu'est celui-là. C'est vrai que d'un point de vue du calendrier il se situe, c'est un dimanche, mais en même temps, encore une fois c'est un bon moyen, que ce soit un dimanche, que ce soit un lundi de Pentecôte, je pense que la période nécessite que les salariés - comme ils l'ont fait en janvier/février, avec beaucoup de force en mars - continuent d'affirmer leurs attentes en matière de revendications sociales.
Q- Il nous reste trente secondes, un petit jeu Bernard Thibault : le ni oui ni non. Qu'est-ce que vous allez voter le 29 mai lors du référendum ?
R- Je vais voter en conscience, comme la plupart de nos concitoyens...
Q- Vous allez voter "Oui" ou "Non" ?
R- Vous me laissez trente secondes sur ce débat très important...
Q- Non, pas trente...
R- Même plus, il en reste vingt-cinq, il y a le texte, et il y a le contexte. Vous savez que la CGT appelle à un rejet de ce texte. Je remarque que pour beaucoup, l'ampleur de ce rejet repose aussi sur le choix qui a été fait, à savoir de ne pas s'en tenir dans le texte proposé au chapitre 1 et au chapitre 2, c'est-à-dire aux institutions européennes proposées pour l'Europe à vingt-cinq aux valeurs et aux orientations...
Q- Et vous les soutenez ces gens qui se déterminent par rapport au contexte ?
R- Permettez-moi un mot, et on a ajouté un chapitre 3, dit "des politiques communes en Europe". Alors j'entends bien l'argument selon lequel ces politiques-là existent depuis des années, et qu'il est simplement demandé aux citoyens leur avis à ce sujet, mais on ne peut pas être étonné qu'ils en profitent pour exprimer leurs critiques, voire le rejet de ce texte.
Q- Je décode, pour ceux qui n'auraient pas compris : vous comprenez le vote "Non".
La CGT appelle à un rejet de ce projet de Constitution.
R- Allez, on va dire que c'est clair ce matin. C'était Bernard Thibault, invité d'RTL. Bonne journée.

(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 avril 2005)