Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur la coopération entre la France, l'Europe et les Etats-Unis en matière de sécurité et de lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et sur la gestion des crises internationales, Washington le 10 mars 2005.

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Circonstance : Voyage aux Etats-Unis du 10 au 12 mars 2005-discours à Washington le 10

Texte intégral

Plus de trois ans se sont écoulés depuis le 11 septembre 2001.
Trois ans, au cours desquels les Européens se sont engagés au côté des Etats-Unis pour lutter contre le terrorisme.
Trois ans, au cours desquels nous avons aussi eu certaines divergences.
Nous sommes aujourd'hui revenus vers un processus de concertation.
L'activité diplomatique s'intensifie ; les contacts, les visites se multiplient.
L'Europe et les Etats-Unis sont à nouveau à un tournant important de leur relation.
Face au contexte de sécurité actuel, je pense que nous devons traduire ce rapprochement de façon concrète pour deux raisons majeures :
- nous sommes confrontés aux mêmes risques, qui exigent de mettre en commun les moyens d'y faire face ;
- les nombreuses crises en cours nécessitent que nous travaillions de façon complémentaire à leur règlement.
Nos raisons d'agir ensemble reposent sur un double constat :
- nous faisons face aux mêmes risques ;
- nous disposons de part et d'autre de l'Atlantique de moyens et de savoir-faire importants.
Nos démocraties sont confrontées aux mêmes risques.
Les nouvelles menaces sont devenues plus insaisissables, plus difficiles à maîtriser avec les effets de la globalisation.
Notre coopération est devenue d'autant plus cruciale que nos frontières ne constituent plus des remparts protecteurs.
Nos risques communs, quels sont-ils ?
C'est d'abord et surtout le risque terroriste.
Depuis le 11 septembre 2001, nous savons que le terrorisme peut toucher tout le monde. De plus, c'est une réalité évolutive.
Nous devons agir ensemble pour le combattre, dans ses manifestations et dans ses causes.
La prolifération est un autre enjeu majeur à traiter.
Il faut le résoudre durablement.
Le problème des capacités nucléaires de l'Iran et de la Corée du Nord représente des défis communs de sécurité à surmonter.
La multiplication des crises régionales est également une menace à la stabilité du monde.
Nous devons travailler ensemble à leur règlement, de façon à éviter l'accroissement des Etats en faillite, terreau du terrorisme et des trafics divers.
Nous avons des moyens importants et complémentaires pour faire face à ce contexte.
En matière de sécurité, il ne peut y avoir de compétition.
Nous devons mettre à profit nos points forts, sans complexe et sans arrière-pensées.
- La puissance militaire des Etats-Unis :
Les Etats-Unis, grande puissance militaire, jouent un rôle majeur depuis plus d'un siècle pour la sécurité de l'Europe et pour la sécurité internationale.
Cette puissance militaire a permis de gagner la guerre contre le totalitarisme nazi, puis de mettre fin à la guerre froide.
Les Européens en sont parfaitement conscients.
Aujourd'hui, le monde a changé. La puissance militaire doit pouvoir s'exprimer, mais elle doit aussi tenir compte du nouveau contexte, caractérisé par une forte nécessité de plus de multilatéralisme.
- Le rôle stabilisateur de l'Union européenne :
L'Europe s'élargit, avec un effet bénéfique majeur pour la sécurité et la stabilité du continent européen.
L'Union européenne noue également des partenariats à sa périphérie, ce qui est une source de stabilité supplémentaire.
L'Europe ne cesse également de s'approfondir, dans les domaines de l'économie, de la justice, de la culture, de la politique étrangère et bien sûr de la défense.
Le prochain rendez-vous politique majeur pour les Européens sera la ratification de la Constitution européenne. Elle sera une étape supplémentaire vers davantage d'intégration politique.
- Des méthodes de gestion de crise complémentaires :
Nos méthodes d'action prennent en compte notre histoire, notre expérience, nos liens particuliers avec telle ou telle région.
De nombreux pays européens, dont la France, ont par exemple des liens historiques et culturels qui restent forts avec les pays d'Afrique et du Proche et Moyen Orient.
Notre expérience dans ces régions est aussi celle de conflits dont nous avons tiré des leçons. Elles nous servent pour gérer les crises d'aujourd'hui.
Forts de ces expériences, nous développons chacun des moyens spécifiques.
Je pense, dans le cas de la France, aux forces de gendarmerie, qui ont un savoir-faire particulier pour agir dans le cadre de conflits impliquant les populations civiles.
- L'OTAN et la PESD :
L'OTAN et le volet sécurité et défense de l'UE sont deux démarches parallèles. Elles ont des fondements politiques distincts et leurs propres logiques.
Certains évoquent parfois une concurrence entre l'OTAN et l'Union européenne.
Le vrai problème est plutôt celui du manque de moyens disponibles que le surplus d'acteurs. L'actualité nous en apporte chaque jour la preuve.
L'Alliance atlantique demeure un filet de sécurité incontournable s'il y a un conflit majeur, pour l'Europe comme pour l'Amérique.
Il faut toutefois saluer les avancées très significatives des Européens en matière de sécurité et de défense. Une Europe plus forte, c'est la garantie d'un renforcement, avec les Etats-Unis, de la sécurité et la stabilité internationale
C'est une demande qu'avait formulée John Kennedy, qui appelait les Européens à faire un effort pour être à même d'assurer leur sécurité.
Il y a quelques semaines, en Europe, George Bush et Condolezza Rice appelaient également de leurs vux une "Europe forte".
En matière de sécurité et de défense, les moyens européens et américains se complètent, se renforcent mutuellement. Ils doivent nous permettre de nous concerter et d'agir ensemble au règlement des nombreuses crises internationales.
Travailler en complémentarité au règlement des grands enjeux de sécurité actuels
Nous sommes en phase sur plusieurs sujets :
- Lutte contre le terrorisme :
Les forces spéciales françaises sont engagées en Afghanistan, au côté d'autres Européens et des Américains.
La France et l'Europe participent à la force navale TF 150 dans l'Océan Indien.
Ces opérations témoignent de notre capacité à mettre en commun nos atouts pour travailler ensemble. Elles se font en toute cohérence et dans la plus grande efficacité.
- Nous rapprochons nos points de vue sur l'Afghanistan et la reconstruction de l'Irak :
Pour la reconstruction de l'Irak, nous avons proposé, à la dernière réunion des ministres de la défense de l'OTAN à Nice, une double action de formation d'officiers et de gendarmes irakiens en France et au Qatar.
Pour la stabilisation de l'Afghanistan, nous nous sommes mis d'accord pour que l'action de la FIAS, actuellement limitée à Kaboul et au Nord du pays, soit étendue à l'Ouest du territoire.
L'extension progressive de la FIAS à tout le territoire afghan sera rendue possible par un renforcement des moyens militaires.
- Situation au Liban :
Notre approche de cette question est similaire.
Il importe que le Liban retrouve sa souveraineté.
Nous exigeons la mise en uvre de la résolution 1559 pour restaurer l'indépendance et la démocratie au Liban.
Cela a toujours été notre ambition pour ce pays.
Il est important que nous continuions à agir de concert sur ce dossier. C'est la plus sûre façon de contraindre Damas à adopter une attitude responsable.
- Afrique :
L'Afrique est malheureusement un continent où de nombreux Etats sont en grande difficulté, voire en faillite.
Cela représente un risque considérable, pour tous.
Des zones de non-droit y deviennent des foyers de trafics en tous genres et constituent de nouveaux terreaux pour le terrorisme.
La France est déjà largement engagée en Afrique, comme d'autres pays européens, notamment le Royaume-Uni.
En Côte d'Ivoire, notre action, sous mandat de l'ONU, se poursuit pour assurer la sécurité des ressortissants occidentaux qui y sont encore présents, pour éviter d'éventuels massacres entre Ivoiriens, et donner une chance au processus de paix.
L'appui des Etats-Unis à l'Afrique est nécessaire.
Sur ce continent aussi nous avons des opportunités pour agir ensemble.
Sur certains autres sujets, notre concertation peut être davantage approfondie :
- La Chine :
Le débat sur la levée de l'embargo européen à l'égard de la Chine, et les inquiétudes que peut soulever ce sujet à Washington, démontrent à mon sens la nécessité d'approfondir le dialogue transatlantique sur les questions de sécurité en Asie orientale.
La France est consciente des préoccupations de sécurité de ses amis et alliés dans la région. Elle n'a pas l'intention de se départir d'une attitude responsable en matière d'exportation de matériels sensibles.
Européens et Américains partagent un intérêt commun à voir cette région importante et sensible poursuivre son développement économique et son insertion politique dans la communauté internationale, de manière stable et pacifique.
Mon gouvernement a proposé des consultations euro-américaines, permettant de lever tout malentendu et de mieux appréhender les enjeux de sécurité pour les Etats-Unis et nos autres amis dans la région.
- Le conflit israëlo-palestinien et l'établissement de la démocratie au Moyen-Orient :
Sur la question israëlo-palestinienne, une implication déterminée des Etats-Unis est cruciale et fortement attendue par les Européens qui, de leur côté, sont prêts à soutenir les actions nécessaires.
La réunion de Charm el Cheikh a marqué une étape importante et encourageante dans la reprise des pourparlers pour la paix au Proche-Orient.
Nous saluons la reprise de ce dialogue et voulons l'encourager.
Pour régler ce conflit, il importe de fixer un horizon politique crédible conforme aux accords de paix, faute de quoi les risques de retour de la violence sont réels.
Plus largement, si nous sommes bien entendu favorables à l'établissement de la démocratie au Moyen Orient, nous avons aussi conscience de la nécessité d'adopter une démarche progressive pour ne pas créer un rejet brutal.
Nous avons parfois le sentiment que de nombreux pays arabes se placent sur la défensive vis-à-vis d'initiatives globales qui viennent de l'extérieur.
Dans le cas de l'Irak, l'issue positive des élections doit inciter à poursuivre les efforts pour trouver la façon de faciliter les équilibres internes, qui permettront en particulier aux Sunnites d'avoir leur place dans le nouvel Irak.
Il faut garder à l'esprit que la situation au Moyen-Orient est un élément important de la logique du terrorisme islamiste. Que ce soit ou non l'élément fondateur du terrorisme n'est pas réellement le problème ; il le devient par le fait même que le conflit subsiste.

- La prolifération des armes de destruction massive :
La France et l'Union européenne sont très préoccupées par la prolifération des armes de destruction massive.
Autant en Iran qu'en Corée du Nord, nous devons :
- d'un côté, encourager conjointement la sortie des programmes d'armes de destruction massive ;
- de l'autre, exercer la pression nécessaire pour parvenir un accord.
En d'autres termes, seul un équilibre intelligent des approches poursuivies des deux cotés de l'atlantique aura des chances de résoudre le problème.
C'est un enjeu majeur qui mérite un effort commun.
La France est sérieuse dans ses engagements.
Notre effort de défense a été fortement relevé depuis trois ans.
Le président Chirac a fait de la défense l'une de ses priorités budgétaires.
Dans un contexte de risques accrus, nous incitons les Européens à accroître eux aussi leur effort de défense, et jouons un rôle d'entraînement dans l'approfondissement de la politique européenne de sécurité et de défense.
Notre engagement dans l'Europe de défense reste lié à notre engagement dans l'OTAN : nous pensons que les deux organisations ont de la pertinence et de l'avenir.
Il y a quelques années, nombre de pays européens pensaient faire reposer leur sécurité sur l'OTAN. Ils voyaient là le moyen de réduire leur effort national de défense.
Les temps ont changé. Nous ne sommes plus dans cette perspective et la PESD contribue à un changement progressif de vision.
De part et d'autre de l'Atlantique, nous sommes aujourd'hui convaincus de la nécessité de dépasser nos divergences.
Sur tous les continents, les deux ensembles les plus puissants que sont les Etats-Unis et l'Union européenne ont aujourd'hui de nombreuses occasions d'agir.
La progression de la paix, de la sécurité et de la démocratie : nous avons clairement les mêmes objectifs. Tâchons maintenant de travailler ensemble à leur réalisation, de façon concertée et complémentaire. C'est la clé de notre réussite commune.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 15 mars 2005)