Texte intégral
Q - A propos du nouveau gouvernement Raffarin, vous avez vu la presse, qui est sceptique, ironique, parfois inquiète : "Un printemps à risque social", "Le clan des chiraquiens", "Tiens, les revoilà !", "Déjà usés"... Quel accueil !
R - "Oh, c'est une campagne de presse, vous savez, on y est habitué. Je pense que ce Gouvernement est bien constitué, il comporte beaucoup d'hommes de valeur. N. Sarkozy saura donner à notre politique économique plus de "lisibilité", comme on dit aujourd'hui. Il est bon que D. de Villepin, après avoir fait ses preuves au ministère des Affaires étrangères, entre un peu dans la vie politique intérieure. F. Fillon, qui a réussi la réforme des retraites, rétablira, j'en suis sûr, le dialogue avec les enseignants et les chercheurs..."
Q - Mais, expliquez aux Français la cohérence et l'originalité : ils réussissaient là où ils étaient, c'est pour cela qu'on les sort de là et qu'on les met ailleurs ?!
R - "Non, écoutez, on peut toujours tout critiquer naturellement. Si on avait changé personne d'aucun poste, il n'y aurait pas eu de remaniement ministériel. Donc, il faut utiliser les compétences et faire entrer des gens nouveaux. M. Barnier, par exemple, a fait ses preuves en Europe. C'est un commissaire de la Commission européenne qui est très respecté, qui connaît très bien les affaires européennes. P. Douste-Blazy, qui entre au Gouvernement, a déjà été à la Santé et peut apporter une vision très intéressante sur la réforme de l'assurance maladie."
Q - Il fallait resserrer l'équipe précédente. Ils étaient 38, ils sont 43 !
R - "Je ne veux être désobligeant pour personne. Mais dans une équipe, il y a les ministres de poids et puis il y a les ministres délégués et les secrétaires d'Etat. Et les ministres de poids, j'en suis sûr, constitueront autour de J.-P. Raffarin une équipe soudée."
Q - A. Juppé, vous lisez, vous entendez comme nous tous, que ce Gouvernement Raffarin "est là pour cent jours", et encore...
R - "J'espère de tout coeur qu'il est là pour trois ans. Nous entamons aujourd'hui, J. Chirac entame aujourd'hui, une deuxième phase de son quinquennat. Il est important d'ailleurs qu'il donne l'élan nécessaire, parce qu'on a peut-être sous-estimé le changement institutionnel que constitue le quinquennat. Aujourd'hui, le Président est en première ligne. Et je souhaite de tout coeur qu'il assume pleinement ce rôle en montrant le cap, en donnant le rythme des réformes, et en expliquant aux Françaises et aux Français, pourquoi il faut évoluer, pourquoi il faut s'adapter et le bénéfice que nous en tirons dans notre vie quotidienne. C'est désormais le rôle du chef du chef de l'Etat."
Q - Donc, il est et il doit être en première ligne ?
R - "Je le crois. Il a été en première ligne dans toutes les affaires internationales pendant deux ans avec le succès, le brio que l'on sait. Je crois qu'il doit s'investir maintenant plus encore dans la conduite des affaires intérieures."
Q - En a-t-il envie ?
R - "C'est son rôle."
Q - A ce moment-là, on comprend mieux, avec votre explication sur le quinquennat, que Monsieur Raffarin soit là ou qu'il ne soit pas là, ou que ce soit un autre, c'est la même chose ?
R - "Non, ce n'est pas mon explication, c'est la vôtre ! Je dis que le Président est en première ligne et que naturellement, le Gouvernement est aux manettes pour mettre en oeuvre ces solutions."
Q - Vous avez entendu le tollé. Pourquoi fallait-il que J.-P. Raffarin reste à Matignon après les élections régionales ?
R - "C'est le choix du président de la République. Les élections régionales, cela ne consiste pas à substituer à un gouvernement de la droite et du Centre, un gouvernement de gauche. S'il fallait suivre le résultat des élections régionales, il faut que nous adoptions maintenant le programme du PS ? Soyons sérieux ! Ne dénaturons pas ces élections. Il y a eu un signal fort, nous avons commis des erreurs, il faut les corriger..."
Q - Donnez-moi deux ou trois exemples d'erreurs. Il y en a beaucoup apparemment ?
R - "Non, il n'y en pas tant que cela. La réforme de ce que l'on appelle "l'ASS" - l'Allocation spécifique de solidarité - a sans doute été mal ficelée, on en a sous-estimé les conséquences. On a eu tort de laisser pourrir le dossier des intermittents ; et je suis navré du malentendu qui s'est crée entre les pouvoirs publics et les chercheurs, parce que j'ai l'absolue conviction que la recherche est une priorité, c'est même, serais-je tenté de dire, la planche de salut de notre économie. Donc, là aussi, il faut rétablir le dialogue et la confiance. Vous voyez, il y a des choses à rectifier. Mais le fond du problème, c'est de savoir quelle est la ligne politique. Aujourd'hui, la France a le choix entre ce que j'appellerais "l'immobilisme compassionnel" de la gauche" et puis "l'évolution dans la sécurité"..."
Q - Oui, mais "immobilisme compassionnel", ça marche. Cela donne des grandes majorités, une France toute rouge avec une petite Alsace bleue !
R - "Oui, ça marche très bien et ça conduit la France au déclin ! Aujourd'hui, la gauche, c'est quoi ? C'est encourager toutes les résistances au changement dans la société française et faire des promesses qu'on ne peut pas tenir. Je vais prendre un exemple très clair : l'assurance maladie. La gauche nous dit qu'il faut réformer l'assurance-maladie, qu'il faut améliorer la couverture sociale des Français. Très bien, très sympathique. Mais comment fait-on ? D'où vient l'argent ? La seule qui est cohérente avec elle-même, c'est madame Buffet qui dit qu'on va taxer les produits financiers. Les Français savent, je pense, qu'aujourd'hui, la taxation en France du patrimoine, de l'épargne, des plus-values c'est le record du monde et que les capitaux s'en vont de chez nous. Va-t-on continuer sur cette voie ? Va-t-on se replier et va-t-on se précipiter dans la voie du déclin ? Je crois que c'est cela le choix aujourd'hui. Et le choix de notre majorité, permettez-moi de le dire, parce que c'est important, au-delà de savoir quel est le casting du Gouvernement - ce n'est pas négligeable naturellement, mais ce n'est pas fondamental, je l'ai déjà dit -, le plus fondamental, ce n'est pas les hommes, le plus fondamental, c'est le projet. Notre projet, c'est de remettre la France au premier rang des grandes nations dynamiques et en croissance, parce que le seul filet de sécurité pour les Français qui, aujourd'hui sont en désarroi et qui ont raison d'être en désarroi, c'est de créer des emplois. Et pour cela, il faut réhabiliter le travail, il faut favoriser l'esprit d'entreprise..."
Q - Mais cela ne passe pas !
R - "Il faut continuer à l'expliquer. Le rôle d'un responsable politique, quand il croit à quelque chose, ce n'est pas de renoncer, c'est de s'améliorer, c'est de rechercher les voies pour faire comprendre ce à quoi il croit. Ce n'est pas de renoncer à ses convictions."
Q - Vous êtes de plus en plus libre, on le voit. Quand on vous écoute, on se dit que, finalement, ceux qui croient voir l'esprit et la main d'A. Juppé un peu partout, même dans la formation et la philosophie de l'action politique, n'ont peut-être pas tort ?
R - "Ecoutez, ça, c'est de la rumeur, J'ai lu, ce matin, que j'avais "fait le Gouvernement". C'est de l'invention pure et simple ! J'ai été consulté comme beaucoup d'autres, j'ai suggéré, c'est vrai..."
Q - Vous êtes le chef de l'UMP...
R - "Oui, bien sûr, ce n'est pas anormal. J'ai suggéré des noms de jeunes parlementaires, parce que je suis frappé de voir combien la génération de 2002 est riche en hommes et en femmes de valeur. Et puis, point barre. Pour le reste, j'ai appris la composition du Gouvernement, comme vous et comme tout le monde, en regardant la télévision."
Q - N'exagérons pas....
R - "Oui, mais vous voyez... Quelle est la preuve que vous pouvez apporter que j'ai contribué à la formation du Gouvernement ? Aucune..."
Q - Ah ! On n'écoute pas vos lignes téléphoniques et votre portable !
R - "Aucune ! Et cela dit, quand je dis que je n'ai pas eu le rôle qu'on me prête, on ne me croit pas. Alors voyez que l'homme public est tout à fait désarmé devant la rumeur."
Q - On dit aussi que vous faites partie...
R - "On dit !!!"
Q - Justement, répondez !
R - "Si on sortait des "on dit" ?!"
Q - Alors, sans dire "on dit", est-il vrai que vous faites partie des gens qui sont hostiles à N. Sarkozy...
R - "Non."
Q -... qui ont contribué à le coincer dans un ministère, Bercy, où en face, il y a Francfort, la Banque centrale européenne, Bruxelles, l'exécutif qui va le coincer ? Vous voyez, c'est dur à entendre...
R - "On est dans un monde, aujourd'hui, où un certain nombre de médias, qui mènent combat contre nous, semblent détenir la vérité. Je n'ai aucune hostilité vis-à-vis de N. Sarkozy, je travaille avec lui depuis vingt ans. Il a été un ministre de l'Intérieur tout à fait remarquable, je suis très heureux qu'il soit à Bercy parce que je pense qu'il va y apporter son dynamisme et surtout sa capacité pédagogique. Cela dit, matin, midi et soir, dès que vous ouvrez votre journal, on parle du "conflit Sarkozy-Juppé". Je vais vous faire une confidence : ce conflit, il va se résoudre. Parce que Juppé, il est sur le départ. Donc, vous voyez que ce thème favori des journaux, d'ici à quelques mois, eh bien, il n'aura plus lieu d'être, et pour moi ce sera une grande consolation."
Q - C'est du dépit, un peu d'énervement et un peu de tristesse ? C'est "Puisqu'on attaque injustement, je m'en vais" ?
R - "Non, ce n'est pas du tout pour ça. Je suis tout à fait serein. J'ai expliqué aux Français, le 3 février dernier, quel était mon état d'esprit. J'ai expliqué que j'assurerai la transition, parce que mon sens des responsabilités fait que je ne mets pas la clé sous la porte, comme ça, du jour au lendemain en lâchant mes amis. C'est ce que je suis en train de faire, cette transition est en cours, j'assumerai la campagne des européennes..."
Q - Vous n'avez pas changé d'avis ?
R - "Non, enfin, "d'avis"... Je n'ai pas changé de conviction et de ligne dans la conduite de ma vie personnelle et publique. Et donc, je décrocherai au mois de juillet pour qu'une nouvelle équipe prépare les élections au RPR - pardon à l'UMP, excusez-moi de ce lapsus ! - qui auront lieu au mois d'octobre-novembre..."
Q - C'est-à-dire qu'après les élections européennes, vous partez ?
R - "Oui, je décrocherai de mes responsabilités nationales, c'est tout à fait clair. Je l'ai dit et je le ferai. Voilà."
Q - Et vous dépouillerez-vous d'autres mandats nationaux ?
R - "Oui, je me dépouillerai de mes mandats politiques, parce que je suis dans une phase de retrait de la vie publique."
Q - De tous les mandats ?
R - "Oui, petit à petit, je me dépouillerai de mes mandats. Parce que je veux quitter la vie publique... "
Q - Député ?
R - "... pour une césure qui sera provisoire ou définitive. C'est la glorieuse incertitude de la vie publique."
Q - Quand ?
R - "Vous savez, l'incertitude est parfois angoissante, elle est aussi parfois stimulante."
Q - Quand vous parlez de Bordeaux, vous êtes toujours ému. Vous quitterez aussi Bordeaux ?
R - "Ecoutez, il ne s'agit pas d'A. Juppé, ce matin, si vous le voulez bien. Mais il s'agit du Gouvernement de la France."
Q - Vous répondez, je passe à autre chose...
R - "Je vous ai déjà répondu M. Elkabbach sur ce sujet."
Q - Tous les mandats ?
R - "Voilà, voilà. Ne me demandez pas un calendrier au jour près, je sais que beaucoup sont impatients, mais enfin voilà... C'est une question de semaines et de mois."
Q - Cette majorité parlementaire que vous avez, garde-t-elle encore toute sa légitimité après ce qui s'est passé ?
R - "Mais enfin, qu'est-ce que c'est que la démocratie en France ? Il faut quand même revenir à des principes fondamentaux. Il y a eu des élections en 2002 pour élire un président de la République et une majorité parlementaire. C'est une élection régionale ou cantonale qui va défaire la légitimité de la majorité parlementaire ?! Regardez ce qui se passe autour de nous : quand M. Schröder perd des élections régionales en Allemagne, il ne s'en va pas du gouvernement. Enfin ! Il faut revenir à des notions quand même un petit peu démocratique et un peu petit peu de bon sens également. Il faut tenir compte de ce qui a été dit dimanche, je l'ai dit. Nous avons fait des erreurs, il faut les corriger. Nous n'avons pas bien fait comprendre quels étaient les buts de notre action politique et quels étaient les profits que les Français dans leur vie quotidienne pouvaient en retirer. Nous n'avons pas suffisamment insisté sur les avancées sociales qui ont été réalisées depuis deux ans - parce qu'il y en a eu : l'amélioration des petites retraites, c'est une avancée sociale ; le 13ème mois pour les Smicards, c'est une avancée sociale ; l'amélioration de la prime pour l'emploi, c'est une avancée sociale ; la création de la prime d'accueil du jeune enfant..."
Q - Oui mais...
R - "Pardon, laissez-moi dire ces choses, M. Elkabbach, parce qu'elles sont importantes - à l'initiative de C. Jacob, c'est une avancée sociale ; l'accord sur la formation continue tout au long de la vie, c'est une avancée sociale. Et cela, on n'a pas su le mettre en exergue. Alors, il faut maintenant l'expliquer et se montrer, c'est vrai, demain, beaucoup plus attentif encore à ceux qui sont fragiles, parce qu'il ne faut pas que les évolutions nécessaires fragilisent les plus fragiles."
Q - On voit bien, à travers la dénomination d'ailleurs des ministères, comme une sorte de mea culpa. D'abord, parce qu'on avait mal expliqué, et puis ensuite, on voit venir la protection sociale, la cohésion sociale, la Ville, la lutte contre l'exclusion, etc...
R - "Vous voyez que le message a été entendu."
Q - Et c'est dommage alors que vous partiez, vous qui pouviez si bien l'expliquer. Mais vous ne pouvez pas faire autrement...
R - "Il y en a beaucoup d'autres !"
Q - Est-ce que, comme la gauche plurielle, il y aura un jour une droite plurielle, puisqu'on voit que l'on ne peut pas créer un grand parti unique, victorieux, de la majorité ?
R - "Oui, c'est un peu l'enseignement aussi que l'on peut tirer des dernières élections. Et pour ma part, c'est une difficulté. Parce que je pense qu'une vraie démocratie doit reposer sur de grandes formations capables d'alterner au pouvoir. Cela dit, il faut tout à fait reprendre contact avec l'UDF. Le rôle de F. Bayrou pendant la campagne a été, je crois, un des éléments qui nous a fait perdre, collectivement, parce que ses critiques ont été d'une agressivité très forte. Cela dit, l'UDF existe. Et ce que je propose aujourd'hui, c'est que nous nous mettions autour de la table. Quels sont nos points d'accord, quelles sont nos divergences ? Parce que, ne jouons pas "Embrassons-nous Folleville", je crois que les Français ne prendraient pas cela au sérieux. Il faut vraiment vérifier si nous sommes capables d'être dans la même majorité. Et c'est ce travail que je propose à F. Bayrou et à l'UDF."
Q - Tout de suite, sans attendre les élections européennes ?
R - "Oui, dans les semaines qui viennent, et entre l'équipe de Bayrou et notre équipe à nous, tranquillement. On regarde sur quoi n'est-on pas d'accord. Et est-ce qu'on est capable de réduire ces désaccords. Parce que si on n'est pas capable..."
Q - Pour arriver à quoi ?
R - "Eh bien, soit on est capable de réduire ces désaccords et de trouver une sorte d'accord politique pour travailler ensemble, soit on n'est pas capable de le faire et à ce moment-là, les électrices et les électeurs jugeront le moment venu, bien sûr."
Q - Une dernière chose : on reproche à l'UMP d'être "verrouillée, de cadenasser les courants, les sensibilités. Allez-vous ouvrir ?
R - "Je crois que ce reproche n'est pas exact. Vous voyez, la semaine prochaine, nous allons engager un grand débat sur l'Europe : on sait bien qu'au sein de l'UMP, il y a plusieurs sensibilités sur l'Europe. Et au début du mois de mai, nous voterons sur des motions, pour qu'une majorité se dégage, qu'une minorité s'exprime aussi, elle sera respectée. Et hier, j'ai annoncé effectivement, que je souhaitais réactiver l'expression de ce que l'on appelle "les courants" ou "les sensibilités", dans la perspective de notre prochain congrès. Voilà. L'UMP est une création récente, c'est encore une espèce de bébé un peu fragile. Je pense qu'il est important pour la vie politique française qu'elle se conforte et qu'elle défende surtout un projet politique, fondé sur des notions toutes simples : liberté et responsabilité."
Q - Vous le laissez à qui ?
R - "Ce sont les militants qui le désigneront. Vous savez, nous sommes un parti démocratique, il y aura un vote, il n'y aura pas de désignation."
Q - En tout cas, vous cherchez à tenir votre promesse personnelle et politique : réussir la transition que vous avez annoncée...
R - "C'est ce que j'essaie de faire."
Q - Si je comprends bien, qu'on vous laisse après tranquille et libre ?
R - "Oui, oh, je suis libre aujourd'hui."
Q - Tranquille ?
R - "Voilà, tranquille."
(source http://www.u-m-p.org, le 1er avril 2004)
R - "Oh, c'est une campagne de presse, vous savez, on y est habitué. Je pense que ce Gouvernement est bien constitué, il comporte beaucoup d'hommes de valeur. N. Sarkozy saura donner à notre politique économique plus de "lisibilité", comme on dit aujourd'hui. Il est bon que D. de Villepin, après avoir fait ses preuves au ministère des Affaires étrangères, entre un peu dans la vie politique intérieure. F. Fillon, qui a réussi la réforme des retraites, rétablira, j'en suis sûr, le dialogue avec les enseignants et les chercheurs..."
Q - Mais, expliquez aux Français la cohérence et l'originalité : ils réussissaient là où ils étaient, c'est pour cela qu'on les sort de là et qu'on les met ailleurs ?!
R - "Non, écoutez, on peut toujours tout critiquer naturellement. Si on avait changé personne d'aucun poste, il n'y aurait pas eu de remaniement ministériel. Donc, il faut utiliser les compétences et faire entrer des gens nouveaux. M. Barnier, par exemple, a fait ses preuves en Europe. C'est un commissaire de la Commission européenne qui est très respecté, qui connaît très bien les affaires européennes. P. Douste-Blazy, qui entre au Gouvernement, a déjà été à la Santé et peut apporter une vision très intéressante sur la réforme de l'assurance maladie."
Q - Il fallait resserrer l'équipe précédente. Ils étaient 38, ils sont 43 !
R - "Je ne veux être désobligeant pour personne. Mais dans une équipe, il y a les ministres de poids et puis il y a les ministres délégués et les secrétaires d'Etat. Et les ministres de poids, j'en suis sûr, constitueront autour de J.-P. Raffarin une équipe soudée."
Q - A. Juppé, vous lisez, vous entendez comme nous tous, que ce Gouvernement Raffarin "est là pour cent jours", et encore...
R - "J'espère de tout coeur qu'il est là pour trois ans. Nous entamons aujourd'hui, J. Chirac entame aujourd'hui, une deuxième phase de son quinquennat. Il est important d'ailleurs qu'il donne l'élan nécessaire, parce qu'on a peut-être sous-estimé le changement institutionnel que constitue le quinquennat. Aujourd'hui, le Président est en première ligne. Et je souhaite de tout coeur qu'il assume pleinement ce rôle en montrant le cap, en donnant le rythme des réformes, et en expliquant aux Françaises et aux Français, pourquoi il faut évoluer, pourquoi il faut s'adapter et le bénéfice que nous en tirons dans notre vie quotidienne. C'est désormais le rôle du chef du chef de l'Etat."
Q - Donc, il est et il doit être en première ligne ?
R - "Je le crois. Il a été en première ligne dans toutes les affaires internationales pendant deux ans avec le succès, le brio que l'on sait. Je crois qu'il doit s'investir maintenant plus encore dans la conduite des affaires intérieures."
Q - En a-t-il envie ?
R - "C'est son rôle."
Q - A ce moment-là, on comprend mieux, avec votre explication sur le quinquennat, que Monsieur Raffarin soit là ou qu'il ne soit pas là, ou que ce soit un autre, c'est la même chose ?
R - "Non, ce n'est pas mon explication, c'est la vôtre ! Je dis que le Président est en première ligne et que naturellement, le Gouvernement est aux manettes pour mettre en oeuvre ces solutions."
Q - Vous avez entendu le tollé. Pourquoi fallait-il que J.-P. Raffarin reste à Matignon après les élections régionales ?
R - "C'est le choix du président de la République. Les élections régionales, cela ne consiste pas à substituer à un gouvernement de la droite et du Centre, un gouvernement de gauche. S'il fallait suivre le résultat des élections régionales, il faut que nous adoptions maintenant le programme du PS ? Soyons sérieux ! Ne dénaturons pas ces élections. Il y a eu un signal fort, nous avons commis des erreurs, il faut les corriger..."
Q - Donnez-moi deux ou trois exemples d'erreurs. Il y en a beaucoup apparemment ?
R - "Non, il n'y en pas tant que cela. La réforme de ce que l'on appelle "l'ASS" - l'Allocation spécifique de solidarité - a sans doute été mal ficelée, on en a sous-estimé les conséquences. On a eu tort de laisser pourrir le dossier des intermittents ; et je suis navré du malentendu qui s'est crée entre les pouvoirs publics et les chercheurs, parce que j'ai l'absolue conviction que la recherche est une priorité, c'est même, serais-je tenté de dire, la planche de salut de notre économie. Donc, là aussi, il faut rétablir le dialogue et la confiance. Vous voyez, il y a des choses à rectifier. Mais le fond du problème, c'est de savoir quelle est la ligne politique. Aujourd'hui, la France a le choix entre ce que j'appellerais "l'immobilisme compassionnel" de la gauche" et puis "l'évolution dans la sécurité"..."
Q - Oui, mais "immobilisme compassionnel", ça marche. Cela donne des grandes majorités, une France toute rouge avec une petite Alsace bleue !
R - "Oui, ça marche très bien et ça conduit la France au déclin ! Aujourd'hui, la gauche, c'est quoi ? C'est encourager toutes les résistances au changement dans la société française et faire des promesses qu'on ne peut pas tenir. Je vais prendre un exemple très clair : l'assurance maladie. La gauche nous dit qu'il faut réformer l'assurance-maladie, qu'il faut améliorer la couverture sociale des Français. Très bien, très sympathique. Mais comment fait-on ? D'où vient l'argent ? La seule qui est cohérente avec elle-même, c'est madame Buffet qui dit qu'on va taxer les produits financiers. Les Français savent, je pense, qu'aujourd'hui, la taxation en France du patrimoine, de l'épargne, des plus-values c'est le record du monde et que les capitaux s'en vont de chez nous. Va-t-on continuer sur cette voie ? Va-t-on se replier et va-t-on se précipiter dans la voie du déclin ? Je crois que c'est cela le choix aujourd'hui. Et le choix de notre majorité, permettez-moi de le dire, parce que c'est important, au-delà de savoir quel est le casting du Gouvernement - ce n'est pas négligeable naturellement, mais ce n'est pas fondamental, je l'ai déjà dit -, le plus fondamental, ce n'est pas les hommes, le plus fondamental, c'est le projet. Notre projet, c'est de remettre la France au premier rang des grandes nations dynamiques et en croissance, parce que le seul filet de sécurité pour les Français qui, aujourd'hui sont en désarroi et qui ont raison d'être en désarroi, c'est de créer des emplois. Et pour cela, il faut réhabiliter le travail, il faut favoriser l'esprit d'entreprise..."
Q - Mais cela ne passe pas !
R - "Il faut continuer à l'expliquer. Le rôle d'un responsable politique, quand il croit à quelque chose, ce n'est pas de renoncer, c'est de s'améliorer, c'est de rechercher les voies pour faire comprendre ce à quoi il croit. Ce n'est pas de renoncer à ses convictions."
Q - Vous êtes de plus en plus libre, on le voit. Quand on vous écoute, on se dit que, finalement, ceux qui croient voir l'esprit et la main d'A. Juppé un peu partout, même dans la formation et la philosophie de l'action politique, n'ont peut-être pas tort ?
R - "Ecoutez, ça, c'est de la rumeur, J'ai lu, ce matin, que j'avais "fait le Gouvernement". C'est de l'invention pure et simple ! J'ai été consulté comme beaucoup d'autres, j'ai suggéré, c'est vrai..."
Q - Vous êtes le chef de l'UMP...
R - "Oui, bien sûr, ce n'est pas anormal. J'ai suggéré des noms de jeunes parlementaires, parce que je suis frappé de voir combien la génération de 2002 est riche en hommes et en femmes de valeur. Et puis, point barre. Pour le reste, j'ai appris la composition du Gouvernement, comme vous et comme tout le monde, en regardant la télévision."
Q - N'exagérons pas....
R - "Oui, mais vous voyez... Quelle est la preuve que vous pouvez apporter que j'ai contribué à la formation du Gouvernement ? Aucune..."
Q - Ah ! On n'écoute pas vos lignes téléphoniques et votre portable !
R - "Aucune ! Et cela dit, quand je dis que je n'ai pas eu le rôle qu'on me prête, on ne me croit pas. Alors voyez que l'homme public est tout à fait désarmé devant la rumeur."
Q - On dit aussi que vous faites partie...
R - "On dit !!!"
Q - Justement, répondez !
R - "Si on sortait des "on dit" ?!"
Q - Alors, sans dire "on dit", est-il vrai que vous faites partie des gens qui sont hostiles à N. Sarkozy...
R - "Non."
Q -... qui ont contribué à le coincer dans un ministère, Bercy, où en face, il y a Francfort, la Banque centrale européenne, Bruxelles, l'exécutif qui va le coincer ? Vous voyez, c'est dur à entendre...
R - "On est dans un monde, aujourd'hui, où un certain nombre de médias, qui mènent combat contre nous, semblent détenir la vérité. Je n'ai aucune hostilité vis-à-vis de N. Sarkozy, je travaille avec lui depuis vingt ans. Il a été un ministre de l'Intérieur tout à fait remarquable, je suis très heureux qu'il soit à Bercy parce que je pense qu'il va y apporter son dynamisme et surtout sa capacité pédagogique. Cela dit, matin, midi et soir, dès que vous ouvrez votre journal, on parle du "conflit Sarkozy-Juppé". Je vais vous faire une confidence : ce conflit, il va se résoudre. Parce que Juppé, il est sur le départ. Donc, vous voyez que ce thème favori des journaux, d'ici à quelques mois, eh bien, il n'aura plus lieu d'être, et pour moi ce sera une grande consolation."
Q - C'est du dépit, un peu d'énervement et un peu de tristesse ? C'est "Puisqu'on attaque injustement, je m'en vais" ?
R - "Non, ce n'est pas du tout pour ça. Je suis tout à fait serein. J'ai expliqué aux Français, le 3 février dernier, quel était mon état d'esprit. J'ai expliqué que j'assurerai la transition, parce que mon sens des responsabilités fait que je ne mets pas la clé sous la porte, comme ça, du jour au lendemain en lâchant mes amis. C'est ce que je suis en train de faire, cette transition est en cours, j'assumerai la campagne des européennes..."
Q - Vous n'avez pas changé d'avis ?
R - "Non, enfin, "d'avis"... Je n'ai pas changé de conviction et de ligne dans la conduite de ma vie personnelle et publique. Et donc, je décrocherai au mois de juillet pour qu'une nouvelle équipe prépare les élections au RPR - pardon à l'UMP, excusez-moi de ce lapsus ! - qui auront lieu au mois d'octobre-novembre..."
Q - C'est-à-dire qu'après les élections européennes, vous partez ?
R - "Oui, je décrocherai de mes responsabilités nationales, c'est tout à fait clair. Je l'ai dit et je le ferai. Voilà."
Q - Et vous dépouillerez-vous d'autres mandats nationaux ?
R - "Oui, je me dépouillerai de mes mandats politiques, parce que je suis dans une phase de retrait de la vie publique."
Q - De tous les mandats ?
R - "Oui, petit à petit, je me dépouillerai de mes mandats. Parce que je veux quitter la vie publique... "
Q - Député ?
R - "... pour une césure qui sera provisoire ou définitive. C'est la glorieuse incertitude de la vie publique."
Q - Quand ?
R - "Vous savez, l'incertitude est parfois angoissante, elle est aussi parfois stimulante."
Q - Quand vous parlez de Bordeaux, vous êtes toujours ému. Vous quitterez aussi Bordeaux ?
R - "Ecoutez, il ne s'agit pas d'A. Juppé, ce matin, si vous le voulez bien. Mais il s'agit du Gouvernement de la France."
Q - Vous répondez, je passe à autre chose...
R - "Je vous ai déjà répondu M. Elkabbach sur ce sujet."
Q - Tous les mandats ?
R - "Voilà, voilà. Ne me demandez pas un calendrier au jour près, je sais que beaucoup sont impatients, mais enfin voilà... C'est une question de semaines et de mois."
Q - Cette majorité parlementaire que vous avez, garde-t-elle encore toute sa légitimité après ce qui s'est passé ?
R - "Mais enfin, qu'est-ce que c'est que la démocratie en France ? Il faut quand même revenir à des principes fondamentaux. Il y a eu des élections en 2002 pour élire un président de la République et une majorité parlementaire. C'est une élection régionale ou cantonale qui va défaire la légitimité de la majorité parlementaire ?! Regardez ce qui se passe autour de nous : quand M. Schröder perd des élections régionales en Allemagne, il ne s'en va pas du gouvernement. Enfin ! Il faut revenir à des notions quand même un petit peu démocratique et un peu petit peu de bon sens également. Il faut tenir compte de ce qui a été dit dimanche, je l'ai dit. Nous avons fait des erreurs, il faut les corriger. Nous n'avons pas bien fait comprendre quels étaient les buts de notre action politique et quels étaient les profits que les Français dans leur vie quotidienne pouvaient en retirer. Nous n'avons pas suffisamment insisté sur les avancées sociales qui ont été réalisées depuis deux ans - parce qu'il y en a eu : l'amélioration des petites retraites, c'est une avancée sociale ; le 13ème mois pour les Smicards, c'est une avancée sociale ; l'amélioration de la prime pour l'emploi, c'est une avancée sociale ; la création de la prime d'accueil du jeune enfant..."
Q - Oui mais...
R - "Pardon, laissez-moi dire ces choses, M. Elkabbach, parce qu'elles sont importantes - à l'initiative de C. Jacob, c'est une avancée sociale ; l'accord sur la formation continue tout au long de la vie, c'est une avancée sociale. Et cela, on n'a pas su le mettre en exergue. Alors, il faut maintenant l'expliquer et se montrer, c'est vrai, demain, beaucoup plus attentif encore à ceux qui sont fragiles, parce qu'il ne faut pas que les évolutions nécessaires fragilisent les plus fragiles."
Q - On voit bien, à travers la dénomination d'ailleurs des ministères, comme une sorte de mea culpa. D'abord, parce qu'on avait mal expliqué, et puis ensuite, on voit venir la protection sociale, la cohésion sociale, la Ville, la lutte contre l'exclusion, etc...
R - "Vous voyez que le message a été entendu."
Q - Et c'est dommage alors que vous partiez, vous qui pouviez si bien l'expliquer. Mais vous ne pouvez pas faire autrement...
R - "Il y en a beaucoup d'autres !"
Q - Est-ce que, comme la gauche plurielle, il y aura un jour une droite plurielle, puisqu'on voit que l'on ne peut pas créer un grand parti unique, victorieux, de la majorité ?
R - "Oui, c'est un peu l'enseignement aussi que l'on peut tirer des dernières élections. Et pour ma part, c'est une difficulté. Parce que je pense qu'une vraie démocratie doit reposer sur de grandes formations capables d'alterner au pouvoir. Cela dit, il faut tout à fait reprendre contact avec l'UDF. Le rôle de F. Bayrou pendant la campagne a été, je crois, un des éléments qui nous a fait perdre, collectivement, parce que ses critiques ont été d'une agressivité très forte. Cela dit, l'UDF existe. Et ce que je propose aujourd'hui, c'est que nous nous mettions autour de la table. Quels sont nos points d'accord, quelles sont nos divergences ? Parce que, ne jouons pas "Embrassons-nous Folleville", je crois que les Français ne prendraient pas cela au sérieux. Il faut vraiment vérifier si nous sommes capables d'être dans la même majorité. Et c'est ce travail que je propose à F. Bayrou et à l'UDF."
Q - Tout de suite, sans attendre les élections européennes ?
R - "Oui, dans les semaines qui viennent, et entre l'équipe de Bayrou et notre équipe à nous, tranquillement. On regarde sur quoi n'est-on pas d'accord. Et est-ce qu'on est capable de réduire ces désaccords. Parce que si on n'est pas capable..."
Q - Pour arriver à quoi ?
R - "Eh bien, soit on est capable de réduire ces désaccords et de trouver une sorte d'accord politique pour travailler ensemble, soit on n'est pas capable de le faire et à ce moment-là, les électrices et les électeurs jugeront le moment venu, bien sûr."
Q - Une dernière chose : on reproche à l'UMP d'être "verrouillée, de cadenasser les courants, les sensibilités. Allez-vous ouvrir ?
R - "Je crois que ce reproche n'est pas exact. Vous voyez, la semaine prochaine, nous allons engager un grand débat sur l'Europe : on sait bien qu'au sein de l'UMP, il y a plusieurs sensibilités sur l'Europe. Et au début du mois de mai, nous voterons sur des motions, pour qu'une majorité se dégage, qu'une minorité s'exprime aussi, elle sera respectée. Et hier, j'ai annoncé effectivement, que je souhaitais réactiver l'expression de ce que l'on appelle "les courants" ou "les sensibilités", dans la perspective de notre prochain congrès. Voilà. L'UMP est une création récente, c'est encore une espèce de bébé un peu fragile. Je pense qu'il est important pour la vie politique française qu'elle se conforte et qu'elle défende surtout un projet politique, fondé sur des notions toutes simples : liberté et responsabilité."
Q - Vous le laissez à qui ?
R - "Ce sont les militants qui le désigneront. Vous savez, nous sommes un parti démocratique, il y aura un vote, il n'y aura pas de désignation."
Q - En tout cas, vous cherchez à tenir votre promesse personnelle et politique : réussir la transition que vous avez annoncée...
R - "C'est ce que j'essaie de faire."
Q - Si je comprends bien, qu'on vous laisse après tranquille et libre ?
R - "Oui, oh, je suis libre aujourd'hui."
Q - Tranquille ?
R - "Voilà, tranquille."
(source http://www.u-m-p.org, le 1er avril 2004)