Texte intégral
Mesdames et Messieurs, nous vous remercions d'être venus ici ce matin, je remercie le ministre de la Défense d'avoir eu la gentillesse de faire quelques pas et d'être venu ici pour faire ce point de presse commun.
Pourquoi avons-nous eu l'idée de cette rencontre : parce qu'il s'est passé des choses importantes ces dernières semaines au Kossovo, et nous avons pensé qu'un rappel de la façon dont la France avait agi dans ce contexte, un rappel de notre politique, une clarification, dans certains cas, du rôle des différents organismes et de la façon dont nous agissons en leur sein pour qu'il y ait une bonne cohérence de la politique de notre pays d'une part et d'autre part de celle de nos partenaires, était utile, au moment où se mettent en place, plusieurs des dispositions importantes contenues dans les engagements pris par le président Milosevic envers Richard Holbrooke, agissant, à ce moment-là non pas en tant qu'émissaire américain mais en tant que représentant du Groupe de contact.
Les choses ont avancé, elles se mettent en place et c'est sans doute un bon moment pour vous dire où nous en sommes et pour, bien entendu, répondre à vos questions.
Je dirai rapidement, pour que l'on ne perde pas le fil de toute l'histoire, que sur la question du Kossovo, il y avait eu une vraie mobilisation de la France et de l'Allemagne, très tôt. Je rappellerai que le 19 novembre dernier, Klauss Kinkel et moi-même avions écrit au président Milosevic pour lui indiquer que les choses allaient exploser, qu'il fallait traiter le problème politiquement et revenir à l'autonomie, qui avait été annulée en 1989. Je rappellerai qu'en novembre 1997, déjà, nous avions accueilli ici M. Rugova et qu'il y a eu donc un engagement très précoce, avant même que la crise n'éclate au début de l'année 1998 et que le Groupe de contact ne se mobilise le 9 mars 1998 à Londres.
Un des points sur lesquels je voudrais insister, c'est qu'à partir de ce moment-là, nous avons agi de façon à ce qu'il y ait la pression maximale sur les protagonistes, en premier lieu sur les autorités de Belgrade. Je veux dire que nous avons eu la même approche et la même politique dans toutes les instances dans lesquelles nous sommes. Que ce soit le Groupe de contact qui, à notre sens, a eu comme fonction de déterminer l'orientation politique générale pour la recherche d'une solution dans cette crise, que ce soit le Conseil de sécurité, indispensable pour fournir l'encadrement en matière de légalité internationale, que ce soit l'OTAN, indispensable pour construire les modalités de la pression et la crédibilité de la pression militaire sans laquelle, malheureusement, dans le cas d'espèce, rien n'aurait pu être obtenu, que ce soit l'Union européenne qui devait apporter un appui et un soutien politique et diplomatique à la démarche suivie, que ce soit l'OSCE qui a un rôle à jouer, on le voit maintenant.
Je veux souligner ce point, c'est une seule et même politique qui a été poursuivie, à travers tous les organismes qui avaient chacun un rôle à jouer, en matière d'architecture institutionnelle, en matière de traitement de la crise, de mode de coopération entre les Européens entre eux, entre les Européens et la Russie, les Européens et les Etats-Unis. Sur tous ces plans, c'est quelque chose qui est, je crois très intéressant, au-delà du traitement même de la stratégie du Kossovo.
A partir du 13 octobre, moment où le président Milosevic a fini, sous cette conjugaison de pressions, d'incitations, d'éléments de persuasion et de menaces, à partir du moment où il a fini par prendre un certain nombre d'engagements, nous avons pu travailler sur des bases différentes, toujours dans le cadre des organismes dont j'ai parlé et pour que se mette en place un dispositif, dont le but reste de trouver une solution politique, une autonomie substantielle qui doit être précisée et bâtie par la négociation.
Aujourd'hui, la mission de vérification au Kossovo, créée par l'OSCE le 25 octobre se met en place, nous en reparlerons plus en détail. Vous savez que la France a annoncé une participation de l'ordre de 150 à 200 personnes en civil, qui ne seront pas armées. Nous avons obtenu récemment, la nomination d'un diplomate français de haut rang, M. Gabriel Keller qui a été ambassadeur à Belgrade, et connaît bien la région, y compris les langues de la région, et sera le premier adjoint du général Walker, responsable de cette mission de vérification de l'OSCE. Vous savez que le Conseil atlantique a approuvé le plan du dispositif de surveillance aérienne le 30 octobre, que des appareils français y participent. En ce qui concerne le déploiement d'une force d'intervention et de réaction en Macédoine, le Conseil atlantique a approuvé le 4 novembre le concept d'opérations pour une force basée en Macédoine et chargée d'assurer la sécurité des vérificateurs, ce qui est un point auquel nous avons attaché une extrême importance.
Nous devons continuer à travailler sur cette base, vous savez certainement aussi que les deux résolutions clef qui ont été adoptées par le Conseil de sécurité à ce sujet, la 1199 et la 1203 qui fournissent, je le rappelle, l'encadrement légal, international de l'ensemble de ces actions, l'ont été sur une initiative franco-britannique dans les deux cas et à partir de textes élaborés en commun.
Voilà le contexte dans lequel nous travaillons et dans lequel nous allons désormais maintenir cette même pression, à très haut niveau, parce que nous sommes encore loin du but, maintenir cette même cohérence, cette même cohésion dans toutes les instances dans lesquelles la France est très active.
Je passe la parole à M. Alain Richard.
Le ministre de la Défense - Je voulais, dans le cadre de cet échange en commun avec Hubert Védrine, souligner le travail qui a été mené en concertation entre les deux ministères pour établir un dispositif global, mettant un terme à la situation insupportable du Kossovo.
Il y a un objectif, qui est l'application du cadre politique fixé dans la résolution 1199, un système de négociation qui est autour du Groupe de contact, avec une forte composante européenne et un moyen de pression militaire dans le cadre de l'Alliance atlantique, les conditions d'intervention de l'Alliance ayant été progressivement clarifiées.
C'est sur ce point-là que le ministère de la Défense a sa responsabilité, mais il faut être en totale cohérence, en totale connexion avec l'ensemble du dispositif. Nous avons pris notre part aux travaux de préparation des différentes formes d'actions militaires au sein de l'alliance, dans un esprit à la fois de solidarité qui, je crois, a été bien perçu par nos partenaires européens, et en même temps, le plein respect de notre souveraineté. Celle-ci est garantie, je vous le rappelle, par le fait que les décisions, lorsque l'on arrive au choix du Conseil atlantique, sont prises à l'unanimité au sein du Conseil. L'expression la plus forte de la pression militaire a été la menace de frappes aériennes qui a été très loin puisque l'on a été jusqu'à l'ordre d'activation émis le 13 octobre au sein de l'alliance. Le Conseil avait alors reporté l'exécution de cet ordre d'activation pour 96 heures, il a été prolongé ensuite jusqu'au 27 octobre et depuis lors, nous sommes dans un autre schéma, c'est-à-dire que c'est à partir d'une nouvelle demande du Conseil atlantique que serait réentreprise l'action militaire.
La pression demeure donc entière, je vous rappelle que nous avons 37 aéronefs dans ce dispositif, dont le groupe aéronaval du Foch qui reste à proximité immédiate et que j'ai visité en compagnie d'autres responsables politiques la semaine dernière. La pression militaire a contribué à obtenir les résultats politiques que nous voyons. Et maintenant, nous évoluons vers notre participation au système de vérifications et de mesures de confiance qui sont mises en place sous l'égide de l'OSCE mais avec une participation de l'OTAN. Nous sommes donc dans le dispositif de vérification Eagle Eye qui est mis en place depuis la semaine dernière, pour l'instant à titre national. Deux de nos appareils, un C-160 et un Mirage-4 d'observation font les missions de reconnaissance dans ce dispositif qui, je le rappelle, est fondé sur des avions non armés, conformément aux accords Holbrooke-Milosevic.
Nous participons, au côté d'autres ministères, et sous l'égide du Secrétariat général de la Défense nationale, et les services du Premier ministre, à la mise en place de nos hommes et femmes au sein de la KVM. Notre objectif, à terme est dans une fourchette 150 à 200 personnes. Il s'agira de personnes en civil, vous savez que c'est aussi un des éléments clef de l'accord. Le ministère de la Défense fournira sa part de l'ensemble en personnel en uniforme civil, si j'ose dire, mais nous ne sommes qu'une des composantes puisque la vocation de cette mission d'observation est d'être une mission polyvalente avec des spécialités qui relèvent d'autres ministères.
Puisque j'étais à Vienne hier, j'ai vu notre ambassadeur auprès de l'OSCE et une première équipe d'officiers qui préfigurent cette mission. L'équipe a été renforcée, dès le début de l'accord et nous souhaitons, sans plus attendre, envoyer la semaine prochaine, un groupe de 25 observateurs français à Pristina.
Enfin et surtout, le Conseil atlantique hier a approuvé les principes que nous proposions avec plusieurs partenaires européens dont la Grande-Bretagne et l'Allemagne pour mettre en place la force d'intervention garantissant la sécurité des observateurs de la KVM. La base légale de cette force est clairement dans la deuxième résolution, la 1203, qui dit qu'en cas d'urgence, des actions peuvent être nécessaires pour assurer la sécurité et la liberté de mouvements de la KVM. Il s'agit d'une force militaire de l'OTAN dont la France assurera la principale contribution. C'est la proposition que nous avons faite en rappelant à chacun ce qu'était notre position au sein de l'Alliance et chacun en est bien conscient. Mais le résultat des concertations est que le Conseil atlantique hier soir a approuvé ce schéma. Sans pouvoir aujourd'hui donner des chiffres exacts puisque c'est maintenant en cours de planification, comme le savent ceux qui connaissent bien les mécanismes de l'Alliance, nous aurons un dispositif militaire compris dans une fourchette de 1200 à 1800 hommes avec sans doute, 4 ou 5 unités élémentaires d'intervention avec des hélicoptères de manière à assurer le délai de réaction le plus rapide. L'objectif est un délai de réaction d'une à deux heures. Il y aura aussi des véhicules blindés pour les situations où les hélicoptères ne pourraient pas se déplacer.
Je veux souligner, au passage, qu'il s'agit d'une mission qui est loin d'être sans risques, puisque, même si le schéma général de l'accord et le rôle de la mission d'observation n'est pas d'être dans des situations de batailles, on sait bien que la situation réelle au Kossovo ne va pas devenir pacifique et sereine du jour au lendemain. Et si, comme ses dirigeants en sont persuadés, la mission d'observation se déplace beaucoup, par unités dispersées et peu nombreuses, les risques que des observateurs soient mis en difficulté à un moment ou à un autre sont quand même importants. Une force, même très rapide et même très spécialisée, stationnée à l'extérieur et appelée, sur alerte, alors que l'affrontement est déjà constaté, n'est pas forcée de réussir, toutes les fois où elle sera appelée. Nous assumons le fait que nous prenons une responsabilité importante dans une force dont la mission sera difficile. Nous ne sommes pas chargés de nous occuper que de crises faciles.
Cette force est en cours de planification, à ce stade de travail, formellement, les nations ne sont pas encore désignées, mais il est considéré comme naturel que la nation assurant la principale contribution commande la force, et donc l'état actuel du projet sur cette force sera arrêté complètement au sein de l'Alliance la semaine prochaine.
Q - Sur la force en elle-même, y aura-t-il des escortes accompagnant les vérificateurs, et de quels moyens de transmission disposeront-ils pour appeler cette force ?
R - Le ministre de la Défense - Votre question est parfaitement cohérente, Hubert Védrine pourrait rappeler comment on en est arrivé là, mais l'accord Holbrooke-Milosevic, parrainé par le Groupe de contact, prévoit qu'il n'y a pas de force étrangère au sol. Il faut donc être tout à fait rigoureux. On sait bien que les forces yougoslaves sont ramenées à une dimension beaucoup plus réduite, il faut appliquer l'accord pleinement, les observateurs circuleront, se déploieront, feront leur mission, sans accompagnement militaire permanent. Cela veut dire que tout repose en effet, sur un dispositif de transmission interne à la mission de vérification et ensuite, sur un dispositif de coordination entre le chef et l'Etat-major de la mission de vérification et la force d'intervention. Il faudra être très précis sur les règles d'engagements et très attentifs sur les mécanismes de transmission d'informations.
Q - Qu'est-ce qui a poussé la France à vouloir jouer le rôle leader dans cette force d'intervention ou d'extraction et quel sera le nombre de soldats français présents, on parle de la moitié ?
R - Le ministre de la Défense - Ce qui nous pousse, c'est la position de l'ensemble des autorités françaises. L'Europe, à mon avis a atteint un certain niveau de crédibilité politique dans cette crise. Tout le monde voit bien que c'est par le rôle du Groupe de contact, avec une forte inspiration européenne, que cette crise a été surmontée et gérée dans des conditions qui apparaissent je crois, à chacun, comme en net progrès du point de vue du résultat atteint, par rapport à des crises européennes antérieures. Il est donc assez légitime qu'ensuite, l'on dise que pour ce qui est de la garantie de la sécurité du règlement de cette crise, les Européens ont aussi leur part de responsabilité à prendre. A constater que nos partenaires européens étaient dans le même état d'esprit, et suivant les situations, suivant les conjonctures, on aurait pu se dire que cette fois-ci, telle autre des grandes nations européennes ayant le potentiel peut être la nation cadre. Après un premier tour de concertation entre nous, il s'est révélé qu'il y avait une certaine tendance, de la part de nos proches partenaires à dire que cette fois-ci, ce serait bien que ce soit nous. Cela nous convient mais cela n'a pas vocation à représenter une sorte de prééminence naturelle, pas du tout. Cela se passe dans un esprit de partenariat, avec les nations ayant les principaux potentiels militaires européens.
R - Le ministre - C'est à remettre dans le contexte dont je parlais au début qui est un travail fait dans un très bon esprit de coopération au sein du Conseil de sécurité et surtout au sein du Groupe de contact et avec les différents pays qui tentent de trouver une solution à ce problème. Simplement, la France veut jouer tout son rôle dans cette affaire comme on l'a vu à travers les engagements très constants du président de la République lui-même, la façon dont le Premier ministre a suivi constamment et attentivement tout ce déroulement, et le rôle qu'Alain Richard et moi-même jouons. C'est dans ce contexte d'ensemble qu'il faut replacer cette disposition.
Q - Et le nombre d'hommes alors ?
R - Le ministre de la Défense - Entre le tiers et la moitié. Pour une raison simple, c'est une force assez courte, constituée d'environ 1500 militaires et comme l'évoquait Pierre Babey dans sa question, il y a un travail de coordination et d'organisation des départs en cas d'urgence qui doit être très fin. Il y a une contrainte minimale qu'il faut bien comprendre. Le multinational marche bien à condition que chaque unité élémentaire soit homogène. L'ensemble Etat-major-coordination-information, doit être homogène, la nation qui présente une proposition doit pouvoir fournir l'ensemble de ces cadres. Comme il n'est pas normal qu'une nation ait l'Etat-major et qu'elle n'ait pas d'hommes sur le terrain, il faut aussi que l'une des unités élémentaires d'intervention soit française. C'est ce qui conduit à ce chiffre relativement élevé.
Q - Quels sont les autres pays européens qui participeront à cette force, les Américains sont-ils présents puisque c'est une force de l'OTAN ? Quelle règle d'engagement voulez-vous ? et quel va être le système de décision ? Y aura-t-il le problème de la double clef qui a tellement paralysé en Bosnie ?
R - Le ministre de la Défense - Pour les autres pays participants, c'est en train d'être mis en forme au sein de l'Alliance. Nous pensons à 4 ou 5 pays en tout cas pour les unités opérationnelles, car il faut tout de même qu'il y ait une homogénéité, ce n'est pas une force nombreuse. Nous aurons tous les pays ayant les capacités et intéressés. Les règles d'engagements vont en effet être de travailler en détail, cela doit être concerté avec l'OSCE. La mission des vérificateurs est en même temps garante d'un accord dans lequel les parties au conflit ont des obligations, la mission aussi. L'intervention de la force de sécurité ne peut être que dosée, calculée, conditionnée, et c'est aux responsables de la mission de vérification de prendre la responsabilité.
Q - La mission risque-t-elle d'être confrontée aux mêmes problèmes que la FORPRONU ?
R - Le ministre de la Défense - Excusez-moi, ce n'est pas du tout la même situation, vous le savez aussi bien que moi d'ailleurs. Là, il s'agit de garantir un accord de paix. Ceux qui ont politiquement la charge de la garantie ne sont pas là pour élever le niveau du conflit, c'est pour cela que je dis que cette mission est risquée, et je vois bien que vous partagez ce sentiment. Mais, étape après étape, en fonction de ce qui sera observé sur le terrain au Kossovo, du degré de conflictualité, de récurrence d'incidents, ces missions devront être réexaminées par les autorités politiques, par la communauté internationale.
R - Le ministre - D'une façon générale, cette crise est assez différente de celle de la Bosnie et les dispositifs ne sont pas comparables. On ne peut pas comparer terme à terme, le rôle de la force d'intervention et de réaction basé en Macédoine pour sécuriser, si nécessaire, la mission de vérification au Kossovo. Sur le terrain, au Kossovo, c'est la mission de vérification. Si vous deviez comparer avec la FORPRONU, je pense que la comparaison ne serait pas fondée car les problèmes sont très différents en fait ; ce serait la comparaison entre la FORPRONU et la mission de vérification du Kossovo et non avec la force d'intervention. Il faut bien distinguer.
Q - Cette mission est-elle seulement une mission d'extraction ? Sera-t-elle autorisée à riposter, le nombre des membres de la mission s'élève à 1800, c'est presque l'équivalent de la mission de l'OSCE. Quel genre de difficultés prévoyez-vous pour l'OSCE et sa mission ?
R - Le ministre de la Défense - La force est nombreuse parce qu'il faut assurer une permanence, 24 heures sur 24 pour être sûr de tenir un délai d'intervention très rapide. Quant aux règles d'engagements, je rappelle que l'objectif de cette mission c'est la sécurité des observateurs. Un certain nombre de scénarios sont établis en partenariat très étroit avec l'OSCE pour prévoir ce que justifie le rétablissement de la sécurité des observateurs. Il ne s'agit pas seulement d'une force d'extraction, il s'agit d'une force d'intervention pour la sécurité des vérificateurs et cette force aura objectivement à intervenir chaque fois que la sécurité des observateurs, lorsqu'ils sont dans leurs déplacements, dans leur mission sera menacée. Cela peut comporter en effet, un éventail assez large d'options militaires.
Q - Vous avez dit qu'il y aurait des véhicules blindés pour les cas où les hélicoptères ne pourraient pas intervenir. Or il s'agit d'un terrain boisé, couvert par le brouillard l'hiver, les véhicules blindés en Macédoine arriveront 3 jours après, comment allez-vous intervenir lorsqu'il fera noir en fin d'après-midi, si quelqu'un décidait d'enlever les observateurs ?
R - Le ministre de la Défense - C'est une mission difficile, je vous remercie de le mettre en évidence. Faut-il que les observateurs n'aillent pas observer ? Faut-il que la force soit déployée d'avance pour le cas où les observateurs seraient en risque. On sait très bien que les deux réponses sont non. Il y aura donc besoin d'une coordination étroite entre le niveau de risques que prendra la mission de vérification en envoyant des groupes, dans telles ou telles circonstances, à tel ou tel endroit, et d'autre part, le degré de préparation qui sera celui de la force d'intervention et de réaction. Cela va être un ajustement qui se fera mais aussi en fonction du degré de violence qui existera sur le terrain. Si, malgré tout ce qui a été fait et contre les prévisions d'aujourd'hui, on se retrouvait, en mars ou avril, dans une situation de guerre civile, d'affrontements très fréquents et de niveau élevé au Kossovo, il faudrait changer de dispositif, cela voudrait dire que le cadre politique n'aurait pas marché. On peut très bien se trouver à l'extrême opposé qui est que, progressivement, la violence descende et que, lors d'une rencontre comme celle-là, au mois d'avril ou mai, vous nous disiez, mais vous êtes en train de laisser jouer aux cartes une force d'intervention qui n'a rien à faire. Où sera-t-on dans les six ou huit mois qui viennent entre ces deux extrêmes, personne ne peut le savoir.
Q - Mais le délai d'intervention des blindés est de combien de temps ?
R - Le ministre de la Défense - Une demi-journée.
R - Le ministre - Je voudrais ajouter un commentaire car, à entendre les questions, j'ai peur qu'un malentendu ne s'installe sur le dispositif de l'accord.
Revenons à l'accord précisément, quand M. Holbrooke a réussi, après que la réunion du Groupe de contact de Londres du 8 octobre l'ait mandaté sur un certain nombre de points précis de négociation après une longue discussion à l'aéroport de Londres. Quand M. Holbrooke est reparti et a obtenu des engagements du président Milosevic, il a obtenu des engagements sur les retraits des forces militaires et des forces spéciales que nous avions exigé devoir ramener au niveau de mars, c'est-à-dire avant que le conflit n'éclate vraiment. D'autre part, il a obtenu des engagements pour qu'il accepte la venue sur le terrain de vérificateurs en masse, les 2000 personnes de l'OSCE qui avait été refusée jusque-là, ce qui était une condition préalable pour que se recrée, petit à petit au Kossovo, un climat de sécurité permettant de s'occuper des réfugiés, des personnes déplacées. Ce qui est en train de se faire à grande vitesse puisque vous voyez les chiffres des personnes qui reviennent dans leurs villages.
Dans l'accord et dans l'engagement qui a été pris le 13 octobre et ensuite entériné par un Groupe de contact, par une résolution du Conseil de sécurité et par une série de décisions au niveau de l'OTAN et de l'OSCE, il n'était pas question, à ce stade, de la force d'intervention et de réaction. Vous ne pouvez pas raisonner aujourd'hui comme si la force de Macédoine était chargée d'aller imposer, par des moyens militaires adéquats l'accord arraché le 13 octobre. Ou bien, cela vous amènerait à poser des questions qui risquent d'être décalées par rapport à la réalité qui s'est créée. Le dispositif de l'accord, c'est la force de vérification de l'OSCE, je vous rappelle que cet organisme est présidé par M. Geremek, et c'est dans le cadre de ce dispositif que nous avons fait accepter, par nos partenaires, un premier adjoint au général Walter qui est l'ambassadeur Gabriel Keller dont je parlais tout à l'heure. C'est au coeur du dispositif. Il s'agit de vérifier la mise en place d'un accord signé, accepté déjà, d'abord d'une façon globale et qui ensuite a été décliné en une série d'accords particuliers : autorités yougoslaves-OTAN pour le contrôle aérien, autorités yougoslaves-OSCE pour la mission de vérification ainsi que l'ensemble des organisations humanitaires.
C'est nous qui avons jugé indispensable, le président de la République, le gouvernement ainsi que celui des autres pays participants, c'est nous qui avons estimé indispensable de compléter le dispositif Holbrooke-Milosevic par une force qui apporte une sécurité supplémentaire. Ce n'est pas elle qui est chargée de faire respecter l'accord qui a été signé et de faire le travail de vérificateurs. Vous ne pouvez pas en attendre, en terme de dispositif, de mode d'organisations, qu'elle soit dans la situation par exemple de la Bosnie, avant les Accords de Dayton. La situation est tout à fait différente. C'est un système de sécurité complémentaire, de réassurance que nous organisons au mieux et le ministre de la Défense a expliqué tout à l'heure, pourquoi nous avons été amenés à jouer un rôle principal à côté de nos partenaires sur ce plan. Je dis cela pour encadrer les différents éléments du dispositif.
R - Le ministre de la Défense - Dans le sentiment de risques, d'incertitudes qui peut légitimement rester sur la situation réelle au Kossovo, il y a une composante dont nous sommes responsables à la Défense qui est la faiblesse actuelle du renseignement. On ne sait pas énormément de choses sur les mouvements des uns et des autres, l'implantation réelle de l'UCK par exemple au Kossovo, parce que, très concrètement, la plupart des alliés y ont très peu de monde. Nous avons des formes de renseignements qui sont très indirectes. Il est clair que l'un des objectifs de la masse des 2000 observateurs et le choix de leur spécialité dirons-nous pudiquement, font qu'au bout de quelques semaines de circulation de la KVM, la perception du niveau de risques des implantations réelles des mouvements des uns et des autres va changer en qualité. La surprise absolue où l'on voit se produire des incidents, sans aucune base pour les expliquer va progressivement disparaître.
Q - Vous avez parlé à plusieurs reprises d'accords, vous faites toujours allusion à des accords entre le président Milosevic et les pays occidentaux, qu'en est-il de l'UCK qui sera sur le terrain ? Quel est le degré de contact aujourd'hui avec ces gens ? et vous n'avez pas répondu à la question de mon collègue de l'AFP concernant la participation américaine à cette force ?
R - Le ministre de la Défense - C'est vrai que nous avons choisi de tenter une innovation qui est une force principalement européenne. Aussi bien certains de nos partenaires européens que nous-mêmes, nous pensons qu'il s'agit d'une Alliance atlantique : les Américains ont eu une responsabilité importante dans le dégagement d'un accord, il est donc bien que les Américains y participent. Vous savez qu'il y a une habitude très lourde, qui a d'ailleurs des bases juridiques aux Etats-Unis qui veut que, si les Américains participent à une force, ils la commandent. Nous cherchons donc un compromis sur ce point qui réserve une part de participation américaine à la force d'intervention et qui leur soit acceptable. L'objectif est bien qu'il y ait une participation américaine. Ceci sera clarifié dans la semaine qui vient.
Le Ministre - La question UCK a l'avantage de mettre l'accent sur le point politique. Je rappelle que, tout ce que nous sommes en train d'organiser, l'OSCE - les menaces de l'OTAN, le travail de cette force complémentaire depuis la Macédoine -, n'a qu'un objectif : aboutir à une solution, de même que l'action que nous menons avec nos partenaires, dans tous les organismes concernés, pour faire en sorte qu'il n'ait pas compétition entre les organismes, mais complémentarité et objectifs communs. Le but est d'arracher - le terme n'est pas trop fort je crois -, une solution politique fondée sur ce que nous avons défini au sein du Groupe de contact depuis le début comme étant un statut d'autonomie substantielle. Je souligne ce point qui fait encore une différence avec la question de la Bosnie d'il y a quelques années : il y a accord entre tous les grands pays qui s'occupent de cette crise au Kossovo depuis le début, que ce soit au sein du Conseil de sécurité, au sein du Groupe de contact, au sein des Quinze, au sein de la Conférence européenne qui est encore plus vaste, ou dans l'OSCE ou dans l'OTAN. Il y a un accord sur le fait que le statu quo est intolérable par les souffrances qu'il entraîne, tous les principes qu'il viole, mais on constate qu'aucun des pays n'accepte de soutenir la revendication d'indépendance mise en avant par l'ensemble des Kossovars mais surtout par l'UCK, car elle est considérée comme déstabilisante pour l'ensemble de la région qui a précisément besoin de l'inverse. Il y a cohérence sur le fond et c'est une situation très différente de ce qui existait en Bosnie, où les différents pays n'avaient pas la même analyse concernant le calendrier selon lequel il fallait réagir à la question de l'explosion de la Yougoslavie.
Nous travaillons à cette solution politique. Il faut à la fois obtenir des concessions suffisantes des autorités de Belgrade pour tout cet ensemble de dispositifs des autorités de Belgrade et convaincre les responsables kossovars que cette solution, même si elle n'est pas leur idéal, est une solution acceptable pour eux et qu'ils doivent pouvoir travailler dans ce cadre. Vous savez que c'est la position de M. Rugova qui, tout en parlant d'indépendance, accepte de travailler sur cette base, accepte de négocier, a constitué une délégation de Kossovars pour négocier sur cette base.
Ensuite, il y a tout un éventail de positions de la plus dure à la moins dure ; les contacts ont été nombreux, nous-mêmes sommes en relation régulière avec M. Rugova, M. Holbrooke, à la fois comme émissaire américain avant l'été, et ensuite, lorsqu'il est devenu à la fois émissaire américain et du Groupe de contact, a eu des contacts des deux côtés ; ainsi que l'équipe qui l'accompagne, notamment l'ambassadeur Christophe Hill qui est l'ambassadeur américain à Skopje et qui a animé un groupe de travail en liaison avec le Groupe de contact pour élaborer un projet de statut. Ce n'est pas un statut entièrement ficelé parce que c'est à eux, par la négociation de le déterminer, mais nous avons voulu mettre des éléments dans la discussion, pour Belgrade et pour Pristina.
D'autre part, il y a en permanence des représentants de la présidence européenne en exercice, l'Autriche en ce moment. Dans le dispositif que nous mettons en place, notamment la vérification de l'OSCE, MM. Walker et Keller auront des contacts constants avec eux. C'est la question clef. Et c'est celle sur laquelle des engagements ont été pris également par le président Milosevic le 13 octobre. Contrairement aux autres engagements, ils ont été suivis d'effets assez rapides, dans les 8 à 10 jours qui ont suivis ; l'engagement politique reste à concrétiser. Il a accepté de négocier, de faire négocier une délégation serbo-yougoslave en quelque sorte sur la base des avant-projets du Groupe de contact. Il a accepté l'idée d'une consultation électorale qui aurait lieu dans des conditions à préciser encore et pour laquelle la présence de la mission de vérification sera essentielle, avant la fin de l'année prochaine. C'est notre chantier de maintenant.
Et nous souhaitons convaincre, de toutes les façons, l'UCK ou les autres parties de la société politique du Kossovo qui ne soutiennent pas toujours la position de M. Rugova. Il faut leur redire qu'ils n'ont pas le soutien de la communauté internationale, tant ils se livrent à des actes unilatéraux dont l'objet est de contrecarrer la solution politique que nous recherchons. Ce n'est pas une position française en particulier, c'est aussi bien la position britannique, allemande ou américaine et cela a été réitéré dans toutes les réunions de tous les organismes dont j'ai déjà parlé plusieurs fois. Nous souhaitons qu'ils participent aux négociations politiques sur la recherche du meilleur statut possible.
Q - Sans vouloir nullement dramatiser, vous avez prononcé le mot "renseignements" vous avez dit que vous ne disposiez pas de renseignements suffisants. Le mot "renseignement" est dans une autre affaire. Sans vouloir nullement dramatiser, j'aimerais savoir comment a été ressenti, parmi les alliés de la France, le cas du Commandant Bunel, comment a-t-il été analysé et commenté, comment l'analysez-vous et le commentez-vous ?
De plus, vous avez très justement et très légitimement évoqué les risques de cette mission, dans la mesure où les risques sont réels et vous le dites vous-mêmes, cette mission d'intervention n'est-elle pas insuffisamment nombreuse et ne risque-t-on pas de s'engager finalement dans un guêpier ?
R - Le ministre de la Défense - M. Bunel, c'est un coup dur comme il en arrive à chaque grand pays qui a des responsabilités militaires étendues. C'est la première réaction de nos partenaires. Nous avons traité le dossier de cet officier qui a fourni des documents dans une situation très proche d'un conflit, nous l'avons indiqué très clairement aux responsables militaires de l'Alliance car ils étaient les premiers concernés et nous avons évalué avec eux les conséquences pour le projet d'intervention aérienne, des documents qu'il avait fait circuler. Comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans mes propos tout récents, nous considérions qu'il est exactement dans le cas prévu par le code pénal, si les faits sont confirmés par la justice .
Le dispositif de circulation de l'information en préparation d'une opération au sein de l'Alliance fait qu'il ne pouvait pas accéder aux documents qui étaient au centre du montage de l'opération. Ceux qu'il a transmis à l'agent yougoslave étaient des documents préparatoires. L'action de frappe aérienne dont le principe avait été arrêté et dont les plans ont été montés, n'a pas été compromise par cette fuite de documents.
C'est dans la durée que vous pourrez vous faire juge de la consolidation des rapports de confiance avec nos alliés mais précisément, en évoquant la durée, si je regarde les 20 ou 30 années qui sont le recul normal, la génération de travail qui fonde les véritables alliances, qui font que les gens sont satisfaits et sont en confiance pour travailler ensemble, la performance de la France en tant qu'alliée, dans toutes les situations difficiles au cours des décennies qui se sont écoulées est déjà une garantie suffisante. Je crois que les conditions dans lesquelles nous avons traité cette difficulté et la transparence dont nous avons voulu faire preuve, y compris dans notre ordre juridique intérieur, signifie que nous avons fait le choix de ne pas régler cette affaire en famille suivant le bon usage. Je crois que ceci a été bien compris par nos alliés. Vous pourrez juger, vérifier par vous-mêmes que la place de confiance que détient la France dans l'Alliance n'en n'a pas souffert.
Quant aux risques que devra affronter la force d'intervention et de réaction, je l'évoque très franchement, c'est un risque d'échec sur une situation extrême, momentanée, dans laquelle il se révélera peut-être que nous ne pouvons pas répondre à 100 % des risques d'insécurité qui peuvent peser sur les vérificateurs. Cela fait partie des prises de responsabilité lorsque l'on a une charge politique.
D'une part, je laisse à chacun d'entre vous, l'appréciation de dire "c'est un guêpier", sous-entendu, ne nous mêlons pas de ces querelles...
Q - Je n'ai pas dit cela...
R - Le ministre de la Défense - Je sais bien, mais c'est pour cela que je dis, si quelqu'un souhaite en faire une affirmation, cela fait partie de la liberté de commentaires. Vous savez très bien que heureusement, dans notre pays, il y a énormément de citoyens et de responsables politiques qui pensent le contraire, qui disent : " c'est difficile, il y a des risques, mais nous sommes un grand pays dans un continent qui s'organise politiquement, il y a des crises face auxquelles nous avons une responsabilité, nous l'assumons, sans garantie de succès à 100 %". Quant au nombre, je crois que, compte tenu de la dimension limitée de type guérilla des incidents auxquels cette force doit répondre, le nombre est, je crois, correctement évalué. Ce n'est pas parce que nous aurions le double ou le triple que nous aurions de meilleures conditions de réponses aux incidents à traiter.
R- Le ministre - Je voudrais ajouter un mot si le ministre de la défense me le permet sur le second point. Sur cette affaire d'espionnage, je suis au contact de tous nos partenaires tous les jours, et tous les jours, nous travaillons sur tous ces points. Je n'ai pas noté chez aucun d'entre eux, en public mais même en privé, je n'ai pas noté qu'un seul de nos partenaires établisse un lien quelconque entre ce comportement individuel et la politique de la France dont nous vous parlons, pas un. Il n'y a pas le moindre soupçon, le moindre signe d'une réaction de ce type. On le voit bien, nous sommes en train de négocier des choses compliquées tous les jours les uns avec les autres. J'ajouterai la déclaration très claire du secrétaire général de l'OTAN. La réaction de la France a été claire, nette et immédiate.
Q - Je voudrais revenir sur le travail de la force d'intervention, cette force aura-t-elle son mot à dire sur le degré de dangerosité de la présence des observateurs dans tel ou tel endroit, sera-t-elle consultée pour dire aux observateurs que peut-être ils pourraient différer les observations de quelques heures de façon à travailler dans des circonstances favorables ?
R - Le ministre de la Défense - Je crois que l'essentiel a été dit par le terme de réassurance employé par Hubert Védrine tout à l'heure. La première condition, c'est l'arbitrage que feront les responsables de la mission de vérification à Pristina. Ils feront leur tableau d'objectifs de vérification qui évoluera au fur et à mesure, car les situations à vérifier apparaîtront et eux-mêmes se feront une sorte d'équilibre entre eux - nous devons tout vérifier, mais nous ne devons pas nous mettre dans des traquenards. En effet, je pense qu'il est normal qu'il y ait une communication très fréquente entre les responsables de la mission qui feront leur programme de travail comportant des prises de risques et les responsables de la force d'intervention et de réaction qui leur diront de faire attention, dans telle ou telle condition ou localité, notre temps de réaction sera plus long.
Q - Premièrement sur les derniers propos de M. Holbrooke qui a indiqué au cours de l'été que c'était les Européens qui avaient retardé une réaction et une intervention sur le Kossovo en exigeant une résolution de l'ONU, il a dit aussi qu'il aurait pu y avoir une intervention sans résolution de l'ONU et deuxièmement, comptez-vous revoir les dispositifs de fraternisation entre les militaires français et les officiers serbes ?
R - Le ministre - Tout d'abord, nous sommes extrêmement satisfaits de la façon dont nous avons coopéré avec les Etats-Unis, dans le traitement de cette crise. Je l'ai dit au sein du Conseil de sécurité - c'était très important pour l'adoption des deux résolutions clef 1199 et 1203. Au sein du Groupe de contact, la collaboration et le contact a été constant entre Mme Albright et moi depuis le début de cette affaire. Nous sommes également tout à fait satisfaits de la façon dont nous avons travaillé avec M. Holbrooke et à partir du moment où s'est établi un vrai travail en commun entre MM. Holbrooke, Hill et leur équipe et le Groupe de contact. De ce point de vue, je trouve que c'est un remarquable exemple et un remarquable précédent de la façon dont les Européens, les Américains, les Russes dans le cas d'espèce peuvent travailler ensemble pour essayer de traiter une crise internationale.
Mon second point, je pense que les déclarations de M. Holbrooke et son interprétation notamment sur le rôle de l'OTAN sont erronées. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'à l'occasion de cette crise, une alliance militaire ait affirmé son droit d'agir militairement sur sa propre décision. Je crois que, précisément, c'est l'inverse qui s'est produit puisque l'action de l'OTAN s'est inscrite dans un cadre que j'ai rappelé, celui de la légalité internationale fixée par le Conseil de sécurité, le travail d'orientation politique du Groupe de contact, le soutien extrêmement clair de l'Union européenne à quinze. C'est dans cet ensemble, et pas du tout de façon autonome ou isolée que l'OTAN a joué un rôle naturellement irremplaçable, consistant à élaborer une planification d'actions donnant toute sa force et toute sa crédibilité à la menace militaire sans laquelle, malheureusement, nous n'aurions pas pu progresser.
Quant au rôle qu'auraient eu les Européens pendant l'été et leur responsabilité, je pense que cela relève de la simple polémique. Je ne souhaite donc pas m'engager sur ce terrain. Je rappelle que les européens n'ont fait que redire ce qui est dans la Charte des Nations unies : c'est le Conseil de sécurité, au titre du chapitre VII qui a le monopole légal de la décision de l'emploi de la force pour régler une crise internationale.
R - Le ministre de la Défense - Sur votre appréciation, qui se veut sans doute humoristique en parlant de " fraternisation " entre des officiers Français et des Serbes, je voudrais simplement vous rappeler qu'en France, l'armée ne s'exprime pas politiquement, cela fait partie d'un des piliers les plus solides de nos libertés publiques dans ce pays. Elle ne s'exprime pas. On ne peut pas empêcher que quelques personnes s'expriment à titre personnel. On peut toujours prêter, à partir d'une ou deux démarches isolées, un sentiment général aux Armées, parce qu'évidemment on ne fait pas un sondage tous les huit jours pour apprécier l'opinion intérieure des officiers français sur tel ou tel thème. Le rôle de grande fermeté qu'a la composante française de la SFOR depuis trois ans en Bosnie fait que nous avons amené l'ensemble des belligérants à arrêter toute action de violence en Bosnie. C'est un des petits résultats, qu'il faut mentionner de temps en temps. Tout n'est pas réglé en Bosnie mais il n'y a plus de manifestations de violences armées. Cela n'a pu être fait que par des composantes militaires ; la France comme vous le savez a une place importante dans la SFOR.
Q - Le gouvernement se félicite de la transparence dans l'affaire Bunel. Pourrait-on en savoir un peu plus sur les conditions dans lesquelles ce commandant a été démasqué et les conditions de son arrestation à Bruxelles, puisqu'il y a transparence ? On aimerait en savoir plus.
R - Le ministre de la Défense - Bien sûr que non. Vous seriez le premier à considérer comme irresponsable un gouvernement qui dévoilerait les conditions dans lesquelles il a connaissance d'un fait d'espionnage. On n'est pas au cinéma. On n'est pas en train de bâtir un roman. On est en train de traiter un problème.
Q - Monsieur le Ministre, permettez-moi de lancer un autre sujet : il y a une catastrophe naturelle sans précédent en Amérique centrale, en ce moment. J'aimerais savoir ce que fait la France, ce que compte faire la France ? Quelles sont les décisions prises et les actions engagées ?
R - Le ministre - Je répondrais rapidement parce c'est un autre sujet. De plus, le président de la République, que j'accompagne d'ailleurs, se rend dans cette région dans quelques jours, non pas à cause de la catastrophe, mais cela va évidemment éclairer d'un jour différent ce voyage. Je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale.
Dès les premières heures, nous avons envoyé des personnels spécialisés de la Sécurité civile, spécialisés dans le traitement des catastrophes, qui sont partis depuis la Guadeloupe et la Martinique. Nous avons mis aussi en place d'autres personnels - au début, dans les premières heures, je crois qu'ils étaient une quinzaine. Nous allons en envoyer 120 autres, aujourd'hui. De plus, nous avons envoyé le 4 novembre - je ne parle que de la France, car il y a des actions européennes importantes en même temps - 90 tonnes de fret humanitaire, notamment pour le Nicaragua et le Honduras, qui arrivent ce matin, là-bas, donc cet après-midi heure française. C'est du matériel de traitement de l'eau, du matériel médical, des bâches, des couvertures, du matériel de sécurité civile pour reconstituer les itinéraires, puisque toutes les routes sont détruites et les pistes sont balayées. Dans le personnel de sécurité civile complémentaire, j'ai parlé de ceux qui étaient partis tout de suite, mais il y en aura 115 autres environ, dont beaucoup de personnel médical. Cela, c'est l'action immédiate et nous sommes en train d'examiner les actions supplémentaires que l'on peut décider mais on le fait en coopération avec d'autres centres de décision.
L'Union européenne dans le cadre du programme ECHO est en train de voir toutes les aides d'urgence qui peuvent être rassemblées. D'autre part, un centre de coordination Nations unies à Genève est en train d'examiner ce qui peut être fait. Ensuite, il faudra apprécier complètement la situation pour voir comment on peut mettre sur pied un plan d'aide à la reconstruction quand on pourra mesurer exactement les ravages produits, non seulement sur les personnes, puisque l'on a parlé d'un chiffre considérable, jusqu'à 25 000 personnes seraient disparues ou blessées dans l'ensemble des quatre pays les plus touchés. Il faudra voir comment on peut bâtir un plan plus important et on est dans l'urgence. Une partie de ces actions relèvent de la Défense.
R - Le ministre de la Défense - Cela donne l'occasion de voir que ce n'est pas inutile d'avoir, même si elles n'agissent pas tous les jours, des forces présentes dans les départements d'outremer, un peu sur tous les continents. Dans le groupe naval des Antilles, un bâtiment de transport part demain, et à 48 heures de ralliement, va amener une compagnie du génie pour contribuer aux travaux de rétablissement des axes dans les zones les plus touchées.
Q - A propos de l'opération que vous annoncez ce matin, je voudrais savoir si vous en aviez informé le Parlement et si tel n'était pas le cas, quand et comment vous pensez à informer le Parlement d'une nouvelle opération extérieure en quelque sorte française ?
R - Le ministre - De quelle opération parlez-vous ?
Q - Ce que vous nous annoncez ce matin, l'envoi de la participation de la France à la force...
R - Le ministre - Le ministre de la Défense va répondre pour lui, mais je peux vous dire que je suis en contact constant avec les commissions spécialisées des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale et au Sénat et que je les informe à chaque étape du développement de cette affaire et de la façon dont on la traite. J'ai le contact également avec la commission de la Défense et je discute du budget de la Défense demain à l'Assemblée. Cela fera partie, comme l'ensemble des engagements extérieurs, des thèmes de discussion de ce budget et à la fin, comme vous le savez, l'Assemblée vote.
Q - Je voulais revenir non pas au Kossovo mais à la Bosnie pour savoir si le gouvernement français avait localisé ou avait des nouvelles de Radovan Karadzic et si son arrestation éventuelle pouvait remettre en cause le fragile équilibre qui prévaut aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine ?
R - Le ministre - C'est un sujet de coopération entre les nations qui participent à la SFOR. L'ensemble des informations que nous détenons sur ce sujet sont partagées quotidiennement avec les partenaires américains avec lesquels le partenariat est le plus fort sur ce dossier. Chaque fois que ce problème a été posé, l'OTAN a expliqué qu'il ne faut pas se tromper, ce n'est pas parce qu'on parle de zones françaises ou de zones américaines ou de zones britanniques que ces zones sont gérées par les gouvernements américain, français ou britannique. Il y a une chaîne de décisions qui remonte à l'OTAN et qui inclut à chaque fois quelque soit la zone ou la sous-zone, parce qu'il y a un enchevêtrement de zones grandes, petites, moyennes, avec une combinaison de nations qui jouent des rôles. Tout est géré collectivement. Il n'y a pas à isoler de comportement spécifique selon des zones.
Q - Excusez-moi, Monsieur Védrine, mais pour en revenir aux conditions d'engagement de cette force d'extraction, vous nous avez expliqué, je schématise, que si la force est en Macédoine, c'est parce que les Serbes, dans l'accord qu'ils ont passé avec l'OTAN, n'étaient pas d'accord pour qu'il y ait des éléments extérieurs armés sur le terrain. Vous nous avez aussi expliqué que nous n'avons pas du tout d'accord avec l'UCK. Si jamais l'UCK se décide à montrer au monde, en enlevant des observateurs non armés, ce qui est d'une facilité extraordinaire, qui contrôle le terrain et la population, comment est-il prévu de modifier l'accord pour pouvoir inclure des escortes permanentes sur place ? Et deuxièmement, est-il envisagé qu'il y ait une contribution russe à cette force pour le Kossovo ?
R - Le ministre - D'une façon générale, dans ce point de presse essentiellement consacré au Kossovo, on n'a pas tenté d'expliquer que c'était facile, ni que l'on pouvait jouer un rôle important pour le retour à la paix dans les Balkans et la paix en Europe sans prendre aucune sorte de risque. Nous expliquons pourquoi la France estime de son devoir de prendre ses responsabilités. Quand nous sommes amenés à prendre des risques, on veut que ce soit des risques réduits au minimum, que ce soit des risques calculés, des risques contrôlés, contrebalancés par les dispositifs les plus performants possibles. Ce sont des évidences.
Quand à l'UCK, j'ai quand même rappelé les positions de M. Rugova qui sont différentes. J'ai dit d'autre part que l'UCK était constituée de tout un éventail de positions qui changent selon les moments. Certains responsables de l'UCK ces dernières semaines ont dit qu'ils acceptaient maintenant de négocier aux côtés de M. Rugova, sur des bases mises en avant par le Groupe de contact, même s'ils les contestent parce qu'ils les trouvent très insuffisantes.
C'est une situation qui peut bouger, qui va bouger en fonction de notre travail, justement, politique.
Il est vrai qu'il y a un lien entre le fait qu'il n'y a pas la possibilité au terme de l'accord du 13 octobre d'avoir des militaires sur place et le fait que nous y ayons monté un dispositif à côté. Cela montre que nous ne sommes pas à court d'idées pour compléter les dispositifs et réussir à garder tous les moyens en notre main pour avancer. Donc, on est en train de faire en sorte que les risques soient le plus possible contenus.
R - Le ministre de la Défense - Ajoutons que ce n'est pas simplement en vertu d'une exigence de Milosevic qu'il a été prévu de ne pas mettre de troupes étrangères sur le sol du Kossovo. C'est aussi la logique de la situation politique qui fait que l'on agit à l'intérieur d'un pays qu'il n'est pas prévu de démanteler. Il n'est pas prévu de sortir le Kossovo de la souveraineté yougoslave. Dans ces conditions il est assez normal de ne pas y mettre de troupes étrangères. Quant à la participation russe, vous avez noté que les Russes ont donné leur accord pour contribuer au dispositif de contrôle aérien. En revanche, ils ne sont pas demandeurs pour participer à la force d'intervention et de réaction. C'est leur position d'aujourd'hui.
J'ai oublié de mentionner que notre schéma commun avec nos alliés européens est que la force d'intervention et de réaction soit une mission temporaire et révisable ; que cela correspond à une situation de fait de niveau de risque qui n'a pas de raison d'être planifiée pour des années. Donc, après tout, au moment où seront éventuellement opérés des ajustements ou des révisions quant au format et aux missions de cette force, rien ne conduit à exclure que les Russes souhaitent définitivement ne pas en faire partie. J'observe, à ce sujet, que de multiples commentaires se sont accumulés au cours des dernières années pour dire les Russes ne veulent pas ceci, refusent cela, bloquent telle chose, etc...Quand on regarde les faits, notamment en Bosnie, mais également dans cette affaire du Kossovo, la position russe est beaucoup plus coopérative et beaucoup plus constructive que l'image générale qui continue à traîner.
R - Le ministre - Pour conclure, je dirai que nous allons continuer à travailler. Quand je dis nous, ce sont les autorités françaises, le président de la République et le gouvernement dans le sens que nous avons, le ministre de la Défense et moi-même rappelé, c'est-à-dire, cohésion et unité de manoeuvre et de comportement au sein du Conseil de sécurité, au sein du Groupe de contact, au sein de l'OTAN, au sein de l'OSCE. Cela, c'est le premier point.
Nous allons continuer à utiliser tous les éléments qui sont à notre disposition, de persuasion, de pression, le travail de fond pour obtenir une solution politique. Tout cela n'a pas d'autre objectif. Nous voulons obtenir une solution politique au Kossovo qui permette à la paix civile de revenir et qui permette aux différentes populations de cohabiter avant que l'on ne s'attaque à d'autres problèmes d'avenir pour l'ensemble de cette région. C'est notre objectif et tout ce dispositif n'a pas d'autre but.
R - Le ministre de la Défense - Cette conclusion est bilatérale.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 18 septembre 2001)
Pourquoi avons-nous eu l'idée de cette rencontre : parce qu'il s'est passé des choses importantes ces dernières semaines au Kossovo, et nous avons pensé qu'un rappel de la façon dont la France avait agi dans ce contexte, un rappel de notre politique, une clarification, dans certains cas, du rôle des différents organismes et de la façon dont nous agissons en leur sein pour qu'il y ait une bonne cohérence de la politique de notre pays d'une part et d'autre part de celle de nos partenaires, était utile, au moment où se mettent en place, plusieurs des dispositions importantes contenues dans les engagements pris par le président Milosevic envers Richard Holbrooke, agissant, à ce moment-là non pas en tant qu'émissaire américain mais en tant que représentant du Groupe de contact.
Les choses ont avancé, elles se mettent en place et c'est sans doute un bon moment pour vous dire où nous en sommes et pour, bien entendu, répondre à vos questions.
Je dirai rapidement, pour que l'on ne perde pas le fil de toute l'histoire, que sur la question du Kossovo, il y avait eu une vraie mobilisation de la France et de l'Allemagne, très tôt. Je rappellerai que le 19 novembre dernier, Klauss Kinkel et moi-même avions écrit au président Milosevic pour lui indiquer que les choses allaient exploser, qu'il fallait traiter le problème politiquement et revenir à l'autonomie, qui avait été annulée en 1989. Je rappellerai qu'en novembre 1997, déjà, nous avions accueilli ici M. Rugova et qu'il y a eu donc un engagement très précoce, avant même que la crise n'éclate au début de l'année 1998 et que le Groupe de contact ne se mobilise le 9 mars 1998 à Londres.
Un des points sur lesquels je voudrais insister, c'est qu'à partir de ce moment-là, nous avons agi de façon à ce qu'il y ait la pression maximale sur les protagonistes, en premier lieu sur les autorités de Belgrade. Je veux dire que nous avons eu la même approche et la même politique dans toutes les instances dans lesquelles nous sommes. Que ce soit le Groupe de contact qui, à notre sens, a eu comme fonction de déterminer l'orientation politique générale pour la recherche d'une solution dans cette crise, que ce soit le Conseil de sécurité, indispensable pour fournir l'encadrement en matière de légalité internationale, que ce soit l'OTAN, indispensable pour construire les modalités de la pression et la crédibilité de la pression militaire sans laquelle, malheureusement, dans le cas d'espèce, rien n'aurait pu être obtenu, que ce soit l'Union européenne qui devait apporter un appui et un soutien politique et diplomatique à la démarche suivie, que ce soit l'OSCE qui a un rôle à jouer, on le voit maintenant.
Je veux souligner ce point, c'est une seule et même politique qui a été poursuivie, à travers tous les organismes qui avaient chacun un rôle à jouer, en matière d'architecture institutionnelle, en matière de traitement de la crise, de mode de coopération entre les Européens entre eux, entre les Européens et la Russie, les Européens et les Etats-Unis. Sur tous ces plans, c'est quelque chose qui est, je crois très intéressant, au-delà du traitement même de la stratégie du Kossovo.
A partir du 13 octobre, moment où le président Milosevic a fini, sous cette conjugaison de pressions, d'incitations, d'éléments de persuasion et de menaces, à partir du moment où il a fini par prendre un certain nombre d'engagements, nous avons pu travailler sur des bases différentes, toujours dans le cadre des organismes dont j'ai parlé et pour que se mette en place un dispositif, dont le but reste de trouver une solution politique, une autonomie substantielle qui doit être précisée et bâtie par la négociation.
Aujourd'hui, la mission de vérification au Kossovo, créée par l'OSCE le 25 octobre se met en place, nous en reparlerons plus en détail. Vous savez que la France a annoncé une participation de l'ordre de 150 à 200 personnes en civil, qui ne seront pas armées. Nous avons obtenu récemment, la nomination d'un diplomate français de haut rang, M. Gabriel Keller qui a été ambassadeur à Belgrade, et connaît bien la région, y compris les langues de la région, et sera le premier adjoint du général Walker, responsable de cette mission de vérification de l'OSCE. Vous savez que le Conseil atlantique a approuvé le plan du dispositif de surveillance aérienne le 30 octobre, que des appareils français y participent. En ce qui concerne le déploiement d'une force d'intervention et de réaction en Macédoine, le Conseil atlantique a approuvé le 4 novembre le concept d'opérations pour une force basée en Macédoine et chargée d'assurer la sécurité des vérificateurs, ce qui est un point auquel nous avons attaché une extrême importance.
Nous devons continuer à travailler sur cette base, vous savez certainement aussi que les deux résolutions clef qui ont été adoptées par le Conseil de sécurité à ce sujet, la 1199 et la 1203 qui fournissent, je le rappelle, l'encadrement légal, international de l'ensemble de ces actions, l'ont été sur une initiative franco-britannique dans les deux cas et à partir de textes élaborés en commun.
Voilà le contexte dans lequel nous travaillons et dans lequel nous allons désormais maintenir cette même pression, à très haut niveau, parce que nous sommes encore loin du but, maintenir cette même cohérence, cette même cohésion dans toutes les instances dans lesquelles la France est très active.
Je passe la parole à M. Alain Richard.
Le ministre de la Défense - Je voulais, dans le cadre de cet échange en commun avec Hubert Védrine, souligner le travail qui a été mené en concertation entre les deux ministères pour établir un dispositif global, mettant un terme à la situation insupportable du Kossovo.
Il y a un objectif, qui est l'application du cadre politique fixé dans la résolution 1199, un système de négociation qui est autour du Groupe de contact, avec une forte composante européenne et un moyen de pression militaire dans le cadre de l'Alliance atlantique, les conditions d'intervention de l'Alliance ayant été progressivement clarifiées.
C'est sur ce point-là que le ministère de la Défense a sa responsabilité, mais il faut être en totale cohérence, en totale connexion avec l'ensemble du dispositif. Nous avons pris notre part aux travaux de préparation des différentes formes d'actions militaires au sein de l'alliance, dans un esprit à la fois de solidarité qui, je crois, a été bien perçu par nos partenaires européens, et en même temps, le plein respect de notre souveraineté. Celle-ci est garantie, je vous le rappelle, par le fait que les décisions, lorsque l'on arrive au choix du Conseil atlantique, sont prises à l'unanimité au sein du Conseil. L'expression la plus forte de la pression militaire a été la menace de frappes aériennes qui a été très loin puisque l'on a été jusqu'à l'ordre d'activation émis le 13 octobre au sein de l'alliance. Le Conseil avait alors reporté l'exécution de cet ordre d'activation pour 96 heures, il a été prolongé ensuite jusqu'au 27 octobre et depuis lors, nous sommes dans un autre schéma, c'est-à-dire que c'est à partir d'une nouvelle demande du Conseil atlantique que serait réentreprise l'action militaire.
La pression demeure donc entière, je vous rappelle que nous avons 37 aéronefs dans ce dispositif, dont le groupe aéronaval du Foch qui reste à proximité immédiate et que j'ai visité en compagnie d'autres responsables politiques la semaine dernière. La pression militaire a contribué à obtenir les résultats politiques que nous voyons. Et maintenant, nous évoluons vers notre participation au système de vérifications et de mesures de confiance qui sont mises en place sous l'égide de l'OSCE mais avec une participation de l'OTAN. Nous sommes donc dans le dispositif de vérification Eagle Eye qui est mis en place depuis la semaine dernière, pour l'instant à titre national. Deux de nos appareils, un C-160 et un Mirage-4 d'observation font les missions de reconnaissance dans ce dispositif qui, je le rappelle, est fondé sur des avions non armés, conformément aux accords Holbrooke-Milosevic.
Nous participons, au côté d'autres ministères, et sous l'égide du Secrétariat général de la Défense nationale, et les services du Premier ministre, à la mise en place de nos hommes et femmes au sein de la KVM. Notre objectif, à terme est dans une fourchette 150 à 200 personnes. Il s'agira de personnes en civil, vous savez que c'est aussi un des éléments clef de l'accord. Le ministère de la Défense fournira sa part de l'ensemble en personnel en uniforme civil, si j'ose dire, mais nous ne sommes qu'une des composantes puisque la vocation de cette mission d'observation est d'être une mission polyvalente avec des spécialités qui relèvent d'autres ministères.
Puisque j'étais à Vienne hier, j'ai vu notre ambassadeur auprès de l'OSCE et une première équipe d'officiers qui préfigurent cette mission. L'équipe a été renforcée, dès le début de l'accord et nous souhaitons, sans plus attendre, envoyer la semaine prochaine, un groupe de 25 observateurs français à Pristina.
Enfin et surtout, le Conseil atlantique hier a approuvé les principes que nous proposions avec plusieurs partenaires européens dont la Grande-Bretagne et l'Allemagne pour mettre en place la force d'intervention garantissant la sécurité des observateurs de la KVM. La base légale de cette force est clairement dans la deuxième résolution, la 1203, qui dit qu'en cas d'urgence, des actions peuvent être nécessaires pour assurer la sécurité et la liberté de mouvements de la KVM. Il s'agit d'une force militaire de l'OTAN dont la France assurera la principale contribution. C'est la proposition que nous avons faite en rappelant à chacun ce qu'était notre position au sein de l'Alliance et chacun en est bien conscient. Mais le résultat des concertations est que le Conseil atlantique hier soir a approuvé ce schéma. Sans pouvoir aujourd'hui donner des chiffres exacts puisque c'est maintenant en cours de planification, comme le savent ceux qui connaissent bien les mécanismes de l'Alliance, nous aurons un dispositif militaire compris dans une fourchette de 1200 à 1800 hommes avec sans doute, 4 ou 5 unités élémentaires d'intervention avec des hélicoptères de manière à assurer le délai de réaction le plus rapide. L'objectif est un délai de réaction d'une à deux heures. Il y aura aussi des véhicules blindés pour les situations où les hélicoptères ne pourraient pas se déplacer.
Je veux souligner, au passage, qu'il s'agit d'une mission qui est loin d'être sans risques, puisque, même si le schéma général de l'accord et le rôle de la mission d'observation n'est pas d'être dans des situations de batailles, on sait bien que la situation réelle au Kossovo ne va pas devenir pacifique et sereine du jour au lendemain. Et si, comme ses dirigeants en sont persuadés, la mission d'observation se déplace beaucoup, par unités dispersées et peu nombreuses, les risques que des observateurs soient mis en difficulté à un moment ou à un autre sont quand même importants. Une force, même très rapide et même très spécialisée, stationnée à l'extérieur et appelée, sur alerte, alors que l'affrontement est déjà constaté, n'est pas forcée de réussir, toutes les fois où elle sera appelée. Nous assumons le fait que nous prenons une responsabilité importante dans une force dont la mission sera difficile. Nous ne sommes pas chargés de nous occuper que de crises faciles.
Cette force est en cours de planification, à ce stade de travail, formellement, les nations ne sont pas encore désignées, mais il est considéré comme naturel que la nation assurant la principale contribution commande la force, et donc l'état actuel du projet sur cette force sera arrêté complètement au sein de l'Alliance la semaine prochaine.
Q - Sur la force en elle-même, y aura-t-il des escortes accompagnant les vérificateurs, et de quels moyens de transmission disposeront-ils pour appeler cette force ?
R - Le ministre de la Défense - Votre question est parfaitement cohérente, Hubert Védrine pourrait rappeler comment on en est arrivé là, mais l'accord Holbrooke-Milosevic, parrainé par le Groupe de contact, prévoit qu'il n'y a pas de force étrangère au sol. Il faut donc être tout à fait rigoureux. On sait bien que les forces yougoslaves sont ramenées à une dimension beaucoup plus réduite, il faut appliquer l'accord pleinement, les observateurs circuleront, se déploieront, feront leur mission, sans accompagnement militaire permanent. Cela veut dire que tout repose en effet, sur un dispositif de transmission interne à la mission de vérification et ensuite, sur un dispositif de coordination entre le chef et l'Etat-major de la mission de vérification et la force d'intervention. Il faudra être très précis sur les règles d'engagements et très attentifs sur les mécanismes de transmission d'informations.
Q - Qu'est-ce qui a poussé la France à vouloir jouer le rôle leader dans cette force d'intervention ou d'extraction et quel sera le nombre de soldats français présents, on parle de la moitié ?
R - Le ministre de la Défense - Ce qui nous pousse, c'est la position de l'ensemble des autorités françaises. L'Europe, à mon avis a atteint un certain niveau de crédibilité politique dans cette crise. Tout le monde voit bien que c'est par le rôle du Groupe de contact, avec une forte inspiration européenne, que cette crise a été surmontée et gérée dans des conditions qui apparaissent je crois, à chacun, comme en net progrès du point de vue du résultat atteint, par rapport à des crises européennes antérieures. Il est donc assez légitime qu'ensuite, l'on dise que pour ce qui est de la garantie de la sécurité du règlement de cette crise, les Européens ont aussi leur part de responsabilité à prendre. A constater que nos partenaires européens étaient dans le même état d'esprit, et suivant les situations, suivant les conjonctures, on aurait pu se dire que cette fois-ci, telle autre des grandes nations européennes ayant le potentiel peut être la nation cadre. Après un premier tour de concertation entre nous, il s'est révélé qu'il y avait une certaine tendance, de la part de nos proches partenaires à dire que cette fois-ci, ce serait bien que ce soit nous. Cela nous convient mais cela n'a pas vocation à représenter une sorte de prééminence naturelle, pas du tout. Cela se passe dans un esprit de partenariat, avec les nations ayant les principaux potentiels militaires européens.
R - Le ministre - C'est à remettre dans le contexte dont je parlais au début qui est un travail fait dans un très bon esprit de coopération au sein du Conseil de sécurité et surtout au sein du Groupe de contact et avec les différents pays qui tentent de trouver une solution à ce problème. Simplement, la France veut jouer tout son rôle dans cette affaire comme on l'a vu à travers les engagements très constants du président de la République lui-même, la façon dont le Premier ministre a suivi constamment et attentivement tout ce déroulement, et le rôle qu'Alain Richard et moi-même jouons. C'est dans ce contexte d'ensemble qu'il faut replacer cette disposition.
Q - Et le nombre d'hommes alors ?
R - Le ministre de la Défense - Entre le tiers et la moitié. Pour une raison simple, c'est une force assez courte, constituée d'environ 1500 militaires et comme l'évoquait Pierre Babey dans sa question, il y a un travail de coordination et d'organisation des départs en cas d'urgence qui doit être très fin. Il y a une contrainte minimale qu'il faut bien comprendre. Le multinational marche bien à condition que chaque unité élémentaire soit homogène. L'ensemble Etat-major-coordination-information, doit être homogène, la nation qui présente une proposition doit pouvoir fournir l'ensemble de ces cadres. Comme il n'est pas normal qu'une nation ait l'Etat-major et qu'elle n'ait pas d'hommes sur le terrain, il faut aussi que l'une des unités élémentaires d'intervention soit française. C'est ce qui conduit à ce chiffre relativement élevé.
Q - Quels sont les autres pays européens qui participeront à cette force, les Américains sont-ils présents puisque c'est une force de l'OTAN ? Quelle règle d'engagement voulez-vous ? et quel va être le système de décision ? Y aura-t-il le problème de la double clef qui a tellement paralysé en Bosnie ?
R - Le ministre de la Défense - Pour les autres pays participants, c'est en train d'être mis en forme au sein de l'Alliance. Nous pensons à 4 ou 5 pays en tout cas pour les unités opérationnelles, car il faut tout de même qu'il y ait une homogénéité, ce n'est pas une force nombreuse. Nous aurons tous les pays ayant les capacités et intéressés. Les règles d'engagements vont en effet être de travailler en détail, cela doit être concerté avec l'OSCE. La mission des vérificateurs est en même temps garante d'un accord dans lequel les parties au conflit ont des obligations, la mission aussi. L'intervention de la force de sécurité ne peut être que dosée, calculée, conditionnée, et c'est aux responsables de la mission de vérification de prendre la responsabilité.
Q - La mission risque-t-elle d'être confrontée aux mêmes problèmes que la FORPRONU ?
R - Le ministre de la Défense - Excusez-moi, ce n'est pas du tout la même situation, vous le savez aussi bien que moi d'ailleurs. Là, il s'agit de garantir un accord de paix. Ceux qui ont politiquement la charge de la garantie ne sont pas là pour élever le niveau du conflit, c'est pour cela que je dis que cette mission est risquée, et je vois bien que vous partagez ce sentiment. Mais, étape après étape, en fonction de ce qui sera observé sur le terrain au Kossovo, du degré de conflictualité, de récurrence d'incidents, ces missions devront être réexaminées par les autorités politiques, par la communauté internationale.
R - Le ministre - D'une façon générale, cette crise est assez différente de celle de la Bosnie et les dispositifs ne sont pas comparables. On ne peut pas comparer terme à terme, le rôle de la force d'intervention et de réaction basé en Macédoine pour sécuriser, si nécessaire, la mission de vérification au Kossovo. Sur le terrain, au Kossovo, c'est la mission de vérification. Si vous deviez comparer avec la FORPRONU, je pense que la comparaison ne serait pas fondée car les problèmes sont très différents en fait ; ce serait la comparaison entre la FORPRONU et la mission de vérification du Kossovo et non avec la force d'intervention. Il faut bien distinguer.
Q - Cette mission est-elle seulement une mission d'extraction ? Sera-t-elle autorisée à riposter, le nombre des membres de la mission s'élève à 1800, c'est presque l'équivalent de la mission de l'OSCE. Quel genre de difficultés prévoyez-vous pour l'OSCE et sa mission ?
R - Le ministre de la Défense - La force est nombreuse parce qu'il faut assurer une permanence, 24 heures sur 24 pour être sûr de tenir un délai d'intervention très rapide. Quant aux règles d'engagements, je rappelle que l'objectif de cette mission c'est la sécurité des observateurs. Un certain nombre de scénarios sont établis en partenariat très étroit avec l'OSCE pour prévoir ce que justifie le rétablissement de la sécurité des observateurs. Il ne s'agit pas seulement d'une force d'extraction, il s'agit d'une force d'intervention pour la sécurité des vérificateurs et cette force aura objectivement à intervenir chaque fois que la sécurité des observateurs, lorsqu'ils sont dans leurs déplacements, dans leur mission sera menacée. Cela peut comporter en effet, un éventail assez large d'options militaires.
Q - Vous avez dit qu'il y aurait des véhicules blindés pour les cas où les hélicoptères ne pourraient pas intervenir. Or il s'agit d'un terrain boisé, couvert par le brouillard l'hiver, les véhicules blindés en Macédoine arriveront 3 jours après, comment allez-vous intervenir lorsqu'il fera noir en fin d'après-midi, si quelqu'un décidait d'enlever les observateurs ?
R - Le ministre de la Défense - C'est une mission difficile, je vous remercie de le mettre en évidence. Faut-il que les observateurs n'aillent pas observer ? Faut-il que la force soit déployée d'avance pour le cas où les observateurs seraient en risque. On sait très bien que les deux réponses sont non. Il y aura donc besoin d'une coordination étroite entre le niveau de risques que prendra la mission de vérification en envoyant des groupes, dans telles ou telles circonstances, à tel ou tel endroit, et d'autre part, le degré de préparation qui sera celui de la force d'intervention et de réaction. Cela va être un ajustement qui se fera mais aussi en fonction du degré de violence qui existera sur le terrain. Si, malgré tout ce qui a été fait et contre les prévisions d'aujourd'hui, on se retrouvait, en mars ou avril, dans une situation de guerre civile, d'affrontements très fréquents et de niveau élevé au Kossovo, il faudrait changer de dispositif, cela voudrait dire que le cadre politique n'aurait pas marché. On peut très bien se trouver à l'extrême opposé qui est que, progressivement, la violence descende et que, lors d'une rencontre comme celle-là, au mois d'avril ou mai, vous nous disiez, mais vous êtes en train de laisser jouer aux cartes une force d'intervention qui n'a rien à faire. Où sera-t-on dans les six ou huit mois qui viennent entre ces deux extrêmes, personne ne peut le savoir.
Q - Mais le délai d'intervention des blindés est de combien de temps ?
R - Le ministre de la Défense - Une demi-journée.
R - Le ministre - Je voudrais ajouter un commentaire car, à entendre les questions, j'ai peur qu'un malentendu ne s'installe sur le dispositif de l'accord.
Revenons à l'accord précisément, quand M. Holbrooke a réussi, après que la réunion du Groupe de contact de Londres du 8 octobre l'ait mandaté sur un certain nombre de points précis de négociation après une longue discussion à l'aéroport de Londres. Quand M. Holbrooke est reparti et a obtenu des engagements du président Milosevic, il a obtenu des engagements sur les retraits des forces militaires et des forces spéciales que nous avions exigé devoir ramener au niveau de mars, c'est-à-dire avant que le conflit n'éclate vraiment. D'autre part, il a obtenu des engagements pour qu'il accepte la venue sur le terrain de vérificateurs en masse, les 2000 personnes de l'OSCE qui avait été refusée jusque-là, ce qui était une condition préalable pour que se recrée, petit à petit au Kossovo, un climat de sécurité permettant de s'occuper des réfugiés, des personnes déplacées. Ce qui est en train de se faire à grande vitesse puisque vous voyez les chiffres des personnes qui reviennent dans leurs villages.
Dans l'accord et dans l'engagement qui a été pris le 13 octobre et ensuite entériné par un Groupe de contact, par une résolution du Conseil de sécurité et par une série de décisions au niveau de l'OTAN et de l'OSCE, il n'était pas question, à ce stade, de la force d'intervention et de réaction. Vous ne pouvez pas raisonner aujourd'hui comme si la force de Macédoine était chargée d'aller imposer, par des moyens militaires adéquats l'accord arraché le 13 octobre. Ou bien, cela vous amènerait à poser des questions qui risquent d'être décalées par rapport à la réalité qui s'est créée. Le dispositif de l'accord, c'est la force de vérification de l'OSCE, je vous rappelle que cet organisme est présidé par M. Geremek, et c'est dans le cadre de ce dispositif que nous avons fait accepter, par nos partenaires, un premier adjoint au général Walter qui est l'ambassadeur Gabriel Keller dont je parlais tout à l'heure. C'est au coeur du dispositif. Il s'agit de vérifier la mise en place d'un accord signé, accepté déjà, d'abord d'une façon globale et qui ensuite a été décliné en une série d'accords particuliers : autorités yougoslaves-OTAN pour le contrôle aérien, autorités yougoslaves-OSCE pour la mission de vérification ainsi que l'ensemble des organisations humanitaires.
C'est nous qui avons jugé indispensable, le président de la République, le gouvernement ainsi que celui des autres pays participants, c'est nous qui avons estimé indispensable de compléter le dispositif Holbrooke-Milosevic par une force qui apporte une sécurité supplémentaire. Ce n'est pas elle qui est chargée de faire respecter l'accord qui a été signé et de faire le travail de vérificateurs. Vous ne pouvez pas en attendre, en terme de dispositif, de mode d'organisations, qu'elle soit dans la situation par exemple de la Bosnie, avant les Accords de Dayton. La situation est tout à fait différente. C'est un système de sécurité complémentaire, de réassurance que nous organisons au mieux et le ministre de la Défense a expliqué tout à l'heure, pourquoi nous avons été amenés à jouer un rôle principal à côté de nos partenaires sur ce plan. Je dis cela pour encadrer les différents éléments du dispositif.
R - Le ministre de la Défense - Dans le sentiment de risques, d'incertitudes qui peut légitimement rester sur la situation réelle au Kossovo, il y a une composante dont nous sommes responsables à la Défense qui est la faiblesse actuelle du renseignement. On ne sait pas énormément de choses sur les mouvements des uns et des autres, l'implantation réelle de l'UCK par exemple au Kossovo, parce que, très concrètement, la plupart des alliés y ont très peu de monde. Nous avons des formes de renseignements qui sont très indirectes. Il est clair que l'un des objectifs de la masse des 2000 observateurs et le choix de leur spécialité dirons-nous pudiquement, font qu'au bout de quelques semaines de circulation de la KVM, la perception du niveau de risques des implantations réelles des mouvements des uns et des autres va changer en qualité. La surprise absolue où l'on voit se produire des incidents, sans aucune base pour les expliquer va progressivement disparaître.
Q - Vous avez parlé à plusieurs reprises d'accords, vous faites toujours allusion à des accords entre le président Milosevic et les pays occidentaux, qu'en est-il de l'UCK qui sera sur le terrain ? Quel est le degré de contact aujourd'hui avec ces gens ? et vous n'avez pas répondu à la question de mon collègue de l'AFP concernant la participation américaine à cette force ?
R - Le ministre de la Défense - C'est vrai que nous avons choisi de tenter une innovation qui est une force principalement européenne. Aussi bien certains de nos partenaires européens que nous-mêmes, nous pensons qu'il s'agit d'une Alliance atlantique : les Américains ont eu une responsabilité importante dans le dégagement d'un accord, il est donc bien que les Américains y participent. Vous savez qu'il y a une habitude très lourde, qui a d'ailleurs des bases juridiques aux Etats-Unis qui veut que, si les Américains participent à une force, ils la commandent. Nous cherchons donc un compromis sur ce point qui réserve une part de participation américaine à la force d'intervention et qui leur soit acceptable. L'objectif est bien qu'il y ait une participation américaine. Ceci sera clarifié dans la semaine qui vient.
Le Ministre - La question UCK a l'avantage de mettre l'accent sur le point politique. Je rappelle que, tout ce que nous sommes en train d'organiser, l'OSCE - les menaces de l'OTAN, le travail de cette force complémentaire depuis la Macédoine -, n'a qu'un objectif : aboutir à une solution, de même que l'action que nous menons avec nos partenaires, dans tous les organismes concernés, pour faire en sorte qu'il n'ait pas compétition entre les organismes, mais complémentarité et objectifs communs. Le but est d'arracher - le terme n'est pas trop fort je crois -, une solution politique fondée sur ce que nous avons défini au sein du Groupe de contact depuis le début comme étant un statut d'autonomie substantielle. Je souligne ce point qui fait encore une différence avec la question de la Bosnie d'il y a quelques années : il y a accord entre tous les grands pays qui s'occupent de cette crise au Kossovo depuis le début, que ce soit au sein du Conseil de sécurité, au sein du Groupe de contact, au sein des Quinze, au sein de la Conférence européenne qui est encore plus vaste, ou dans l'OSCE ou dans l'OTAN. Il y a un accord sur le fait que le statu quo est intolérable par les souffrances qu'il entraîne, tous les principes qu'il viole, mais on constate qu'aucun des pays n'accepte de soutenir la revendication d'indépendance mise en avant par l'ensemble des Kossovars mais surtout par l'UCK, car elle est considérée comme déstabilisante pour l'ensemble de la région qui a précisément besoin de l'inverse. Il y a cohérence sur le fond et c'est une situation très différente de ce qui existait en Bosnie, où les différents pays n'avaient pas la même analyse concernant le calendrier selon lequel il fallait réagir à la question de l'explosion de la Yougoslavie.
Nous travaillons à cette solution politique. Il faut à la fois obtenir des concessions suffisantes des autorités de Belgrade pour tout cet ensemble de dispositifs des autorités de Belgrade et convaincre les responsables kossovars que cette solution, même si elle n'est pas leur idéal, est une solution acceptable pour eux et qu'ils doivent pouvoir travailler dans ce cadre. Vous savez que c'est la position de M. Rugova qui, tout en parlant d'indépendance, accepte de travailler sur cette base, accepte de négocier, a constitué une délégation de Kossovars pour négocier sur cette base.
Ensuite, il y a tout un éventail de positions de la plus dure à la moins dure ; les contacts ont été nombreux, nous-mêmes sommes en relation régulière avec M. Rugova, M. Holbrooke, à la fois comme émissaire américain avant l'été, et ensuite, lorsqu'il est devenu à la fois émissaire américain et du Groupe de contact, a eu des contacts des deux côtés ; ainsi que l'équipe qui l'accompagne, notamment l'ambassadeur Christophe Hill qui est l'ambassadeur américain à Skopje et qui a animé un groupe de travail en liaison avec le Groupe de contact pour élaborer un projet de statut. Ce n'est pas un statut entièrement ficelé parce que c'est à eux, par la négociation de le déterminer, mais nous avons voulu mettre des éléments dans la discussion, pour Belgrade et pour Pristina.
D'autre part, il y a en permanence des représentants de la présidence européenne en exercice, l'Autriche en ce moment. Dans le dispositif que nous mettons en place, notamment la vérification de l'OSCE, MM. Walker et Keller auront des contacts constants avec eux. C'est la question clef. Et c'est celle sur laquelle des engagements ont été pris également par le président Milosevic le 13 octobre. Contrairement aux autres engagements, ils ont été suivis d'effets assez rapides, dans les 8 à 10 jours qui ont suivis ; l'engagement politique reste à concrétiser. Il a accepté de négocier, de faire négocier une délégation serbo-yougoslave en quelque sorte sur la base des avant-projets du Groupe de contact. Il a accepté l'idée d'une consultation électorale qui aurait lieu dans des conditions à préciser encore et pour laquelle la présence de la mission de vérification sera essentielle, avant la fin de l'année prochaine. C'est notre chantier de maintenant.
Et nous souhaitons convaincre, de toutes les façons, l'UCK ou les autres parties de la société politique du Kossovo qui ne soutiennent pas toujours la position de M. Rugova. Il faut leur redire qu'ils n'ont pas le soutien de la communauté internationale, tant ils se livrent à des actes unilatéraux dont l'objet est de contrecarrer la solution politique que nous recherchons. Ce n'est pas une position française en particulier, c'est aussi bien la position britannique, allemande ou américaine et cela a été réitéré dans toutes les réunions de tous les organismes dont j'ai déjà parlé plusieurs fois. Nous souhaitons qu'ils participent aux négociations politiques sur la recherche du meilleur statut possible.
Q - Sans vouloir nullement dramatiser, vous avez prononcé le mot "renseignements" vous avez dit que vous ne disposiez pas de renseignements suffisants. Le mot "renseignement" est dans une autre affaire. Sans vouloir nullement dramatiser, j'aimerais savoir comment a été ressenti, parmi les alliés de la France, le cas du Commandant Bunel, comment a-t-il été analysé et commenté, comment l'analysez-vous et le commentez-vous ?
De plus, vous avez très justement et très légitimement évoqué les risques de cette mission, dans la mesure où les risques sont réels et vous le dites vous-mêmes, cette mission d'intervention n'est-elle pas insuffisamment nombreuse et ne risque-t-on pas de s'engager finalement dans un guêpier ?
R - Le ministre de la Défense - M. Bunel, c'est un coup dur comme il en arrive à chaque grand pays qui a des responsabilités militaires étendues. C'est la première réaction de nos partenaires. Nous avons traité le dossier de cet officier qui a fourni des documents dans une situation très proche d'un conflit, nous l'avons indiqué très clairement aux responsables militaires de l'Alliance car ils étaient les premiers concernés et nous avons évalué avec eux les conséquences pour le projet d'intervention aérienne, des documents qu'il avait fait circuler. Comme j'ai eu l'occasion de le préciser dans mes propos tout récents, nous considérions qu'il est exactement dans le cas prévu par le code pénal, si les faits sont confirmés par la justice .
Le dispositif de circulation de l'information en préparation d'une opération au sein de l'Alliance fait qu'il ne pouvait pas accéder aux documents qui étaient au centre du montage de l'opération. Ceux qu'il a transmis à l'agent yougoslave étaient des documents préparatoires. L'action de frappe aérienne dont le principe avait été arrêté et dont les plans ont été montés, n'a pas été compromise par cette fuite de documents.
C'est dans la durée que vous pourrez vous faire juge de la consolidation des rapports de confiance avec nos alliés mais précisément, en évoquant la durée, si je regarde les 20 ou 30 années qui sont le recul normal, la génération de travail qui fonde les véritables alliances, qui font que les gens sont satisfaits et sont en confiance pour travailler ensemble, la performance de la France en tant qu'alliée, dans toutes les situations difficiles au cours des décennies qui se sont écoulées est déjà une garantie suffisante. Je crois que les conditions dans lesquelles nous avons traité cette difficulté et la transparence dont nous avons voulu faire preuve, y compris dans notre ordre juridique intérieur, signifie que nous avons fait le choix de ne pas régler cette affaire en famille suivant le bon usage. Je crois que ceci a été bien compris par nos alliés. Vous pourrez juger, vérifier par vous-mêmes que la place de confiance que détient la France dans l'Alliance n'en n'a pas souffert.
Quant aux risques que devra affronter la force d'intervention et de réaction, je l'évoque très franchement, c'est un risque d'échec sur une situation extrême, momentanée, dans laquelle il se révélera peut-être que nous ne pouvons pas répondre à 100 % des risques d'insécurité qui peuvent peser sur les vérificateurs. Cela fait partie des prises de responsabilité lorsque l'on a une charge politique.
D'une part, je laisse à chacun d'entre vous, l'appréciation de dire "c'est un guêpier", sous-entendu, ne nous mêlons pas de ces querelles...
Q - Je n'ai pas dit cela...
R - Le ministre de la Défense - Je sais bien, mais c'est pour cela que je dis, si quelqu'un souhaite en faire une affirmation, cela fait partie de la liberté de commentaires. Vous savez très bien que heureusement, dans notre pays, il y a énormément de citoyens et de responsables politiques qui pensent le contraire, qui disent : " c'est difficile, il y a des risques, mais nous sommes un grand pays dans un continent qui s'organise politiquement, il y a des crises face auxquelles nous avons une responsabilité, nous l'assumons, sans garantie de succès à 100 %". Quant au nombre, je crois que, compte tenu de la dimension limitée de type guérilla des incidents auxquels cette force doit répondre, le nombre est, je crois, correctement évalué. Ce n'est pas parce que nous aurions le double ou le triple que nous aurions de meilleures conditions de réponses aux incidents à traiter.
R- Le ministre - Je voudrais ajouter un mot si le ministre de la défense me le permet sur le second point. Sur cette affaire d'espionnage, je suis au contact de tous nos partenaires tous les jours, et tous les jours, nous travaillons sur tous ces points. Je n'ai pas noté chez aucun d'entre eux, en public mais même en privé, je n'ai pas noté qu'un seul de nos partenaires établisse un lien quelconque entre ce comportement individuel et la politique de la France dont nous vous parlons, pas un. Il n'y a pas le moindre soupçon, le moindre signe d'une réaction de ce type. On le voit bien, nous sommes en train de négocier des choses compliquées tous les jours les uns avec les autres. J'ajouterai la déclaration très claire du secrétaire général de l'OTAN. La réaction de la France a été claire, nette et immédiate.
Q - Je voudrais revenir sur le travail de la force d'intervention, cette force aura-t-elle son mot à dire sur le degré de dangerosité de la présence des observateurs dans tel ou tel endroit, sera-t-elle consultée pour dire aux observateurs que peut-être ils pourraient différer les observations de quelques heures de façon à travailler dans des circonstances favorables ?
R - Le ministre de la Défense - Je crois que l'essentiel a été dit par le terme de réassurance employé par Hubert Védrine tout à l'heure. La première condition, c'est l'arbitrage que feront les responsables de la mission de vérification à Pristina. Ils feront leur tableau d'objectifs de vérification qui évoluera au fur et à mesure, car les situations à vérifier apparaîtront et eux-mêmes se feront une sorte d'équilibre entre eux - nous devons tout vérifier, mais nous ne devons pas nous mettre dans des traquenards. En effet, je pense qu'il est normal qu'il y ait une communication très fréquente entre les responsables de la mission qui feront leur programme de travail comportant des prises de risques et les responsables de la force d'intervention et de réaction qui leur diront de faire attention, dans telle ou telle condition ou localité, notre temps de réaction sera plus long.
Q - Premièrement sur les derniers propos de M. Holbrooke qui a indiqué au cours de l'été que c'était les Européens qui avaient retardé une réaction et une intervention sur le Kossovo en exigeant une résolution de l'ONU, il a dit aussi qu'il aurait pu y avoir une intervention sans résolution de l'ONU et deuxièmement, comptez-vous revoir les dispositifs de fraternisation entre les militaires français et les officiers serbes ?
R - Le ministre - Tout d'abord, nous sommes extrêmement satisfaits de la façon dont nous avons coopéré avec les Etats-Unis, dans le traitement de cette crise. Je l'ai dit au sein du Conseil de sécurité - c'était très important pour l'adoption des deux résolutions clef 1199 et 1203. Au sein du Groupe de contact, la collaboration et le contact a été constant entre Mme Albright et moi depuis le début de cette affaire. Nous sommes également tout à fait satisfaits de la façon dont nous avons travaillé avec M. Holbrooke et à partir du moment où s'est établi un vrai travail en commun entre MM. Holbrooke, Hill et leur équipe et le Groupe de contact. De ce point de vue, je trouve que c'est un remarquable exemple et un remarquable précédent de la façon dont les Européens, les Américains, les Russes dans le cas d'espèce peuvent travailler ensemble pour essayer de traiter une crise internationale.
Mon second point, je pense que les déclarations de M. Holbrooke et son interprétation notamment sur le rôle de l'OTAN sont erronées. Je ne pense pas que l'on puisse dire qu'à l'occasion de cette crise, une alliance militaire ait affirmé son droit d'agir militairement sur sa propre décision. Je crois que, précisément, c'est l'inverse qui s'est produit puisque l'action de l'OTAN s'est inscrite dans un cadre que j'ai rappelé, celui de la légalité internationale fixée par le Conseil de sécurité, le travail d'orientation politique du Groupe de contact, le soutien extrêmement clair de l'Union européenne à quinze. C'est dans cet ensemble, et pas du tout de façon autonome ou isolée que l'OTAN a joué un rôle naturellement irremplaçable, consistant à élaborer une planification d'actions donnant toute sa force et toute sa crédibilité à la menace militaire sans laquelle, malheureusement, nous n'aurions pas pu progresser.
Quant au rôle qu'auraient eu les Européens pendant l'été et leur responsabilité, je pense que cela relève de la simple polémique. Je ne souhaite donc pas m'engager sur ce terrain. Je rappelle que les européens n'ont fait que redire ce qui est dans la Charte des Nations unies : c'est le Conseil de sécurité, au titre du chapitre VII qui a le monopole légal de la décision de l'emploi de la force pour régler une crise internationale.
R - Le ministre de la Défense - Sur votre appréciation, qui se veut sans doute humoristique en parlant de " fraternisation " entre des officiers Français et des Serbes, je voudrais simplement vous rappeler qu'en France, l'armée ne s'exprime pas politiquement, cela fait partie d'un des piliers les plus solides de nos libertés publiques dans ce pays. Elle ne s'exprime pas. On ne peut pas empêcher que quelques personnes s'expriment à titre personnel. On peut toujours prêter, à partir d'une ou deux démarches isolées, un sentiment général aux Armées, parce qu'évidemment on ne fait pas un sondage tous les huit jours pour apprécier l'opinion intérieure des officiers français sur tel ou tel thème. Le rôle de grande fermeté qu'a la composante française de la SFOR depuis trois ans en Bosnie fait que nous avons amené l'ensemble des belligérants à arrêter toute action de violence en Bosnie. C'est un des petits résultats, qu'il faut mentionner de temps en temps. Tout n'est pas réglé en Bosnie mais il n'y a plus de manifestations de violences armées. Cela n'a pu être fait que par des composantes militaires ; la France comme vous le savez a une place importante dans la SFOR.
Q - Le gouvernement se félicite de la transparence dans l'affaire Bunel. Pourrait-on en savoir un peu plus sur les conditions dans lesquelles ce commandant a été démasqué et les conditions de son arrestation à Bruxelles, puisqu'il y a transparence ? On aimerait en savoir plus.
R - Le ministre de la Défense - Bien sûr que non. Vous seriez le premier à considérer comme irresponsable un gouvernement qui dévoilerait les conditions dans lesquelles il a connaissance d'un fait d'espionnage. On n'est pas au cinéma. On n'est pas en train de bâtir un roman. On est en train de traiter un problème.
Q - Monsieur le Ministre, permettez-moi de lancer un autre sujet : il y a une catastrophe naturelle sans précédent en Amérique centrale, en ce moment. J'aimerais savoir ce que fait la France, ce que compte faire la France ? Quelles sont les décisions prises et les actions engagées ?
R - Le ministre - Je répondrais rapidement parce c'est un autre sujet. De plus, le président de la République, que j'accompagne d'ailleurs, se rend dans cette région dans quelques jours, non pas à cause de la catastrophe, mais cela va évidemment éclairer d'un jour différent ce voyage. Je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale.
Dès les premières heures, nous avons envoyé des personnels spécialisés de la Sécurité civile, spécialisés dans le traitement des catastrophes, qui sont partis depuis la Guadeloupe et la Martinique. Nous avons mis aussi en place d'autres personnels - au début, dans les premières heures, je crois qu'ils étaient une quinzaine. Nous allons en envoyer 120 autres, aujourd'hui. De plus, nous avons envoyé le 4 novembre - je ne parle que de la France, car il y a des actions européennes importantes en même temps - 90 tonnes de fret humanitaire, notamment pour le Nicaragua et le Honduras, qui arrivent ce matin, là-bas, donc cet après-midi heure française. C'est du matériel de traitement de l'eau, du matériel médical, des bâches, des couvertures, du matériel de sécurité civile pour reconstituer les itinéraires, puisque toutes les routes sont détruites et les pistes sont balayées. Dans le personnel de sécurité civile complémentaire, j'ai parlé de ceux qui étaient partis tout de suite, mais il y en aura 115 autres environ, dont beaucoup de personnel médical. Cela, c'est l'action immédiate et nous sommes en train d'examiner les actions supplémentaires que l'on peut décider mais on le fait en coopération avec d'autres centres de décision.
L'Union européenne dans le cadre du programme ECHO est en train de voir toutes les aides d'urgence qui peuvent être rassemblées. D'autre part, un centre de coordination Nations unies à Genève est en train d'examiner ce qui peut être fait. Ensuite, il faudra apprécier complètement la situation pour voir comment on peut mettre sur pied un plan d'aide à la reconstruction quand on pourra mesurer exactement les ravages produits, non seulement sur les personnes, puisque l'on a parlé d'un chiffre considérable, jusqu'à 25 000 personnes seraient disparues ou blessées dans l'ensemble des quatre pays les plus touchés. Il faudra voir comment on peut bâtir un plan plus important et on est dans l'urgence. Une partie de ces actions relèvent de la Défense.
R - Le ministre de la Défense - Cela donne l'occasion de voir que ce n'est pas inutile d'avoir, même si elles n'agissent pas tous les jours, des forces présentes dans les départements d'outremer, un peu sur tous les continents. Dans le groupe naval des Antilles, un bâtiment de transport part demain, et à 48 heures de ralliement, va amener une compagnie du génie pour contribuer aux travaux de rétablissement des axes dans les zones les plus touchées.
Q - A propos de l'opération que vous annoncez ce matin, je voudrais savoir si vous en aviez informé le Parlement et si tel n'était pas le cas, quand et comment vous pensez à informer le Parlement d'une nouvelle opération extérieure en quelque sorte française ?
R - Le ministre - De quelle opération parlez-vous ?
Q - Ce que vous nous annoncez ce matin, l'envoi de la participation de la France à la force...
R - Le ministre - Le ministre de la Défense va répondre pour lui, mais je peux vous dire que je suis en contact constant avec les commissions spécialisées des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale et au Sénat et que je les informe à chaque étape du développement de cette affaire et de la façon dont on la traite. J'ai le contact également avec la commission de la Défense et je discute du budget de la Défense demain à l'Assemblée. Cela fera partie, comme l'ensemble des engagements extérieurs, des thèmes de discussion de ce budget et à la fin, comme vous le savez, l'Assemblée vote.
Q - Je voulais revenir non pas au Kossovo mais à la Bosnie pour savoir si le gouvernement français avait localisé ou avait des nouvelles de Radovan Karadzic et si son arrestation éventuelle pouvait remettre en cause le fragile équilibre qui prévaut aujourd'hui en Bosnie-Herzégovine ?
R - Le ministre - C'est un sujet de coopération entre les nations qui participent à la SFOR. L'ensemble des informations que nous détenons sur ce sujet sont partagées quotidiennement avec les partenaires américains avec lesquels le partenariat est le plus fort sur ce dossier. Chaque fois que ce problème a été posé, l'OTAN a expliqué qu'il ne faut pas se tromper, ce n'est pas parce qu'on parle de zones françaises ou de zones américaines ou de zones britanniques que ces zones sont gérées par les gouvernements américain, français ou britannique. Il y a une chaîne de décisions qui remonte à l'OTAN et qui inclut à chaque fois quelque soit la zone ou la sous-zone, parce qu'il y a un enchevêtrement de zones grandes, petites, moyennes, avec une combinaison de nations qui jouent des rôles. Tout est géré collectivement. Il n'y a pas à isoler de comportement spécifique selon des zones.
Q - Excusez-moi, Monsieur Védrine, mais pour en revenir aux conditions d'engagement de cette force d'extraction, vous nous avez expliqué, je schématise, que si la force est en Macédoine, c'est parce que les Serbes, dans l'accord qu'ils ont passé avec l'OTAN, n'étaient pas d'accord pour qu'il y ait des éléments extérieurs armés sur le terrain. Vous nous avez aussi expliqué que nous n'avons pas du tout d'accord avec l'UCK. Si jamais l'UCK se décide à montrer au monde, en enlevant des observateurs non armés, ce qui est d'une facilité extraordinaire, qui contrôle le terrain et la population, comment est-il prévu de modifier l'accord pour pouvoir inclure des escortes permanentes sur place ? Et deuxièmement, est-il envisagé qu'il y ait une contribution russe à cette force pour le Kossovo ?
R - Le ministre - D'une façon générale, dans ce point de presse essentiellement consacré au Kossovo, on n'a pas tenté d'expliquer que c'était facile, ni que l'on pouvait jouer un rôle important pour le retour à la paix dans les Balkans et la paix en Europe sans prendre aucune sorte de risque. Nous expliquons pourquoi la France estime de son devoir de prendre ses responsabilités. Quand nous sommes amenés à prendre des risques, on veut que ce soit des risques réduits au minimum, que ce soit des risques calculés, des risques contrôlés, contrebalancés par les dispositifs les plus performants possibles. Ce sont des évidences.
Quand à l'UCK, j'ai quand même rappelé les positions de M. Rugova qui sont différentes. J'ai dit d'autre part que l'UCK était constituée de tout un éventail de positions qui changent selon les moments. Certains responsables de l'UCK ces dernières semaines ont dit qu'ils acceptaient maintenant de négocier aux côtés de M. Rugova, sur des bases mises en avant par le Groupe de contact, même s'ils les contestent parce qu'ils les trouvent très insuffisantes.
C'est une situation qui peut bouger, qui va bouger en fonction de notre travail, justement, politique.
Il est vrai qu'il y a un lien entre le fait qu'il n'y a pas la possibilité au terme de l'accord du 13 octobre d'avoir des militaires sur place et le fait que nous y ayons monté un dispositif à côté. Cela montre que nous ne sommes pas à court d'idées pour compléter les dispositifs et réussir à garder tous les moyens en notre main pour avancer. Donc, on est en train de faire en sorte que les risques soient le plus possible contenus.
R - Le ministre de la Défense - Ajoutons que ce n'est pas simplement en vertu d'une exigence de Milosevic qu'il a été prévu de ne pas mettre de troupes étrangères sur le sol du Kossovo. C'est aussi la logique de la situation politique qui fait que l'on agit à l'intérieur d'un pays qu'il n'est pas prévu de démanteler. Il n'est pas prévu de sortir le Kossovo de la souveraineté yougoslave. Dans ces conditions il est assez normal de ne pas y mettre de troupes étrangères. Quant à la participation russe, vous avez noté que les Russes ont donné leur accord pour contribuer au dispositif de contrôle aérien. En revanche, ils ne sont pas demandeurs pour participer à la force d'intervention et de réaction. C'est leur position d'aujourd'hui.
J'ai oublié de mentionner que notre schéma commun avec nos alliés européens est que la force d'intervention et de réaction soit une mission temporaire et révisable ; que cela correspond à une situation de fait de niveau de risque qui n'a pas de raison d'être planifiée pour des années. Donc, après tout, au moment où seront éventuellement opérés des ajustements ou des révisions quant au format et aux missions de cette force, rien ne conduit à exclure que les Russes souhaitent définitivement ne pas en faire partie. J'observe, à ce sujet, que de multiples commentaires se sont accumulés au cours des dernières années pour dire les Russes ne veulent pas ceci, refusent cela, bloquent telle chose, etc...Quand on regarde les faits, notamment en Bosnie, mais également dans cette affaire du Kossovo, la position russe est beaucoup plus coopérative et beaucoup plus constructive que l'image générale qui continue à traîner.
R - Le ministre - Pour conclure, je dirai que nous allons continuer à travailler. Quand je dis nous, ce sont les autorités françaises, le président de la République et le gouvernement dans le sens que nous avons, le ministre de la Défense et moi-même rappelé, c'est-à-dire, cohésion et unité de manoeuvre et de comportement au sein du Conseil de sécurité, au sein du Groupe de contact, au sein de l'OTAN, au sein de l'OSCE. Cela, c'est le premier point.
Nous allons continuer à utiliser tous les éléments qui sont à notre disposition, de persuasion, de pression, le travail de fond pour obtenir une solution politique. Tout cela n'a pas d'autre objectif. Nous voulons obtenir une solution politique au Kossovo qui permette à la paix civile de revenir et qui permette aux différentes populations de cohabiter avant que l'on ne s'attaque à d'autres problèmes d'avenir pour l'ensemble de cette région. C'est notre objectif et tout ce dispositif n'a pas d'autre but.
R - Le ministre de la Défense - Cette conclusion est bilatérale.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 18 septembre 2001)