Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le rôle de la Défense dans la protection des intérêts stratégiques de la France, notamment dans le cadre de la nouvelle politique industrielle, à Paris le 10 octobre 2005.

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Circonstance : Colloque "Investissements étrangers et sécurité nationale", à Paris le 10 octobre 2005

Texte intégral

Mesdames et messieurs les députés,
Messieurs les sénateurs,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens à saluer Bernard Carayon d'avoir eu l'heureuse initiative de ce colloque sur le thème " Investissements étrangers et sécurité nationale ".
L'été a vu fleurir un certain nombre de polémiques sur ce sujet. Il est bon qu'un débat serein et sérieux remette les données du problème dans leur juste perspective.
(1) La France a un haut niveau et un grand potentiel technologiques dont elle doit assurer le développement ; (2) L'importance et les succès de nos entreprises à l'étranger rend tout protectionnisme ou nationalisme étroit déplacés et contre-productifs. Je le dis très clairement : le patriotisme économique, ce ne peut être, ce ne doit pas être une nouvelle ligne Maginot. Notre pays n'a d'ailleurs jamais gagné à se replier sur soi ou à chercher des réponses à ses difficultés dans des réflexes protectionnistes ; (3) La naïveté ne saurait être de mise dans ce domaine. Tous les pays, y compris ceux qui se réclament le plus du libéralisme, se protègent contre les intrusions étrangères qu'ils ne souhaitent pas, selon des modalités variées. La défense des intérêts économiques de la France, de ses industries, de ses emplois, de ses compétences de pointe, de sa capacité à innover, de son rayonnement dans le monde est parfaitement légitime ; (4) La Défense, peut-être plus que tout autre secteur, est au coeur de ces problématiques. La protection des intérêts stratégiques fait partie de ses missions. L'étude de la façon dont nous abordons la question permet donc de bien mesurer les enjeux.
Défendre nos intérêts stratégiques c'est d'abord maîtriser les dépendances.
Il est exclu que nous soyons obligés de limiter notre mission de défense parce que nous ne pourrions disposer de certains composants à un moment crucial.
Il est de même impossible que nous soyons dans l'impossibilité de satisfaire une production nationale d'armement parce que nous serions soumis au bon vouloir d'un fournisseur étranger.
Avoir une ambition économique crédible et durable implique de connaître les risques de dépendances de notre industrie, particulièrement dans les secteurs sensibles.
Notre capacité à disposer de matériels stratégiques, à exporter, voire à mener les programmes innovants du futur, en dépend.
Les enjeux de l'indépendance stratégique font l'objet d'une prise de conscience nouvelle en France. Il faut s'en réjouir.
Maîtriser les dépendances, ce n'est pas nier la nécessité et l'intérêt des relations commerciales, notamment transatlantiques.
C'est s'appuyer sur nos points d'excellence, qui sont nombreux, les développer et combler les points faibles qui risqueraient de remettre en cause notre capacité à maîtriser des grands systèmes de défense.
Dans ces domaines à entretenir et à développer, je pense notamment aux avions de combat, aux technologies spatiales, au domaine des communications sécurisées.
L'Etat doit savoir préparer le long terme
Notre préoccupation ne peut être à court terme dans ce domaine.
C'est pourquoi le devenir capitalistique des entreprises sensibles entre dans le périmètre de notre observation.
Permettez-moi ici de souligner le handicap que rencontrent nos entreprises du fait des a priori idéologiques à la mise en uvre des fonds de pension. Notre économie en paie un coût important qu'il faut reconnaître.
Dans un contexte maîtrisé, les investissements étrangers ont toute leur place dans le développement économique français.
Il s'agit de ne pas les décourager, tout en assurant leur juste maîtrise.
Pour cela, notre action doit être lisible et proportionnée.
Dès mon arrivée, j'ai mobilisé les acteurs de la Défense ceux de l'action et ceux de la réflexion (Conseil Economique de défense, Conseil Scientifique de Défense, Financière de Brienne) sur cette question des dépendances et sur la maîtrise des investissements étrangers.
Le CED m'a rapidement fait des propositions.
J'ai également sensibilisé très tôt les industriels, dans leurs acquisitions et leurs sous-traitances.
Si notre objectif ne peut raisonnablement pas être l'autonomie " à tout prix et partout ", nous devons néanmoins nous appuyer sur une politique industrielle volontariste.
Nous devons encourager une mobilisation cohérente de tous les acteurs, à tous les niveaux de l'action publique.
Il faut pour cela distinguer trois étapes importantes.
1 - " Identifier " :
Nous devons identifier les entreprises stratégiques grâce à une meilleure coordination.
Toute entreprise, même la plus petite, est immanquablement, à un moment de son existence, au contact d'OSEO anvar, de la DRIRE, de la DGA ou de la Caisse des dépôts et consignations : toutes accompagnent, à un titre ou un autre, le développement de la " jeune entreprise ".
Il faut donc mettre tous ces acteurs publics en réseau. C'est ainsi que nous diffuserons une culture de l'intelligence économique.
2 - " Sélectionner " les vrais dossiers stratégiques :
Ce ne sont pas toujours les plus gros ; ce sont souvent même les moins visibles.
Il s'agit de savoir cibler les " vrais " sujets et de rejeter toute manipulation par des intérêts privés : je serai intraitable sur ce point.
3 - " Agir ", bien sûr :
Nous devons aussi apprendre à travailler à la vitesse du monde des affaires, c'est-à-dire vite.
Nous ne pouvons pas nous permettre de créer une nouvelle bureaucratie qui empêcherait la marche normale de l'industrie.
J'ai demandé ce professionnalisme à mes services. Ils en ont fait la démonstration sur plusieurs dossiers, même s'il faut toujours s'améliorer.
Il est illusoire de tout faire reposer sur la contrainte et l'encadrement règlementaire. Il faut disposer d'une " boîte à outils ", d'une panoplie de réponses graduées et proportionnées, en fonction des besoins et des circonstances.
- Avant tout, cela suppose que les pouvoirs publics sachent créer un environnement favorable.
C'est notamment ce que je veux faire avec l'accompagnement financier de la R T.
C'est pour moi une priorité qui m'a amenée à décider la sanctuarisation des études-amont.
Plus généralement, c'est aussi l'ambition des pôles de compétitivité et vous savez toute la place qu'y prend la défense.
- La législation sur les investissements étrangers :
Elle doit être lisible et conforme à nos engagements européens. C'est le sens de la réforme en cours.
Pour la Défense, elle s'appuie sur l'article 296 qui reconnaît dans le traité la spécificité stratégique du secteur de la défense.
- La seule contrainte ne suffit pas à trouver des solutions économiques pour le développement des entreprises stratégiques.
Des fonds d'investissements de confiance doivent permettre d'apporter une réponse économique et financière aux dossiers les plus délicats.
La Défense est mobilisée sur le sujet depuis plusieurs mois.
Pour nous, il s'agit de concilier action ciblée et logique économique.
Un dispositif se construit autour de la CDC et la Financière de Brienne avec l'expertise de la DGA.
Il s'agit de pouvoir, aux moments critiques, accompagner le développement des " jeunes entreprises ".
Le problème n'est pas tant les outils spécifiques dont nous disposons que le déficit de capacités d'investissement à long terme dans le capital des entreprises françaises.
Il devient indispensable d'orienter l'épargne des Français vers le long terme et l'investissement dans les entreprises.
Beaucoup a déjà été fait.
Nous devrions nous poser la question de savoir si les avantages fiscaux accordés dans ce cadre ne devraient pas être orientés, au moins en partie, vers les PME-PMI et les entreprises non cotées, ainsi que vers les entreprises européennes.
Il va de soi que ces dispositifs ne sauraient être réservés aux seules entreprises françaises.
Notre mobilisation doit résolument s'inscrire dans une perspective européenne, au service d'une ambition en matière économique et industrielle.
Ce message, je l'adresse également à nos amis américains.
Notre intention n'est pas d'élever des murailles autour de l'Europe.
Pour autant, nous tenons à rester maître de notre destin et pouvoir ainsi demander un traitement égal au plan commercial et industriel.
L'horizon de notre action doit être résolument européen.
Je souhaite à cet égard faire passer un message à tous les décideurs, industriels et politiques.
Si je me réjouis d'une prise de conscience des enjeux stratégiques par un nombre croissant de pays partenaires, il faut continuer à lutter contre toute dérive protectionniste.
Je ne pourrais me satisfaire d'une Europe où chaque pays utiliserait es dispositifs de contrôle contre leurs voisins, au lieu de construire ensemble une Europe forte.
C'est vrai dans le domaine de la Défense, comme dans les autres secteurs de l'économie.
Dans notre mobilisation, nous devons éviter toute tentation régressive et garder à l'esprit la nécessité de construire une industrie européenne forte.
Nous devons d'un côté, permettre le jeu équitable et normal de la concurrence entre les industries européennes ; de l'autre, reconnaître la spécificité de certains secteurs essentiels à notre sécurité.
Plus généralement, il nous faut permettre à l'Europe de construire sa propre politique industrielle dans une perspective de long terme.
Encore une fois, ce n'est pas une vision frileuse et protectionniste niant les réalités économiques.
C'est bien plutôt une ambition pour l'Europe.
Notre action en matière d'intelligence économique n'a de sens que si elle s'inscrit dans une politique industrielle rénovée, qui vise à conforter l'excellence technologique et la compétitivité de notre industrie.
J'ai voulu pour la Défense les moyens d'une véritable politique industrielle et d'un rôle stratégique au coeur de l'Etat.
J'ai ainsi confié une feuille de route à la DGA autour du concept d'autonomie compétitive.
J'ai fait de la relance de l'effort de recherche une priorité.
Forte de ces actions, la Défense assume aujourd'hui une part déterminante de la nouvelle politique industrielle lancée par le gouvernement.
Elle est impliquée dans l'Agence nationale de la recherche et représentée au plus haut niveau dans l'Agence de l'innovation industrielle.
Elle est intéressée par près de la moitié des plus grands pôles de compétitivité, dans lesquels elle jouera un rôle essentiel : par ses crédits d'études-amont, par ses partenariats avec OSEO anvar et le CNRS, par ses établissements de la DGA, ses centres de recherche, ses écoles.
Le patriotisme économique que j'appelle de mes voeux et pour lequel je me mobilise correspond à une ambition positive et européenne.
Ce doit être une véritable stratégie de long terme, l'expression d'une politique et non pas des réponses au cas par cas.
Nous devons pouvoir, nous devons savoir défendre nos intérêts, avec souplesse, efficacité et sans aucune fausse honte.
J'assume entièrement cette responsabilité.
Elle est l'expression de l'ambition que j'ai pour l'Europe et pour la France.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 11 octobre 2005)