Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
L'augmentation du nombre de personnes âgées dans notre pays comme la longévité croissante de la population sont en soi une bonne chose. Il convient de s'en féliciter car c'est un signe des progrès accomplis, tant au plan médical qu'en matière sociale.
Mais ces progrès posent aujourd'hui de façon de plus en plus insistante la question de la place de nos anciens dans notre société, du rôle qu'ils jouent au sein de leur famille et dans la Cité.
Le drame que nous avons vécu cet été avec la canicule a mis tristement en lumière l'acuité de cette question et l'urgence de changer notre regard et notre action envers les personnes âgées.
Depuis quarante ans, les politiques publiques ont mis la priorité sur le vieillissement physiologique des personnes. La durée de vie a beaucoup augmenté. Mais qu'en est-il de la qualité de vie ? La longévité accrue s'accompagne, en effet, d'interrogations nouvelles, qui se font de plus en plus pressantes :
- Vivre plus longtemps mais pour vivre quoi ?
- Se soigner pour continuer à vivre quelle vie ?
- Est-il possible de vivre quand on n'a plus ni place ni rôle dans la société ?
J'ai été frappé, lors de mes visites dans les établissements ou à domicile par les remarques fréquentes de personnes très âgées, pourtant bien soignées et bien traitées, et qui me disent : "à quoi je sers ? quelle est ma place ? Quel est mon rôle ?"
Cette perte des rôles, ce sentiment d'inutilité génèrent souvent une profonde détresse personnelle : c'est un drame, un drame caché derrière les murs des institutions gérontologiques ou isolé dans un domicile sans visite, un drame à l'abri du regard de la plus grande partie de nos concitoyens, c'est le drame de la mort sociale, hélas bien antérieur à la mort biologique.
Il est devenu indispensable de répondre à cette situation si difficile pour la personne et si néfaste pour notre société, car aucune collectivité ne peut se développer avec des catégories entières abandonnées sans place et sans rôle. C'est pourquoi ma volonté d'améliorer la qualité de vie des personnes âgées me conduit à agir pour maintenir et réactiver leurs rôles. Il en va de leur dignité.
Au cours des vingt dernières années, des programmes d'animation et de vie sociale se sont développés dans les institutions pour personnes âgées et, depuis peu, des expériences sont menées en direction de celles qui demeurent à domicile.
D'abord conçue et pratiquée comme une succession d'activités destinées à lutter contre l'ennui, voire à participer à la rééducation, l'animation en gérontologie s'oriente aujourd'hui vers des réponses qui recherchent l'intégration des personnes et leur participation à la vie sociale. Elle ne peut plus être conçue à partir de modèles généraux plaqués uniformément ; elle doit se construire sur les attentes individuelles, à partir des aspirations de chacun.
Néanmoins, l'inquiétude demeure dans de nombreuses institutions, chez de nombreux responsables et dans de nombreuses équipes : comment concilier la vie et les soins ? comment redonner du sens dans les structures et services pour personnes âgées ?
Afin de préparer les orientations que je souhaitais fixer dans le secteur de la vie sociale et socio-culturelle, j'ai souhaité avoir un regard professionnel sur ce qui se fait aujourd'hui, sur les évolutions en cours et sur les réformes envisageables. C'est pourquoi j'ai confié une mission sur l'ensemble de ces questions à Monsieur Bernard HERVY, fondateur du Groupement des Animateurs en Gérontologie.
J'ai souhaité que cette mission recueille les réflexions, les attentes et les propositions de l'ensemble des acteurs de terrain concernés, que ce soit les directeurs d'établissement, les animateurs ou les soignants, que je remercie chaleureusement pour leur collaboration fructueuse.
Le rapport qui m'a été remis procède à une description très complète de ce qui existe actuellement en animation pour les personnes âgées. Il s'est appuyé, pour cela, sur les nombreuses études existantes ainsi que sur une enquête, effectuée à l'aide d'un questionnaire diffusé par mon cabinet aux 10 000 établissements, structures et services en charge de nos aînés dans notre pays.
L'ampleur des réponses, près de 3 000, a confirmé la pertinence de cette mission et l'importance des attentes dans le domaine de l'animation.
En outre, 460 personnes ont été auditionnées. Ce questionnaire et ses auditions ont permis de prendre très précisément en compte les réalités de terrain.
Ce rapport montre que la réussite d'une politique d'animation gérontologique dépend de plusieurs éléments :
- les projets doivent être clairs, bien structurés et respectueux des choix des personnes ;
- leur réussite dépend de l'engagement et de l'implication des directeurs d'établissement, auxquels, je le sais, on demande déjà beaucoup ;
- enfin, la compétence des intervenants est déterminante pour la qualité des prestations offertes aux personnes âgées.
Pour favoriser l'éclosion et la réussite de tels projets, le rapport formule des propositions réalistes et pertinentes.
Elles portent sur la pratique d'animation, la professionnalisation des intervenants et l'amélioration des moyens de fonctionnement.
Je ne détaillerai pas toutes les propositions du rapport. Permettez-moi seulement d'insister sur trois d'entre elles, auxquelles je suis particulièrement attaché et que je souhaite mettre en uvre :
- La première consiste à construire pour chaque personne âgée un projet individuel. A cet effet, un guide de bonnes pratiques sera élaboré afin d'aider les intervenants à concevoir des projets adaptés à chacun.
- La seconde proposition a trait aux compétences professionnelles des intervenants :
Elle recommande la création d'un brevet professionnel " personnes âgées " reconnu dans tous les secteurs de la gérontologie. Je sais que cette mesure est très attendue par les professionnels et les responsables institutionnels. C'est pourquoi je m'engage à traduire très rapidement cette proposition dans le cadre d'une réflexion interministérielle sur le sujet.
L'objet de votre colloque, l'élaboration d'une chartre de l'animation en gérontologie, permettra, en outre, d'améliorer les performances des animateurs et de fixer un code de déontologie.
- Enfin, la dernière proposition vise à instaurer un budget spécifique dédié à l'animation.
Le financement de celle-ci pourrait être garanti en assurant tout ou partie de sa prise en charge sur le volet dépendance de la tarification. Je souhaite avancer dans cette direction. C'est pourquoi cette proposition sera travaillée dans le cadre du plan de réforme de solidarité pour la dépendance.
Ces propositions, tout comme l'objet de votre colloque, sont guidés par un seul souci : celui de la dignité de nos personnes âgées, qui appelle une politique d'animation ambitieuse. Je m'y suis résolument engagé afin d'offrir à nos aînés une vie sociale plus riche, répondant davantage à leurs aspirations.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.social.gouv.fr, le 26 mars 2004)