Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur la politique de l'emploi et la situation économique et sociale, la négociation sociale et les évolutions sur les salaires, Paris le 6 juin 2005.

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Circonstance : Entrevue avec M. Dominique de Villepin, Premier ministre à Paris le 6 juin 2005

Texte intégral

Un contexte exceptionnel de défiance
Nous nous rencontrons dans un contexte exceptionnel et peut-être même extra ordinaire. Jamais, sans doute, notre pays ne s'est trouvé en pareille situation.
Un nouveau gouvernement vient d'être mis en place, vous en avez la charge. L'environnement est celui laissé par votre prédécesseur qui, c'est le moins que l'on puisse dire, a suscité de très vives critiques.
Celles-ci ont concernées tout autant la méthode de gouvernement et le peu de cas fait à la négociation que le contenu libéral des réformes.
Ce qui a jusqu'à présent prévalu ce sont des méthodes autoritaires pour des réformes unilatérales et inégalitaires sur, par exemple :
La retraite
La sécurité sociale
les licenciements économiques
le temps de travail : remise en cause des 35h, journée de travail gratuit, réduction de la rémunération des heures supplémentaires comme illustration sans doute du slogan de celui qui allait devenir le président de l'UMP " travailler plus pour gagner plus ".
En fait, malgré l'engagement verbal du gouvernement de ne rien modifier sans négociation, c'est l'inverse qui s'est produit dans les faits. J'ajoute qu'à chaque fois, les gouvernements de M. RAFFARIN ont estimé qu'il suffisait d'obtenir le soutien ou la complaisance de quelques interlocuteurs syndicaux pour asseoir les réformes.
Notre exigence est donc claire et ferme : il faut rompre avec ces méthodes !
Rompre avec les méthodes et les réformes mises en uvre par votre prédécesseur
La rencontre d'aujourd'hui, positive sur son principe, ne pourra, à elle seule, suffire à établir de réelles relations sociales, tant s'est creusé le fossé entre les attentes des salariés et les réponses du gouvernement et du Medef.
Depuis de longues années, les gouvernements ont délibérément ignoré ce que les salariés et leurs syndicats avaient à dire et qui relevait de leur expertise spécifique, pour privilégier systématiquement les sujets déterminés par la partie patronale - et singulièrement par le MEDEF - comme source d'inspiration de la politique gouvernementale.
A chaque fois que l'on a souhaité discuter d'un certain nombre de choix structurants pour l'avenir, soit l'on a eu des promesses de rencontre qui n'ont pas été suivies d'effet, soit nos demandes sont restées lettres mortes.
Cela a été le cas sur :
- les délocalisations
- la précarité de l'emploi (en intégrant les dimensions donneurs d'ordre, sous-traitants)
- la politique industrielle (objet de la manifestation de 7 fédérations CGT, jeudi 9 juin)
Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant que le scepticisme, voire la défiance, l'emporte avant votre discours de politique générale.
Les salariés, la CGT exigent de votre gouvernement des actes concrets illustrant un réel changement d'orientation et non de nouvelles promesses. Vous parlez de ruptures, ce qui nous convient, mais encore faut-il en préciser explicitement le sens. Ainsi, le président de l'UMP, membre de votre gouvernement, a lui aussi appelé à une rupture mais en des termes qui suggèrent des réponses à l'opposé des attentes explicitement exprimées par les salariés notamment lors du référendum du 29 mai.
A entendre une musique de fond qui se propage, laissant entendre que c'est le droit social, le code du travail qui seraient responsables de tous les maux, il est de notre responsabilité de vous dire que, dans l'hypothèse où cette approche deviendrait la feuille de route du gouvernement, alors nous irions immanquablement vers des tensions, très rapidement et de façon importante.
J'insiste particulièrement parce que je ne crois pas au hasard des déclarations spontanées et redondantes dans cette phase charnière.
Les attaques du MEDEF sont insupportables mais hélas classiques : une candidate à la présidence du Medef, Mme Laurence PARISOT n'a pas hésité à déclarer en forme de programme que " la liberté de pensée s'arrête là où commence le Code du travail ".
Mais il y a aussi de nombreuses déclarations au sein de la majorité parlementaire allant dans ce sens : le président de la commission des affaires économiques, celui des finances, le président de l'Assemblée Nationale ou les nouveaux membres du gouvernement s'y mettent.
Le gouvernement n'a aucune chance de convaincre et d'être compris sur ce terrain.
Le code du travail n'est en rien responsable de ces plaies sociales que sont la précarité, la flexibilité des emplois et du marché du travail.
Nous ne sommes pas destinés, en tant que représentants syndicaux, à devenir des pompiers du social. C'est pourquoi, soyez assuré que nous nous opposerons à toute mesure de régression sociale.
Ce qu'il faut changer, ce n'est pas le code du travail et les quelques protections dont disposent les salariés mais la politique sociale dans notre pays.
Des actes pour répondre aux exigences des salariés
Pour la CGT il y a, aujourd'hui, un besoin urgent d'une relance économique par l'emploi, l'augmentation du pouvoir d'achat et la formation.
Ceci doit donner lieu à une série de concertations et de négociations qui sont une autre ambition qu'un supposé pacte social.
Nous demandons immédiatement :
* La tenue d'une négociation sociale avant l'été, c'est à dire avant que ne soient prises des décisions structurantes pour 2006 concernant le budget, le projet de loi de finances de la sécurité sociale (politique fiscale d'investissement, services publics, recherche, éducation..)
* L'engagement d'une négociation spécifique pour une convention tripartite Etat / ANPE/ UNEDIC concernant l'emploi.
Sur l'ensemble de ces sujets la CGT, forte des exigences des salariés, avancera ses revendications et propositions.
Parallèlement, des rendez-vous déjà programmés doivent faire la démonstration concrète qu'une réelle rupture sociale est engagée.
Ainsi :
La réunion du 10 juin sur les salaires (conséquence de la mobilisation du 10 mars) doit déboucher sur :
Une évolution des salaires dans les branches
Une revalorisation substantielle du SMIC au 1er juillet.
Une augmentation du pouvoir d'achat des retraités.
La négociation sur la pénibilité du travail le 21 juin, découlant des dispositions législatives, doit déboucher positivement pour les salariés, après deux ans de blocage patronal.
La négociation sur l'emploi des seniors, le 24 juin, doit s'engager sur de nouvelles bases et le projet de mise en place d'emplois " vieux " doit être retiré.
Faut-il préciser que, dans ce contexte, une modification du droit de grève dans les transports serait vécue comme une volonté d'affrontement.
Nous sommes naturellement curieux de connaître vos orientations.
En réaction, le Premier Ministre n'a rien dévoilé de la politique générale qu'il doit présenter devant le Parlement mercredi 8 juin à 15 heures.
La CGT s'exprimera donc une nouvelle fois, mercredi soir à l'issue de cette intervention, pour livrer ses réactions.
(Source : http://cgt-museum.fastorama.com, le 6 juillet 2005)