Interview de M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, sur "Europe 1" le 30 août 2005, sur une éventuelle suppression de lignes ferroviaires régionales, sur la privatisation des autoroutes, sur la possibilité de limiter la vitesse sur les autoroutes pour favoriser les économie d'energies, sur l'insécurité de certaines compagnies aériennes.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- De vous, les Français attendent des réponses claires sur les avions, les autoroutes, les vitesses sur les routes et les trains, ce que l'Etat est prêt à faire ou à laisser faire à propos des services publics des transports et de la sécurité, ses engagements. Les présidents
socialistes de région sont convaincus que des lignes sur le réseau de trains Corail interrégional seront bientôt fermées. Réponse : oui ou non ?
R- Réponse : non. J'ai reçu à cette fin, vendredi dernier, le président de la SNCF et les choses ont été clairement dites. Je ne veux pas que des lignes soient purement et simplement supprimées. Ce qui est indispensable, c'est d'adapter les horaires, d'adapter éventuellement les fréquences, parce que certains trains sont presque vides et coûtent très cher à la SNCF. Mais il faut le faire dans la concertation. J'ai donc demandé au président de la SNCF de revoir les présidents de région. Pourquoi les présidents de région ? Parce qu'ils ont la responsabilité des trains régionaux à l'intérieur de la région. Et donc si l'on veut une bonne coordination entre les trains qui traversent la France et les trains qui desservent une seule région, il faut évidemment discuter avec eux. Je voudrais d'ailleurs, à l'occasion de cette émission ce matin, dire en direction des présidents de région qu'il n'est pas question pour le Gouvernement d'ouvrir un nouveau dossier de décentralisation et de donner aux régions la responsabilité des trains interrégionaux. Ce dossier n'est absolument pas à l'ordre du jour. Je pense que ça les rassurera... Mais il faut faire ce travail d'amélioration...
Q- Mais pourquoi ne les voyez-vous pas et ne leur dites-vous pas en face ? Et en même temps, ce que les régions doivent prendre à leur charge ?
R- Il faut que les choses soient faites de façon efficace. Donc le président de la SNCF va les voir pour discuter des modalités techniques. Et, bien entendu, je recevrai les représentants des présidents de région avant la fin du mois. Je le ferai avec C. Estrosi, qui est ministre de l'Aménagement du territoire, pour que nous puissions parler de tout cela, j'espère dans la sérénité. Le but est que les trains soient utiles, qu'il y ait des usagers dedans et puis, que ce ne soit pas trop lourd pour la SNCF.
Q- Vous dites aujourd'hui que vous n'avez pas autorisé L. Gallois, que l'on ne ferme pas des lignes, mais que l'on réduit les dessertes et la circulation... Cela revient peut-être...
R- Ah non, pas du tout, cela ne revient pas du tout au même ! Il faut toutde même faire un peu des économies, parce que qui paie ? C'est le contribuable. Il n'y a pas de secret, il n'y a pas une grande caisse dans laquelle on pioche...
Q- S'il y a des dépenses supplémentaires, qui paie ? L'Etat, les régions, qui ?
R- Pas les régions. La SNCF, dans le cadre de sa péréquation, entre ce qui gagne de l'argent et ce qui n'en gagne pas. Et pour cela, il faut être raisonnable. Mais mon but est vraiment de penser aux usagers, de faire en sorte que le train soit accessible et qu'on puisse le plus possible utiliser la voie ferrée plutôt que la voiture.
Q- Les présidents de région, Dont A. Rousset, S. Royal ou M. Valmy, estiment que le service public n'a pas à être rentable ou profitable, sinon c'est de la braderie...
R- Il y a une limite à ce type d'affirmation et je crois qu'il faut tout de même être un petit peu raisonnable, parce que de toute façon, il y a quelqu'un qui paie. Si c'est pas celui qui achète le billet, c'est celui qui paie les impôts...
Q- Mais si ces lignes sont rentables, pourquoi les réduire ? Si elles ne le sont pas, le courage n'est-il pas de les supprimer ?
R- Je peux vous dire que si elles sont rentables, il est évidemment hors de question de les réduire. Et si il s'agit de lignes non rentables, il faut essayer d'améliorer le service, d'adapter les horaires, de se poser la question de savoir pourquoi est-ce qu'il n'y a pas suffisamment de gens dans le train, essayer d'améliorer les choses, de bien coordonner avec les trains régionaux... D'où la nécessité de cette discussion avec les présidents de région. Et j'espère qu'on va arriver à un résultat gagnant gagnant. Gagnant pour l'usager et aussi gagnant pour la SNCF...
Q- Pour les autoroutes, c'est l'heure où l'Etat vend les trois sociétés d'autoroute à des investisseurs industriels français ou étrangers, pour des concessions de 23 à 27 ans. Ce matin, combien de candidats y a-t-il ?
R- Un peu moins d'une vingtaine de candidats, très variés, à la fois des groupes financiers mais aussi des groupes gestionnaires d'infrastructures au niveau européen, des Français et des étrangers. Je crois que cela montre que ce projet de vente des actions de l'Etat dans les sociétés concessionnaires d'autoroute intéresse...
Q- Combien cela rapportera-t-il et pour quel usage ?
R- On a pas encore fait le résultat parce que, où est-ce qu'on en est, comment ça se passe ? Un, on vient d'avoir des propositions. Ces propositions demandent à être étudiées de façon précise, par un certain nombre de techniciens, de financiers. Ensuite, il y aura des discussions avec ces groupes. Et ensuite seulement, une décision prise par le Gouvernement, sous le contrôle d'une personnalité indépendante...
Q- Mais ce qui est choquant, c'est que tout cela se fait en catimini, entre vous, même s'il y a une personnalité indépendante... mais nommée par vous !
R- Tout sera complètement transparent, mais cela nécessite bien sur un certain nombre de discussions techniques. Alors, la question, c'est pourquoi le faisons-nous ? Eh bien, on le fait pour deux raisons. La première, c'est parce qu'il est urgent de participer au désendettement de la France. Et deuxièmement, parce qu'il est urgent d'augmenter notre capacité à construire des infrastructures, c'est-à-dire à construire des voies ferrées, des TGV, à construire des routes, à améliorer les infrastructures...
Q- Mais qu'est-ce qui garantit que les sommes récoltées serviront à financer des travaux d'utilité publique ?
R- On le verra bien dans le budget. C'est une décision formelle du Premier ministre. On le verra dès le budget 2006, où les crédits dont je vais disposer vont augmenter de plus de 30 %.
Q- Le Gouvernement a dit, probablement pour faire monter les enchères entre les 15 ou les 18 dont vous parlez, qu'il y aura un "concours de beauté". C'est-à-dire ? Qui sont les juges experts en beauté ?
R- Ce sont à la fois les services du ministère de l'Economie et des Finances et ministère des Transports, et ce seront les ministres. Alors, "concours de beauté", je ne sais pas si c'est la bonne formule. En tous cas, ce que nous voulons, c'est que ce soient des sociétés solides, capables de gérer ce type d'infrastructures et ayant un vrai projet industriel. J'ajoute, c'est important pour nos auditeurs, que la vente des actions de l'Etat dans les sociétés qui gèrent les autoroutes, ne change rien pour l'usager, puisque le prix du péage est fixé par les conventions de concessions qui existent déjà, qui ne seront pas modifiées par la vente de ces actions. Et enfin, je crois que c'est important aussi de la savoir, lorsque les concessions seront terminées, c'est-à-dire dans 23 à 27 ans - la durée ne change pas -, les autoroutes redeviendront la propriété de l'Etat.
Q- Et dans quel état devront-elles être remises à l'Etat ?
R- Elles devront être en parfait été, c'est prévu dans les conventions et je peux vous dire que c'est contrôlé par la direction générale des routes.
Q- Est-ce que les trois sociétés seront vendues de manière concomitante, c'est-à-dire en même temps ?
R- Pas nécessairement. Certains dossiers peuvent être mûrs plus vite que d'autres, donc pas nécessairement. Ce que nous souhaitons avec T. Breton, c'est que cette opération soit terminée avant la fin de l'année 2005, mais il n'est pas indispensable que les trois le soient en même temps.
Q- Et si le plus beau, le plus offrant du concours de beauté est un Italien, un Espagnol ou un Anglais, il remporte la concession de nos autoroutes ?
R- Ecoutez, pour l'instant, c'est prématuré de le dire...
Q- Est-ce qu'un étranger peut y avoir accès et avoir la concession des autoroutes ?
R- Rien ne l'empêche juridiquement...
Q- D. de Villepin a promis d'informer le Parlement. Est-ce après le choix et après
la décision ?
R- Non, l'information se fera dès que le Parlement sera réuni. La question qui se pose, qui a été posée par certains, c'est de savoir si on avait le droit de vendre ces actions sans une autorisation explicite du Parlement. L'interprétation que fait le Gouvernement de la loi sur les privations, c'est que la réponse est oui. D'autres pensent que c'est non, mais bien entendu le Parlement sera associé, informé à cette politique.
Q- Samedi, le Gouvernement, avez-vous dit, réfléchit à une nouvelle limitation de la vitesse sur autoroute, à 115 km/h. Quand le Gouvernement réfléchit, je suppose que c'est pour décider. Alors, ne prenez pas de gant ce matin : la décision est-elle prise ? Est-elle pour bientôt ?
R- Non, la décision n'est absolument pas prise. Il faut prendre la mesure des enjeux de la situation dans laquelle nous sommes...
Q- Vous savez que ça a provoqué un tollé partout, chez les socialistes...
R- On en parle beaucoup, oui, j'ai vu cela. Il faut aussi se poser les vraies questions. Les vraies questions, quelles sont-elles ? C'est que nous sommes rentrés dans une société économique de pétrole cher et cela aura des conséquences sur l'emploi et sur la vie quotidienne...
Q- D'autant plus que cela va durer...
R- D'autant plus que cela va durer et d'autant plus qu'à terme, on va vers une société plutôt sans pétrole, puisque l'on sait qu'un jour, il n'y en aura plus...
Q- Donc, j'achète un vélo Solex ?
R- Cela ne peut pas vous faire de mal d'acheter un vélo, à tous points de vue...
Q- Il y a le paradoxe. Les constructeurs proposent des voitures de plus en plus rapides et cher, les gouvernements deviennent les rois des freins !
R- Je veux revenir aux enjeux. Les enjeux, c'est de mettre en place un vrai programme d'économie d'énergie, d'économie de pétrole et un vrai programme de développement d'économie alternative. Alors, bien sûr, cela passe, cela passera nécessairement par une certaine modification de nos habitudes et de nos comportements. Pour autant, je sais que le Premier ministre est conscient à la fois de la nécessité de l'action mais aussi de la nécessité d'écouter les Français. Je sais qu'il est conscient de faire des propositions qui rassemblent les gens...
Q- 115 km/h, est-ce une idée qui peut demeurer ?
R- Depuis le début, je n'ai parlé d'ailleurs que de réflexion. Je pense que c'est un objet de réflexion. Il appartiendra au Premier ministre de voir quel est l'ensemble des propositions qui lui sont faites...
Q- D'accord, mais votre proposition à vous, c'est 115 km/h... Et d'ailleurs, pourquoi pas 110, 105, 100 ?
R- Je vous ai fait part des différents éléments de ma réflexion. J'en ferais part au Premier ministre et il tranchera...
Q- Et s'il y a une mesure de cette nature, est-ce qu'elle sera facultative ou obligatoire ? Votre préférence ? Vous me direz que "le Premier ministre va trancher dans sa grande sagesse", mais c'est facultatif R- ou obligatoire ?
R- Je crois que ça fait partie de la mesure de savoir si elle sera ou non facultative ou obligatoire. Et je crois que ce matin, c'est tout à fait prématuré pour moi de le dire de manière explicite. Je vous ai dit tout à l'heure qu'il fallait être conscient de la difficulté, de la sensibilité des Français à tout ce qui est contrainte.
Q- Vous avez vu la réaction de la presse et, en plus, de votre ami F. Bayrou, qui ne rate aucune occasion d'ironiser. Il dit que voilà maintenant la "vitesse flottante" et il pose la question : si le prix du baril double, est-ce que vous allez limiter la vitesse à 60 km/h ?
R- Oui, vous savez, quand on est décidément hors de l'action, hors de la responsabilité, c'est toujours facile d'ironiser. Ce que j'observe sur le plan politique, c'est que F. Bayrou engage l'UDF dans une impasse politique, une espèce d'attitude de spectateur critique. Et je le regrette, parce personnellement, je souhaiterais beaucoup que les centristes soient des acteurs actifs et constructifs au sein de la majorité, en particulier à une époque où nous avons à reconstruire une politique ambitieuse de construction de l'Europe. Et je regrette cette attitude systématique et je dirais immobiliste de F. Bayrou...
Q- Sur l'insécurité aérienne : la liste noire des cinq compagnies interdites en France a été publiée sur votre site Internet. Le Figaro en a calculé 37 dans le monde. Qui croire ?
R- D'abord, il faut croire que les cinq françaises sont interdites par l'administration française. L'administration française ne peut pas publier une liste de sociétés qu'elle n'a pas contrôlées. Il faut rester raisonnable. Les uns ou les autres peuvent dire qu'il y a des sociétés dangereuses par ailleurs, c'est possible. La France montre l'exemple. J'ai demandé la publication de cette liste...
Q- Mais est-ce 37 ou cinq ?!
R- Celles que nous connaissons, c'est cinq. On ne peut pas publier, quand on est un Etat responsable, des listes sur des compagnies qu'on a pas été amené à contrôler.
Q- Combien y a-t-il de compagnies dans le monde ?
R- Pour vous donner un ordre de grandeur, il y a 280 compagnies qui touchent le territoire français...
Q- Donc, il n'y en a que cinq qui sont dangereuses ?
R- Sur ces 280 qui ont été interdites...
Q- Mais est-ce que les autres compagnies qui ne sont pas contrôlées sont pour autant sûres ?
R- Nous les contrôlons. Encore ce week-end, nous avons immobilisé une compagnie pendant 24 heures. Donc si cette compagnie, de nouveau, nous pose des soucis, à ce moment-là, on peut en arriver à l'interdiction. Autre point très important pour la sécurité des gens qui voyagent, j'ai proposé une autre mesure qui me paraît extrêmement importante : c'est la transparence totale. Lorsque vous achèterez un voyage, lorsque vous achèterez un séjour, ce sera une obligation que je vais fixer par décret d'ici la fin de l'année, le voyagiste devra vous dire sur quelle compagnie vous allez voler...
Q- Mais quelle compagnie ? Paris-Afrique, Paris-Amérique Latine ?
R- Y compris les vols suivants, s'il veut passer d'une île à une autre ou aller d'une ville à une autre, il faudra que l'information soit complète.
Q- Avant les fêtes de fin d'année ?
R- Troisièmement, vis-à-vis de l'Europe et de l'international, la France a montré l'exemple. Jeudi, j'annonce la publication par la France de sa liste noire. Depuis, la Suisse et la Belgique ont pris la même décision et, ce week-end à Bucarest, le directeur général de l'aviation civile a obtenu de ses 40 collègues européens que l'ensemble de la conférence européenne aille dans la même direction que ce souhaitait la France. Donc nous montrons le chemin, nous avons,de ce point de vue, une réputation positive au niveau international. Et je pense que nous allons
vraiment faire bouger les choses...
Q- Est-ce que vous dites ce matin, pour répondre d'ailleurs à ce que disait J. Barrot qui est à Bruxelles, que les pays de l'Union européenne publieront un jour, non pas à tour de rôle leur liste noire, mais qu'il y ait la même grande liste noire commune de toute l'Europe ?
R- Je le souhaite ardemment, je le défends depuis que je suis ministre des Transports. Je sais que J. Barrot a le même objectif. Et en ayant publié la nôtre, qui a déclenché la publication de celle de la Belgique et de la Suisse, nous avons montré le chemin et j'ai bon espoir qu'on y arrive très rapidement.
Q- Il y a eu un mouvement de révolte des passagers en colère, à plusieurs reprises cet été. C'est un mouvement qui se développe. Est-ce que vous les soutenez ou, en tous les cas, est-ce que vous les comprenez ?
R- Oui, je les comprends. Je crois qu'il y a une émotion considérable à la suite des crashs de cet été. Même si c'est difficile à dire, je voudrais rappeler que malgré ces accidents, le transport aérien reste un moyen de transport tout à fait sûr. Et ce que je veux dire, c'est qu'en particulier grâce au travail que fait la Direction générale de l'aviation civile française, s'agissant des compagnies que nous contrôlons, je pense que les passagers peuvent avoir confiance.
Q- Cette direction va continuer à multiplier, à développer les contrôles ?
R- Elle va continuer à les multiplier, elle va les améliorer. Je vais renforcer ses moyens et nous allons ainsi pouvoir apporter une plus grande sécurité encore aux passagers.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 août 2005)