Texte intégral
Alors que la Cgt appelle à une journée d'action, son secrétaire général critique sévèrement les propositions du gouvernement
Pourquoi le contrat nouvelle embauche proposé par le gouvernement Villepin vous fait-il si peur?
Il fait partie de la palette des mesures souhaitées par le Medef pour une plus grande fluidité du marché du travail. Il n'apportera que plus de précarité aux salariés. Le Medef nous a habitués à présenter le droit du travail comme une entrave à la bonne marche des affaires, au développement économique, voire à la croissance de notre pays. Cela ne résiste pas à l'analyse objective: ces dernières années, la précarité a progressé, mais pas la croissance, contrairement à ce que l'on nous avait promis. Le coût ou les rigidités du travail ne sont pas des obstacles pour les petites entreprises; d'ailleurs, ces patrons ne dissimulent pas le fait que ce nouveau contrat sera loin de répondre à leurs attentes. De quoi ont-ils besoin? D'un avenir plus lisible. Alors, traitons plutôt les problèmes de la sous-traitance ou de l'accès au crédit.
Mais ce nouveau contrat ne permettra-il pas justement de licencier plus facilement, en cas de difficultés ?
Mais qui supporte alors le poids de l'incertitude ? Le salarié !
N'est-ce pas déjà le cas ?
C'est déjà souvent le cas, mais en rajouter est-il une réponse susceptible de générer de l'emploi ?
Si le licenciement est plus aisé, l'embauche ne le sera-t-elle pas aussi ?
Ecoutez, 80% des licenciements se font sans plan social et, dans beaucoup d'entreprises, en vingt-quatre heures !
Donc, il n'y a pas de problème de procédure de licenciement ?
Non, ce ne sont pas les quelques protections, insuffisantes à notre avis, dont disposent les salariés au moment d'un licenciement qui sont un frein à l'embauche.
N'y a-t-il pas un problème de coût ?
Ça, c'est autre chose. Nous demandons à tous les gouvernements une réforme des cotisations patronales, pour tenir davantage compte du facteur emploi dans les politiques des entreprises. Il est choquant que les plus petites financent relativement plus le chômage, alors que ce sont surtout les grands groupes qui licencient. C'est injuste. Nous aimerions, par exemple, que les donneurs d'ordre soient redevables des réductions d'effectifs qu'ils provoquent chez leurs sous-traitants.
Rejetez-vous tout assouplissement du Code du travail ?
Ah oui ! D'autant plus que la précarité a joué un rôle important dans le mécontentement social qui s'est exprimé le 29 mai. Les ouvriers, mais aussi les cadres, les managers, sont inquiets pour leur avenir. Ils ne réclament pas un "assouplissement du Code du travail", c'est-à-dire sa mise en pièce, mais au contraire plus de protection et de sécurité d'emploi.
Seriez-vous d'accord pour expérimenter ces mesures, pendant une durée limitée ?
Avec ou sans expérimentation, la question est de savoir si l'on prend le problème par le bon bout ou pas. De notre point de vue, c'est non. Il est impossible d'accepter un nouveau contrat avec une période d'essai de deux ans.
Accepteriez-vous une durée moins longue mais supérieure à celle en vigueur aujourd'hui ?
Dans certains cas, la période d'essai va déjà jusqu'à six mois. Cela me paraît largement suffisant. Rien ne justifie que l'on mette un salarié à l'essai pendant deux ans, sauf s'il s'agit d'une manière déguisée de faciliter l'embauche et le débauchage systématiques. Dans ce cas, c'est un choix politique qu'il faut assumer jusqu'au bout. Mais sans doute le contexte actuel ne le permet-il pas Alors, la majorité a recours à ce biais. Or, dans le même temps, on ne traite pas du tout un thème auquel nous tenons beaucoup, la nouvelle sécurité sociale professionnelle, c'est-à-dire la manière d'éviter que la rupture d'un contrat de travail ne se traduise en chômage ou en exclusion pour le salarié et que la reprise d'emploi se fasse systématiquement à un niveau inférieur à la situation précédente. Le gouvernement veut interrompre plus facilement les contrats de travail sans aucun droit supplémentaire pour les salariés, sauf la promesse d'un accompagnement plus poussé que le patronat fait tout pour éviter! On risque donc de demander à la puissance publique, c'est-à-dire aux citoyens, de répondre à l'insécurité sociale dont les entreprises sont responsables. Celles-ci créeraient des emplois, mais jamais du chômage! Elles veulent le beurre et l'argent du beurre: encaisser les aides de l'Etat, les subventions, les flexibilités supplémentaires en termes de droit, redistribuer avantageusement leurs profits à leurs actionnaires, et laisser l'argent public faire face aux dégâts causés par leurs licenciements.
Vous voulez dire que l'on a accordé trop d'exonérations de charges sociales ?
En dix ans, leur montant a été multiplié par 10 et pourtant le taux de chômage dépasse les 10%, sans compter l'explosion des temps partiels et des CDD. Il est scandaleux que des entreprises florissantes puissent bénéficier de ces aides.
N'ont-elles pas permis de créer des emplois ?
Elles ont surtout tiré les salaires vers le bas, puisqu'elles sont ciblées sur les rémunérations inférieures à 1,6 fois le Smic.
Diriez-vous qu'il existe un modèle social français ?
Pas au sens où ce qui se ferait en France en matière sociale serait irréprochable. On essaie de nous culpabiliser en nous disant que la Cgt s'arc-boute sur le maintien de ce qui existe. Nous sommes les premiers à dire que les droits existants aujourd'hui sont très relatifs. Par exemple, dans les entreprises de moins de 50 salariés, la situation est moins avantageuse, qu'il s'agisse des horaires, des salaires, de la présence syndicale, etc. Et notre système d'indemnisation du chômage - qui ne couvre que 40% des chômeurs - n'a rien d'exemplaire. Et voilà qu'on entonne de nouveau le refrain des abus, en laissant entendre que les chômeurs n'acceptent pas des emplois, qu'ils se complaisent dans leur situation.
Comment expliquer que 400 000 offres ne soient pas satisfaites ?
Vu les conditions sociales d'un certain nombre de secteurs, comme les hôtels-cafés-restaurants, il ne faut pas s'étonner que de jeunes salariés refusent ce genre de postes. Il est vrai que Gérard Larcher, ministre délégué à l'Emploi, a condamné, le 10 juin, la mauvaise conduite des hôtels-cafés-restaurants. Mais il n'y a pas l'esquisse de la moindre attitude contraignante. Pourquoi ne pas conditionner le versement des aides publiques à l'amélioration de la politique salariale? Par ailleurs, on a dévalorisé les filières de formation professionnelle, longtemps présentées comme des voies de garage, et il faut du temps pour remonter la pente.
Le gouvernement reste discret sur la question du pouvoir d'achat
Oui, la seule référence au sujet a été l'annonce de la hausse du Smic de 5,5% au 1er juillet. C'est la troisième fois que l'on nous ressert la même augmentation !
La Cgt manifeste seule le 21 juin. Pourquoi cet isolement ?
Tout le monde n'apprécie pas le contexte de la même manière. Il nous semble que l'insatisfaction sur les questions sociales s'est clairement exprimée lors du scrutin du 29 mai. Ce qui donne aux organisations syndicales une responsabilité particulière. Le gouvernement veut tout boucler avant le 1er septembre. Il y a donc urgence. D'autres confédérations préfèrent laisser du temps au temps.
Mais le gouvernement ne va-t-il pas vous consulter ?
Il aurait fallu créer le cadre pour que chacun présente ses solutions, avec un équilibre entre les souhaits des entreprises et ceux des organisations syndicales. Ce choix n'a pas été fait. Alors, il ne faut pas s'étonner que nous soyons si critiques. Au lieu de raisonner en termes de croissance, de nouvelle dynamique, on se contente de panser quelques plaies avec l'objectif d'afficher des statistiques un peu plus présentables d'ici à 2007. Voilà à peu près vingt ans que tous les gouvernements tiennent grosso modo le même discours. Aussi, à peine prononcé, perd-il de sa pertinence. On parle beaucoup, par exemple, de politique industrielle, mais l'on est incapable d'y mettre un début de contenu.
Une nouvelle agence vient d'être créée
Oui, encore une nouvelle structure! Au-delà du discours, aucun acte particulier ne nous permet de penser que les choses vont être modifiées. Il y a urgence sur certains sujets, comme la remise en question du droit social, mais pas sur d'autres. C'est deux poids, deux mesures.
Propos recueillis par Corinne Lhaïk
Interview reproduite avec l'aimable autorisation de l'Express. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.
(Source http://www.cgt.fr, le 22 juin 2005)
Pourquoi le contrat nouvelle embauche proposé par le gouvernement Villepin vous fait-il si peur?
Il fait partie de la palette des mesures souhaitées par le Medef pour une plus grande fluidité du marché du travail. Il n'apportera que plus de précarité aux salariés. Le Medef nous a habitués à présenter le droit du travail comme une entrave à la bonne marche des affaires, au développement économique, voire à la croissance de notre pays. Cela ne résiste pas à l'analyse objective: ces dernières années, la précarité a progressé, mais pas la croissance, contrairement à ce que l'on nous avait promis. Le coût ou les rigidités du travail ne sont pas des obstacles pour les petites entreprises; d'ailleurs, ces patrons ne dissimulent pas le fait que ce nouveau contrat sera loin de répondre à leurs attentes. De quoi ont-ils besoin? D'un avenir plus lisible. Alors, traitons plutôt les problèmes de la sous-traitance ou de l'accès au crédit.
Mais ce nouveau contrat ne permettra-il pas justement de licencier plus facilement, en cas de difficultés ?
Mais qui supporte alors le poids de l'incertitude ? Le salarié !
N'est-ce pas déjà le cas ?
C'est déjà souvent le cas, mais en rajouter est-il une réponse susceptible de générer de l'emploi ?
Si le licenciement est plus aisé, l'embauche ne le sera-t-elle pas aussi ?
Ecoutez, 80% des licenciements se font sans plan social et, dans beaucoup d'entreprises, en vingt-quatre heures !
Donc, il n'y a pas de problème de procédure de licenciement ?
Non, ce ne sont pas les quelques protections, insuffisantes à notre avis, dont disposent les salariés au moment d'un licenciement qui sont un frein à l'embauche.
N'y a-t-il pas un problème de coût ?
Ça, c'est autre chose. Nous demandons à tous les gouvernements une réforme des cotisations patronales, pour tenir davantage compte du facteur emploi dans les politiques des entreprises. Il est choquant que les plus petites financent relativement plus le chômage, alors que ce sont surtout les grands groupes qui licencient. C'est injuste. Nous aimerions, par exemple, que les donneurs d'ordre soient redevables des réductions d'effectifs qu'ils provoquent chez leurs sous-traitants.
Rejetez-vous tout assouplissement du Code du travail ?
Ah oui ! D'autant plus que la précarité a joué un rôle important dans le mécontentement social qui s'est exprimé le 29 mai. Les ouvriers, mais aussi les cadres, les managers, sont inquiets pour leur avenir. Ils ne réclament pas un "assouplissement du Code du travail", c'est-à-dire sa mise en pièce, mais au contraire plus de protection et de sécurité d'emploi.
Seriez-vous d'accord pour expérimenter ces mesures, pendant une durée limitée ?
Avec ou sans expérimentation, la question est de savoir si l'on prend le problème par le bon bout ou pas. De notre point de vue, c'est non. Il est impossible d'accepter un nouveau contrat avec une période d'essai de deux ans.
Accepteriez-vous une durée moins longue mais supérieure à celle en vigueur aujourd'hui ?
Dans certains cas, la période d'essai va déjà jusqu'à six mois. Cela me paraît largement suffisant. Rien ne justifie que l'on mette un salarié à l'essai pendant deux ans, sauf s'il s'agit d'une manière déguisée de faciliter l'embauche et le débauchage systématiques. Dans ce cas, c'est un choix politique qu'il faut assumer jusqu'au bout. Mais sans doute le contexte actuel ne le permet-il pas Alors, la majorité a recours à ce biais. Or, dans le même temps, on ne traite pas du tout un thème auquel nous tenons beaucoup, la nouvelle sécurité sociale professionnelle, c'est-à-dire la manière d'éviter que la rupture d'un contrat de travail ne se traduise en chômage ou en exclusion pour le salarié et que la reprise d'emploi se fasse systématiquement à un niveau inférieur à la situation précédente. Le gouvernement veut interrompre plus facilement les contrats de travail sans aucun droit supplémentaire pour les salariés, sauf la promesse d'un accompagnement plus poussé que le patronat fait tout pour éviter! On risque donc de demander à la puissance publique, c'est-à-dire aux citoyens, de répondre à l'insécurité sociale dont les entreprises sont responsables. Celles-ci créeraient des emplois, mais jamais du chômage! Elles veulent le beurre et l'argent du beurre: encaisser les aides de l'Etat, les subventions, les flexibilités supplémentaires en termes de droit, redistribuer avantageusement leurs profits à leurs actionnaires, et laisser l'argent public faire face aux dégâts causés par leurs licenciements.
Vous voulez dire que l'on a accordé trop d'exonérations de charges sociales ?
En dix ans, leur montant a été multiplié par 10 et pourtant le taux de chômage dépasse les 10%, sans compter l'explosion des temps partiels et des CDD. Il est scandaleux que des entreprises florissantes puissent bénéficier de ces aides.
N'ont-elles pas permis de créer des emplois ?
Elles ont surtout tiré les salaires vers le bas, puisqu'elles sont ciblées sur les rémunérations inférieures à 1,6 fois le Smic.
Diriez-vous qu'il existe un modèle social français ?
Pas au sens où ce qui se ferait en France en matière sociale serait irréprochable. On essaie de nous culpabiliser en nous disant que la Cgt s'arc-boute sur le maintien de ce qui existe. Nous sommes les premiers à dire que les droits existants aujourd'hui sont très relatifs. Par exemple, dans les entreprises de moins de 50 salariés, la situation est moins avantageuse, qu'il s'agisse des horaires, des salaires, de la présence syndicale, etc. Et notre système d'indemnisation du chômage - qui ne couvre que 40% des chômeurs - n'a rien d'exemplaire. Et voilà qu'on entonne de nouveau le refrain des abus, en laissant entendre que les chômeurs n'acceptent pas des emplois, qu'ils se complaisent dans leur situation.
Comment expliquer que 400 000 offres ne soient pas satisfaites ?
Vu les conditions sociales d'un certain nombre de secteurs, comme les hôtels-cafés-restaurants, il ne faut pas s'étonner que de jeunes salariés refusent ce genre de postes. Il est vrai que Gérard Larcher, ministre délégué à l'Emploi, a condamné, le 10 juin, la mauvaise conduite des hôtels-cafés-restaurants. Mais il n'y a pas l'esquisse de la moindre attitude contraignante. Pourquoi ne pas conditionner le versement des aides publiques à l'amélioration de la politique salariale? Par ailleurs, on a dévalorisé les filières de formation professionnelle, longtemps présentées comme des voies de garage, et il faut du temps pour remonter la pente.
Le gouvernement reste discret sur la question du pouvoir d'achat
Oui, la seule référence au sujet a été l'annonce de la hausse du Smic de 5,5% au 1er juillet. C'est la troisième fois que l'on nous ressert la même augmentation !
La Cgt manifeste seule le 21 juin. Pourquoi cet isolement ?
Tout le monde n'apprécie pas le contexte de la même manière. Il nous semble que l'insatisfaction sur les questions sociales s'est clairement exprimée lors du scrutin du 29 mai. Ce qui donne aux organisations syndicales une responsabilité particulière. Le gouvernement veut tout boucler avant le 1er septembre. Il y a donc urgence. D'autres confédérations préfèrent laisser du temps au temps.
Mais le gouvernement ne va-t-il pas vous consulter ?
Il aurait fallu créer le cadre pour que chacun présente ses solutions, avec un équilibre entre les souhaits des entreprises et ceux des organisations syndicales. Ce choix n'a pas été fait. Alors, il ne faut pas s'étonner que nous soyons si critiques. Au lieu de raisonner en termes de croissance, de nouvelle dynamique, on se contente de panser quelques plaies avec l'objectif d'afficher des statistiques un peu plus présentables d'ici à 2007. Voilà à peu près vingt ans que tous les gouvernements tiennent grosso modo le même discours. Aussi, à peine prononcé, perd-il de sa pertinence. On parle beaucoup, par exemple, de politique industrielle, mais l'on est incapable d'y mettre un début de contenu.
Une nouvelle agence vient d'être créée
Oui, encore une nouvelle structure! Au-delà du discours, aucun acte particulier ne nous permet de penser que les choses vont être modifiées. Il y a urgence sur certains sujets, comme la remise en question du droit social, mais pas sur d'autres. C'est deux poids, deux mesures.
Propos recueillis par Corinne Lhaïk
Interview reproduite avec l'aimable autorisation de l'Express. Tous droits de reproduction et de diffusion réservés au journal.
(Source http://www.cgt.fr, le 22 juin 2005)