Interview de M. Jean-Claude Gaudin, vice-président délégué de l'UMP, à Europe 1 le 23 mars 2004, sur les résultats du premier tour des élections régionales et la stratégie adoptée pour le deuxième tour.

Prononcé le

Circonstance : Elections régionales et cantonales les 21 et 28 mars 2004

Média : Europe 1

Texte intégral

Q- J.-P. Elkabbach-. Les alliances, les ruptures, les fâcheries se décident entre l'UMP et l'UDF, avant 18h00. Vous vous en occupez directement, c'est vous qui conduisez à Paris les conversations nationales, y compris avec F. Bayrou. Et dans les régions, c'est au cas par cas, au coup par coup, qui, souvent, font mal. Est-ce que c'est réglé ce matin ou pas ?
R- "Nous avons donné des consignes dès vendredi dernier à tous nos chefs de file régionaux et départementaux, de faire en sorte que là où il n'y a pas eu fusion avant le premier tour, la fusion puisse s'organiser entre l'UMP et l'UDF."
Q- Ce matin, c'est quoi ?
R- "C'est globalement fait et globalement respecté."
Q- F. Bayrou vous tient la dragée haute ?
R- "F. Bayrou a quelques problèmes à régler dans son propre camp, nous en avons aussi, et c'est en nous rapprochant, c'est en parlant - ce que nous avons fait hier à deux reprises, lui et moi, dans la journée - que nous pouvons avancer. Et aujourd'hui, par exemple, en l'Ile-de-France, nos amis J.-F. Copé et A. Santini ont passé plusieurs heures, cette nuit, mais sont arrivés à un accord en Ile-de-France ; c'est important. Partout ailleurs en France, d'ailleurs, nous y arrivons aussi."
Q- Mais il y en a qui refusent l'alliance [inaud]. On a l'impression que c'est un suicide en public...
R- "Il y a trois cas..."
Q- Languedoc-Roussillon ?
R- "Oui, où nous regrettons que le candidat de l'UDF ne fasse pas un effort pour J. Blanc, dans une région particulièrement difficile, où d'ailleurs on a été très heureux, dans le passé, d'avoir J. Blanc, sinon on n'aurait rien eu du tout."
Q- Et en Bourgogne ?
R- "En Bourgogne, ce n'est pas normal que l'on mette un veto sur une personnalité. A l'UMP, nous ne l'avons jamais fait, nous ne le faisons pas et nous demandons à nos amis de l'UDF d'avoir la même [inaud]."
Q- Et ailleurs, par exemple en Normandie, avec M. Rufenacht ?
R- "Avec M. Rufenacht, c'est réglé. Avec M. Garrec, je pense que nous y arriverons dans la journée."
Q- A droite, où sont les réserves d'électeurs ?
R- "Il y a une divine surprise pour le Parti socialiste, qui ne s'attendait pas à avoir de tels scores, eu égard d'ailleurs au bilan de ses présidents de région sortants qui n'ont pas des bilans extraordinaires et devant le peu de brassage d'idées nouvelles que nous avons entendues pendant la campagne. Il bénéficie d'un vote de mécontentement des Françaises et des Français. Ce sont eux qui l'engrangent et, par conséquent, il faut en tenir compte et il faut que nous rectifions le tir. Et nous n'avons que peu de temps."
Q- La gauche sortira-t-elle de toute faon victorieuse des régionales ?
R- "Il y a deux tours de scrutin et, par conséquent, nous appelons les électrices et les électeurs de la droite républicaine et du centre qui, sous l'autorité du président de la République, nous ont permis d'avoir une grande majorité à l'Assemblée nationale, de se retrouver, de se ressouder et de nous permettre de conserver des régions."
Q- Les électeurs-citoyens du Front national sont des voix qui sont bonnes à prendre ?
R- "J'observe que tout le monde fait appel aux électeurs du Front national. J'ai lu une déclaration de M. Bocquet, le président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, il y a quelques jours. Dans d'autres régions, ce sont d'autres leaders qui tiennent des propos identiques. Voter Front national aujourd'hui, c'est faciliter la gauche. D'ailleurs, la gauche le sait parfaitement. Les triangulaires profitent surtout à la gauche et la gauche s'en pourlèche les babines."
Q- Dans votre camp, on entend une sorte de complainte contre les deux tours : "Ah, s'il n'y en avait qu'un !"...
R- "S'il n'y en avait eu qu'un, il y a deux régions où nos amis de l'UMP sont arrivés devant tout le monde. Dans ces deux régions, ceux-là s'en seraient sortis. Et pour les autres, comme on dit au football, cela aurait été la "mort subite". Par conséquent, deux tours, c'était aussi pour éviter les difficultés du Front national ; ce que nous ne savions pas quand nous avons fait la loi, c'est que le Conseil constitutionnel nous ramènerait le seuil des 10 % des inscrits que nous souhaitions à 10 % des suffrages exprimés. C'est cela qui change tout."
Q- En Ile-de-France, tout le monde fait comme si J.-F. Copé avait une chance de présider la région. C'est de l'intox ?
R- "Pas du tout ! Je crois au contraire qu'aux vues des résultats, J.-F. Copé est en pole position. Ce qui importait, c'est ce qui a été fait cette nuit, c'est-à-dire une fusion entre les listes de J.-F. Copé et d'A. Santini. Ce sont des hommes responsables, ce sont des hommes terriblement sympathiques et, ensemble, ils créent un courant... "
Q- C'est l'accent électoral et marseillais de J.-C. Gaudin !
R- "Nous espérons gagner l'Ile-de-France."
Q- N'y a-t-il pas un théorème "Sarkozy peut faire gagner Copé" qui sauve Raffarin ?
R- "Ce qui est clair, c'est que le Premier ministre a du courage..."
Q- Quand on dit cela, c'est déjà le début de l'enterrement !
R- "Non, non, non ! Il faut quand même rendre hommage aux gens ! Ce n'est pas parce qu'on lit tous les jours dans les journaux que J.-P. Raffarin doit partir qu'il doit partir ! Dieu merci - excusez-moi, J.-P. Elkabbach -, ce n'est pas vous, ce ne sont pas les journalistes qui décidez de savoir quel ministre est là et quel Premier ministre est là..."
Q- Mais quand vous lisez que son sort à Matignon est en suspens, est-ce que vous croyez cela ?
R- "Non. Il y a une période difficile pour la majorité et pour le Gouvernement. Nous sommes solidaires. Le Premier ministre a dit, hier soir à La Rochelle, qu'il tenait bon et qu'il encourageait ses amis à tenir bon. Commençons par cela. Les commentaires, nous les ferons après."
Q- Est-ce que vous pensez que le président de la République, dimanche ou lundi prochain, va lui renouveler sa confiance ou qu'il l'a déjà fait ?
R- "Le président de la République peut, à tout moment, décider d'un remaniement. Généralement, lorsqu'il y a de grandes consultations, un remaniement peut avoir lieu. Mais je vous mets en garde : vous savez qu'il y aura aussi des élections européennes dans peu de temps. Il y aura même le renouvellement triennal du Sénat. Par conséquent, des remaniements, il peut y en avoir. C'est le président de la République et lui seul qui décide. Et nous, d'ici là, nous devons former la tortue, c'est le moment de le faire !"
Q- Ah ! Ah ! La tortue ?
R- "Oui, oui, comme on disait sous l'époque romaine pour les soldats romains : nous sommes des soldats, nous sommes des fantassins..."
Q- Madame Chirac dit que le Président l'appelle souvent "la tortue"...
R- "Madame Chirac, d'abord, je la félicite, parce qu'elle a fait une brillante réélection, dès le premier tour, en Corrèze. Et j'aime autant vous dire que ce n'est pas M. Hollande qui lui facilite le travail."
Q- C'est vrai qu'elle se promène toute seule avec sa voiture ?
R- "Dans sa voiture rouge ! Et elle a tenu expressément à ne pas avoir d'officiers de sécurité, qui que ce soit. Elle a fait sa campagne, elle a été réélue brillamment. Je l'embrasse, d'ailleurs !"
Q- Ferez-vous le pari que M. Raffarin sera là en juin ?
R- "Raffarin n'a pas encore fini son travail. Il faut bien dire qu'après cinq ans d'immobilisme socialiste, pendant cinq ans de croissance, les socialistes ont eu toutes les chances... Nous, nous arrivons, il n'y a pas de croissance et, en même temps, il faut que nous fassions les réformes, sinon nous allons droit dans le mur, dans la faillite. Alors, évidemment, le Gouvernement de Raffarin est courageux."
Q- La France est un des seuls pays où, quand une élection locale est perdue, à gauche comme à droite d'ailleurs, on réclame la tête du Premier ministre... A quoi cela tient-il ?
R- "Oui, mais ce n'est pas forcé que le président de la République la concède !"
Q- Mais le Gouvernement va bouger ?
R- "Les choses ont changé. Sous la IVème République, tant décriée, quand un ministre était battu au Conseil général, il démissionnait. Tel n'est pas le cas aujourd'hui. D'ailleurs, nos ministres, qui ont été battus mais qui se sont courageusement lancés dans des campagnes régionales, pour essayer de prendre la place des socialistes, n'ont pas démérité. C'est le cas de R. Muselier en PACA : il n'a pas démérité."
Q- Qui a dit : "Des décisions difficiles sont derrière nous, mais il en reste encore à prendre" ?
R- "Si ma mémoire est bonne et sauf erreur de ma part, c'est le Chancelier d'Allemagne qui a dit cela, ces jours-ci. Et cela s'applique peut-être aussi chez nous."
Q- Donc on peut être impopulaire et rester ?
R- "Et il faut, à mon avis, tenir le cap. Quand on est au Gouvernement, on n'est pas forcément populaire, mais on doit s'intéresser aux Françaises et aux Français."
Q- Le procès en appel d'A. Juppé aura lieu à Versailles, du 13 au 29 octobre. Tel qu'il est, A. Juppé lancera-t-il sa succession à la tête de l'UMP plus tôt que prévu ?
R- "Je ne le pense pas, parce que, conformément aux statuts de l'UMP, il faut plusieurs mois de préparation avant d'arriver au congrès. Comme nous sommes en pleines échéances électorales, passons les élections, nous nous occuperons du parti après. Pour l'instant, le parti est dirigé par A. Juppé, nous sommes à ses côtés et nous faisons ce que nous pouvons, même si, comme le dit la presse encore ce matin, ce n'est pas aussi facile que cela."
Q- Avez-vous noté un effet irrésistible Sarkozy ?
R- "C'est un excellent ministre de l'Intérieur et c'est un homme politique courageux, battant. Et, bien entendu, aujourd'hui, la droite républicaine française et le centre apprécient beaucoup toutes les capacités de N. Sarkozy."
Q- Pour aller où ?
R- "Hé ! ho ! 80 % - vous allez me dire à Neuilly - mais 80 % c'est un plébiscite !"
Q- Mais vous voyez, je ne l'ai pas dit ! J'ai demandé : pour aller où ?
R- "Chaque chose en son temps. Dans la période que nous vivons actuellement avec le terrorisme, il est des ministres qui, à leur poste, ont la capacité et la connaissance. Les choses pourront s'organiser différemment après."
Q- Donc, il est fixé : J.-P. Raffarin à Matignon et N. Sarkozy [inaud] ?
R- "Ce n'est pas moi qui fais le Gouvernement. Et je vais vous dire une chose, je ne souhaite pas y aller !"
Q- Je n'ai pas posé la question ! Et vous allez avoir en face de vous, sans doute, M. Vauzelle pour six ans. Il faut que le maire de Marseille ait les reins solides !
R- "J'espère qu'il fera plus que ce qu'il a fait dans le passé. C'est injuste pour Muselier, cela aussi."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 mars 2004)