Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à France 2 le 24 mars 2004, sur les consignes de vote pour le deuxième tour des élections régionales.

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Circonstance : Elections régionales et cantonales les 21 et 28 mars 2004

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- F. Laborde-. Nous allons faire un peu de "climatologie politique" dans cet entre-deux tours d'élections régionales. Le Premier ministre, J.-P. Raffarin, a dit et répété qu'il allait tenir compte du message envoyé par les Français à l'occasion de ce premier tour, qui n'a pas été un franc succès, c'est le moins que l'on puisse dire. Aujourd'hui, on a le sentiment qu'il y a des interrogations sur le type de message qu'il faut entendre : en gros, il y a ceux qui disent qu'il faut faire plus de social, version J.-L. Borloo ; et puis ceux qui disent qu'il faut faire encore plus de libéral. Où vous situez-vous ?
R- "Avant de répondre à cette question, il faut se dire d'abord que dimanche, rien n'est joué. Les électeurs sont vraiment devant un choix. C'est un choix binaire : ou une équipe de droite et du centre, ou une équipe de gauche. Et il faut bien répéter que tous ceux qui s'égareront en votant pour le Front national perdent leur voix. La nouvelle règle du jeu est que la liste arrivée en tête gouverne la région. Dans ces conditions, il faut choisir : ou une équipe de gauche, ou une équipe de la majorité. Je crois très sincèrement que ce choix binaire est clair, qu'il est très important, parce que l'on confie sa région pendant six ans - le pouvoir régional va compter dans la vie locale. Et je pense que le deuxième tour peut provoquer une véritable mobilisation, un ressaisissement des électeurs, qui sont vraiment placés face à un choix."
Q- Vous êtes donc en train de nous dire que l'on peut inverser la tendance entre les deux tours et que, par exemple, les déplacement de N. Sarkozy, qui multiplie les meetings, cela peut... ?
R- "On peut modifier la donne. Moi-même, je vais tous les soirs aller expliquer tout simplement aux Français qu'il faut maintenant faire des choix. On a protesté, on a exprimé ses impatiences, ses inquiétudes au premier tour. Mais maintenant, passons aux choses sérieuses : pendant six ans, on aura une équipe à la région, qui va s'occuper d'emploi, qui va s'occuper de formation, qui va s'occuper de transport... C'est très important."
Q- Vous vous rendez bien compte qu'il ne suffit pas de dire aux Français de voter pour la droite, parce que s'ils votent pour le Front national, leurs voix sont perdues ? Il faut quand même leur donner envie de voter pour vous. Qu'allez-vous leur dire ?
R- "La première question est : "N'égarez pas vos voix". Deuxièmement : "Pourquoi choisissez-vous une région gérée par ce que l'on appelle la "majorité nationale républicaine ?" Où voulons-nous aller, au niveau national comme au niveau régional ? Nous voulons aller vers une France plus dynamique, qui ait un développement plus rapide, pour greffer sur ce développement des emplois durables - pas des emplois d'assistance, des emplois publics payés sur l'argent des contribuables, parce que cela dure un temps, c'est ce qu'ont fait les socialistes... Ce que l'on veut, c'est faire bouger ce pays. Et il faut que ce pays bouge. L'immobilisme de la période jospinienne a aussi conduit à l'échec. Alors, c'est un peu dur, parce que l'on met à mi-chemin, la réforme ne porte pas encore ses fruits. Mais elle portera ses fruits. Et il faut que les Français aient un peu de patience."
Q- Est-ce que, tout de même, il ne manque pas d'un projet ? On a vu J.-L. Debré être extrêmement critique à l'égard de J.-P. Raffarin, en disant que c'était une "gestion de boutiquier". On voit certains ministres, comme J.-L. Borloo, insister davantage sur l'aspect social. Est-ce que cela ne manque pas de projets, de perspectives ? Est-ce que les Français ne se disent pas, au fond, que ce Gouvernement a "fait plaisir", entre guillemets, à ses amis, style restaurateurs, et un peu moins à d'autres, façon chercheurs etc...
R- "Ce Gouvernement a réformé les retraites. Ce Gouvernement a engagé la remise en ordre de l'Etat, évité des dépenses inutiles, pour concentrer nos efforts sur ce qui prépare l'avenir, l'innovation, l'investissement, pour essayer de donner encore une fois des chances à nos jeunes, en les faisant entrer en entreprise, en leur apportant - ce que la nouvelle loi sur l'emploi va nous apporter - une seconde chance, pour ceux qui n'ont pas réussi leurs études. C'est cette France plus mobilisée sur le développement et sur l'emploi que nous devons construire. Alors, pour cela, effectivement, il faut un peu de courage, il faut aussi remettre de l'ordre dans nos systèmes sociaux. On veut sauver notre assurance maladie, j'y suis très attaché, mais on ne le fera pas sans demander à chaque Français un petit effort."
Q- Quels conseils donneriez-vous à J.-P. Raffarin, pour justement qu'il donne cet élan ?
R- "Il faut bien réexpliquer à ce pays où nous voulons le conduire. Nous ne voulons surtout pas le statu quo, c'est-à-dire ne rien faire, pour ensuite se retrouver dans des lendemains impossibles. L'immobilisme a conduit à rendre les réformes plus difficiles, parce qu'on les commence trop tard. On ne va pas s'arrêter maintenant."
Q- Il faut quand réformer la Sécurité sociale, par exemple ?
R- "Mais bien sûr. On ne peut pas laisser l'assurance maladie accumuler les déficits, c'est irresponsable. Mais, en même temps, il faut accompagner ceux qui sont vraiment les plus cassés. Nous y arriverons. Mais il faut faire les deux : il faut développer ce pays, libérer ses énergies et puis, en même temps, il faut prêter la main à ceux qui ont vraiment besoin d'aide."
Q- On voit que la fusion des listes entre les deux tours est un peu difficile dans certaines régions, plus difficile en tout cas pour la majorité que pour l'opposition. Deux exemples : en Bourgogne, les UDF ne veulent pas de Soisson et, en Languedoc, ils ne veulent pas de J. Blanc. Comprenez-vous cette position des UDF, vous qui avez été longtemps dans cette famille ?
R- "Je pense qu'il faut voter en fonction des données d'aujourd'hui. Ni Soisson en Bourgogne, ni Blanc en Languedoc-Roussillon, ne sont en aucun cas tributaires de quelque alliance que ce soit avec le Front national...
Q- Mais ils ont été élus grâce au Front nationale la dernière fois... C'est un peu cela qu'on leur reproche...
R- "On ne fait pas de la politique avec des souvenirs. L'ancien scrutin provoquait, après le deuxième tour, toute une série de discussions, où il était d'ailleurs très difficile pour les électeurs de voir clair. Aujourd'hui, c'est fini. Le Front national d'ailleurs, en Languedoc-Roussillon comme en Bourgogne, se maintient, quoi qu'il arrive, contre Blanc et contre Soisson. Donc il n'y a pas de compromission. Alors, les électeurs de l'UDF, ils ont le choix : ou bien, eux aussi, ils veulent voter à gauche, ou bien ils donnent à leur région le moyen de se développer économiquement et de relayer la politique de l'emploi. Parce que, ce qui est important, c'est que si nous avons des régions qui continuent à dépenser de l'argent en fonctionnement, à faire une fiscalité à l'encontre des entreprises, ce sera très difficile pour ces régions de soutenir la concurrence en Europe. Hier, S. Royal nous disait qu'elle allait mener la vie dure aux entreprises. Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est un climat de confiance qui nous aidera à créer de l'emploi et à le développer..."
Q- S. Royal, pour le coup, on lui fait confiance, elle a fait un joli score en Poitou !
R- "Mais on risque d'être déçus, si elle fait ce qu'elle a dit hier matin."
Q- En Ile-de-France, les derniers sondages annoncent J.-P. Huchon devant Copé. Ce serait quand même un coup dur, si y compris l'Ile-de-France, qui était une des seules régions où un ministre pouvait l'emporter, est perdue ?
R- "Ce ne sont pas les sondeurs qui votent, ce sont les électeurs. Et en Ile-de-France, il faut savoir si on veut en faire une des meilleures régions d'Europe, en dynamisant, au lieu de s'embarquer dans des frais de fonctionnement, dans toute une série d'actions socioculturelles qui, finalement, ne servent pas à grand-chose."
Q- Mais est-ce que les Français ne font pas plus confiance à la gauche pour gérer justement les problèmes d'emploi qu'à la droite ?
R- "Parlons-en. Au bout de cinq ans de Jospin, où était l'économie française ? Je vous rappelle qu'en partant, les socialistes commençaient, en raison de la baisse de la croissance mondiale, à perdre des emplois. Et je crois que si on avait profité des belles années de croissance, pour donner à ce pays un coup de fouet pour l'innovation, pour l'entreprise, eh bien, aujourd'hui, nous aurions une croissance supérieure."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement