Interview de M. Azouz Bégag, ministre délégué à la promotion de l'égalité des chances, à RMC le 13 juillet 2005, sur sa condamnation des attentats terroristes en Grande-Bretagne, la promotion de la notion d'égalité des chances plutôt que d'intégration et sur la question de l'immigration "choisie".

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Texte intégral

QUESTION : Pour la première fois sur le territoire européen, des hommes nés en Europe se sont fait sauter, au nom de l'islam, dans des transportsen commun, et ont provoqué la mort de dizaines de personnes ! Comment en est-on arrivé là ?
Azouz BÉGAG : Je pense que, globalement, les civilisations urbaines, qui ont fait dégager de l'histoire la campagne, le monde rural, où il y avait des valeurs importantes de l'humanité - le respect de l'autre, l'hospitalité -, ces civilisations urbaines qui ont grossi sans démesure, dans une perspective continuelle d'élargissement et d'attraction de gens venus de partout, des campagnes, ont provoqué des dysfonctionnement de cette nature. Et on trouve aujourd'hui des fous - ce sont des fous ! -, des gens qui sont nés dans la barbarie et qui oeuvrent dans la barbarie, et qui attaquent non pas les Anglais ou les Français ou je ne sais qui, mais attaquent l'humanité ! C'est l'humanité qui est touchée. Quand "les types" mettent des bombes le matin à 8h00 dans un bus ou dans un métro à Londres, ils savent bien que ce sont des pauvres, des travailleurs, ce sont des femmes et des hommes voire des enfants qui sont dans ces transports en commun, et qui attaquent. C'est l'humanité qui est touchée. Cela n'a absolument rien à voir avec l'islam, quand bien ils s'en revendiquent. Ce sont des fous ! Ce sont des assassins ! Il n'y a aucun dieu que je connaisse qui puisse cautionner pareille folie barbare."
QUESTION : Oui, mais ils tuent au nom de l'islam !
Azouz BÉGAG : C'est leur problème, s'ils se revendiquent au nom de ci ou de ça. Le plus important c'est l'acte qu'ils sont en train de commettre. Et il faut bien parler aux Français en leur disant : ce sont des fous qui attaquent l'humanité, et a fortiori l'humanité démocratique, là où ils ont la possibilité effectivement de venir avec des bombes dans des sacs à dos et d'attaquer les êtres humains dans des bus. Dans d'autres pays, ils ne pourraient pas le faire. C'est chez nous, dans les pays démocratiques, que nous sommes le plus vulnérables évidemment.
QUESTION : Mais comment sont-ils endoctrinés ?
Azouz BÉGAG : Le ministre de l'Egalité des chances n'en sait rien du tout ! Surtout le ministre de l'Egalité des Chances qui est né à Lyon, dans la banlieue lyonnaise, et qui est très peu au courant de la façon dont les kamikazes ou les assassins s'endoctrinent pour aller tuer des gens à Londres.
QUESTION : Mais dans les banlieues françaises...
Azouz BÉGAG : Non, mais arrêtez de me regarder comme cela ! Que croyez-vous que j'allais dire J.-J. Bourdin !...
QUESTION : Mais non ! Rien.
Azouz BÉGAG : Je ne sais pas, je suis comme vous. Il eut pu se faire que mes enfants se
trouvent dans ce métro et que mes deux fils soient tués aussi !
QUESTION : L'endoctrinement, c'est ça qui me... Comment peut-on être sensible à cet endoctrinement ? Pourquoi des jeunes aujourd'hui dans notre société sont-ils si sensibles à des thèses ?
Azouz BÉGAG : J'ai le sentiment que cela a quelque chose à voir avec l'école et cela a quelque chose à voir avec la redécouverte de Galilée. Vous souvenez, en 1600, de Galilée ? Ce type qui, un jour, regarde le ciel, regarde le soleil tourner autour de la Terre, et se dit que ce truc qui tourne et que mes yeux voient tourner autour de la Terre, le Soleil, j'ai le sentiment que cela ne bouge pas, même si mes yeux le voient, en train de tourner ce Soleil, j'ai l'impression que cela ne bouge pas, je vais le démontrer mathématiquement. Et c'est un type qui a commencé à renverser la logique de l'observation, en disant : "ce que mes yeux voient est faux". Et nous en arrivons là, à l'apprentissage, depuis Galilée, du sens critique. C'est important d'apprendre...
QUESTION : C'est-à-dire ?
Azouz BÉGAG : Tous les enfants devraient faire connaissance le matin à l'école de France et d'ailleurs, avec Galilée, en disant : "ce que je vois, ce que l'on me dit, ce que l'on essaye de me baragouiner, les doctrines que l'on essaye de m'inculquer sont peut-être fausses. Je vais me faire, moi, enfant, un propre point de vue sur ce que l'on est en train de me dire, sur ce que l'on est en train de me montrer". Et c'est ainsi que l'on apprend le sens critique, et c'est comme cela que l'on apprend à juger avec une distance scientifique, raisonnable, le monde qui nous entoure, et que l'on lutte contre le terrorisme.
QUESTION : Mais vous vous battez pour la promotion de l'Egalité des chances. Est-ce que vous ne sentez pas que de tels actes pourraient peser justement sur votre combat ? Ne sentez-vous pas que cela pourrait le freiner ?
Azouz BÉGAG : Tous les auditeurs qui nous écoutent et qui font un peu de jardinage ou qui sont allés dans une forêt savent très bien que, pour faire pousser un arbre, un chêne, ou un bouleau, il faut 50 à 100 ans. Et pour le couper avec une tronçonneuse, il faut cinq minutes. Donc, tous les massacreurs de l'humanité, tous les assassins, les terroristes ont la partie plus facile dans leur uvre de destruction, que nous, les républicains qui essayons de construire un monde pour nos enfants. Où sont les enfants dans l'esprit des terroristes ? Ils n'ont pas le goût de l'humanité, ils n'ont pas le goût de la vie. Ce sont des terroristes de la vie, de fait, puisqu'ils qu'on aucun respect pour le sens de la vie !
QUESTION : Mais qu'avez-vous envie de dire aujourd'hui aux responsables des musulmans de France : surtout pas d'amalgame, surtout répétez les valeurs d'humanisme ? Avez-vous envie de leur dire cela ?
Azouz BÉGAG : Je ne parle pas précisément aux musulmans, je suis ministre de la République française, j'ai vraiment l'impression qu'il faut mettre le paquet de plus en plus et sans arrêt sur l'école et les valeurs fondamentales de la République. C'est-à-dire, le sens de l'individualité. Avant d'être des membres d'un groupe, des membres d'une communauté, des membres d'une religion, nous sommes des individus. En tant qu'individus, nous pouvons avoir notre propre point de vue sur le monde qui nous entoure. On n'est pas obligés d'être affiliés et de faire allégeance sans cesse à une religion, à un groupe, à un pays d'origine, à une ville. On est des individus libres, c'est-à-dire que l'on peut, et on doit, sans cesse, armés de notre sens critique personnel, de notre personnalité, avoir un point de vue personnel. On n'est pas des moutons ! Voilà, c'est ce que j'ai envie de dire. Et c'est l'école qui doit apprendre cela à nos enfants, à condition que de l'autre côté, dans la France républicaine, de l'égalité des droits, tous les gens qui acceptent de quitter leur territoire d'exclusion et de rentrer dans la France, où tout le monde aura une égalité des chances, à condition que l'Etat et la République garantissent cette égalité. C'est mon travail aujourd'hui de donner les bases de cette égalité des chances pour tous dans ce pays, qui est l'un des meilleurs pays au monde, je le répète et le dis à chaque fois que je viens chez vous.
QUESTION : Je sais que vous aimez la France...
Azouz BÉGAG : Oui.
QUESTION : ... plus que tout le monde peut-être. Vous préconisez de renoncer au terme d'intégration. Vous en avez assez d'entendre parler d'intégration. Vous préférez la promotion de l'égalité des chances, justement.
Azouz BÉGAG : Oui, parce qu'il y a 120.000 émigrants qui rentrent chaque année en France - 120 à 130.000. Effectivement, pour eux, il faut leur donner un code d'intégration dans la société française, on est d'accord. Mais pour les enfants de troisième, quatrième génération d'immigrés, qui sont venus au début du siècle, on ne va pas parler jusqu'à 2050 d'intégration ! Donc, maintenant, il s'agit de trouver la porte de l'ascenseur social pour aider toute cette France de la diversité à monter et à être visible, et à montrer son dynamisme, sa capacité à créer des boîtes, des entreprises, du boulot.
QUESTION : Quand vous entendez N. Sarkozy parler d'immigration choisie, cela vous fait-il bondir ou pas ?
Azouz BÉGAG : Non, pourquoi ? Chez moi, dans ma vie privée, mes amis et les gens que j'ai envie d'inviter, je les choisis. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ! Bien sûr que je les choisis, je ne laisse pas ma porte ouverte à n'importe qui. Je choisis les gens qui rentrent chez moi. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Qu'est-ce que c'est que cette polémique ? D'où sort-elle ? On ne va pas ouvrir nos portes et nos frontières à tout le reste du monde parce que l'on est habités par un esprit d'altruisme ou de je ne sais quoi ! Oui, on choisit les gens qui veulent, qui doivent, venir chez nous. Qui est contre cela ? M. Rocard, le Premier ministre socialiste de l'époque, en disant "la France ne peut pas accueillir toute la misère au monde", allait-il dans un sens différent de N. Sarkozy aujourd'hui ? Non. Je ne comprends pas ce qui se passe. En revanche, oui, c'est important que les pays relativement plus riches que les autres aujourd'hui, participent un peu plus à l'aide publique au développement dans les pays du tiers monde, et tendent toujours, par des moyens financiers appropriés, de fixer les populations à domicile, et de donner aux gens le goût de rester chez eux et développer leur pays.
QUESTION : Seriez-vous partisan d'une loi qui obligerait les entrepreneurs, les employeurs, à embaucher des personnes d'origine étrangère ?
Azouz BÉGAG : Non. Je travaille beaucoup aussi dans l'esprit "d'intégration", cette fois, ou de promotion de l'égalité des personnes handicapées physiques. L'administration, par exemple, a obligation d'employer parmi son personnel 6 % de handicapés physiques.
QUESTION : Des entreprises ne le font pas, elles préfèrent payer des amendes, et l'administration aussi.
Azouz BÉGAG : Absolument !, pour les handicapés physiques. Alors imaginez si vous dites aux gens : vous allez être obligés d'embaucher des Antillais, des Africains, des Turcs, des Arabes, des Asiatiques ! Non, on ne peut pas légiférer. En revanche, il faut sans cesse marteler pour toucher la sensibilité des PME et des grandes, essayer de faire comprendre que cette diversité est un besoin républicain. On a besoin de cela pour montrer en France que cela marche la France.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juillet 2005)