Interview de M. Christian Poncelet, président du Sénat, à France info le 7 septembre 2005, sur l'hospitalisation de Jacques Chirac et sur la candidature de Jean-Pierre Raffarin à l'élection sénatoriale partielle du 18 septembre.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- Vous êtes le président du Sénat, c'est-à-dire que vous êtes le deuxième personnage de l'Etat. En cas d'empêchement du président de la République, la Constitution prévoit que c'est vous qui assurerez l'intérim. Il n'y a pas eu de communiqué de santé, hier, du Val-de-Grâce. Est-ce que vous avez eu des nouvelles du président de la République, êtes-vous allé lui rendre
visite ?
R- Non, mais j'ai eu un entretien avec son épouse. Le président de la République va bien, il a eu un petit incident de santé, comme tout un chacun. Mais avec le président de la République on prend quelques précautions supplémentaires, pour l'examen, et je suis convaincu que dans quelques jours, il va quitter, en bonne forme, reprendre ses affaires, qu'il n'a d'ailleurs jamais quittées, puisqu'il suit la vie du pays, il a même élaboré, bien sûr, l'ordre du jour du Conseil des ministres qui se réunit aujourd'hui. Il va remonter, pour reprendre l'expression consacrée, sur son cheval, et par conséquent reprendre les affaires en mains...
Q- Est-ce normal que l'on n'ait pas eu de bulletin de santé hier ?
R- Eh bien, pas de bulletin de santé, bon bulletin !
[...]
Q- J'ai lu un petit écho ce matin dans Le Canard Enchaîné : vous auriez appelé l'Elysée, samedi, à 13h00, pour savoir si vous deviez vous installer dans le Palais présidentiel. Est-ce que c'est vrai ?
R- Cet article, que j'ai lu comme vous, m'a beaucoup choqué. Lorsque le président de la République a été hospitalisé, je me trouvais à l'étranger. J'ai quitté les Vosges jeudi, pour gagner Berlin, où je présidais l'Assemblée des présidents des Sénats d'Europe, et je suis rentré en France, après avoir déjeuné à Potsdam avec le vice-président du Land du Brandebourg, le samedi dans l'après midi, vers 18h00. Et, à aucun moment, je dis bien à aucun moment, je n'ai téléphoné à qui que ce soit. J'ai pris connaissance par, bien sûr, les médias, que le Président était hospitalisé, mais à aucun moment... La conversation qui est rapportée avec le secrétaire général est pure invention. Et je dis que c'est quand même regrettable que l'on diffuse des informations, que l'on diffuse des mensonges, que l'on diffuse une calomnie. Je me suis permis, hier soir, de téléphoner au secrétaire général pour lui dire qu'on lui prêtait ces propos, et lui-même m'a dit qu'il les avait totalement démentis, pour la bonne raison que nous n'avons eu aucun entretien !
Q- Vous venez de dire que c'est par les médias que vous avez appris les problèmes de santé du président de la République ?
R- En rentrant en France, j'étais à l'étranger...
Q- Mais cela ne pose-t-il quand même pas un problème que le deuxième personnage de l'Etat, celui qui devrait assurer l'intérim, apprenne que le président de la République est à l'hôpital par les
médias ?
R- Mais enfin, les médecins ont fait savoir immédiatement qu'il s'agissait d'un incident de santé banal. Par conséquent, chaque fois que le Président va prendre sa température, on ne va quand même pas appeler le président du Sénat ! Je suis convaincu que le président de la République a eu, bien sûr, un petit incident, comme chacun d'entre nous, il a été hospitalisé, les médecins ont souhaité approfondir, peut-être, cet incident, et on prend davantage de précautions avec le président de la République, qu'avec un citoyen lambda. C'est tout à fait normal. Mais je ne suis pas préoccupé, je suis convaincu que le président de la République, dans quelques jours, va reprendre ses activités. D'ailleurs, attention, il n'a jamais cessé de s'intéresser aux affaires de la France, puisque l'ordre du jour du Conseil des ministres a été établi par lui. Il suit donc particulièrement la vie politique française.
Q- Mais n'êtes-vous pas choqué que les journalistes de France Info aient été au courant avant vous ?
R- Mais je n'étais pas en France, je viens de vous l'expliquer !
Q- Mais vous étiez joignable par téléphone !
R- J'étais joignable par téléphone, mais je viens de vous le dire : chaque fois que le président de la République va prendre sa température, il faudra m'appeler ? Enfin, cet incident de santé n'était pas tel que l'on doive alarmer tout le monde !
Q- Il est hospitalisé, quand même, une semaine...
R- C'est une précaution supplémentaire qui a été prise. Alors là, évidemment, les imaginations travaillent. Et l'imagination, on vient de la voir dans le journal dit satyrique, Le Canard Enchaîné, ce qui est grotesque !
Q- Remplacer le président de la République, quand on est président du Sénat, est-ce quelque chose auquel on se prépare ?
R- Non, pour ma part, je n'ai pas à faire des hypothèses de ce genre. Le président de la République est en très bonne santé, le président de la République conduit les affaires de la France, avec énergie, avec volonté. Et par conséquent, je n'ai pas un seul instant à imaginer qu'il puisse s'arrêter. Il sera suffisamment tôt d'y penser quand l'acte se produira, ce que je ne souhaite pas, bien sûr...
Q- Pensez-vous, comme cela a été beaucoup écrit ces derniers temps, que ces problèmes de santé de J. Chirac l'empêchent désormais d'envisager une nouvelle candidature ?
R- La nouvelle candidature ne se posera que dans presque deux ans. D'ici là, comme on dit, il peut couler beaucoup d'eau sous les ponts. Et il peut faire la démonstration d'une excellente santé. Mais, cette question que vous posez, elle est à poser à qui ? Elle est à poser au Président lui-même...
Q- Vous pourriez avoir un avis...
R- Lui-même l'a dit : la candidature à une présidence de la République, c'est un contrat entre le candidat et le peuple, et par conséquent,il lui appartiendra à lui et à lui seul, de déterminer s'il est en mesure, bien sûr, de poursuivre sa tâche. Je connais suffisamment le sérieux du président de la République, pour qu'il prenne toute la réflexion nécessaire.
Q- Le 18 septembre prochain, vous allez probablement accueillir un nouveau sénateur, un certain J.-P. Raffarin. Cela vous fait-il plaisir ?
R- Oui, pour la raison suivante : c'est que monsieur J.-P. Raffarin était sénateur. Il a été appelé Premier ministre. C'est la première fois qu'un membre du Sénat va directement à Matignon. D'un côté, c'est un coup de chapeau fort donné au Sénat, cette institution qui a été bien souvent brocardée. Et après avoir accompli trois ans à Matignon, c'est un homme d'expérience, un homme de bon sens, il revient au Sénat, il va apporter sans aucun doute un plus à l'institution.
Q- On a pu lire que la présidence du Sénat était quelque chose qui pouvait l'intéresser. N'est-ce pas un souci, pour vous, quand même ?
R- Je vais vous faire une confidence : elle n'intéresse pas que J.-P. Raffarin ! Vous verrez, il y en aura d'autres ! Comme disait quelqu'un, "ça sera le trop plein certainement". Mais pourquoi J.-P. Raffarin ne serait-il pas candidat ?
Q- Vous êtes président jusqu'en 2007. Vous représenterez-vous, souhaitez-vous poursuivre votre présidence ?
R- Je l'ai annoncé : ce sera mon dernier mandat...
Q- Donc, vous ne vous représenterez pas en 2007 ?
R- Je l'ai annoncé...
Q- Et aimeriez-vous que J.-P. Raffarin vous succède ?
R- Ce serait honorable pour le Sénat. Il a été Premier ministre. Là encore, on va prendre un pari : avant quelques années, les historiens, ceux qui commentent après les évènements, ne manqueront pas de remarquer que sous J.-P. Raffarin, de nombreuses réformes courageuses ont été engagées, certes, avec sa méthode, mais des réformes qui ont attendu plusieurs années, qui ont donné naissance à de nouvelles commissions, etc. Lui, il a affronté le problème des retraites, le problème de la sécurité, le problème de l'organisation de notre pays. C'est sous son autorité que l'on a modifié - avec l'accord du président de la République, bien évidemment - la Constitution, pour en faire une République décentralisée.
Q- On parle d'une crise de régime, en ce moment. Certains aspirent d'ailleurs à une VIème République. Aujourd'hui, le Sénat a-t-il encore une utilité ?
R- Ne touchez pas trop à l'institution, parce que c'est mortel...
Q- Le Général de Gaulle l'a vu...
R- En avril 46, le pays est consulté pour savoir s'il veut un parlement avec une seule assemblée : il refuse. En septembre 46, il est consulté à nouveau pour savoir s'il veut un parlement avec deux assemblées, avec le Sénat : il accepte. En 69, de Gaulle ayant laissé pensé qu'il modifiait le Sénat, sa proposition est refusée. En 2002, monsieur Jospin a été battu, et je suis convaincu que le jugement qu'il a porté sur le Sénat, "anomalie de la démocratie", lui a été préjudiciable. Donc, par conséquent,le Sénat est une institution indispensable à la démocratie. C'st le nec plus ultra de la démocratie ! Et par conséquent, dans un parlement il faut deux assemblées, il faut un pouvoir, un contrepouvoir. Et Jules Ferry, mon illustre prédécesseur, avait fait savoir à l'époque que le Sénat était là pour veiller à ce que la loi soit bien faite.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 8 septembre 2005)