Texte intégral
Q - Mohamed VI, roi du Maroc est reçu avec les mêmes égards et le même faste que le président chinois Jiang Zeming à l'automne dernier. L'un se veut démocrate, Mohamed VI, en tout cas, fait tout ce qu'il faut pour apparaître comme tel, l'autre pas.
R - Tout renforcement de la démocratie est une bonne chose et c'est l'un des objectifs constants de la politique étrangère d'un pays comme la France que de consolider, de conforter, de faciliter ce type d'évolution. Mais, dans les exemples que vous citiez il y a un instant, ce ne sont pas des pays qui ont évolué sous la contrainte extérieure. Le Sénégal est un pays démocratique depuis longtemps et qui vient de démontrer de façon spectaculaire que la démocratie était enracinée et forte à travers les élections. Abdou Diouf a été un grand président, un grand homme d'Etat pour le Sénégal et pour l'Afrique et la façon dont la transition va se passer, la façon dont l'élection s'est déroulée est un exemple pour l'Afrique. Mais, ce n'est pas parce que le Sénégal a été contraint ou menacé de je ne sais quoi. C'est une maturation interne et c'est dans ces cas-là que la démocratisation est la plus forte.
Q - Au Maroc, tout de même, il y a un vrai changement ?
R - Dans le cas du Maroc, le roi Hassan II, une dizaine d'années avant la fin de son règne a commencé à conduire lui-même le changement. Le gouvernement d'alternance dirigé par le premier secrétaire du parti socialiste marocain, M. Youssoufi a été mis en place par le roi Hassan II. Les élections ont lieu depuis très longtemps au Maroc parce que, même dans les périodes les plus répressives, il y avait quand même plusieurs partis politiques d'opposition qui étaient constamment tracassés, voire réprimés, mais qui existaient et l'évolution était conduite sur une durée beaucoup plus longue.
Q - Il y avait quand même un ministre de l'Intérieur très actif aux manettes jusqu'à la fin ?
R - C'est surtout le début du règne qui a été extrêmement dur et c'était Basri à l'époque, le général Oufkir puis le général Dlimi. Basri auquel vous faites allusion a été au cur des responsabilités en matière de police à partir des années 1983-1984.
Lorsque l'on regarde bien l'Histoire du Maroc, on s'aperçoit qu'il y a une maturation impressionnante, qui est également un exemple car par rapport aux pays arabes ou aux pays africains, c'est tout à fait remarquable, mais cela s'étale sur 10 à 15 ans et cela a été conduit de façon interne, selon des facteurs internes. Et ce n'est pas parce qu'il y a eu une contrainte extérieure ou que cela a été imposé par je ne sais qui à l'extérieur. Dans l'Histoire des démocraties et de nos propres pays, dans l'Histoire de la démocratisation, on s'aperçoit qu'il y a une dialectique avec l'extérieur, les relations que l'on a avec telle ou telle autre puissance qui vous incitent ou non à aller dans le sens de la modernité et de la démocratisation.
Donc, cela ne se transpose par directement et ce n'est pas le fait d'avoir aidé ou non ces pays. Et sur Taiwan, c'est la même chose, ce sont des facteurs internes qui font que la démocratie à Taiwan est forte et qu'elle est consolidée.
Q - Mais, n'y a-t-il pas des petits "coups de pouces" qui peuvent encourager ? Quand Mohamed VI demande à ce que le Maroc se rapproche de l'Union européenne, la présence de l'Union européenne peut-elle contribuer à ce que ce processus démocratique qui s'installe soit un peu mieux assuré ?
R - Oui bien sûr.
Q - Comment ?
R - Si nous arrivons à contribuer à un développement régulier de l'économie marocaine. Dans le cas du Maroc, puisque vous m'en parlez, le grand problème de l'économie marocaine, c'est que lorsqu'il ne pleut pas, la croissance est de zéro, et quand il pleut, la croissance est de 5 à 6 points. C'est une différence absolument colossale pour l'économie, pour la société, et pour le nombre de jeunes qui vont être au chômage, qui vont être disponibles pour telle ou telle idéologie de contestation.
C'est pour vous dire qu'il n'y a pas simplement des cas historiquement desquels on impose la démocratie de l'extérieur, parce que l'on se sent plus forts, plus en avance, plus clairvoyants. Il y a en général des dialectiques à l'intérieur desquelles les facteurs internes, dans chaque pays sont déterminants. Notre travail à nous est d'adopter l'attitude externe de stimulation, d'encouragement, parfois plus dure aussi pour favoriser ces étapes et pour que tous les pays qui ne sont pas encore démocratiques ou qui ne le sont pas assez puissent cheminer plus vite que nous ne l'avons fait nous-mêmes dans notre propre Histoire où nous avons mis deux ou trois siècles à construire des démocraties modernes. Evidemment, nous ne souhaitons à personne de mettre aussi longtemps mais il faut savoir qu'il n'y a pas de recette magique qui fait que cela marche. Vous prenez par exemple la Russie d'aujourd'hui. Après tout, l'URSS s'est effondrée il y a moins de dix ans et dans l'Histoire de la Russie, il n'y a eu que des despotisme divers, donc, il n'y a pas de racines par rapport à la démocratie. Cela s'est effondré il y a moins de dix ans et personne n'a de recette magique pour transformer brusquement la Russie en une sorte d'énorme Suède qui a surmonté tous ses problèmes.
Il y a des processus et nous sommes intelligents par rapport à nos objectifs de démocratisation dans le monde, si nous arrivons à aider les forces qui veulent avancer dans tel ou tel sens.
Q - Mais, peut-on dire que c'est aussi de la real-politique que d'aider à l'installation des démocraties ?
R - Bien sûr, c'est de la bonne real-politique, oui.
Q - Mais on la pratique moins que l'autre ?
R - Non, pas du tout.
Q - Sur la Russie, on a dit qu'on laisse faire, on installe M. Poutine alors qu'il est en train de faire des choses abominables.
R - Là aussi vous pensez comme si nous étions les maîtres du monde, vous parlez comme si nous avions décidé, avec une sorte de réunion quelque part. Personne n'essaie de décider cela. Cela se passe en Russie, c'est un immense pays, un pays indépendant, il n'y a pas eu de réunion quelque part pour décider qui allait être président de la Russie. Lorsque l'URSS s'est effondrée il y a un peu moins de dix ans, la décision qu'ont eue à prendre les pays occidentaux, c'était soit de traiter l'Union soviétique en vaincue comme nous avions traité l'Allemagne à la fin de la guerre de 1914-1918, ce qui a été la matrice de toutes les horreurs de tout le demi-siècle qui a suivi, ou bien de considérer qu'il fallait coopérer le plus possible, aider ce pays à se transformer en sachant que ce serait très long, très difficile car construire un grand pays moderne et pacifique et le plus démocratique possible à partir des ruines de l'URSS, personne n'a jamais fait cela. Il n'y a aucune recette nulle part et je crois que nous avons eu stratégiquement raison, y compris par rapport à la question que vous posez en termes de démocratisation à long terme. Je ne suis pas sûr que les conseils économiques que nous avons donnés à la Russie, qui étaient d'ailleurs ceux qu'ils demandaient à l'époque qui étaient des conseils ultra-libéraux et qui ont eu pour résultat de mettre par terre ce qui restait de fonction étatique, je ne pense pas que cela eût été parfaitement intelligent. Cela peut se corriger mais dans ce raisonnement à long terme, je crois que nous avons eu la meilleure attitude possible pour faire avancer ce pays dans le bon sens.
Cela ne veut pas dire que les problèmes se résolvent en 8 ans, je crois qu'il y en a pour plus longtemps. Je crois qu'il faut savoir attendre, si nous sommes aussi ambitieux que cela, si nous voulons aider la démocratisation dans toutes les parties du monde où elle n'est pas installée, c'est-à-dire l'immense majorité, on citait la Chine, la Russie, ce sont d'immenses pays et c'est plutôt nous qui sommes minoritaires par rapport à cela. Si nous voulons l'aider, il faut également être tenaces, persévérants et ne pas se décourager, si cela ne se fait pas par un "coup de baguette magique".
Q - Aider, c'est toujours le levier économique, c'est comme le Club de Londres qui élève la dette de la Russie pour aider finalement encore M. Poutine comme nous le ferons aussi avec le Maroc ?
R - Non, c'est différent, si vous interrogez les membres du Club de Londres, ils ne vous diront pas qu'ils ont fait cela pour aider un dirigeant russe, ils vous diront que s'ils n'avaient pas pris cette décision, cela aurait empêché la Russie de nous rembourser.
Q - Bien sûr que non, mais le résultat est là.
R - Et par conséquent, empêcher la Russie de nous rembourser, ce n'est pas exercer une pression terrible sur la Russie pour aller dans tel ou tel sens. Ils pensent qu'il faut agir sur d'autres canaux. Nous sommes toujours tentés, car nous sommes impatients, nous sommes démocratiques même si on peut toujours perfectionner nos démocraties, nous voudrions l'imposer partout, tout de suite. Nous avons une sorte d'impatience que l'on peut comprendre, c'est sympathique mais cela ne donne pas forcément une solution par un levier.
Les politiques de sanctions par exemple : si vous faites un bilan sur plusieurs dizaines d'années, c'est très rare que les politiques de sanctions aient abouti à l'objectif recherché. C'est très rare, on cite l'Afrique du sud dans laquelle on peut penser qu'en effet, les sanctions de la communauté internationale, à un moment donné ont facilité la transition. Mais, c'est parce qu'il y avait des hommes d'exception sur place, à commencer par M. Mandela et aussi De Klerc. Sinon, il y a des dizaines d'autres cas où les sanctions ont abouti à durcir les régimes, à renforcer la répression, à isoler les sociétés et à reculer d'autant le moment de l'évolution. Il y a une partie de l'évolution qui doit être interne, c'est sûr.
Cela dit, il faut dire des choses claires et nettes. Vous parlez de la Russie et de la Tchétchénie depuis le début, je rappelle qu'aucun pays occidental n'a été plus clair et plus net que la France l'a été depuis fin septembre. A propos de la Tchétchénie, il faut absolument une solution politique, autre chose que cette politique purement militaire, brutale, aveugle qui a abouti à des conséquences vraiment terribles pour les populations civiles. J'ai noté d'ailleurs, mais c'est une simple déclaration - tant que les choses ne sont pas concrétisées, on n'est jamais sûr -, j'ai noté que pour la première fois, M. Poutine prononçait le mot de négociation avec les combattants tchétchènes.
Q - Oui, cela signifie que s'ils ne négocient pas, on les étranglera sur place. C'est du "Poutine" cela !
R - C'est du "Poutine" et c'est encore la campagne électorale mais c'est la première fois qu'il prononce ce terme. Nous verrons, je ne prends jamais des déclarations au pied de la lettre, j'attends la concrétisation. Mais, en tout cas, cela fait plusieurs mois que nous condamnons la façon dont sont traitées les populations civiles et que nous demandons, sur tous les tons, y compris les plus véhéments, une solution politique.
Q - Question sans malice M. Védrine, Jean-Paul II est-il plus politique que vous ?
R - Vous voulez dire que dans sa démarche religieuse et spirituelle, il y a aussi une démarche politique ?
Q - Et l'effet de sa présence au Proche-Orient aujourd'hui, au moment d'ailleurs où reprennent les négociations sur la paix ?
R - Si sa démarche est politique, c'est une démarche de paix, elle rejoint donc la nôtre et ce sont des démarches convergentes. Et à sa façon, je pense que tout ce qu'il dira à tous ses interlocuteurs, c'est qu'il faut qu'ils trouvent une solution de paix, une façon de vivre ensemble. Bien sûr qu'il le dira pour les Palestiniens, les Israéliens, en ce qui concerne Jérusalem et les autres sujets. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce déplacement et souhaiter qu'il exerce une influence bénéfique sur l'ensemble des protagonistes.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le22 mars 2000)
R - Tout renforcement de la démocratie est une bonne chose et c'est l'un des objectifs constants de la politique étrangère d'un pays comme la France que de consolider, de conforter, de faciliter ce type d'évolution. Mais, dans les exemples que vous citiez il y a un instant, ce ne sont pas des pays qui ont évolué sous la contrainte extérieure. Le Sénégal est un pays démocratique depuis longtemps et qui vient de démontrer de façon spectaculaire que la démocratie était enracinée et forte à travers les élections. Abdou Diouf a été un grand président, un grand homme d'Etat pour le Sénégal et pour l'Afrique et la façon dont la transition va se passer, la façon dont l'élection s'est déroulée est un exemple pour l'Afrique. Mais, ce n'est pas parce que le Sénégal a été contraint ou menacé de je ne sais quoi. C'est une maturation interne et c'est dans ces cas-là que la démocratisation est la plus forte.
Q - Au Maroc, tout de même, il y a un vrai changement ?
R - Dans le cas du Maroc, le roi Hassan II, une dizaine d'années avant la fin de son règne a commencé à conduire lui-même le changement. Le gouvernement d'alternance dirigé par le premier secrétaire du parti socialiste marocain, M. Youssoufi a été mis en place par le roi Hassan II. Les élections ont lieu depuis très longtemps au Maroc parce que, même dans les périodes les plus répressives, il y avait quand même plusieurs partis politiques d'opposition qui étaient constamment tracassés, voire réprimés, mais qui existaient et l'évolution était conduite sur une durée beaucoup plus longue.
Q - Il y avait quand même un ministre de l'Intérieur très actif aux manettes jusqu'à la fin ?
R - C'est surtout le début du règne qui a été extrêmement dur et c'était Basri à l'époque, le général Oufkir puis le général Dlimi. Basri auquel vous faites allusion a été au cur des responsabilités en matière de police à partir des années 1983-1984.
Lorsque l'on regarde bien l'Histoire du Maroc, on s'aperçoit qu'il y a une maturation impressionnante, qui est également un exemple car par rapport aux pays arabes ou aux pays africains, c'est tout à fait remarquable, mais cela s'étale sur 10 à 15 ans et cela a été conduit de façon interne, selon des facteurs internes. Et ce n'est pas parce qu'il y a eu une contrainte extérieure ou que cela a été imposé par je ne sais qui à l'extérieur. Dans l'Histoire des démocraties et de nos propres pays, dans l'Histoire de la démocratisation, on s'aperçoit qu'il y a une dialectique avec l'extérieur, les relations que l'on a avec telle ou telle autre puissance qui vous incitent ou non à aller dans le sens de la modernité et de la démocratisation.
Donc, cela ne se transpose par directement et ce n'est pas le fait d'avoir aidé ou non ces pays. Et sur Taiwan, c'est la même chose, ce sont des facteurs internes qui font que la démocratie à Taiwan est forte et qu'elle est consolidée.
Q - Mais, n'y a-t-il pas des petits "coups de pouces" qui peuvent encourager ? Quand Mohamed VI demande à ce que le Maroc se rapproche de l'Union européenne, la présence de l'Union européenne peut-elle contribuer à ce que ce processus démocratique qui s'installe soit un peu mieux assuré ?
R - Oui bien sûr.
Q - Comment ?
R - Si nous arrivons à contribuer à un développement régulier de l'économie marocaine. Dans le cas du Maroc, puisque vous m'en parlez, le grand problème de l'économie marocaine, c'est que lorsqu'il ne pleut pas, la croissance est de zéro, et quand il pleut, la croissance est de 5 à 6 points. C'est une différence absolument colossale pour l'économie, pour la société, et pour le nombre de jeunes qui vont être au chômage, qui vont être disponibles pour telle ou telle idéologie de contestation.
C'est pour vous dire qu'il n'y a pas simplement des cas historiquement desquels on impose la démocratie de l'extérieur, parce que l'on se sent plus forts, plus en avance, plus clairvoyants. Il y a en général des dialectiques à l'intérieur desquelles les facteurs internes, dans chaque pays sont déterminants. Notre travail à nous est d'adopter l'attitude externe de stimulation, d'encouragement, parfois plus dure aussi pour favoriser ces étapes et pour que tous les pays qui ne sont pas encore démocratiques ou qui ne le sont pas assez puissent cheminer plus vite que nous ne l'avons fait nous-mêmes dans notre propre Histoire où nous avons mis deux ou trois siècles à construire des démocraties modernes. Evidemment, nous ne souhaitons à personne de mettre aussi longtemps mais il faut savoir qu'il n'y a pas de recette magique qui fait que cela marche. Vous prenez par exemple la Russie d'aujourd'hui. Après tout, l'URSS s'est effondrée il y a moins de dix ans et dans l'Histoire de la Russie, il n'y a eu que des despotisme divers, donc, il n'y a pas de racines par rapport à la démocratie. Cela s'est effondré il y a moins de dix ans et personne n'a de recette magique pour transformer brusquement la Russie en une sorte d'énorme Suède qui a surmonté tous ses problèmes.
Il y a des processus et nous sommes intelligents par rapport à nos objectifs de démocratisation dans le monde, si nous arrivons à aider les forces qui veulent avancer dans tel ou tel sens.
Q - Mais, peut-on dire que c'est aussi de la real-politique que d'aider à l'installation des démocraties ?
R - Bien sûr, c'est de la bonne real-politique, oui.
Q - Mais on la pratique moins que l'autre ?
R - Non, pas du tout.
Q - Sur la Russie, on a dit qu'on laisse faire, on installe M. Poutine alors qu'il est en train de faire des choses abominables.
R - Là aussi vous pensez comme si nous étions les maîtres du monde, vous parlez comme si nous avions décidé, avec une sorte de réunion quelque part. Personne n'essaie de décider cela. Cela se passe en Russie, c'est un immense pays, un pays indépendant, il n'y a pas eu de réunion quelque part pour décider qui allait être président de la Russie. Lorsque l'URSS s'est effondrée il y a un peu moins de dix ans, la décision qu'ont eue à prendre les pays occidentaux, c'était soit de traiter l'Union soviétique en vaincue comme nous avions traité l'Allemagne à la fin de la guerre de 1914-1918, ce qui a été la matrice de toutes les horreurs de tout le demi-siècle qui a suivi, ou bien de considérer qu'il fallait coopérer le plus possible, aider ce pays à se transformer en sachant que ce serait très long, très difficile car construire un grand pays moderne et pacifique et le plus démocratique possible à partir des ruines de l'URSS, personne n'a jamais fait cela. Il n'y a aucune recette nulle part et je crois que nous avons eu stratégiquement raison, y compris par rapport à la question que vous posez en termes de démocratisation à long terme. Je ne suis pas sûr que les conseils économiques que nous avons donnés à la Russie, qui étaient d'ailleurs ceux qu'ils demandaient à l'époque qui étaient des conseils ultra-libéraux et qui ont eu pour résultat de mettre par terre ce qui restait de fonction étatique, je ne pense pas que cela eût été parfaitement intelligent. Cela peut se corriger mais dans ce raisonnement à long terme, je crois que nous avons eu la meilleure attitude possible pour faire avancer ce pays dans le bon sens.
Cela ne veut pas dire que les problèmes se résolvent en 8 ans, je crois qu'il y en a pour plus longtemps. Je crois qu'il faut savoir attendre, si nous sommes aussi ambitieux que cela, si nous voulons aider la démocratisation dans toutes les parties du monde où elle n'est pas installée, c'est-à-dire l'immense majorité, on citait la Chine, la Russie, ce sont d'immenses pays et c'est plutôt nous qui sommes minoritaires par rapport à cela. Si nous voulons l'aider, il faut également être tenaces, persévérants et ne pas se décourager, si cela ne se fait pas par un "coup de baguette magique".
Q - Aider, c'est toujours le levier économique, c'est comme le Club de Londres qui élève la dette de la Russie pour aider finalement encore M. Poutine comme nous le ferons aussi avec le Maroc ?
R - Non, c'est différent, si vous interrogez les membres du Club de Londres, ils ne vous diront pas qu'ils ont fait cela pour aider un dirigeant russe, ils vous diront que s'ils n'avaient pas pris cette décision, cela aurait empêché la Russie de nous rembourser.
Q - Bien sûr que non, mais le résultat est là.
R - Et par conséquent, empêcher la Russie de nous rembourser, ce n'est pas exercer une pression terrible sur la Russie pour aller dans tel ou tel sens. Ils pensent qu'il faut agir sur d'autres canaux. Nous sommes toujours tentés, car nous sommes impatients, nous sommes démocratiques même si on peut toujours perfectionner nos démocraties, nous voudrions l'imposer partout, tout de suite. Nous avons une sorte d'impatience que l'on peut comprendre, c'est sympathique mais cela ne donne pas forcément une solution par un levier.
Les politiques de sanctions par exemple : si vous faites un bilan sur plusieurs dizaines d'années, c'est très rare que les politiques de sanctions aient abouti à l'objectif recherché. C'est très rare, on cite l'Afrique du sud dans laquelle on peut penser qu'en effet, les sanctions de la communauté internationale, à un moment donné ont facilité la transition. Mais, c'est parce qu'il y avait des hommes d'exception sur place, à commencer par M. Mandela et aussi De Klerc. Sinon, il y a des dizaines d'autres cas où les sanctions ont abouti à durcir les régimes, à renforcer la répression, à isoler les sociétés et à reculer d'autant le moment de l'évolution. Il y a une partie de l'évolution qui doit être interne, c'est sûr.
Cela dit, il faut dire des choses claires et nettes. Vous parlez de la Russie et de la Tchétchénie depuis le début, je rappelle qu'aucun pays occidental n'a été plus clair et plus net que la France l'a été depuis fin septembre. A propos de la Tchétchénie, il faut absolument une solution politique, autre chose que cette politique purement militaire, brutale, aveugle qui a abouti à des conséquences vraiment terribles pour les populations civiles. J'ai noté d'ailleurs, mais c'est une simple déclaration - tant que les choses ne sont pas concrétisées, on n'est jamais sûr -, j'ai noté que pour la première fois, M. Poutine prononçait le mot de négociation avec les combattants tchétchènes.
Q - Oui, cela signifie que s'ils ne négocient pas, on les étranglera sur place. C'est du "Poutine" cela !
R - C'est du "Poutine" et c'est encore la campagne électorale mais c'est la première fois qu'il prononce ce terme. Nous verrons, je ne prends jamais des déclarations au pied de la lettre, j'attends la concrétisation. Mais, en tout cas, cela fait plusieurs mois que nous condamnons la façon dont sont traitées les populations civiles et que nous demandons, sur tous les tons, y compris les plus véhéments, une solution politique.
Q - Question sans malice M. Védrine, Jean-Paul II est-il plus politique que vous ?
R - Vous voulez dire que dans sa démarche religieuse et spirituelle, il y a aussi une démarche politique ?
Q - Et l'effet de sa présence au Proche-Orient aujourd'hui, au moment d'ailleurs où reprennent les négociations sur la paix ?
R - Si sa démarche est politique, c'est une démarche de paix, elle rejoint donc la nôtre et ce sont des démarches convergentes. Et à sa façon, je pense que tout ce qu'il dira à tous ses interlocuteurs, c'est qu'il faut qu'ils trouvent une solution de paix, une façon de vivre ensemble. Bien sûr qu'il le dira pour les Palestiniens, les Israéliens, en ce qui concerne Jérusalem et les autres sujets. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce déplacement et souhaiter qu'il exerce une influence bénéfique sur l'ensemble des protagonistes.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le22 mars 2000)