Entretiens de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec RTL, France info et Europe 1 le 13 juin 2005, sur l'action diplomatique et les conditions de la libération des otages en Irak, la journaliste Florence Aubenas et son guide interprète Hussein Hanoun, et la recherche d'un compromis sur le budget européen 2007-2013.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - France Info - RTL

Texte intégral

(Entretien avec RTL à Paris le 13 juin 2005) :
Q - Vous êtes revenu de Chypre avec Florence Aubenas. Vous avez donc passé quatre heures avec elle dans l'avion, hier. Comment l'avez-vous trouvée ?
R - Ecoutez, peut-être curieusement, je l'ai trouvée bien, physiquement et psychologiquement. Je crois que chacune et chacun qui l'aura vue hier soir à sa sortie d'avion fera la même remarque que moi, surtout avec ce qu'elle a vécu...
Q - C'est-à-dire des conditions de détention visiblement très dures ? Elle en a un peu parlé sur le tarmac de l'aéroport
R - Oui, elle a commencé à en parler, et puis c'est à elle de s'exprimer sur ces sujets. Je voudrais vous dire que je ressens, pour être au Quai d'Orsay depuis seulement dix jours, en fait un sentiment de grande continuité dans l'Etat, au niveau de tous les services de l'Etat : la diplomatie, les militaires, n'oublions pas la Défense qui a joué un rôle très important, tous les services de l'Etat. Dans cette affaire, je crois qu'il faut aussi souligner l'immense mobilisation de tous les Français, mais aussi de la presse. Je pense que la presse française a montré un très grand esprit de responsabilité, préférant parfois ne pas diffuser un certain nombre d'informations qui lui étaient données. Je crois que c'est une des premières fois que l'on voit une chose comme celle-là. Et puis aussi, je voudrais saluer l'opposition, la classe politique en général, qui a fait aussi preuve d'esprit de responsabilité.
Q - Vous parlez de "continuité de l'Etat", parce qu'on a pu penser que, à l'occasion du remaniement, peut-être, une connaissance, un savoir-faire, des contacts que possédait M. Barnier, auraient pu se perdre ?
R - Oui, grande continuité. D'abord il faut beaucoup d'humilité dans ce genre de choses. Vous savez, je vois le directeur de cabinet, qui est aujourd'hui ici au Quai d'Orsay, qui connaît particulièrement bien ces sujets. Je vois aussi les responsables des services de l'Etat, des Renseignements, des gens qui assurent une continuité dans le silence, parce qu'il faut savoir s'effacer aussi parfois, y compris les politiques, devant ce genre de choses. Et il y a aussi une autorité de l'Etat français qui a été démontrée. Les choses ont été droites, rigoureuses, menées dans le calme, avec grande fermeté, et voilà. Je remercie aussi les plus hautes autorités musulmanes de la région et aussi les dirigeants de la communauté musulmane en France, pour leurs prises de position, comme Dalil Boubakeur, le Conseil français du Culte musulman, qui ont su dire les mots, quand il le fallait.

Q - Et le changement à la tête du Quai d'Orsay n'a pas entravé la gestion de ce dossier, ne l'a pas perturbée ?
R - Non, bien sûr que non, au contraire. Justement, je crois que ce soit Dominique de Villepin ou moi, nous nous sommes inscrits dans une continuité républicaine de l'Etat, avec d'ailleurs la semaine dernière, comme vous vous en doutez, énormément d'activité diplomatique qui a abouti à la libération des otages.
Q - Certains se sont étonnés de l'absence de M. Barnier à Villacoublay. Comment l'expliquez-vous, Philippe Douste-Blazy ?
R - J'ai vu M. Barnier hier, sur différentes chaînes de télévision. Il a travaillé, il a été à la tête d'une équipe qui a assuré une continuité. Vous savez, je crois qu'il est important dans ce genre d'affaires de montrer à quel point ceux qui connaissent les sujets, ceux qui connaissent les dossiers, doivent travailler dans le plus grand respect de leurs connaissances. L'homme politique doit parfois avoir une vision, doit imprimer, doit avoir de l'autorité, mais à aucun moment ne doit influencer des dossiers par des petites polémiques politiciennes. Je crois qu'il est excessivement important, ce niveau de l'Etat ne permet pas la médiocrité. Et je vois qu'avec plaisir, l'Etat a, dans sa continuité, montré qu'en France, on était capable de gérer des dossiers au plus haut niveau comme celui-là. Se posera la question quand même des conditions d'exercice de la liberté d'information, demain, en Irak.
Q - Faut-il ou pas envoyer des journalistes en Irak ? C'est ce que vous voulez dire.
R - Oui, c'est une discussion. Il faut à tout prix que la liberté d'expression puisse exister dans tous les États au monde, évidemment car s'il n'y a pas de presse, il n'y a pas de liberté, il n'y a pas de démocratie. Et en même temps, il faut se poser la question, avec la presse, des conditions d'exercice. Je dis bien "des conditions d'exercice".
Q - Mais votre souhait, c'est qu'il n'y ait plus de journalistes français en Irak, parce que c'est dangereux ?
R - Non je n'ai pas dit cela. Je dis qu'il y a des conditions d'exercice : faut-il se promener tranquillement dans les rues, comme cela, sans avoir réfléchi à la sécurité ? Des choses comme celle-là dont il faut que nous parlions, en toute transparence d'ailleurs.
Q - Que savez-vous des ravisseurs de Florence Aubenas, du groupe qui l'a détenue pendant 157 jours ?
R - Vous comprendrez que je ne peux absolument rien dire là-dessus.
Q - Rien du tout. C'est-à-dire que vous avez les éléments, vous savez si c'est plutôt crapuleux ou politique, mais vous ne pouvez pas le dire ?
R - Ce n'est pas aujourd'hui à moi, et ce n'est ni le moment pour moi d'ouvrir ce dossier en toute transparence. Il y a - je vous le rappelle - des otages, dans le lieu de détention où étaient Florence Aubenas et Hussein Hanoun il y a encore quelques heures...

Q - Un autre dossier - moins dramatique peut-être, parce que des vies ne sont pas en jeu, mais important politiquement - vous attend : c'est l'Europe, à Luxembourg, une réunion des ministres des Affaires étrangères de la Communauté. Le ministre anglais, M. Straw, menace - à propos de la discussion budgétaire - de mettre un veto à toute discussion, si un accord n'était pas trouvé. Le climat ne s'arrange pas en Europe décidément, Philippe Douste-Blazy.
R - Oui, d'abord il faut savoir qu'il y a, pour les questions financières, une décision à l'unanimité. Donc cela revient au même que le droit de veto : si quelqu'un n'est pas d'accord, on ne le fait pas.
Q - Il ne veut pas. De fait, il met son veto.
R - Après le "non" français, et après le "non" des Pays-Bas sur la Constitution, nous sommes en crise, ce n'est pas la peine de se le cacher. Et donc, il ne faut pas rajouter à la crise politique institutionnelle une crise financière. Et donc nous avons besoin d'un compromis, et je le dis à mon homologue, Jack Straw - je me suis entretenu avec lui durant cette semaine - : nous ne pouvons pas ne pas trouver un compromis. Il faut trouver une manière de nous mettre d'accord. La question qui est posée, c'est la Constitution.
Q - Sur le compromis financier, vous demandez toujours aux Anglais de revenir sur leurs ristournes ?
R - Si nous voulons trouver des marges de manuvre pour un certain nombre de pays, il faut bien évidemment qu'ils fassent un effort sur ce que l'on appelle "le chèque britannique".
Q - Et ça ils ne le veulent pas.
R - Ils ne le veulent pas, mais parce qu'avant un Conseil - cela fait une dizaine d'années que je suis de très près les Conseils européens - je n'ai jamais vu encore avant un Conseil, l'un ou l'autre baisser la garde. Mais il faut trouver... Je rappelle que les Anglais assureront une présidence.
Q - Le 1er juillet.
R - ... et donc ils ont aussi intérêt à réussir leur présidence. Il faut donc qu'il y ait un compromis. En tout cas, je défendrai, et le président de la République surtout, le 16 et le 17, défendra les intérêts de la France comme il le fait toujours, et en particulier sur la Politique agricole commune.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2005)
(Entretien avec France info à La question de l'info, à Paris le 13 juin 2005) :
Q - Bonjour M. Douste-Blazy, vous êtes ministre des Affaires étrangères, un ministre des Affaires étrangères chanceux. Moins d'une semaine après votre arrivée au Quai d'Orsay, la libération de Florence Aubenas, c'est un immense soulagement ?
R - Oui, je suis soulagé et heureux comme tous les Français et permettez-moi, tout de suite, de féliciter la diplomatie française mais aussi les services de la Défense, les services militaires, les services de l'Etat en général qui ont uvré sans relâche ; il y a eu une continuité de l'Etat, sous la responsabilité du président de la République qui s'est impliqué très personnellement dans cette libération.
Q - Dans quelles conditions s'est passée la libération de Florence Aubenas ? On a évoqué une opération risquée et dangereuse des services secrets, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
R - Vous comprendrez que je ne peux pas vous parler dans le détail d'un sujet comme celui-ci, d'abord parce qu'il y a encore des otages qui sont, au moment où nous parlons, là où était Florence Aubenas, il y a des vies qui sont en danger. Par définition, vous vous en doutez, ce sont des opérations risquées dans ce lieu lui-même dangereux.
Q - Justement, comment la diplomatie française a-t-elle procédé ?
R - Il y a, dans l'Etat français, des hommes qui sont responsables et qui connaissent particulièrement bien cet endroit, qui connaissent aussi particulièrement bien ce type de situations et qui ont su montrer que l'Etat français, en toute responsabilité, était capable, dans les meilleures conditions, de parler avec ceux qui ont commis ce type de crimes et en même temps, capable de pouvoir libérer avec bonheur, les otages. C'est évidemment quelque chose de très précis et vous comprendrez pourquoi je ne peux pas vous donner de détails.
Q - Y a-t-il eu une remise de rançon ?
R - Il n'y a pas eu de remise de rançon.
Q - La diplomatie française a-t-elle agi seule ou avez-vous été aidé par les diplomaties de nos partenaires européens, par les Américains ?
R - Les conditions de discussion d'abord, l'obtention de la crédibilité des personnes avec lesquelles vous parlez dans ce type d'affaires, cela a été essentiellement le fruit du travail acharné, dans la continuité de l'Etat, des services du quai d'Orsay et de la Défense.
Q - Philippe Douste-Blazy, vous êtes allé chercher Florence Aubenas à Chypre, vous avez passé 5 heures avec elle en avion, nous l'avons vu finalement à Villacoublay, assez en forme, mais vous, comment l'avez-vous trouvé, vous qui avez vraiment discuté avec elle ?
R - J'ai été frappé par son caractère et en même temps, je crois que c'est à elle de raconter les conditions de détention qu'elle a connues. J'ai été frappé, après l'avoir écouté, par son état psychologique que j'ai trouvé fort et puis aussi par sa condition physique. Certes, elle est probablement amaigrie, mais elle est en forme, psychologiquement et physiquement, et je dois dire que c'est peut-être ce qui m'a le plus marqué.
Q - J'imagine que vous avez parlé de la mobilisation pour elle en France, a-t-elle été surprise par cette mobilisation ?
R - Oui, je crois qu'elle l'a apprise, au fur et à mesure, par bribes, sans savoir véritablement qu'il y avait tout un pays, tout un peuple et puis c'est aussi l'occasion pour moi de saluer, au-delà de la mobilisation des Français, l'esprit de responsabilité de la presse. Régulièrement, 30 à 35 grands éditorialistes étaient mis au courant, en toute transparence, par le Premier ministre et donc, il y a cet esprit de responsabilité de la presse mais aussi un esprit de responsabilité de l'ensemble de la classe politique, je pense en particulier à l'opposition.
Q - Vous vous rendez à Luxembourg pour un Conseil Affaires générales européen, on va beaucoup parler du Conseil européen de jeudi et vendredi bien sûr. Dans quel état d'esprit êtes-vous ?
R - Nous sommes devant une crise européenne, politique, institutionnelle, après le "non" français et néerlandais et il ne faut pas ajouter à la crise institutionnelle, une crise qui serait une crise financière. Le président de la République se battra pour les intérêts français, il se battra pour la Politique agricole commune mais il est évident que ce que l'on appelle le chèque britannique devra être discuté.
Je pense que nous aboutirons à un compromis financier, en tout cas je le souhaite, nous n'avons pas le choix, il faut le faire. Par contre, sur le plan politique, je dirais que nous devons, par respect des peuples qui ont déjà voté et par respect pour ceux qui auront à voter pour ou contre la Constitution, nous devons laisser aux Etats la responsabilité de continuer ou pas la ratification du traité constitutionnel ; et en même temps, en parallèle, il faut demander au Conseil européen, il faut espérer que le Conseil européen puisse lancer une réflexion commune sur l'avenir du projet européen ; autrement dit, comment réconcilier les citoyens européens et le projet européen.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2005)
(Entretien avec Europe 1 à Paris le 13 juin 2005) :
Q - "Mieux que le bonheur", disait hier la mère de Florence Aubenas, après l'annonce de la libération de sa fille. Quel sentiment domine chez vous ce matin, si vous pouvez lui donner un nom ?
R - D'abord, un grand soulagement, comme tous les Français et aussi, un immense bonheur. D'abord pour Florence Aubenas et puis Hussein Hanoun ; et puis pour leurs proches, pour leurs familles, pour leurs amis. C'est un moment important, lorsqu'on l'a vue descendre sur le tarmac de cet aéroport à Chypre, c'était une impression de liberté. On ne pensait pas, il y a encore quelques jours, que cela était possible. Et puis, je voudrais féliciter la diplomatie française, les militaires aussi de la Défense, les services de l'Etat, qui ont uvré sans relâche dans un esprit de continuité. Jean-Pierre Raffarin, Michel Barnier ont beaucoup travaillé, aussi, Dominique de Villepin. Dès qu'il est arrivé, nous avons travaillé, depuis dix jours, d'arrache-pied. Je crois que, dans cette affaire, et au-delà de la continuité de l'Etat, il y a aussi cette immense mobilisation de l'opinion, et puis de la presse, qui a montré un esprit de responsabilité, l'ensemble de la presse française, et puis aussi, de la classe politique, de l'opposition ; il n'y a pas eu de combat politique. Et puis ce dossier a été mené par le président de la République en personne depuis le début. Je remercie tous ceux qui ont permis cette libération, et vous savez que cela n'a pas été facile.
Q - A quel moment avez-vous eu la certitude que la libération, c'était maintenant ?
R - Au tout dernier moment. Vous comprendrez, pour différentes raisons, que je ne peux pas vous donner exactement les détails de la semaine que l'on a passée, qui était une semaine très intense. Jour et nuit, on attendait cet appel, et des éléments sur la crédibilité des personnes qu'il y avait en face.
Q - Vous aviez senti qu'il y avait une évolution ?
R - Oui, oui, bien sûr, depuis mardi dernier, il y avait une évolution. Et puis, surtout, je voudrais remercier ce petit groupe de personnes qui, depuis plusieurs mois, a travaillé dans le silence. Je crois qu'il y a beaucoup d'humilité et de modestie à avoir aussi quand on est un homme politique, et devant ce genre de choses, parce que ce sont ces services que l'on ne voit pas, que l'on n'entend pas, mais qui travaillent jour et nuit, pour trouver des solutions, les plus pacifiques, pour sortir, pour exfiltrer, pour libérer des otages, sans qu'il y ait une seule goutte de sang versée.
Q - On a fatalement, le premier moment de joie passé, envie d'en savoir un peu plus sur les conditions de cette libération. "Il n'y a pas de conditions", dit-on officiellement. C'est difficile à croire. Mais est-ce difficile à dire aussi, Monsieur le Ministre ?
R - Vous comprendrez, vous comprendrez, qu'il n'est pas possible pour moi de vous donner les détails de cette semaine. Il y a aujourd'hui...
Q - Les connaîtra-t-on ?
R - Il y a aujourd'hui des otages qui sont dans la pièce de détention où était Florence Aubenas il y a quelques heures. Il y a encore des personnes qui sont là. Et je crois que, vous comprendrez que, par respect pour la sécurité pour ces personnes, il y a des choses qui ne peuvent pas être dites.
Q - Dernier mot : vous avez été ministre de la Communication, et maintenant des Affaires étrangères. N'avez-vous pas des sentiments contradictoires, compte tenu de vos responsabilités d'hier et d'aujourd'hui ? La liberté de la presse, d'un côté, les impératifs de la politique étrangère, de l'autre ?
R - S'il n'y a pas de presse, il n'y pas de démocratie. S'il n'y a pas de presse, il n'y a pas de liberté d'expression. Par contre, il faut s'interroger sur les conditions d'exercice de la liberté d'information. Et il faut le faire avec, bien sûr, les dirigeants de la presse. Je crois qu'aujourd'hui, c'est la joie qui doit prévaloir, mais il me semble très important que, dans les prochains jours, nous entamions une réflexion, avec l'ensemble des responsables de la presse, sur les risques encourus par les journalistes, sachant, bien sûr, que la liberté d'informer doit rester intangible, que c'est un choix de société. Et n'importe quel Etat de droit doit défendre le droit à l'information. Mais il est évident aussi, qu'au vu du danger, des risques encourus, il y a peut-être des pratiques dans la vie de tous les jours d'un journaliste, dans des endroits comme ceux-là, sur lesquelles il faut réfléchir.
Q - Est-ce une réflexion que vous allez entamer ? Pouvez-vous nous en dire plus concrètement ?
R - Non, je crois que c'est important de le faire, mais on le fera avec les différents journalistes et responsables de presse.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 2005)