Déclaration de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, dans "les Echos" du 29 août 2005, sur les conséquences à long terme du pétrole cher, sur le développement d'autres sources d'énergie, sur la mise en place des pôles de compétitivité, sur la défense des entreprises françaises face aux investisseurs étrangers, sur les dépôts de bilan d'entreprises de l'habillement.

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Le gouvernement va définir des secteurs stratégiques sanctuarisés
Q - Les prix du pétrole battent des records. Faut-il réorienter la politique énergétique ?
R - Nous venons de voter une loi sur l'énergie, exemplaire sur plusieurs points. Mais il faut aller plus loin et plus fort. Car on est dans une situation durable de pétrole cher. On ne peut pas imaginer qu'il redescendra juste par des avancées diplomatiques. Il y a une vraie tension, physique. On a donc tout intérêt à adapter nos comportements. Et notamment à consommer moins de pétrole pour produire des biens et des services. Nous devons continuer à réduire chaque année la quantité d'énergie utilisée pour produire une unité de valeur ajoutée. Sur les dix dernières années, le rythme était une baisse de 1,2 % par an. Sans cet effort d'économie d'énergie, nous aurions consommé 2,1 millions de tonnes équivalent pétrole de plus chaque année. Notre objectif consiste à accroître cet effort, de façon à atteindre en 2015 un rythme moyen de décroissance de 2 % par an de cette intensité énergétique. Cela représentera alors une économie de 5,5 millions de tonnes équivalent pétrole par an.
Q - Comment allez-vous relancer cette chasse au gaspi ?
R - Il faut donner quelques signaux forts, pour que tout le monde comprenne qu'il est concerné, et pour longtemps. On peut imaginer, par exemple, une réduction de la vitesse sur les autoroutes à 115 km/h. On va aussi demander aux producteurs d'énergie d'inciter leurs clients à réduire leur consommation, au travers des certificats d'économie d'énergie que nous sommes sur le point de mettre en place. Tout cela n'est pas uniquement contraignant. En anticipant, cette nouvelle donne est l'occasion de construire une économie nouvelle. Et de créer de l'emploi en France.
Q - Dans quels domaines attendez-vous des efforts des professionnels ?
R - Dans les biocarburants, les véhicules au gaz, hybrides ou électriques, ou encore l'installation de chaudières à bois, les capteurs solaires, les éoliennes. Il faut d'ailleurs accélérer le rythme de développement de la filière biocarburants, encore trop lent. L'objectif européen est qu'en 2010, les produits d'origine végétale représentent 5,75 % des carburants utilisés en Europe, ce qui nécessite en France d'augmenter la production de 2,4 millions de tonnes équivalent pétrole. Avec les agréments que nous avons accordés pour créer de nouvelles usines, on est à peine à la moitié de ce chiffre. Il faudrait en agréer plus, l'équivalent d'environ 1 million de tonnes, dès l'an prochain.

Q - Parmi les autres grands dossiers énergétiques figure l'ouverture du capital d'EDF. Où en êtes-vous ?
R - Le processus se poursuit comme annoncé, l'entreprise s'y prépare. Cela a été un succès pour Gaz de France. On a le sentiment qu'il en sera de même pour EDF.
Q - La classe politique s'est mobilisée pour défendre Danone. De quels moyens les pouvoirs publics disposent-ils pour dissuader un éventuel acquéreur étranger ?
R - Notre politique n'est pas de s'opposer par principe à tout rachat d'une entreprise française : elle est de renforcer la compétitivité et l'indépendance de nos entreprises et de faire en sorte qu'elles soient à armes égales avec leurs homologues étrangers. Pour cela, les pouvoirs publics sont en train de se doter de deux instruments supplémentaires. D'abord, permettre aux entreprises dans tous les secteurs de tirer parti au plus vite de la directive européenne sur les OPA, qui pourrait être très vite transposée en droit français. L'esprit de la directive est le principe de réciprocité : les entreprises pourront se défendre en fonction des caractéristiques de défense utilisables dans le pays d'origine de leur éventuel assaillant. Tout ceci sera précisé dans les prochaines semaines. Ensuite, le Code monétaire et financier a été récemment amendé pour permettre au gouvernement d'interdire une prise de contrôle dans des secteurs jugés stratégiques. Un décret d'application va être publié dans les toutes prochaines semaines pour lister et définir précisément ces secteurs. Cela donnera une bonne visibilité aux investisseurs étrangers.
Par ailleurs, le gouvernement mène sur le long terme une politique pour renforcer la fidélisation de l'actionnariat des entreprises françaises, notamment avec la mise en place des PERP, qui sont des quasi-fonds de pension à la française, et avec certains fonds proches de la Caisse des Dépôts, prêts à investir dans des secteurs stratégiques. Mais fondamentalement, c'est avant tout aux entreprises de veiller à leur indépendance en créant de la valeur.
Q - Eramet doit-il être considéré comme une société aussi stratégique que Danone ?
R - Plus stratégique. Mais votre question ne se pose pas puisque les deux entreprises concernées ont démenti clairement les rumeurs. Et ne comptez pas sur moi pour alimenter des rumeurs concernant une société cotée.
Q - Le gouvernement a annoncé la création de 67 pôles de compétitivité, et celle d'une Agence de l'innovation industrielle. La mise en place de ce dispositif ne risque- t-elle pas d'être contrariée par la multiplicité des tutelles administratives ?
R - Pas du tout. Pour les pôles, un correspondant national unique est justement chargé de faire le lien entre le porteur de chaque projet et les différentes administrations. Et dès septembre, je vais affecter des crédits à certains pôles dont les dossiers sont prêts. Environ 30 millions d'euros vont ainsi être débloqués dans les prochains jours pour des projets de recherche et développement.
Quant à l'Agence de l'innovation, son décret fondateur est sorti vendredi dernier et les nominations sont en cours de signature. Jean-Louis Beffa, le patron de Saint-Gobain, présidera le conseil de surveillance. L'Etat se donne ainsi les moyens d'accompagner l'industrie dans des grands projets technologiques, au-delà du court terme.
Q - Les dépôts de bilan se multiplient dans la chaussure. Le textile est menacé par la Chine. Comment aider ces secteurs ?
R - Sur la chaussure, j'ai annoncé la semaine dernière à Valence des mesures concrètes et je reçois la semaine prochaine, le 5 septembre, le président de la Fédération pour en examiner la mise en oeuvre. La vraie question est : est-ce que ces métiers ont un avenir chez nous ? Oui. Mais à condition que les industriels soient réactifs. L'accord sur les nouveaux quotas jusqu'en 2007 donne aux Européens la possibilité de revenir dans le jeu. C'est l'occasion pour eux de faire valoir leurs produits, notamment pour les catégories dans lesquelles ces quotas limitent les importations. Par ailleurs, tout repose sur la créativité. Pour aider ces secteurs, je souhaite que la création de modèles, de collections, puisse bénéficier de crédits d'impôts accrus. Ce point est en cours de discussion avec la Commission de Bruxelles qui semble prête à monter à 200.000 euros au lieu de 100.000 euros le plafond. Mais il faudrait aller plus loin, et considérer vraiment qu'inventer des modèles, c'est une façon de faire de la recherche. Il en va de même pour la création de jeux vidéo, qui peut aussi bénéficier de crédits d'impôt de ce type.
Q - Comment renforcer la concurrence dans les télécoms, notamment dans les mobiles ?
R - La concurrence, l'autorité de régulation (l'Arcep) y veille. Ce qui est intéressant pour le consommateur, c'est la baisse des tarifs. Dans l'affaire à laquelle vous pensez, s'il y a eu entente, il y aura sanction. Dans les mobiles, nous suivons attentivement les expériences d'opérateurs virtuels. Et il reste une licence disponible. Avis aux amateurs...
Q - Dans les télécoms, le tarif du dégroupage total est passé de 10,50 à 9,50 euros au 1er juin. Est-ce suffisant ?
R - Il me semble important d'abord de souligner que le dégroupage total est en pleine croissance : le nombre d'abonnés qui en bénéficient a ainsi été multiplié par huit depuis le 1er janvier 2005. Ceci dit, les concurrents de France Télécom réclament effectivement 7,50 euros. Sur cette question tarifaire, encore une fois, ce n'est pas à moi de trancher, mais au régulateur du secteur. Par ailleurs, nous venons de faire voter un amendement sur la portabilité : garder son numéro quand on change d'opérateur sera possible en 15 jours. D'autres progrès dans le service rendu sont nécessaires : je vais réunir le 27 septembre les opérateurs et les représentants des consommateurs, pour mettre à plat tous les sujets de friction entre eux, qu'il s'agisse de la portabilité des numéros, des centres d'appels, des frais de résiliation, etc. Il faut que les opérateurs comprennent qu'ils ne vendent pas seulement de la ligne, mais du service.



(Source http://www.u-m-p.org, le 31 août 2005)