Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France Info le 8 septembre 2005, sur la stratégie de "rupture" adoptée par Nicolas Sarkozy et sur la position de l'UDF au sein de la majorité.

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Média : France Info

Texte intégral

Q- Un mot peut-être du véritable programme économique présenté hier par N. Sarkozy. Il s'engage à diviser le chômage par deux en dix ans. Est-ce possible ?
R- La valse des promesses est repartie. Il n'est plus question que de diminuer les impôts, de les diviser, de les baisser de 30 % disent les uns, de 50 % disent les autres. On a déjà connu cela, n'est-ce pas, souvent. Quant au chômage, selon moi, la question du chômage ne sera pas réglée et ne sera même pas traitée, tant qu'on ne se sera pas attaqué aux causes du chômage. Et selon moi, la cause principale du chômage, c'est l'énorme, l'immense concentration de charges sociales que l'on fait peser sur le travail et sur lui seulement. Tant que l'on ne traitera pas cette question, on restera exactement dans les mêmes circonstances et donc dans les mêmes conséquences que l'on voit aujourd'hui. Donc, valse des promesses d'un coté, campagne électorale partie sur les chapeaux des roues, et puis d'un autre coté, l'oubli des causes principales de la situation dans laquelle on se trouve.
Q- Vous ne faîtes absolument pas confiance à N. Sarkozy qui, lui aussi, a adopté une stratégie de "rupture". C'est le même mot que vous !
R- Les mots sont les mots, mais les réalités sont autre chose. Lorsque j'évoque une rupture, le changement nécessaire, une page qui se tourne, je pense aux attitudes politiques. Et la première des attitudes politiques, c'est : plus de promesses, la vérité ! Aujourd'hui, on ne dit pas la vérité aux Français. Et deuxièmement, je pense aux circonstances ou aux causes qui ont créé la situation qui est la nôtre. Et tant que l'on ne s'attaquera pas à ces causes, celles qui rendent le travail si lourd à créer en France, tant que l'on ne s'attaquera pas à la réalité de la situation du chômage...
[...]
Q- On a parfois du mal à comprendre votre stratégie à l'UDF, en ce moment. Le chômage a baissé pour le quatrième mois consécutif et vous, vous restez toujours extrêmement critique à l'égard du Gouvernement. Pourquoi ?
R- La stratégie de l'UDF, c'est la vérité dite aux français. Si le chômage avait réellement baissé, je serais le premier à m'en réjouir. La vérité, c'est que, ce qui a baissé, c'est le chiffre des demandeurs d'emplois, parce que l'on en a rayé plusieurs dizaines de milliers des listes de l'ANPE, que l'on a envoyés en réalité au RMI...
Q- Mais "moins que les mois précédents", dit J.-L. Borloo.
R- Ce n'est pas vrai, me semble-t-il, il suffit de regarder les chiffres... Et à un tout petit peu monter le nombre des emplois dits "aidés", c'est-à-dire de ceux que l'on a rétablis, alors qu'on les avait supprimés. C'est tout. La création d'emplois réelle et véritable en France, n'a pas bougé et est plutôt légèrement en baisse. Alors qu'on se réjouisse de bonnes nouvelles quand il y en a, je serai le premier à le faire, mais que l'on fasse passer pour une amélioration de la situation, quelque chose qui n'est qu'un traitement statistique, je trouve que cela n'est pas juste... Et les Français le savent très bien. Le sondage CSA, paru ce matin, dit que 80 % des Français disent, qu'en effet, la confiance n'est pas de retour . Pourquoi s'obstine-t-on à présenter aux citoyens un monde qui n'est pas leur monde réel ? Mesurez-vous à quel point cela creuse le fossé entre la réalité et le pouvoir ? C'est de ce fossé-là dont nous souffrons depuis longtemps...
Q- Vous savez bien que la politique c'est souvent une histoire de verre à moitié vide, à moitié plein. Où vous situez-vous ? Etes-vous encore de la majorité ?
R- Vous êtes en train de justifier une vision de la politique qui n'est pas la mienne, et qui exaspère les Français, c'est-à-dire la politique comme communication. Et ce n'est pas de communication dont nous avons besoin, c'est de vérité. Exemple : on a annoncé ces jours-ci, des cadeaux de toute nature, sous forme de promesses ou sous forme de cadeaux que l'on va envoyer, paraît-il, dans les jours qui viennent. Alors que nous sommes le pays qui a le déficit et la dette les plus extravagants de la communauté européenne ! Le déficit, en tout cas aujourd'hui : nous avons communiqué à Bruxelles l'affirmation selon laquelle ne nous respecterions pas les engagements que nous avons pris sur ce sujet. Cela n'est pas juste et cela n'est pas normal de faire des promesses et des annonces, sans savoir qui assumera le coût de ces promesses et de ces annonces, qui payera ? Il y a là quelque chose qui ne ressemble pas à la politique telle que je voudrais qu'elle soit.
Q- Vous n'avez pas répondu tout à fait à ma question : êtes-vous encore dans la majorité ?
R- Je suis libre. Il y a ceux qui sont dans la majorité qui trouvent que tout va bien, ceux qui sont dans l'opposition qui sont systématiquement contre. J'essaye de mettre de l'autonomie et de la liberté de parole dans tout cela. Il se trouve que l'UDF a gagné le droit de dire que c'est bien quand c'est bien et que c'est mal quand c'est mal.
Q- Je vais poser ma question autrement. De qui vous sentez-vous le plus proche aujourd'hui, de N. Sarkozy ou de quelqu'un comme M. Rocard ?
R- Cela dépend des moments. Il y a des moments où j'ai approuvé N. Sarkozy. Je me suis senti proche de lui, par exemple, quand il menait sa politique au ministère de l'Intérieur, au début, c'est-à-dire, une politique forte de rétablissement des conditions de sentiments de sécurité. Et puis, aujourd'hui, où c'est une candidature d'élection présidentielle avec des promesses multipliées, qui ressemblent beaucoup aux promesses que J. Chirac faisait dans les mêmes circonstances - baisse des impôts, il n'y aura plus de chômage dans dix, dans dix ans on rasera gratis... -, tout cela n'est pas ma manière de faire de la politique. Quant à M. Rocard, c'est quelqu'un que je respecte, dont je trouve beaucoup d'idées justes et j'espère que le jour viendra où les conditions politiques auront changé en France et permettront à des gens qui sont d'horizons différents de pouvoir, ensemble, conduire une politique au service du pays.
Q- Vous êtes à mi-chemin entre les deux, on l'a bien compris. Cela signifie-t-il que vous serez candidat à la présidentielle, quel que soit le candidat de l'UMP et quel que soit le candidat du PS ?
R- Je vais vous dire un secret, pour le "mi-chemin" : il se trouve que je suis au Centre et que je pense que la France a besoin d'une grande force centrale, qui présente les choses différemment et qui bâtisse sa politique sur la vérité. Je la défendrai inlassablement, et chaque circonstance politique française sera pour moi une occasion de défendre cette vision.
Q- Y compris la prochaine présidentielle ?
R- Je ne doute pas que vous le verrez, attentif comme vous êtes à la vie politique !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 septembre 2005)