Interview de Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, dans "Les Nouvelles calédoniennes" du 15 mars 2004, sur la mise en application de l'accord sur la Nouvelle-Calédonie, la vie économique en Nouvelle-Calédonie, et la parité dans la vie politique locale.

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Média : Les Nouvelles calédoniennes

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Les Nouvelles Calédoniennes : Vous avez déclaré récemment que l'Etat devait être très présent en Nouvelle-Calédonie pour que le dialogue ne soit pas rompu et parce que les enjeux y sont considérables. Quelles sont vos craintes ?
Brigitte GIRARDIN : Ce n'est pas à proprement parler une crainte. L'Etat est partenaire de l'Accord de Nouméa et j'estime qu'il doit jouer pleinement son rôle. Il est là pour faciliter le dialogue entre les deux autres partenaires. S'il ne remplit pas ce rôle à part entière, on peut effectivement craindre une rupture du dialogue, ce qui serait la pire chose pour la Nouvelle-Calédonie. Ce territoire se construit sur l'esprit de partage et sur un dialogue permanent. A aucun moment, ce dialogue ne doit être rompu. C'est pour cette raison que je considère que je dois être présente sur le territoire régulièrement. Nous devons tous faire preuve de vigilance. C'est un territoire qui a connu des événements tragiques. La violence ne doit pas reprendre le dessus car on ne règle jamais rien par la violence. Nous devons en permanence veiller à ce que les choses qui ont été consolidées deviennent irréversibles.
Les Nouvelles Calédoniennes : Les élections provinciales auront lieu dans deux mois. La faible représentativité de l'un ou de l'autre des signataires des Accords pourrait-elle mettre en péril l'avenir de ce processus politique ?
Brigitte GIRARDIN : Il vaut mieux bâtir sur l'union que sur la division. L'expérience montre que l'union a toujours des conséquences positives. En même temps, la vie démocratique, c'est aussi l'expression de toutes les sensibilités. Ce que vous présentez comme un risque d'instabilité, j'ai plutôt envie de le considérer comme une preuve de vitalité démocratique de la Nouvelle-Calédonie. C'est la démonstration que le climat de paix, de sérénité qui prévaut maintenant permet une expression plus facile de la démocratie. En cela, il n'y a pas d'inquiétude à avoir. On pourrait effectivement faire l'économie d'un certain éparpillement ou d'une division, surtout lorsqu'on a des approches souvent identiques. Ce dont a besoin la Nouvelle-Calédonie, c'est avant tout d'un projet cohérent, un projet d'avenir qui doit réunir les Calédoniens et non pas les diviser.
Les Nouvelles Calédoniennes : Certains acteurs politiques trouvent que la mise en application de l'Accord ne va pas assez vite et que l'esprit n'est plus totalement respecté. Que leur répondez-vous ?
Brigitte GIRARDIN : Je suis à la tête de ce ministère depuis bientôt deux ans. J'ai vraiment vécu, presque au quotidien, la mise en uvre de l'Accord de Nouméa. J'ai un peu de recul maintenant et je trouve que tout ce que nous avons fait au cours de ces vingt mois me paraît vraiment aller dans le bon sens. Nous dialoguons dans un esprit constructif. Mais au-delà de ce climat positif, je constate que nous mettons progressivement des réalisations concrètes sur un accord qui est avant tout institutionnel, juridique et politique. Je pense à tous les progrès que nous avons faits sur la voie au rééquilibrage économique et pour lesquels l'Etat joue pleinement son rôle. Tous ces dossiers avancent bien. Ils avancent évidemment, au rythme des différents partenaires. Mais c'est cela, la négociation permanente, la recherche inlassable du consensus. Je n'ai pas du tout le sentiment que nous faisons de l'immobilisme. Il y a une bonne atmosphère de travail entre nous. Encore une fois très constructive. Et, vraiment, le climat convivial et même amical qui règne désormais entre partenaires est, pour moi, très positif. Finalement, l'esprit de l'Accord de Nouméa, c'est avant tout cet esprit de concorde, de partage, cette volonté de faire avancer tous ensemble les dossiers.
Les Nouvelles Calédoniennes : Toujours dans le sens du rééquilibrage
Brigitte GIRARDIN : En ce qui concerne l'usine au Nord par exemple, je m'étais engagée à nommer un expert pour suivre ce dossier à mes côtés et aux côtés du ministre des Finances. Anne Duthilleul a été nommée. J'ai respecté les engagements que j'avais pris. L'Etat, au niveau de la défiscalisation, a apporté sa part. Les choses avancent bien. J'ai été à Poindimié pour inaugurer la médiathèque du Nord. Le rééquilibrage progresse aussi en matière culturelle. Je ne pense donc pas qu'on puisse dire que les choses piétinent, que l'Accord de Nouméa est mis en uvre de façon chaotique. Je vous rappelle aussi que pour la première fois, le comité des signataires s'est réuni à Koné en Province nord. Bien sûr, c'est une construction quotidienne qui demande beaucoup d'efforts, beaucoup de compromis aussi. Il faut lui donner de la chair à cet accord. Je n'ai pas du tout le sentiment que les choses aillent si mal que cela. Au contraire, je rencontre beaucoup de bonnes volontés, en tout cas de la part de ceux qui sont autour de la table des discussions.
Les Nouvelles Calédoniennes : La SLN est entrée dans la phase très concrète de son projet 75 000 tonnes. Jacques Chirac a fait de l'usine du Nord une priorité absolue. Les Calédoniens doivent-ils s'inquiéter pour l'usine du Sud dont le calendrier ne cesse d'être repoussé ?
Brigitte GIRARDIN : Je ne crois pas. Ces deux projets, l'usine du Sud comme celle du Nord, se feront. Ils sont indispensables à la Nouvelle-Calédonie et surtout correspondent à une demande très forte du nickel dans le monde. La Calédonie a des potentialités extraordinaires. Ces deux usines se feront, à leur rythme. C'est quand même compliqué de bâtir de tels projets. Je constate que le calendrier de l'usine du Nord se déroule pour l'instant comme prévu. Il y a eu quelques difficultés sur l'usine du Sud qu'il ne faut pas dramatiser. On est déjà dans la phase de pré-redémarrage et je pense que les choses vont se dérouler tout à fait convenablement.
Les Nouvelles Calédoniennes : Plusieurs compagnies aériennes de la région frappent à la porte depuis quelques mois. Faut-il ouvrir le ciel calédonien au risque de fragiliser Aircalin qui vient d'acquérir son troisième Airbus ?
Brigitte GIRARDIN : D'une façon générale, je ne suis pas favorable aux situations de monopole, dans le secteur aérien notamment. Mais il est clair qu'il ne faut pas mettre en danger Aircalin. Sur d'autres destinations ultramarines, des compagnies locales se sont constituées, je pense à La Réunion, à la Polynésie française. Il est peut-être souhaitable que d'autres compagnies puissent desservir la Calédonie. Je pense surtout aux Calédoniens qui doivent faire face à un coût du transport qui reste quand même élevé, même si l'Etat fait ce qu'il peut pour essayer de mettre en place des dispositifs d'accompagnement et d'aides sociales, au titre de la continuité territoriale, pour les populations les plus fragiles. Je pense notamment au passeport mobilité que j'ai mis en place pour les jeunes. Sans doute ne faut-il pas brusquer les choses. C'est une possibilité qui n'est pas à exclure d'emblée, il faut simplement avoir une situation d'équilibre qui soit bénéfique à la fois à Aircalin et à l'ensemble des Calédoniens.
Les Nouvelles Calédoniennes : Au lendemain du 9 mai, le paysage politique sera métamorphosé avec l'application de la parité. En tant que femme engagée depuis de nombreuses années, quels conseils donneriez-vous aux futures élues pour qu'elles occupent d'emblée leur rang dans la vie politique ?
Brigitte GIRARDIN : Ce n'est pas une question de sexe. Quand on a des convictions, il faut en faire état, il faut se battre pour elles. Il faut le faire avec courage et détermination. Peut-être un peu plus quand on est une femme parce qu'on a besoin de convaincre encore davantage. Les règles de vie que je m'impose, pas seulement en politique, c'est-à-dire vraiment ce que je pense, de le dire sans détours, d'être transparente. Mais on ne peut le faire que quand on a de réelles convictions. L'essentiel est de se battre pour ses convictions et faire en sorte que la raison de son combat politique se traduise par des faits concrets au quotidien. Il faut sans doute avoir beaucoup d'énergie mais, quand on y croit, je pense que cela devient naturel.
Les Nouvelles Calédoniennes : Un an après le passage dévastateur du cyclone Erica, le programme de reconstruction de 1 000 maisons est bien engagé et semble satisfaire les populations bénéficiaires. Quel sentiment éprouve-t-on lorsque l'on remet les clés d'une nouvelle maison à d'anciens sinistrés ?
Brigitte GIRARDIN : C'est très émouvant. On ne peut s'empêcher de penser aux moments épouvantables qu'ont vécus ces personnes. Souvent ressentis comme un véritable drame. Ce qui me fait plaisir, m'apporte beaucoup de bonheur personnel quand je vois ces visages sereins, heureux, ce n'est pas seulement le fait de leur remettre les clés d'une maison, c'est aussi que, derrière ce geste, il y a un peu un retour de leur dignité. Etre propriétaire de son logement, c'est une question de dignité. Je ne veux voir que cet aspect positif, après des heures dramatiques qu'ont vécues tous ces Calédoniens.
(Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 17 mars 2004)