Interview de M. Jacques Barrot, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à France inter le 29 mars 2004, sur les résultats du 2ème tour des élections régionales et sur les priorités du gouvernement.

Prononcé le

Circonstance : Elections régionales et cantonales les 21 et 28 mars 2004

Média : France Inter

Texte intégral

Q- S. Paoli P. Le MarcS.-. Paoli : Avec P. Le Marc, nous avons évidemment beaucoup de questions à vous poser. La première, c'est la lecture que vous faites de ce résultat, parce que probablement, elle demande beaucoup de subtilité. Comment faire la part de ce qui relève du vote-sanction et de ce qui relève du vote d'adhésion ? Il y a des messages pour tout le monde dans ce résultat, autant pour la droite que pour la gauche...
R- "Oui mais malgré tout, c'est un pays qui a peur, c'est un pays qui proteste, c'est un pays qui, comme dans toutes ces périodes où on est au milieu du guet... On a commencé des réformes mais ces réformes ne peuvent pas encore porter leurs fruits, donc c'est un pays qui doute de lui-même. Et je pense que même s'il y a eu, dimanche, une amplification des résultats du premier tour, la gauche ne peut pas, à mon avis, complètement ce matin se déclarer totalement réhabilitée aux yeux du pays. Parce qu'elle a fait une campagne d'autant plus habile, d'autant plus facile, qu'elle savait qu'elle ne gouvernerait pas ce matin, même si elle gagnait. Donc ce sont des succès un peu faciles d'une certaine manière. Ils sont incontestables, je ne suis pas là pour les contester, mais je dis simplement qu'ils débouchent, pour la gauche, sur la gestion des régions - c'est une chose -, mais ils nous laissent, nous, face à un pays qui a besoin d'être adapté pour pouvoir gagner les batailles de l'avenir, la bataille de l'emploi, la bataille de la consolidation de notre modèle social à la française avec une Sécurité sociale qui continue. Nous sommes placés devant ces devoirs impérieux de continuer à adapter le pays et nous avons le sentiment que l'opinion ne suit pas. C'est donc très difficile pour nous, mais en même temps, je l'ai souligné hier devant les militants de la gauche et notamment devant L. Fabius, il faut quand même que la gauche française se sente responsable. Elle ne peut pas ignorer que nous avons un pays qui, financièrement, a besoin d'être redressé. On ne peut pas construire l'avenir en accumulant une dette, en faisant tout ce qu'il faut pour essayer de panser des plaies, au demeurant légitimes. Mais nous devons aussi redonner à ce pays un dynamisme sans lequel l'emploi durable n'est plus à notre portée, et ni la consolidation de nos systèmes sociaux."
Q- P. Le Marc : J. Barrot, comment expliquez-vous la violence du rejet de la politique du gouvernement, rejet du Premier ministre, deux ans simplement après une victoire totale du Président de la République et de la droite ?
R- "Bien sûr je vais commencer à dire, Pierre Le Marc, qu'il y a de notre part un certain nombre de maladresses, incontestables, le sentiment que certaines mesures ponctuelles ont été prises et ont masqué tout ce qu'il y avait de positif derrière. J'étais très étonné hier soir, sur les plateaux de télévision, de ne plus entendre parler ni des petites retraites qui désormais sont assurées d'un meilleur taux de remplacement, ni des SMIC réunis et augmentés de manière significative. Tout cela avait disparu derrière, en effet, quelques problèmes qui n'ont pas été peut-être résolus de la bonne manière : cette réorientation d'une assurance chômage vers l'accompagnement vers l'emploi, bref... C'est le premier point. Voyez que je commence à être très modeste. Mais en même temps, je dis, nous avons eu affaire à une campagne avec des feux croisés, parce que le discours de la gauche rejoignait à certains moments celui de l'extrême droite, c'est-à-dire qu'on cultivait vraiment la peur. Quand j'entendais des responsables socialistes dire : "vous allez voir, l'assurance maladie, ils vont la mettre en pièces" ; ce n'est pas possible que des dirigeants de la gauche, qui ont exercé le pouvoir, puissent raconter des histoires pareilles. Or ça nourrissait indirectement aussi, ça venait conforter le lepénisme, et puis j'ajoute, sans vouloir faire un procès excessif, que F. Bayrou, à l'intérieur de la majorité, a lui aussi porté un regard tellement négatif sur la réalité, qu'il venait aussi d'une certaine manière accréditer ce jugement, à mon avis, beaucoup trop sévère sur un gouvernement qui avait engagé les réformes mais qui ne pouvait pas, non plus, à moins de deux ans de l'engagement des réformes, afficher des résultats tout à fait significatifs."
Q- P. Le Marc : Mais l'explication de F. Bayrou, qui appartient à la majorité, c'est : manque de visibilité, manque de vérité, manque de justice. Que pensez-vous de cette explication ?
R- "Oui mais alors, c'est toujours le même problème, c'est que, est-ce qu'il faut lorsqu'on fait partie d'une majorité"
Q- P. Le Marc : On a le droit de dire la vérité quand on fait partie d'une majorité...
R- "Oui, mais on l'a dit, si possible à l'intérieur et de manière positive, en disant : voilà ce que vous ne faites pas, voilà ce que vous devriez faire. Or, dans les propos de F. Bayrou, que je ne suis pas là pour attaquer ce matin... Nous sommes bien obligés de travailler tous ensemble, y compris avec toute l'équipe de F. Bayrou. Mais ce qui est vrai, c'est qu'on ne peut pas mettre un pays au négatif au moment où il a besoin profondément d'adaptations."
Q- P. Le Marc : Son diagnostic est vrai ou pas ?
R- "Mais nous n'avons pas attendu pour dire qu'il fallait donner une forte visibilité à la démarche réformiste parce que, par définition, c'est des démarches difficiles, qu'il faut expliquer le sens de l'effort. Et puis, évidemment, il faut que cet effort soit bien partagé, que ceux qui sont les plus fragiles n'en supportent pas les premiers, les conséquences. Mais ceci étant dit, j'irais même dans un esprit social, et vous savez combien il m'anime, je dis que nous ne pouvons pas temporiser, reculer, mettre en veilleuse les réformes dont ce pays a besoin ; ce serait une grave erreur. Moi je tiens à la Sécurité sociale, je me suis battu pour elle, mais il faut dire aux Français qu'on ne la sauvera pas sans un effort collectif et un peu plus de responsabilités personnelles."
Q- S. Paoli : M. Barrot, vous dites : nous devons travailler tous ensemble. Ne sommes-nous pas, ce matin, dans une nouvelle forme de la cohabitation ? Avec un pouvoir politique à Paris, le pouvoir central, mais avec un pouvoir régional très fort, avec des moyens financiers qui sont à prendre en compte dans les régions et qui vont obliger la droite et la gauche à se poser de façon traverse et collective la question de la gestion du pays. Une nouvelle forme de cohabitation...
R- "Oui, mais enfin nous sommes quand même dans un pays qui est unitaire et où les grands choix, c'est quand même le Parlement, le Président de la République. Nous n'avons pas, les Français n'ont pas voté hier pour remplacer le Président de la République ou les parlementaires. Nous avons une mission, nous avons des devoirs, il faut les accomplir. Nous avons une échéance. On se trouve ce matin dans la situation où l'élève avait quatre heures pour faire sa dissertation, on a tendance à lui enlever sa copie deux heures après qu'il a commencé ; honnêtement, ce n'est pas sérieux. Il faut lui laisser continuer sa copie. Simplement il faut qu'il soit très attentif parce qu'il a une opinion, [...] une opinion très impatiente, et qui manifestement a peur de l'avenir. Cela étant, nous allons respecter le choix des électeurs dans les régions, il faudra que nous ayons en effet une négociation avec les pouvoirs régionaux. Mais j'attire l'attention : dans certaines régions, cette gauche plurielle va retrouver ses contradictions, parce qu'elle va à nouveau être confrontée à la gestion. Et je vois des régions où, par exemple, les Verts vont neutraliser les grandes infrastructures de communication, où les communistes vont, avec l'extrême gauche, rappeler que l'entreprise est par définition suspecte et qu'il faut la surveiller étroitement, voire la mettre sous contrôle public, sous tutelle publique. Tout cela, nous allons revoir réapparaître les contradictions d'une gauche plurielle qui a abouti au ni-ni jospinien, et à l'immobilisme. Cela étant, on respectera le pouvoir régional, mais il faudra bien, qu'au niveau national, nous gardions notre courage."
Q- S. Paoli : Mais alors, la copie, M. Barrot, il faut quand même la modifier un peu après un tel résultat, jusqu'où la modifier ? Evidemment, cela pose la question du Premier ministre. Le remaniement, ça va de soi, mais le Premier ministre ?
R- "Non, le problème d'abord, c'est la feuille de route. Il faut non pas changer de cap, je crois qu'il faut adapter ce pays. Je crois que J. Chirac a toujours dit qu'il voulait garder un modèle social à la française et un modèle social européen. Il n'est pas question de rompre les solidarités qui font la force de ce pays. Il faut même, je dirais, les fortifier, mais pour ça, il faut mettre de l'ordre. il faut remettre un peu en marche, il faut savoir demander à ceux qui ont un effort à faire, à faire cet effort, mais il faut le faire de manière très juste. Et puis il faut dire la vérité, il faut assumer les choix pleinement, mais c'est vrai que c'est un moment rude. Mais dites-vous bien qu'en Allemagne, le Chancelier Schröder aujourd'hui, malgré des élections intermédiaires qui sont très mauvaises pour lui, a décidé de continuer en disant : rendez-vous avec les Allemands dans deux, trois ans, et les efforts d'aujourd'hui paieront."
Q- P. Le Marc : Ce que l'on entend dans le discours de la droite aujourd'hui, c'est : il faut donner la priorité au social. Mais est-ce que ça n'oblige pas à mettre un frein à la libéralisation, l'aspect libéral des réformes ? Et est-ce que ça n'oblige pas le gouvernement et le Président de la République à revoir les priorités, et à les revoir en fonction des possibilités financières du pays ?
R- "C'est un dilemme tout à fait discutable. Il ne s'agit pas d'opposer libéral et social, il s'agit d'un côté d'accroître les performances économiques du pays. Si on veut créer des emplois, il faut des entreprises qui se défoncent et qui arrivent à prendre des marchés et créer des emplois ; compétitivité économique, performance, c'est une des premières lignes. Et la deuxième, c'est en effet l'intégration sociale. C'est faire que cette communauté nationale intègre plus vite un certain nombre de minorités défavorisées. Mais je ne vois pas comment on peut opposer l'un à l'autre, il faut faire les deux en même temps."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 mars 2004)