Interview de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement, à France 2 le 29 mars 2004, sur le résultats des élections régionales et sur la politique de réforme du gouvernement.

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Circonstance : Elections régionales et cantonales les 21 et 28 mars 2004

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Q- F. Laborde-. Pour le scrutin d'hier, le rapport gauche-droite est de 50 % pour la gauche, 37 % pour la droite, 12,5 % pour le Front national. Cela veut-il dire que la France est passée à gauche ?
R- "Cela veut dire, en tout cas, que les Français ont adressé un très gros coup de semonce à la majorité nationale. De là à dire que ce soit un vote d'adhésion pour la gauche, c'est un peu prématuré, parce qu'en fait, la gauche n'a pas fait campagne sur un projet alternatif, elle a fait campagne exclusivement sur la critique gouvernementale. C'est donc d'abord un avertissement pour nous, et c'est à nous de travailler sur ces questions."
Q- Les disputes avec l'UDF ont-elles été un gros handicap ou, finalement, n'ont pas changé grand chose ?
R- "Il faut faire du cas par cas. Personnellement, je ne souhaitais pas spécialement une primaire en Ile-de-France. Nous l'avons eue mais elle s'est passée dans des conditions qui étaient plutôt bonnes. En réalité, tout dépend des relations personnelles entre les équipes et entre les candidats. Lorsque les candidats ont des relations courtoises durant la première étape, avant le premier tour, cela donne de bons reports de voix. C'est peut-être ce qu'il faut retenir."
Q- Disons les choses autrement : est-ce que cet échec n'est pas aussi un peu l'échec de la formation politique UMP ?
R- "D'abord, je crois qu'il faudra - pour nous, en tout cas, c'est notre travail - regarder un peu tout cela au calme, de regarder exactement et d'essayer d'affiner les interprétations qu'il faut donner du vote des Français. Mais enfin, oui, c'est vrai que l'UMP n'a pas donné les résultats que l'on pouvait espérer dans un certain nombre de régions. Maintenant, pour autant, je crois que la dynamique qui a été engagée il y a deux ans, il faut la poursuivre, bien sûr."
Q- F. Fillon disait que c'était une sorte de "21 avril à l'envers" ce qui s'était passé hier. Partagez-vous cette analyse ?
R- "Non, je ne partage pas tout à fait cette analyse, parce que le 21 avril 2002 était d'abord le procès en immobilisme. Il ne faut pas oublier que les Français ont sanctionné l'immobilisme du gouvernement Jospin : cinq ans sans réforme courageuse, malgré cinq ans de croissance. Là, ce n'est pas tout à fait la même chose. Il y a incontestablement l'expression d'inquiétudes, d'impatience ou de l'autre côté de contestations naturellement, mais face à un gouvernement qui fait des réformes. Donc on n'est pas tout à fait dans la même logique."
Q- Alors, est-ce que ce n'est pas sur le mot "réforme" qu'il y a un malentendu, parce que quand on dit "réforme", on pense en général à "progrès social". Or là, c'est plutôt des réformes qui sont un peu difficiles à avaler sur le plan social. Est-ce qu'il n'aurait pas fallu dire "chers amis, ça va être un peu d'austérité et de difficultés" ?*
R- "Sans doute... "Austérité" ? En tout cas, ce qui est vrai, c'est que notre objectif, c'est de maintenir notre modèle social et que ce qu'on essaie d'expliquer aux uns et aux autres, c'est que si on veut sauver notre modèle social, il y a des décisions à prendre, maintenant. Parce que si on ne les prend pas maintenant, après, ce sera trop tard. "
Q- Cela veut dire que, par exemple, pour la Sécu, il faut continuer le processus ?
R- "Sinon notre système va en faillite... Il faut être très lucide là-dessus. Mais nous voulons préserver les grands fondamentaux de notre système social, c'est pour ça qu'il y a quelques décisions à prendre. C'est intéressant de regarder la manière dont nous devons réfléchir pour l'avenir à tout cela. Ces réformes, on les a engagées. Il faut continuer de faire un travail d'explications, probablement réfléchir à la manière de conduire les affaires du Gouvernement. Mais en même temps, le message est là..."
Q- Avec cette "claque électorale" - disons les mots un peu de façon un peu abrupte -, le président de la République est-il atteint ? Peut-il se contenter d'un remaniement ministériel ou faut-il qu'il change de Premier ministre ?
R- "C'est vraiment de sa seule compétence et c'est à lui et lui seul, bien sûr, que reviendra cette décision. Je crois que, de toute façon, c'est une réflexion pour nous tous. Ce qui s'est passé hier, ce sont d'abord des interrogations profondes des Français sur la suite des choses, dans un contexte un peu particulier. Il faut quand même insister là-dessus : nous n'avons pas de croissance économique encore, pas suffisamment. On a donc lancé des tas de chantiers, mais on n'a pas encore de résultat pour dire aux Français : "Vous voyez, ce que nous faisons, c'est justifié, voilà les résultats". Deux ans, finalement, c'est le moment le plus difficile, parce qu'on a ouvert tous les chantiers mais on n'a pas encore les résultats. Donc mon sentiment est que le débat ne peut pas être dans l'idée de dire qu'on arrête les réformes. J'ai entendu beaucoup de responsables de gauche dire qu'il faut arrêter les réformes. Je vois bien leur logique mais c'est une logique qui n'est pas une logique de responsabilité. D'ailleurs ils n'ont pas fait campagne sur un projet, ils ont fait campagne sur l'idée de dire qu'on ne touche à rien. Or, ne toucher à rien, c'est condamner notre système."
Q- Concrètement, qu'est-ce qui est prévu sur votre agenda dans les jours à venir ? Avant le Conseil des ministres de mercredi, va-t-il y avoir des réunions, des concertations ?
R- "Oui, sans nul doute. Je ne peux pas vous en dire plus à l'heure où nous nous rencontrons ce matin, mais oui, bien sûr..."
Q- Avez-vous le sentiment que, quand vous regardez ce qui se passe à gauche, c'est une victoire personnelle pour F. Hollande ?
R- "Une victoire personnelle pour F. Hollande, je ne sais pas. Il n'était pas candidat lui-même... En tout cas, ce qui est sûr, c'est que c'est la victoire de tous ceux qui ont lancé un appel à contester la politique de réforme, ça c'est vrai. Mais chacun sait qu'on ne gagne pas uniquement sur de la contestation ou qu'en tout cas, il appartient à chaque responsable politique d'interpeller aussi les Français, en leur disant attention, qu'est-ce qu'on veut demain pour notre pays, quels sont les grands objectifs, quelles sont les grandes ambitions ? Et du coup, cela veut dire que la gauche ne gagnera pas simplement sur la contestation, et que nous, nous ne gagnerons pas simplement en disant qu'on continue comme si de rien n'était. Il faut tirer toutes les leçons de cela. Par contre, ma conviction personnelle est qu'arrêter les réformes serait suicidaire pour notre pays."
Q- Cela veut dire, par exemple, qu'il faut remettre un peu F. Bayrou dans le jeu, lui qui était justement dans la contestation à l'action gouvernementale ?
R- "C'est à lui d'apprécier, c'est à lui de savoir si il doit rester dans la contestation ou si lui aussi doit faire l'exercice qui consiste à proposer. Il ne l'a pas fait jusqu'à présent, donc cela m'est difficile de juger. Ce que je peux vous dire, en revanche, c'est que de manière générale, quand on appartient à une même famille politique, à une même majorité, il est mieux tout de même de faire attention aux formes, parce que quand on s'invective, forcément, il y a de la perte en ligne au niveau des électeurs, ce qui est normal."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 mars 2004)