Texte intégral
Q- La semaine dernière, vous regrettiez l'absence remarquable de J. Chirac face aux violences urbaines. Le chef de l'Etat, depuis, s'est exprimé et, aujourd'hui, c'est un apaisement relatif dans les banlieues. Est-ce que J. Chirac n'a pas été sage en évitant de vous écouter et en évitant de parler trop vite ?
R- Le président de la République, dans une République comme la nôtre, comme la Vème République élu au suffrage universel, ne peut pas être absent des grands évènements du pays. J. Chirac a une autre conception des choses, plus lointaine, plus éloignée mais cela l'empêche d'avoir prise sur les évènements. C'est une réflexion, pour moi ancienne, et qui se confirme encore aujourd'hui.
Q- En revanche, on a beaucoup entendu N. Sarkozy qui s'en est pris aux "voyous", à la "racaille" - pour employer ses termes, des mots qui vous gênent. Mais en soutenant la prolongation de l'état d'urgence, hier, soir, est-ce que vous n'entrez pas dans sa logique ? Vous le soutenez dans son action.
R- Ce n'est pas une affaire de ministre, de personnalité, et ce n'est pas une affaire de style. On est dans une situation que beaucoup de Français ont vécue comme une atteinte intolérable à ce que devrait être une société paisible, avec les milliers et des milliers d'incidents, de voitures brûlées, de blessures et d'arrestations. Ce n'est pas un état normal. Le Gouvernement, dans cette affaire, a dit à l'ensemble des partis politiques :"voilà ce que nous allons faire pour rétablir l'ordre". Et l'ensemble des partis politiques a décidé d'être solidaire autour du Gouvernement. Cela a été le cas jusqu'à hier. La gauche a pris majoritairement un autre chemin, mais un certain nombre de députés socialistes, vous l'avez vu, ont refusé de suivre les consignes de leur parti. Nous, nous sommes dans un esprit de solidarité. Nous n'aimons pas les lois d'exception, nous n'aimons pas les états d'urgence en temps de paix. L'état d'urgence est quelque chose qui, malheureusement est pour les situations, dit la loi "de péril imminent". Mais le choix du Gouvernement ne méritait pas une polémique ; nous n'avons pas voulu en faire.
Q- J. Chirac, lundi, a dénoncé "le poison de la discrimination". Peut-on être français, aujourd'hui, quand on s'appelle Mohamed ou Sidibé ?
R- Quel que soit le nom que l'on porte, quelle que soit la couleur de la peau. Mais il est vrai que les jeunes Français, nés en France, qui viennent de l'immigration, ceux qui ont une couleur de peau différente, ont aujourd'hui le sentiment d'être exclus d'un certain nombre de chances que les autres ont. Mais on se tromperait beaucoup en croyant que cette fracture de la France se limite aux banlieues. On se tromperait beaucoup en croyant qu'il n'y a que les banlieues qui soient en crise. C'est toute la société française qui est en crise et les banlieues ne sont que le symptôme de cette crise de la société française. Cette crise, c'est quoi ? C'est, premièrement : tout le monde n'a pas les mêmes chances. Il y a eu un temps où la République, comme on dit, a donné à ceux qui vivaient en France, le sentiment qu'il y avait une égalité des chances, que si l'on travaillait bien, que si l'on faisait des efforts, on pouvait s'en sortir. Ce temps est loin derrière nous. Deuxièmement, il y a eu un temps où l'on a eu le sentiment et la certitude que l'Etat était présent partout de la même manière. L'Etat par ses bureaux de Poste, par ses commissariats, par ses gendarmeries, par ses écoles, par le tissu qu'il garantissait aux Français. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et donc, cette rupture de l'égalité des chances d'un côté et cette rupture de la présence de l'Etat, de l'autre, sont deux racines profondes de la crise
que nous vivons.
Q- Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Un nouvel effort financier énorme pour remobiliser ? Des moyens non seulement pour les banlieues mais pour les zones qui seraient devenues des zones sensibles ? Parce que l'effort, actuellement, il est déjà énorme, c'est une réalité, cela ne marche !
R- On met beaucoup d'argent et ça ne marche pas.
Q- On met déjà énormément d'argent, alors est-ce trop tard ?
R- La question n'est pas dans l'argent, c'est dans l'analyse des raisons qui font que cela ne marche pas. Et l'analyse de ces raisons est multiple, ce sera d'ailleurs l'objet des dix-huit mois qui viennent, vous voyez bien que cela va être un des grands sujets. En tout état de cause et pour moi, je pense que l'on se tromperait en limitant les diagnostics, l'analyse et l'action aux banlieues. On referait un erreur qu'on a déjà faite et dont on a vu que les résultats n'étaient pas fameux.
Q- Justement, est-ce que la classe politique, elle-même, ne donne pas le mauvais exemple en matière de discrimination ? Comment un homme politique peut-il être crédible aujourd'hui, alors que dans les partis, on voit bien que les jeunes issus des familles de l'immigration ne sont pas aux premières places ?
R- Il suffit que vous regardiez les bancs de l'Assemblée nationale pour mesurer à quel point nos institutions font que le pays n'est pas représenté dans ses assemblées. Ne serait-ce que l'équilibre normal qui devrait exister et qui existe partout dans le monde entre les hommes et les femmes ; ne serait-ce que la représentation naturelle - je ne suis pas pour des quotas - qui devrait être la chance ouverte à des Français, quelle que soit leur origine. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Les milieux populaires sont complètement absents, les milieux indépendants sont très absents et les milieux issus de l'immigration sont totalement absents ! Il n'y a pas une seule représentation de ces milieux à l'Assemblée nationale. Alors que faut-il faire ?
Q- Cela va être une grande question de la présidentielle ?
R- Cela va être une des grandes questions. Le changement de nos institutions est au cur de la crise que nous vivons, notamment, par exemple, le fait que nous adoptions une loi électorale qui permette de faire élire des gens qui ne soient pas exactement conformes, dans le moule énarchique et cravaté dans lequel nous vivons dans nos assemblées et aujourd'hui dans la représentation du pays. Il y a quelque chose qui ne va pas, il faut l'analyser et le changer. Et nous, en tout cas, nous serons les défenseurs de ce changement.
(Source : premier-ministre, Service d'informatiopn du gouvernement, le 21 novembre 2005)
R- Le président de la République, dans une République comme la nôtre, comme la Vème République élu au suffrage universel, ne peut pas être absent des grands évènements du pays. J. Chirac a une autre conception des choses, plus lointaine, plus éloignée mais cela l'empêche d'avoir prise sur les évènements. C'est une réflexion, pour moi ancienne, et qui se confirme encore aujourd'hui.
Q- En revanche, on a beaucoup entendu N. Sarkozy qui s'en est pris aux "voyous", à la "racaille" - pour employer ses termes, des mots qui vous gênent. Mais en soutenant la prolongation de l'état d'urgence, hier, soir, est-ce que vous n'entrez pas dans sa logique ? Vous le soutenez dans son action.
R- Ce n'est pas une affaire de ministre, de personnalité, et ce n'est pas une affaire de style. On est dans une situation que beaucoup de Français ont vécue comme une atteinte intolérable à ce que devrait être une société paisible, avec les milliers et des milliers d'incidents, de voitures brûlées, de blessures et d'arrestations. Ce n'est pas un état normal. Le Gouvernement, dans cette affaire, a dit à l'ensemble des partis politiques :"voilà ce que nous allons faire pour rétablir l'ordre". Et l'ensemble des partis politiques a décidé d'être solidaire autour du Gouvernement. Cela a été le cas jusqu'à hier. La gauche a pris majoritairement un autre chemin, mais un certain nombre de députés socialistes, vous l'avez vu, ont refusé de suivre les consignes de leur parti. Nous, nous sommes dans un esprit de solidarité. Nous n'aimons pas les lois d'exception, nous n'aimons pas les états d'urgence en temps de paix. L'état d'urgence est quelque chose qui, malheureusement est pour les situations, dit la loi "de péril imminent". Mais le choix du Gouvernement ne méritait pas une polémique ; nous n'avons pas voulu en faire.
Q- J. Chirac, lundi, a dénoncé "le poison de la discrimination". Peut-on être français, aujourd'hui, quand on s'appelle Mohamed ou Sidibé ?
R- Quel que soit le nom que l'on porte, quelle que soit la couleur de la peau. Mais il est vrai que les jeunes Français, nés en France, qui viennent de l'immigration, ceux qui ont une couleur de peau différente, ont aujourd'hui le sentiment d'être exclus d'un certain nombre de chances que les autres ont. Mais on se tromperait beaucoup en croyant que cette fracture de la France se limite aux banlieues. On se tromperait beaucoup en croyant qu'il n'y a que les banlieues qui soient en crise. C'est toute la société française qui est en crise et les banlieues ne sont que le symptôme de cette crise de la société française. Cette crise, c'est quoi ? C'est, premièrement : tout le monde n'a pas les mêmes chances. Il y a eu un temps où la République, comme on dit, a donné à ceux qui vivaient en France, le sentiment qu'il y avait une égalité des chances, que si l'on travaillait bien, que si l'on faisait des efforts, on pouvait s'en sortir. Ce temps est loin derrière nous. Deuxièmement, il y a eu un temps où l'on a eu le sentiment et la certitude que l'Etat était présent partout de la même manière. L'Etat par ses bureaux de Poste, par ses commissariats, par ses gendarmeries, par ses écoles, par le tissu qu'il garantissait aux Français. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et donc, cette rupture de l'égalité des chances d'un côté et cette rupture de la présence de l'Etat, de l'autre, sont deux racines profondes de la crise
que nous vivons.
Q- Mais qu'est-ce que cela veut dire ? Un nouvel effort financier énorme pour remobiliser ? Des moyens non seulement pour les banlieues mais pour les zones qui seraient devenues des zones sensibles ? Parce que l'effort, actuellement, il est déjà énorme, c'est une réalité, cela ne marche !
R- On met beaucoup d'argent et ça ne marche pas.
Q- On met déjà énormément d'argent, alors est-ce trop tard ?
R- La question n'est pas dans l'argent, c'est dans l'analyse des raisons qui font que cela ne marche pas. Et l'analyse de ces raisons est multiple, ce sera d'ailleurs l'objet des dix-huit mois qui viennent, vous voyez bien que cela va être un des grands sujets. En tout état de cause et pour moi, je pense que l'on se tromperait en limitant les diagnostics, l'analyse et l'action aux banlieues. On referait un erreur qu'on a déjà faite et dont on a vu que les résultats n'étaient pas fameux.
Q- Justement, est-ce que la classe politique, elle-même, ne donne pas le mauvais exemple en matière de discrimination ? Comment un homme politique peut-il être crédible aujourd'hui, alors que dans les partis, on voit bien que les jeunes issus des familles de l'immigration ne sont pas aux premières places ?
R- Il suffit que vous regardiez les bancs de l'Assemblée nationale pour mesurer à quel point nos institutions font que le pays n'est pas représenté dans ses assemblées. Ne serait-ce que l'équilibre normal qui devrait exister et qui existe partout dans le monde entre les hommes et les femmes ; ne serait-ce que la représentation naturelle - je ne suis pas pour des quotas - qui devrait être la chance ouverte à des Français, quelle que soit leur origine. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Les milieux populaires sont complètement absents, les milieux indépendants sont très absents et les milieux issus de l'immigration sont totalement absents ! Il n'y a pas une seule représentation de ces milieux à l'Assemblée nationale. Alors que faut-il faire ?
Q- Cela va être une grande question de la présidentielle ?
R- Cela va être une des grandes questions. Le changement de nos institutions est au cur de la crise que nous vivons, notamment, par exemple, le fait que nous adoptions une loi électorale qui permette de faire élire des gens qui ne soient pas exactement conformes, dans le moule énarchique et cravaté dans lequel nous vivons dans nos assemblées et aujourd'hui dans la représentation du pays. Il y a quelque chose qui ne va pas, il faut l'analyser et le changer. Et nous, en tout cas, nous serons les défenseurs de ce changement.
(Source : premier-ministre, Service d'informatiopn du gouvernement, le 21 novembre 2005)