Texte intégral
MICHEL DRUCKER : Monsieur le Premier Ministre, racontez-moi votre amitié avec Claude ALLEGRE. Votre première rencontre date des années 57-58 ?
LIONEL JOSPIN : Oui, 57-58. Nous avions 20 ans et chacun garde le goût de ces 20 ans - je n'espère pas la nostalgie. C'était à la Cité Universitaire d'Antony, où nous étions résidents l'un et l'autre. Nous avions plusieurs passions communes, un engagement politique la grande affaire c'était la décolonisation ou c'était la guerre d'Algérie. Nous étions contre. Le syndicalisme étudiant nous poussait à agir avec les autres. Et puis le goût du sport et le basket ; c'est dans ce contexte que nous nous sommes rencontrés.
MICHEL DRUCKER : Vous pensiez déjà faire une carrière politique tous les deux ?
LIONEL JOSPIN : Lui sûrement pas. Il se préparait à devenir un très bon scientifique, il ne savait pas qu'il deviendrait un exceptionnel savant. Quant à moi, non, je me préparais à ce que l'on appelle le service public. Lui pensait être un professeur, un scientifique et moi un serviteur de l'Etat.
MICHEL DRUCKER : Vous prépariez l'ENA ?
LIONEL JOSPIN : Oui, mais heureusement je ne faisais pas que ça. Nous avions la passion du sport, de l'engagement politique, nous étions des passionnés de cinéma, nous dévorions des livres et puis nous étions des jeunes hommes.
MICHEL DRUCKER : Il dit dans son livre : " j'ai un souvenir précis d'une première engueulade avec Lionel, j'étais responsable local du PSU. Lionel protestait contre une décision qu'ALLEGRE avait prise, des étudiants qui préparaient l'ENA étaient dispensés de vendre les journaux le dimanche et Lionel n'était pas d'accord ". Et ALLEGRE écrit " déjà le souci des réformes ". Vous vous en souvenez ?
LIONEL JOSPIN : Non, ce n'était pas ça. Le réflexe était autre. On disait, comme il prépare l'ENA, si on sait qu'il est de gauche, qu'il vend sur le marché un journal du PSU, il va être noté, fiché. Parce qu'à l'époque, il y avait une idéologie dominante qui ne faisait pas de cadeau. Et moi, je disais : mais attendez, mes copains prennent des risques, moi je dois prendre le minimum de risques avec eux - qui n'étaient d'ailleurs pas des grands risques. C'est contre ça que je m'étais insurgé. C'était moins l'idée de réforme, qu'une certaine idée de moi-même.
MICHEL DRUCKER : Ensuite vos routes se sont un peu séparées et vous vous êtes retrouvés en 73, au Parti Socialiste ?
LIONEL JOSPIN : Oui, nous nous sommes retrouvés effectivement, plutôt vers la fin des années 70, lorsque j'ai commencé à prendre des responsabilités plus importantes au PS. Lui, c'était un homme de sensibilité de gauche et il a eu envie de me dire : " dans ce parti que j'aime bien, je ne suis pas sûr qu'on mesure assez bien l'importance de la science. Moi je suis un savant, je connais ce milieu, et je peux t'aider ". C'est ça qui a fait, au fond, que nous avons renoué une relation qui a été une relation de travail intellectuel, mais qui est redevenue une relation d'amitié.
MICHEL DRUCKER : Revenons à son livre " Toute vérité est bonne à dire ", vous l'avez lu, bien sûr. Qu'en avez-vous pensé ?
LIONEL JOSPIN : J'ai pensé qu'il disait un certain nombre de choses justes, qu'il voyait toute cette période avec beaucoup de subjectivité. Claude est d'abord un savant, un créateur, un homme seul comme le sont les artistes ou les grands savants. Et le problème de Claude, me semble-t-il, c'est qu'il a une telle passion, une telle conviction, une telle concentration sur ce qui pour lui est important, qu'il peut lui arriver d'en oublier les autres. Non pas les autres en tant qu'hommes, parce que c'est un ami fidèle, un ami précieux, et un très bon compagnon - il l'était dans le gouvernement, comme il l'était au Parti Socialiste. Mais les autres dans leur masse. Et je crois que tant qu'il n'admettra pas que, quelle que soit sa force de conviction, sa volonté de réforme, on ne peut pas avoir totalement raison contre tous les autres, il ne sera pas à l'aide et il ne tirera pas le bon bilan de son expérience gouvernementale qui aura été précieuse.
MICHEL DRUCKER : Une chose est sûre, c'est qu'il n'aurait pas pu être aux Affaires étrangères, ça aurait fait un mauvais diplomate. On a l'impression que le fond est plus important que la forme. C'est votre avis ?
LIONEL JOSPIN : Oui, une fonction de ministre implique une médiatisation. Diriger l'Education nationale, ça veut dire avoir affaire à plus d'un million d'enseignants. Ca veut dire avoir des contacts avec des millions de jeunes, non pas directement, mais par les médias interposés et donc ça suppose de faire très attention à son expression pour ne pas être mal compris.
MICHEL DRUCKER : A quel moment avez-vous pensé à lui pour l'Education nationale ?
LIONEL JOSPIN : Claude ALLEGRE m'avait accompagné dans mon parcours de ministre de l'Education nationale de 88 à 92, il avait été l'animateur principal de tout ce que nous avons fait dans l'Enseignement supérieur, notamment de ce plan Université 2000, qui a redonné de l'espoir à l'université française, qui nous a permis d'accueillir dans de bonnes conditions la vague démographique des jeunes venus du lycée et qui commençaient des études supérieures. Il me paraissait donc être intellectuellement, techniquement apte à cette fonction. Mais il y a cette dimension de la passion personnelle et de la difficulté parfois à prendre en compte la réalité, les corporatismes, les attitudes, que j'avais peut-être un peu sous-estimée.
MICHEL DRUCKER : Quel est l'état d'esprit que l'on a avant un déjeuner comme celui du 25 mars 2000 où vous lui avez annoncé qu'il devait quitter son ministère ? Annoncer à un ami qu'il doit quitter son poste, ce n'est pas la chose la plus facile à faire.
LIONEL JOSPIN : Non, du coup, je pense qu'on dépouille au maximum cette rencontre de l'affect, du pathos et peut-être y met-on trop de froideur, c'est une forme de pudeur quand, de toute façon, on doit prendre la responsabilité de dire à quelqu'un qu'on va le changer, qu'on doit le changer. Je pense que c'est finalement plus noble de le faire de façon assez dépouillée et peut-être un peu trop froide, que d'y mettre une sensibilité ou une sentimentalité qui pourrait apparaître, dans l'espèce, hypocrite.
MICHEL DRUCKER : Je me souviens très bien que le 2 avril 92 ? monsieur MITTERRAND avait remanié le gouvernement, et vous aviez quitté, vous, l'Education nationale, remplacé par Jack LANG.
LIONEL JOSPIN : C'est vrai, oui.
MICHEL DRUCKER : Dans quel état d'esprit étiez-vous à l'époque ?
LIONEL JOSPIN : J'ai trouvé que c'était
MICHEL DRUCKER : Un peu rude.
LIONEL JOSPIN : Oui, j'ai pu trouver subjectivement que c'était rude, mais dans mon comportement extérieur, ai-je dit quelque chose ? Rien. Je n'ai pas écrit, je n'ai même pas écrit un livre, je n'ai pas multiplié les déclarations
MICHEL DRUCKER : Le contexte était différent aussi.
LIONEL JOSPIN : Oui, le contexte était différent, mais je crois qu'il faut savoir accepter ce qui est décidé par ceux qui ont la responsabilité de le faire.
MICHEL DRUCKER : Quel souvenir précis gardez-vous de votre passage à l'Education nationale qui n'est pas un ministère comme les autres ? Et pourquoi n'est-ce pas un ministère comme les autres ?
LIONEL JOSPIN : Ce n'est pas un ministère comme les autres parce qu'il s'agit de nos enfants, de leur avenir et d'une certaine façon de notre avenir, donc il faut à la fois gérer une administration de masse - même si elle est heureusement maintenant très déconcentrée, et Claude ALLEGRE y a contribué après moi - et en même temps on touche à ce qu'il y a de plus précieux pour les gens, avec en plus des hommes et des femmes qui font un métier magnifique, les enseignants, les autres personnels, mais en même temps très difficile à cause de l'hétérogénéité sociale, à cause de la violence qui est parfois présente, et qui ont toujours un problème de reconnaissance. Ils sont à la fois ceux qui détiennent le savoir, qui le transmettent, et ils ont parfois l'impression de ne pas être totalement reconnus pour l'importance de leur mission dans la société. C'est pourquoi cette tache est extrêmement difficile. Moi je l'ai trouvée passionnante, mais j'ai l'impression que quand je quitterai le poste de Premier ministre - je ne sais pas quand - j'aurai l'impression d'avoir été un peu moins fatigué que quand j'étais à l'Education nationale
MICHEL DRUCKER : Depuis juillet, vous avez battu le record, puisque aucun Premier ministre n'est resté aussi longtemps à Matignon. Vous avez l'air physiquement et mentalement en pleine forme. Comment faites-vous ?
LIONEL JOSPIN : Je suis sportif, comme vous. D'autre part j'ai une vie assez saine, j'ai la chance d'avoir une vie personnelle qui est heureuse, qui est celle que je voulais avoir, et je suis entouré d'une bonne équipe, ici à Matignon, qui m'aide, une bonne équipe gouvernementale. J'ai l'impression de faire honorablement mon devoir, de travailler pour le pays, de ne penser qu'à ça en dehors de tout ce qui anime ma vie d'homme, ma vie d'individu. A partir de ce moment-là je suis en paix avec moi-même. Je suis physiquement robuste, psychiquement assez équilibré, je fais le travail qui m'a été confié, j'accepte le jugement des autres, du peuple, donc je ne vais pas pleurnicher parce que je suis Premier ministre. L'idée que, pour le moment en tout cas, et tant qu'il y a une majorité qui fonctionne, une confiance suffisante de l'opinion que ce travail puisse se poursuivre, est quelque chose d'assez excitant intellectuellement. Et donc je pense, à la longueur du temps que j'ai éprouvé, qu'à ce futur-là qui n'est pas dit, qui est encore non dévoilé et auquel j'ai à travailler à ma place. Donc franchement pour le moment ça va.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 octobre 2000).
LIONEL JOSPIN : Oui, 57-58. Nous avions 20 ans et chacun garde le goût de ces 20 ans - je n'espère pas la nostalgie. C'était à la Cité Universitaire d'Antony, où nous étions résidents l'un et l'autre. Nous avions plusieurs passions communes, un engagement politique la grande affaire c'était la décolonisation ou c'était la guerre d'Algérie. Nous étions contre. Le syndicalisme étudiant nous poussait à agir avec les autres. Et puis le goût du sport et le basket ; c'est dans ce contexte que nous nous sommes rencontrés.
MICHEL DRUCKER : Vous pensiez déjà faire une carrière politique tous les deux ?
LIONEL JOSPIN : Lui sûrement pas. Il se préparait à devenir un très bon scientifique, il ne savait pas qu'il deviendrait un exceptionnel savant. Quant à moi, non, je me préparais à ce que l'on appelle le service public. Lui pensait être un professeur, un scientifique et moi un serviteur de l'Etat.
MICHEL DRUCKER : Vous prépariez l'ENA ?
LIONEL JOSPIN : Oui, mais heureusement je ne faisais pas que ça. Nous avions la passion du sport, de l'engagement politique, nous étions des passionnés de cinéma, nous dévorions des livres et puis nous étions des jeunes hommes.
MICHEL DRUCKER : Il dit dans son livre : " j'ai un souvenir précis d'une première engueulade avec Lionel, j'étais responsable local du PSU. Lionel protestait contre une décision qu'ALLEGRE avait prise, des étudiants qui préparaient l'ENA étaient dispensés de vendre les journaux le dimanche et Lionel n'était pas d'accord ". Et ALLEGRE écrit " déjà le souci des réformes ". Vous vous en souvenez ?
LIONEL JOSPIN : Non, ce n'était pas ça. Le réflexe était autre. On disait, comme il prépare l'ENA, si on sait qu'il est de gauche, qu'il vend sur le marché un journal du PSU, il va être noté, fiché. Parce qu'à l'époque, il y avait une idéologie dominante qui ne faisait pas de cadeau. Et moi, je disais : mais attendez, mes copains prennent des risques, moi je dois prendre le minimum de risques avec eux - qui n'étaient d'ailleurs pas des grands risques. C'est contre ça que je m'étais insurgé. C'était moins l'idée de réforme, qu'une certaine idée de moi-même.
MICHEL DRUCKER : Ensuite vos routes se sont un peu séparées et vous vous êtes retrouvés en 73, au Parti Socialiste ?
LIONEL JOSPIN : Oui, nous nous sommes retrouvés effectivement, plutôt vers la fin des années 70, lorsque j'ai commencé à prendre des responsabilités plus importantes au PS. Lui, c'était un homme de sensibilité de gauche et il a eu envie de me dire : " dans ce parti que j'aime bien, je ne suis pas sûr qu'on mesure assez bien l'importance de la science. Moi je suis un savant, je connais ce milieu, et je peux t'aider ". C'est ça qui a fait, au fond, que nous avons renoué une relation qui a été une relation de travail intellectuel, mais qui est redevenue une relation d'amitié.
MICHEL DRUCKER : Revenons à son livre " Toute vérité est bonne à dire ", vous l'avez lu, bien sûr. Qu'en avez-vous pensé ?
LIONEL JOSPIN : J'ai pensé qu'il disait un certain nombre de choses justes, qu'il voyait toute cette période avec beaucoup de subjectivité. Claude est d'abord un savant, un créateur, un homme seul comme le sont les artistes ou les grands savants. Et le problème de Claude, me semble-t-il, c'est qu'il a une telle passion, une telle conviction, une telle concentration sur ce qui pour lui est important, qu'il peut lui arriver d'en oublier les autres. Non pas les autres en tant qu'hommes, parce que c'est un ami fidèle, un ami précieux, et un très bon compagnon - il l'était dans le gouvernement, comme il l'était au Parti Socialiste. Mais les autres dans leur masse. Et je crois que tant qu'il n'admettra pas que, quelle que soit sa force de conviction, sa volonté de réforme, on ne peut pas avoir totalement raison contre tous les autres, il ne sera pas à l'aide et il ne tirera pas le bon bilan de son expérience gouvernementale qui aura été précieuse.
MICHEL DRUCKER : Une chose est sûre, c'est qu'il n'aurait pas pu être aux Affaires étrangères, ça aurait fait un mauvais diplomate. On a l'impression que le fond est plus important que la forme. C'est votre avis ?
LIONEL JOSPIN : Oui, une fonction de ministre implique une médiatisation. Diriger l'Education nationale, ça veut dire avoir affaire à plus d'un million d'enseignants. Ca veut dire avoir des contacts avec des millions de jeunes, non pas directement, mais par les médias interposés et donc ça suppose de faire très attention à son expression pour ne pas être mal compris.
MICHEL DRUCKER : A quel moment avez-vous pensé à lui pour l'Education nationale ?
LIONEL JOSPIN : Claude ALLEGRE m'avait accompagné dans mon parcours de ministre de l'Education nationale de 88 à 92, il avait été l'animateur principal de tout ce que nous avons fait dans l'Enseignement supérieur, notamment de ce plan Université 2000, qui a redonné de l'espoir à l'université française, qui nous a permis d'accueillir dans de bonnes conditions la vague démographique des jeunes venus du lycée et qui commençaient des études supérieures. Il me paraissait donc être intellectuellement, techniquement apte à cette fonction. Mais il y a cette dimension de la passion personnelle et de la difficulté parfois à prendre en compte la réalité, les corporatismes, les attitudes, que j'avais peut-être un peu sous-estimée.
MICHEL DRUCKER : Quel est l'état d'esprit que l'on a avant un déjeuner comme celui du 25 mars 2000 où vous lui avez annoncé qu'il devait quitter son ministère ? Annoncer à un ami qu'il doit quitter son poste, ce n'est pas la chose la plus facile à faire.
LIONEL JOSPIN : Non, du coup, je pense qu'on dépouille au maximum cette rencontre de l'affect, du pathos et peut-être y met-on trop de froideur, c'est une forme de pudeur quand, de toute façon, on doit prendre la responsabilité de dire à quelqu'un qu'on va le changer, qu'on doit le changer. Je pense que c'est finalement plus noble de le faire de façon assez dépouillée et peut-être un peu trop froide, que d'y mettre une sensibilité ou une sentimentalité qui pourrait apparaître, dans l'espèce, hypocrite.
MICHEL DRUCKER : Je me souviens très bien que le 2 avril 92 ? monsieur MITTERRAND avait remanié le gouvernement, et vous aviez quitté, vous, l'Education nationale, remplacé par Jack LANG.
LIONEL JOSPIN : C'est vrai, oui.
MICHEL DRUCKER : Dans quel état d'esprit étiez-vous à l'époque ?
LIONEL JOSPIN : J'ai trouvé que c'était
MICHEL DRUCKER : Un peu rude.
LIONEL JOSPIN : Oui, j'ai pu trouver subjectivement que c'était rude, mais dans mon comportement extérieur, ai-je dit quelque chose ? Rien. Je n'ai pas écrit, je n'ai même pas écrit un livre, je n'ai pas multiplié les déclarations
MICHEL DRUCKER : Le contexte était différent aussi.
LIONEL JOSPIN : Oui, le contexte était différent, mais je crois qu'il faut savoir accepter ce qui est décidé par ceux qui ont la responsabilité de le faire.
MICHEL DRUCKER : Quel souvenir précis gardez-vous de votre passage à l'Education nationale qui n'est pas un ministère comme les autres ? Et pourquoi n'est-ce pas un ministère comme les autres ?
LIONEL JOSPIN : Ce n'est pas un ministère comme les autres parce qu'il s'agit de nos enfants, de leur avenir et d'une certaine façon de notre avenir, donc il faut à la fois gérer une administration de masse - même si elle est heureusement maintenant très déconcentrée, et Claude ALLEGRE y a contribué après moi - et en même temps on touche à ce qu'il y a de plus précieux pour les gens, avec en plus des hommes et des femmes qui font un métier magnifique, les enseignants, les autres personnels, mais en même temps très difficile à cause de l'hétérogénéité sociale, à cause de la violence qui est parfois présente, et qui ont toujours un problème de reconnaissance. Ils sont à la fois ceux qui détiennent le savoir, qui le transmettent, et ils ont parfois l'impression de ne pas être totalement reconnus pour l'importance de leur mission dans la société. C'est pourquoi cette tache est extrêmement difficile. Moi je l'ai trouvée passionnante, mais j'ai l'impression que quand je quitterai le poste de Premier ministre - je ne sais pas quand - j'aurai l'impression d'avoir été un peu moins fatigué que quand j'étais à l'Education nationale
MICHEL DRUCKER : Depuis juillet, vous avez battu le record, puisque aucun Premier ministre n'est resté aussi longtemps à Matignon. Vous avez l'air physiquement et mentalement en pleine forme. Comment faites-vous ?
LIONEL JOSPIN : Je suis sportif, comme vous. D'autre part j'ai une vie assez saine, j'ai la chance d'avoir une vie personnelle qui est heureuse, qui est celle que je voulais avoir, et je suis entouré d'une bonne équipe, ici à Matignon, qui m'aide, une bonne équipe gouvernementale. J'ai l'impression de faire honorablement mon devoir, de travailler pour le pays, de ne penser qu'à ça en dehors de tout ce qui anime ma vie d'homme, ma vie d'individu. A partir de ce moment-là je suis en paix avec moi-même. Je suis physiquement robuste, psychiquement assez équilibré, je fais le travail qui m'a été confié, j'accepte le jugement des autres, du peuple, donc je ne vais pas pleurnicher parce que je suis Premier ministre. L'idée que, pour le moment en tout cas, et tant qu'il y a une majorité qui fonctionne, une confiance suffisante de l'opinion que ce travail puisse se poursuivre, est quelque chose d'assez excitant intellectuellement. Et donc je pense, à la longueur du temps que j'ai éprouvé, qu'à ce futur-là qui n'est pas dit, qui est encore non dévoilé et auquel j'ai à travailler à ma place. Donc franchement pour le moment ça va.
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 octobre 2000).