Texte intégral
Voici donc la séance de clôture de cette conférence sur les grandes infrastructures de recherche européennes. Cette conférence est très utile pour contribuer à faire progresser la construction de l'Espace Européen de Recherche, conformément au projet qui a été défini par le Commissaire Philippe Busquin, avec lequel j'ai le grand plaisir de présider cette session.
La réalisation de ce projet, ambitieux et nécessaire, représentera un effort de grande ampleur pour l'Europe. Il s'agit maintenant de trouver les formes concrètes pour prolonger l'impulsion initiale donnée au Sommet qui s'est tenu à Lisbonne au mois de mars dernier sous la présidence portugaise, où mon collègue Mariano Gago a joué un rôle essentiel. Je tiens à dire que je vais consacrer tous mes efforts, pendant la présidence française, à la poursuite de cette impulsion initiale, et je suis convaincu que mon successeur, mon collègue suédois, le Ministre Ostros, aura lui aussi à cur de continuer ces efforts.
Pour un espace européen de la recherche
Le projet d'Espace Européen de la Recherche ouvre en effet de nouvelles et fécondes perspectives pour la politique de recherche en Europe. Le rôle de la recherche au 21è siècle sera plus déterminant que jamais. La recherche est, d'abord, la matrice de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs. Ensuite, par ses applications concrètes, par la manière dont elle irrigue l'économie de ses résultats, la recherche est le moteur principal de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi. Enfin, elle est aussi à la base du développement de technologies nouvelles, qui influencent profondément nos manières de vivre et de travailler : on le voit bien avec le passage à la société de l'information.
Comme l'indique si justement le document du Commissaire Philippe Busquin, il faut redonner aux Européens les moyens de retrouver la foi dans l'aventure de la science et confiance dans les progrès qu'elle engendre.
Pour cela, il nous faut rapprocher science et société. Nos concitoyens doivent être pleinement informés des progrès et des enjeux de la recherche scientifique et technologique et doivent pouvoir en débattre avec les responsables politiques.
En réalité, il faut "repolitiser" la science, c'est-à-dire la réinsérer dans la Cité, dans le débat politique, qui doit concerner tous les grands enjeux de société. Comme il importe en démocratie.
Nos concitoyens aspirent à débattre et à participer à la décision sur les applications de la génomique, sur les recherches sur l'embryon humain et les cellules souches, sur les OGM ou sur l'avenir des déchets radioactifs.
Mieux de soigner, mieux s'alimenter, mieux vivre en sécurité : ce sont les enjeux et les défis auxquels est confrontée la recherche et auxquels il faut faire participer nos concitoyens. Sans cela, le débat démocratique sera incomplet.
Par ailleurs, les pays européens doivent porter leur effort de recherche et développement en pourcentage du PIB au niveau atteint par les Etats-Unis et le Japon, pour que l'Europe reste un grand continent scientifique.
Enfin, la mobilité des chercheurs est inférieure à celle que l'on observe aux Etats-Unis, où cette mobilité fait partie de la culture, et où il n'existe pas de barrières dues aux différences linguistiques et aux multiplicités de statut des chercheurs.
La question de la mobilité des chercheurs à travers l'Europe, et tout particulièrement celle des jeunes chercheurs, est un enjeu majeur. C'est un point capital pour la construction des réseaux, des pôles scientifiques et technologiques et pour le renforcement de l'excellence. L'Union européenne à travers ses programmes (Capital Humain et Mobilité, puis Training, Mobility, Research) y a déjà puissamment contribué. Cette construction est à amplifier et à consolider : mobilité à faciliter à tous les niveaux, depuis les " prédocs " jusqu'aux chercheurs confirmés, en passant par les " postdocs " (déjà existants) et les doctorants, pour lesquels les bourses sont à renforcer. Il y a encore trop de barrières (culturelles, administratives, financières) qui freinent cette circulation des hommes et des idées, sans laquelle ne peut se concevoir une recherche d'excellence.
Il est donc nécessaire -et je m'en suis entretenu avec M. Busquin qui partage le même avis- de mettre en place un groupe de travail sur les obstacles à la mobilité, qui prendrait en compte toutes les dimensions du sujet.
Par ailleurs, il est souhaitable d'augmenter les financements communautaires consacrés à la mobilité des chercheurs, avec l'objectif d'aller à 8000 postes équivalents chercheurs par an, financés par l'Union européenne.
J'ajoute un point particulier : beaucoup de post-docs se trouvent à l'extérieur de l'Union européenne et notamment aux Etats-Unis, faute de parvenir à s'insérer dans l'appareil de recherche des pays européens. Cet exil forcé des cerveaux constitue une perte de substance pour l'Europe, qui a financé leur formation, et un gâchis de matière grise.
Je souhaite donc qu'on étudie la possibilité de mettre en place des bourses de retour pour les post-docs qui se trouvent en dehors du territoire de l'Union européenne, pour faciliter leur retour en Europe.
Les grandes infrastructures de recherche
Les grandes infrastructures de recherche comprennent les Très Grands Equipements ou TGE (synchrotrons, sources de neutrons, télescopes, navires océanographiques, etc.), mais aussi des installations de dimension plus modeste (lasers de puissance, champs magnétiques intenses, réseaux de bibliothèques et même certains " gros " équipements mi-lourds).
Il est question, vous le savez, d'étendre cette notion à de nouveaux outils de la recherche, coûteux ou uniques, tels que les grands réseaux informatiques, les grandes animaleries pour la biologie ou les banques de données pour les sciences exactes et les SHS.
Dépasser l'approche purement nationale
Beaucoup de ces infrastructures de recherche ne peuvent être l'objet d'une approche purement et strictement nationale. Au moins pour deux raisons. D'abord, l'opportunité qu'offrent ces installations de faire travailler ensemble ou côte à côte des chercheurs de différents pays. Ensuite, la nécessité souvent de faire face au coût élevé de très grands équipements, qui peut être plus facilement supporté par l'effort conjoint de plusieurs Etats, agissant en partenariat.
Il convient d'éviter la fragmentation des dépenses, les duplications d'investissements, voire la sous-utilisation des équipements qui pourrait en résulter. L'objectif, c'est de parvenir à une stratégie cohérente au niveau européen.
Au demeurant, c'est cette approche, dépassant le seul cadre national, qui a conduit à la création d'installations multinationales, fondées sur la participation de plusieurs Etats, comme le CERN, l'ESRF (qui regroupe 15 pays) et l'ESO.
Au CERN ou à l'ESRF, des chercheurs de tous les pays d'Europe ont appris à mieux se connaître et à collaborer. En effet, les grands instruments sont souvent des lieux de convivialité scientifique, où les chercheurs de différents pays, appartenant souvent à des disciplines diverses, prennent l'habitude de se côtoyer, de vivre ensemble et souvent de travailler ensemble.
Ces grandes installations sont ainsi le support d'échanges intellectuels et de confrontation enrichissante des connaissances et des méthodes.
D'ailleurs, même les grandes installations dites " nationales " sont souvent, elles aussi, le lieu de rencontre de chercheurs de nombreux pays. Et il n'est pas rare d'observer des proportions d'utilisateurs " étrangers " atteignant 30 %.
La vie de ces communautés scientifiques plurinationales rappelle le mot de Pasteur : " La science n'a pas de patrie ". Car la science est naturellement internationale.
Cette conférence à tracé un certain nombre de lignes directrices et je veux souligner surtout trois d'entre elles.
L'élargissement de la notion de grande installation de recherche
La tendance actuelle est à l'ouverture vers une large communauté pour des instruments qui ne sont plus nécessairement focalisés sur un seul lieu, mais peuvent fonctionner en réseau : banques de données, bibliothèques, musées, centres de compétences, codes de calcul. Des disciplines dont l'importance devient prioritaire, comme la biologie ou les sciences de l'information et de la communication, développent également des outils dont l'installation et le fonctionnement sont très coûteux et impliquent une utilisation collective rationnelle qui pourrait être européenne : grandes animaleries, laboratoires de souris transgéniques ou encore très grandes plateformes de micro/nano électronique et grands réseaux informatiques.
De même, les sciences humaines et sociales font de plus en plus appel à de fortes infrastructures : elles doivent utiliser au mieux les opportunités nouvelles offertes par tous les moyens des technologies de l'information (banques de données, bibliothèques en réseau, corpus linguistiques, " social surveys " européens, ressources informatiques partagées, etc), de façon à appréhender les changements de perception des phénomènes sociaux et économiques actuels.
Il y a donc nécessité d'une réflexion large sur l'évolution de la notion d'infrastructure de recherche.
Définir une approche européenne en matière d'infrastructures de recherche
Deuxième point, évidemment essentiel : quel rôle l'Europe peut-elle et doit-elle jouer en ce qui concerne ces infrastructures de recherche ?
Je le souligne de nouveau : d'une part, il est très opportun de permettre aux chercheurs de divers pays européens de pouvoir travailler ensemble sur un même équipement, afin de mieux se connaître et de développer leurs échanges ; d'autre part, les coûts de constructions et d'exploitation des grandes infrastructures sont élevés et excèdent souvent les capacités financières d'un seul Etat.
Il est donc nécessaire de définir une approche européenne en matière de grandes infrastructures de recherche. Cette approche européenne devrait concerner à la fois :
- l'évaluation précise des ressources actuelles et des besoins futurs à couvrir au plan européen ;
- la création de nouvelles installations ;
- le fonctionnement des installations existantes ;
- l'accès à celles-ci.
Les financements par l'Union européenne
Troisième point à examiner : le financement par l'Union européenne de la construction et du fonctionnement des grandes infrastructures.
Différents scénarios ont été discutés au cours de ce colloque. La Fondation Européenne de la Science et les groupes à géométrie variable, mis en place pour des objectifs et une durée limités, sont les outils susceptibles de conseiller les gouvernements et l'Union Européenne sur les grandes options stratégiques à l'échelle de l'Europe. Comme vous le savez, des groupes d'experts à géométrie variable ont été mis en place sur plusieurs sujets : analyse fine de la matière, flotte océanographique, bientôt astronomie. De nouveaux sujets pourraient faire l'objet de telles actions: animaleries, séquenceurs, grands centres de calcul. Je serai plus réservé sur l'utilité de centraliser les décisions sur les grandes infrastructures à l'échelle de l'Union européenne tout entière.
D'une part, les difficultés du Centre Commun de Recherche, évoquées dans le rapport Davignon, doivent conduire à une certaine prudence, et, d'autre part les équilibres entre grandes infrastructures et moyens mi-lourds des laboratoires sont mieux appréciés à l'intérieur des champs disciplinaires.
En revanche, une approche fondée sur le concept de géométrie variable ou de "coopération renforcée", prévu aux articles 168 et 169 du Traité, me semble plus fructueuse : un certain nombres d'Etats membres intéressés par la construction d'une nouvelle installation développent un projet cohérent et l'Union européenne accepte de participer à son financement, en même temps que les pays concernés.
L'aide européenne est actuellement limitée à faciliter l'accès des chercheurs aux grands équipements. Ainsi, le programme ACCESS, composante des PCRD successifs, finance l'accès transnational à ces infrastructures des scientifiques des pays membres n'ayant pas participé à la construction de l'infrastructure et accorde des crédits pour favoriser le fonctionnement en réseau de ces infrastructures.
Je souhaite qu'à terme on aille au-delà et que l'aide européenne concerne aussi la réflexion, l'harmonisation, l'investissement et l'aide au fonctionnement des très grandes machines.
A titre de première étape vers cet objectif, je souhaite que l'aide européenne finance une large partie des études et de la conception initiale des projets. Ce serait déjà un premier signal fort adressé à la communauté scientifique.
Il importe donc que la préparation du 6ème PCRD, qui va bientôt commencer, intègre activement ces préoccupations.
La recherche, nouvelle frontière de l'Europe
Le 21ème siècle va enfin commencer. Et il sera plus que jamais celui de la recherche, à qui il appartient de préfacer et de préparer l'avenir.
Cette recherche doit acquérir une forte dimension de coopération européenne. Car c'est la dimension souhaitable pour que la recherche européenne puisse pleinement s'épanouir, à parité de succès avec les Etats-Unis. Aujourd'hui, la recherche est la " nouvelle frontière " de l'Europe.
J'en ai pleinement conscience, étant actuellement président du Conseil Recherche, puisque la France préside l'Union européenne au second semestre 2000.
L'Europe est notre avenir commun et notre chance de progresser et de réussir ensemble. Il faut saisir cette chance, pour dessiner ensemble un nouvel horizon, qui associe science et société, progrès et Europe.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 29 septembre 2000).
La réalisation de ce projet, ambitieux et nécessaire, représentera un effort de grande ampleur pour l'Europe. Il s'agit maintenant de trouver les formes concrètes pour prolonger l'impulsion initiale donnée au Sommet qui s'est tenu à Lisbonne au mois de mars dernier sous la présidence portugaise, où mon collègue Mariano Gago a joué un rôle essentiel. Je tiens à dire que je vais consacrer tous mes efforts, pendant la présidence française, à la poursuite de cette impulsion initiale, et je suis convaincu que mon successeur, mon collègue suédois, le Ministre Ostros, aura lui aussi à cur de continuer ces efforts.
Pour un espace européen de la recherche
Le projet d'Espace Européen de la Recherche ouvre en effet de nouvelles et fécondes perspectives pour la politique de recherche en Europe. Le rôle de la recherche au 21è siècle sera plus déterminant que jamais. La recherche est, d'abord, la matrice de nouvelles connaissances, de nouveaux savoirs. Ensuite, par ses applications concrètes, par la manière dont elle irrigue l'économie de ses résultats, la recherche est le moteur principal de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi. Enfin, elle est aussi à la base du développement de technologies nouvelles, qui influencent profondément nos manières de vivre et de travailler : on le voit bien avec le passage à la société de l'information.
Comme l'indique si justement le document du Commissaire Philippe Busquin, il faut redonner aux Européens les moyens de retrouver la foi dans l'aventure de la science et confiance dans les progrès qu'elle engendre.
Pour cela, il nous faut rapprocher science et société. Nos concitoyens doivent être pleinement informés des progrès et des enjeux de la recherche scientifique et technologique et doivent pouvoir en débattre avec les responsables politiques.
En réalité, il faut "repolitiser" la science, c'est-à-dire la réinsérer dans la Cité, dans le débat politique, qui doit concerner tous les grands enjeux de société. Comme il importe en démocratie.
Nos concitoyens aspirent à débattre et à participer à la décision sur les applications de la génomique, sur les recherches sur l'embryon humain et les cellules souches, sur les OGM ou sur l'avenir des déchets radioactifs.
Mieux de soigner, mieux s'alimenter, mieux vivre en sécurité : ce sont les enjeux et les défis auxquels est confrontée la recherche et auxquels il faut faire participer nos concitoyens. Sans cela, le débat démocratique sera incomplet.
Par ailleurs, les pays européens doivent porter leur effort de recherche et développement en pourcentage du PIB au niveau atteint par les Etats-Unis et le Japon, pour que l'Europe reste un grand continent scientifique.
Enfin, la mobilité des chercheurs est inférieure à celle que l'on observe aux Etats-Unis, où cette mobilité fait partie de la culture, et où il n'existe pas de barrières dues aux différences linguistiques et aux multiplicités de statut des chercheurs.
La question de la mobilité des chercheurs à travers l'Europe, et tout particulièrement celle des jeunes chercheurs, est un enjeu majeur. C'est un point capital pour la construction des réseaux, des pôles scientifiques et technologiques et pour le renforcement de l'excellence. L'Union européenne à travers ses programmes (Capital Humain et Mobilité, puis Training, Mobility, Research) y a déjà puissamment contribué. Cette construction est à amplifier et à consolider : mobilité à faciliter à tous les niveaux, depuis les " prédocs " jusqu'aux chercheurs confirmés, en passant par les " postdocs " (déjà existants) et les doctorants, pour lesquels les bourses sont à renforcer. Il y a encore trop de barrières (culturelles, administratives, financières) qui freinent cette circulation des hommes et des idées, sans laquelle ne peut se concevoir une recherche d'excellence.
Il est donc nécessaire -et je m'en suis entretenu avec M. Busquin qui partage le même avis- de mettre en place un groupe de travail sur les obstacles à la mobilité, qui prendrait en compte toutes les dimensions du sujet.
Par ailleurs, il est souhaitable d'augmenter les financements communautaires consacrés à la mobilité des chercheurs, avec l'objectif d'aller à 8000 postes équivalents chercheurs par an, financés par l'Union européenne.
J'ajoute un point particulier : beaucoup de post-docs se trouvent à l'extérieur de l'Union européenne et notamment aux Etats-Unis, faute de parvenir à s'insérer dans l'appareil de recherche des pays européens. Cet exil forcé des cerveaux constitue une perte de substance pour l'Europe, qui a financé leur formation, et un gâchis de matière grise.
Je souhaite donc qu'on étudie la possibilité de mettre en place des bourses de retour pour les post-docs qui se trouvent en dehors du territoire de l'Union européenne, pour faciliter leur retour en Europe.
Les grandes infrastructures de recherche
Les grandes infrastructures de recherche comprennent les Très Grands Equipements ou TGE (synchrotrons, sources de neutrons, télescopes, navires océanographiques, etc.), mais aussi des installations de dimension plus modeste (lasers de puissance, champs magnétiques intenses, réseaux de bibliothèques et même certains " gros " équipements mi-lourds).
Il est question, vous le savez, d'étendre cette notion à de nouveaux outils de la recherche, coûteux ou uniques, tels que les grands réseaux informatiques, les grandes animaleries pour la biologie ou les banques de données pour les sciences exactes et les SHS.
Dépasser l'approche purement nationale
Beaucoup de ces infrastructures de recherche ne peuvent être l'objet d'une approche purement et strictement nationale. Au moins pour deux raisons. D'abord, l'opportunité qu'offrent ces installations de faire travailler ensemble ou côte à côte des chercheurs de différents pays. Ensuite, la nécessité souvent de faire face au coût élevé de très grands équipements, qui peut être plus facilement supporté par l'effort conjoint de plusieurs Etats, agissant en partenariat.
Il convient d'éviter la fragmentation des dépenses, les duplications d'investissements, voire la sous-utilisation des équipements qui pourrait en résulter. L'objectif, c'est de parvenir à une stratégie cohérente au niveau européen.
Au demeurant, c'est cette approche, dépassant le seul cadre national, qui a conduit à la création d'installations multinationales, fondées sur la participation de plusieurs Etats, comme le CERN, l'ESRF (qui regroupe 15 pays) et l'ESO.
Au CERN ou à l'ESRF, des chercheurs de tous les pays d'Europe ont appris à mieux se connaître et à collaborer. En effet, les grands instruments sont souvent des lieux de convivialité scientifique, où les chercheurs de différents pays, appartenant souvent à des disciplines diverses, prennent l'habitude de se côtoyer, de vivre ensemble et souvent de travailler ensemble.
Ces grandes installations sont ainsi le support d'échanges intellectuels et de confrontation enrichissante des connaissances et des méthodes.
D'ailleurs, même les grandes installations dites " nationales " sont souvent, elles aussi, le lieu de rencontre de chercheurs de nombreux pays. Et il n'est pas rare d'observer des proportions d'utilisateurs " étrangers " atteignant 30 %.
La vie de ces communautés scientifiques plurinationales rappelle le mot de Pasteur : " La science n'a pas de patrie ". Car la science est naturellement internationale.
Cette conférence à tracé un certain nombre de lignes directrices et je veux souligner surtout trois d'entre elles.
L'élargissement de la notion de grande installation de recherche
La tendance actuelle est à l'ouverture vers une large communauté pour des instruments qui ne sont plus nécessairement focalisés sur un seul lieu, mais peuvent fonctionner en réseau : banques de données, bibliothèques, musées, centres de compétences, codes de calcul. Des disciplines dont l'importance devient prioritaire, comme la biologie ou les sciences de l'information et de la communication, développent également des outils dont l'installation et le fonctionnement sont très coûteux et impliquent une utilisation collective rationnelle qui pourrait être européenne : grandes animaleries, laboratoires de souris transgéniques ou encore très grandes plateformes de micro/nano électronique et grands réseaux informatiques.
De même, les sciences humaines et sociales font de plus en plus appel à de fortes infrastructures : elles doivent utiliser au mieux les opportunités nouvelles offertes par tous les moyens des technologies de l'information (banques de données, bibliothèques en réseau, corpus linguistiques, " social surveys " européens, ressources informatiques partagées, etc), de façon à appréhender les changements de perception des phénomènes sociaux et économiques actuels.
Il y a donc nécessité d'une réflexion large sur l'évolution de la notion d'infrastructure de recherche.
Définir une approche européenne en matière d'infrastructures de recherche
Deuxième point, évidemment essentiel : quel rôle l'Europe peut-elle et doit-elle jouer en ce qui concerne ces infrastructures de recherche ?
Je le souligne de nouveau : d'une part, il est très opportun de permettre aux chercheurs de divers pays européens de pouvoir travailler ensemble sur un même équipement, afin de mieux se connaître et de développer leurs échanges ; d'autre part, les coûts de constructions et d'exploitation des grandes infrastructures sont élevés et excèdent souvent les capacités financières d'un seul Etat.
Il est donc nécessaire de définir une approche européenne en matière de grandes infrastructures de recherche. Cette approche européenne devrait concerner à la fois :
- l'évaluation précise des ressources actuelles et des besoins futurs à couvrir au plan européen ;
- la création de nouvelles installations ;
- le fonctionnement des installations existantes ;
- l'accès à celles-ci.
Les financements par l'Union européenne
Troisième point à examiner : le financement par l'Union européenne de la construction et du fonctionnement des grandes infrastructures.
Différents scénarios ont été discutés au cours de ce colloque. La Fondation Européenne de la Science et les groupes à géométrie variable, mis en place pour des objectifs et une durée limités, sont les outils susceptibles de conseiller les gouvernements et l'Union Européenne sur les grandes options stratégiques à l'échelle de l'Europe. Comme vous le savez, des groupes d'experts à géométrie variable ont été mis en place sur plusieurs sujets : analyse fine de la matière, flotte océanographique, bientôt astronomie. De nouveaux sujets pourraient faire l'objet de telles actions: animaleries, séquenceurs, grands centres de calcul. Je serai plus réservé sur l'utilité de centraliser les décisions sur les grandes infrastructures à l'échelle de l'Union européenne tout entière.
D'une part, les difficultés du Centre Commun de Recherche, évoquées dans le rapport Davignon, doivent conduire à une certaine prudence, et, d'autre part les équilibres entre grandes infrastructures et moyens mi-lourds des laboratoires sont mieux appréciés à l'intérieur des champs disciplinaires.
En revanche, une approche fondée sur le concept de géométrie variable ou de "coopération renforcée", prévu aux articles 168 et 169 du Traité, me semble plus fructueuse : un certain nombres d'Etats membres intéressés par la construction d'une nouvelle installation développent un projet cohérent et l'Union européenne accepte de participer à son financement, en même temps que les pays concernés.
L'aide européenne est actuellement limitée à faciliter l'accès des chercheurs aux grands équipements. Ainsi, le programme ACCESS, composante des PCRD successifs, finance l'accès transnational à ces infrastructures des scientifiques des pays membres n'ayant pas participé à la construction de l'infrastructure et accorde des crédits pour favoriser le fonctionnement en réseau de ces infrastructures.
Je souhaite qu'à terme on aille au-delà et que l'aide européenne concerne aussi la réflexion, l'harmonisation, l'investissement et l'aide au fonctionnement des très grandes machines.
A titre de première étape vers cet objectif, je souhaite que l'aide européenne finance une large partie des études et de la conception initiale des projets. Ce serait déjà un premier signal fort adressé à la communauté scientifique.
Il importe donc que la préparation du 6ème PCRD, qui va bientôt commencer, intègre activement ces préoccupations.
La recherche, nouvelle frontière de l'Europe
Le 21ème siècle va enfin commencer. Et il sera plus que jamais celui de la recherche, à qui il appartient de préfacer et de préparer l'avenir.
Cette recherche doit acquérir une forte dimension de coopération européenne. Car c'est la dimension souhaitable pour que la recherche européenne puisse pleinement s'épanouir, à parité de succès avec les Etats-Unis. Aujourd'hui, la recherche est la " nouvelle frontière " de l'Europe.
J'en ai pleinement conscience, étant actuellement président du Conseil Recherche, puisque la France préside l'Union européenne au second semestre 2000.
L'Europe est notre avenir commun et notre chance de progresser et de réussir ensemble. Il faut saisir cette chance, pour dessiner ensemble un nouvel horizon, qui associe science et société, progrès et Europe.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 29 septembre 2000).