Conférence de presse de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'aide au développement de l'Union européenne, la politique européenne en matière d'aide internationale, la gestion et la réforme de l'aide et les programmes d'aide, Bruxelles le 8 novembre 2000.

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Circonstance : Avant veille d'un Conseil Développement de l'Union européenne tenu à Bruxelles le 10 novembre 2000

Texte intégral

J'ai souhaité vous rencontrer à l'avant veille d'un Conseil Développement auquel j'attache une importance particulière puisqu'il se déroule sous Présidence française et que je vais avoir l'honneur de le présider. J'ai pensé utile de vous en donner l'ordre du jour en insistant sur le point qui me paraît plus important, qui concerne la déclaration de politique générale en matière de stratégie de développement de la Communauté européenne. Le deuxième point, que je ne sous-estime évidemment pas, concerne les maladies transmissibles et la pauvreté, le sida étant plus ciblé encore que les autres. Le troisième, c'est la lutte contre les mines antipersonnel et nous aborderons une question que la crise des Balkans avait particulièrement illustrée, l'insuffisance de liens entre l'aide d'urgence et la coopération au développement. On parlera également de la préparation de la conférence de la Haye sur les changements climatiques, de la conférence de Bruxelles sur les pays les moins avancés, et de la lutte contre le fossé numérique. Enfin, conformément à l'usage, nous évoquerons la situation de quelques pays à l'occasion du dîner avec mes homologues et nous avons retenu pour l'instant ont été listé sont le Liberia, la Somalie, le Soudan, le Zimbabwe et bien entendu la Côte d'Ivoire.
Le point le plus important à mes yeux, parce qu'il est susceptible de permettre une refonte de la politique européenne en matière d'aide au développement, c'est cette déclaration de politique générale.
La Présidence française a souhaité faire cesser une contradiction : l'aide européenne est centrale dans le paysage de l'aide publique au développement. Les apports de la communauté européenne et des Etats membres représentent à eux seuls plus de la moitié de toute l'aide mondiale au développement. C'est le résultat d'une évolution, on pourrait dire d'une révolution, longtemps passée inaperçue. Au cours de la décennie 90, l'action extérieure de l'Union européenne a explosé. Elles auront été multipliées par trois depuis la fin des années 80. Au regard de l'importance de cet effort, il est clair que la voix de l'Union européenne ne se fait pas suffisamment entendre et dans le débat sur le développement, les institutions de Bretton Woods demeurant souvent la référence spontanée des commentateurs. Il fallait réagir et la déclaration de politique générale, que j'espère faire adopter après-demain, est destinée à exprimer, au nom des Quinze, la doctrine européenne en matière de développement et par là, à mieux affirmer l'identité européenne dans ce domaine.
Dès 1999, j'avais publié avec ma collègue allemande et ma collègue britannique, Mme Wieczorek-Zeul et Mme Short, un document commun sur l'efficacité de l'aide européenne. C'était un article paru au printemps 1999 dans la presse des trois pays. Ce document appelait à la formulation d'une stratégie claire de l'Union. C'est là, en quelque sorte, qu'il faut chercher l'origine de cette déclaration du 10 novembre.
Le 30 juin dernier, au moment charnière entre la Présidence portugaise et la Présidence française, nous avons organisé un séminaire des ministres européens du développement avec la participation d'experts, de représentants des pays du Sud, de la société civile et nous avons commencé à dégager les bases d'une rénovation de la politique européenne de coopération. Nous avons publié les résultats des travaux en question, sous forme d'un opuscule intitulé : "Développement : vers une identité européenne mieux affirmée."
Le 9 octobre de cette année, les ministres des Affaires étrangères, réunis lors du Conseil Affaires générales, ont de leur côté, exprimé l'exigence d'une meilleure coordination, d'une meilleure visibilité de l'ensemble des aides extérieures de l'Union.
Quelques mois plus tôt, lors du Conseil Développement du mois de mai, le Commissaire en charge du développement, M. Poul Nielson, avait présenté une communication, et c'est sur la base de cette communication, que la France a rédigé un projet, qui d'après les réactions que j'enregistre, devrait recueillir un large consensus vendredi. Un certain nombre d'amendements ont été apportés à la demande de nos partenaires, de la Commission, des ONG. Nous avons fait en sorte que le Parlement européen puisse être également consulté et je rencontre ce soir à Bruxelles, le président de la Commission Développement du Parlement européen.
Quelques mots du contenu de cette déclaration : elle fixe les principes qui définissent l'approche européenne des questions de développement, comme la lutte contre la pauvreté dont on sait maintenant qu'elle ne résulte pas forcément automatiquement de la croissance, contrairement à ce que certains avaient pu laissé entendre ou espérer, l'intégration des pays en développement dans l'économie mondiale, qui est tout de même un objectif incontournable - la question est de savoir comment et à quel rythme -, le développement durable, bien sûr, l'appropriation de l'aide par nos partenaires au développement, le respect des Droits de l'Homme, de la démocratie, de l'Etat de droit et de la bonne gouvernance. Puisque j'évoque ce principe-là, je veux simplement rappeler que vendredi à Bamako, s'est tenu un Symposium organisé dans le cadre de la Francophonie, qui a fait le bilan des avancées mais aussi des difficultés rencontrées au sein de la francophonie, en ce qui concerne la mise en oeuvre de l'Etat de droit, de la démocratie et des libertés. La Déclaration de Bamako, dont nous ferons en sorte qu'elle soit un peu mieux connue, a été le produit d'un dialogue très serré, très dense entre les responsables politiques des pays francophones, pour beaucoup ministres de la Justice et les représentants de la société civile, les ONG ayant été invitées à participer à ce symposium, qui était l'aboutissement d'un cycle de réunions organisées sur une base thématique, où on a parlé du statut de l'opposition, de l'information, de l'organisation des élections, enfin toutes les questions très précises et très concrètes. Comme je l'avais espéré en lançant cette initiative lors de la conférence ministérielle de Bucarest, on a pu faire la preuve qu'on pouvait parler en français, y compris sur des sujets qui fâchent. Ceci répondait également à la demande exprimée par la France, au Sommet de Hanoï, de donner à la Francophonie une meilleure dimension politique. J'ajoute que la déclaration prévoit aussi un système de sanctions allant jusqu'à l'exclusion des pays qui ne respecteraient pas les principes que cette déclaration contient.
La Déclaration de politique générale vise le recentrage de l'aide communautaire, sur un nombre précis, limité de domaines :
- 1/ la promotion de l'intégration et de la coopération régionales, l'un des axes des accords de Cotonou, signés il y a quelques semaines et qui prennent la relève des accords de Lomé,
- 2/ le lien entre commerce et développement, avec un souci particulier d'aider à l'investissement et surtout l'investissement productif, sachant que parler de liberté de commerce entre les pays du Nord, qui ont des industries et les pays du Sud, qui n'en ont pas, est très largement une escroquerie, d'où l'importance de l'investissement,
- 3/ l'appui aux politiques macro-économiques et l'accès aux services sociaux, en faisant en sorte que les unes ne s'opposent pas aux autres. On a vu que les programmes d'ajustement structurel préconisés par les accords de Bretton Woods, au nom des grands indicateurs, se sont traduits par le recul des services publics ou des services sociaux ;
- 4/ la sécurité alimentaire et le développement rural,
- 5/ le développement des moyens de transports dans les pays du Sud,
- 6/ l'appui institutionnel et on rejoint là, la question de l'Etat de droit et de la bonne gestion des affaires publiques.
Par ailleurs, un certain nombre de préoccupations y seront exprimées : Droits de l'Homme, égalité homme/femme, protection de l'environnement, prévention des conflits.
La déclaration met bien entendu l'accent sur la recherche de l'efficacité dans la mise en oeuvre de cette stratégie, et nous rejoignons la réforme, préparée actuellement par Poul Nielson, de la Commission mais aussi de ses procédures dans la gestion de l'aide. L'aide était jusqu'à la première moitié des années 80 essentiellement destinée aux pays d'Afrique Caraïbes, Pacifique, avec un instrument financier important, le Fonds européen de Développement. La chute du Mur de Berlin et le démantèlement de l'Union soviétique a entraîné une extension des priorités géographiques de l'Europe, au moment où l'Union se dotait d'une Politique étrangère et de sécurité commune et affirmait son ambition d'avoir une politique extérieure globale. Vous connaissez les nouveaux programmes communautaires qui ont été mis en place : PHARE pour l'Europe centrale et orientale, TACIS pour l'ex Union soviétique, MEDA pour la Méditerranée et tout ceci s'est ajouté sans que la Commission ne se soit vraiment donnée les capacités et la culture de gestion qui lui auraient permis de faire face. Bref, il en est résulté une sorte de crise de croissance, dont la Commission d'ailleurs, elle-même, a pris conscience en décidant dès 1998 une première réforme par la création d'un service commun pour les relations extérieures. Le bilan dressé a révélé la nécessité d'aller beaucoup plus loin : la lenteur de la mise en oeuvre de l'aide, vaut à l'Union de se faire reprocher de promettre beaucoup mais de réaliser peu. Les délais sont actuellement de six ans pour l'Amérique latine, huit ans pour la Méditerranée. C'est dire que le FED qui est souvent au cur de la cible est dans une situation relativement plus favorable puisque c'est de l'ordre de quatre à cinq ans. L'importance du passif qui en résulte, le volume des crédits engagés mais non décaissés atteignait fin 1999 plus de 20 milliards d'euros. Contrairement à une idée reçue, ce passif concerne les actions financées sur la budget communautaire et est distinct de la question des reliquats du FED, dont le volume - 10 milliards, fin 1999 - est lié à un mécanisme particulièrement lourd d'allocation des ressources, dans le cadre de l'ancienne Convention de Lomé, c'est également dû à l'entrée en vigueur tardive qui a affecté le 8ème FED, conclu en 1995. La complexité des procédures, elle, est le résultat d'un foisonnement d'instruments sans cohérence véritable entre eux, d'une concentration excessive des décisions communautaires à Bruxelles et c'est là que nous plaidons tous une déconcentration des décisions en direction des délégations de la Commission qui existent dans les pays bénéficiaires de l'aide et par la multiplication des contrôles a priori. Le manque de personnels qualifiés pour gérer l'ensemble des programmes, à Bruxelles mais plus encore sur le terrain, je rappelle qu'on l'utilise volontiers comme argument anti-européen, le nombre jugé excessif de fonctionnaires, or le rapport est de 1 à 3 en ce qui concerne le montant des volumes engagés par fonctionnaire concerné entre la Banque mondiale et Bruxelles. Enfin, défaut de stratégie et insuffisante coordination avec les Etats membres : or, on a l'impression que chacun fait son travail sans souci de coordination et de cohérence, alors que tout le monde paie.
Les remèdes à la situation, que nous trouverons dans la déclaration et dans le plan d'action qui l'accompagnera, porteront sur une simplification des procédures, le travail engagé par la Commission devant être poursuivi, en concertation avec le Conseil et le Parlement européen, une déconcentration vers les délégations de la Commission, une décentralisation aussi, en direction des bénéficiaires. Mais il est surtout prévu de renforcer la coordination sur place avec les représentations des Etats membres, de recentrer les tâches des Comités de gestion, instances qui permettent la consultation des Etats membres lors des décisions d'octroi de subventions à Bruxelles, de recentrer ces comités de gestion vers les aspects stratégiques de la coopération, de façon à ce que la mise en oeuvre des projets individuels soit confiée à un nouvel office "EuropAid" afin d'assurer une meilleure efficacité. Ce sont souvent ces questions techniques qui contredisent les volontés politiques sur le renforcement des capacités des pays bénéficiaires, il est clair là aussi, qu'une des raisons souvent de la non exécution de certains projets, voire l'insuffisante avancée des projets, c'est l'absence de moyens et de capacités des pays bénéficiaires à identifier, à proposer des projets et ensuite à les gérer. Désormais, dans tous les programmes de coopération au développement, nous allons intégrer des moyens destinés à renforcer les capacités des pays bénéficiaires.
La réforme des instruments de l'aide proprement dite, le nouvel accord de partenariat signé à Cotonou prévoit des modalités plus souples d'allocation des ressources, une gestion plus fluide du FED. Les lignes budgétaires du FED s'appréciaient par dizaines et il n'y avait pratiquement aucune fongibilité possible d'une ligne à l'autre. Les réallocations n'étaient pratiquement pas possibles. Donc, dans les nouveaux accords, signés à Cotonou, il y a une modification très importante de la nomenclature budgétaire qui introduit une souplesse donc une meilleure capacité à consommer les fonds.
Accroissement des capacités de gestion de la Commission. Il faut que la Commission recourt davantage à l'expérience acquise par les Etats membres, qu'elle renforce ses propres moyens mais qu'elle sache aussi s'appuyer mieux sur les moyens que les Etats membres peuvent offrir sur le terrain où les projets de coopération vont se développer. La France, de ce point de vue, peut prétendre à être un partenaire important de la Commission. C'est cette idée de complémentarité entre la Commission et les Etats membres, du fait d'un recentrage de l'aide communautaire, qui devrait être encouragé. A terme, c'est le concept de subsidiarité, cher à l'Europe, qui devrait être mis en oeuvre pour diviser le travail entre la Commission et les Etats membres.
Voilà ce que je voulais vous dire à propos de cette déclaration de politique générale. Est-ce que celle-ci aura un effet sur la coopération bilatérale des Etats membres ? Je suis convaincu que la réponse est oui, que cette déclaration, même si elle vise avant tout la politique de développement de la Communauté, sera intégrée par les différents Etats membres au niveau de leurs propres orientations, car c'est la condition de la coordination que j'évoquais à l'instant.
J'attends de cette déclaration de politique générale une meilleure mobilisation de l'Europe, notamment dans les instances multilatérales, là où les grandes décisions aujourd'hui se prennent, où l'avenir du combat contre l'inégalité du monde se joue. Faire en sorte que l'Europe, qui paie le plus, puisse se faire mieux entendre, en s'appuyant sur un corps de doctrines commun. Je crois que le travail sera important pour le dialogue que nous avons avec les autres grands bailleurs de fonds, comme les Etats-Unis ou le Japon, dialogue que nous avons aussi avec un certain nombre de pays émergents dans la relation avec les pays en développement. Il le sera aussi si les opinions y attachent de l'importance.
Q - Quel accueil a reçu l'idée de déléguer une partie de l'aide de la Commission européenne à la France, par exemple, à l'Agence française de développement parmi les autres partenaires ?
R - L'idée est maintenant acceptée par la Commission.
Q - Cela signifie concrètement qu'une partie des fonds européens reviendront à l'AFD directement ?
R - L'AFD pourra participer, au même titre que d'autres, aux appels d'offres pour pouvoir mettre en oeuvre des programmes sur financement européen.
Q - Donc, désormais on peut déduire que l'aide européenne pourra être mise en oeuvre s'il y a un projet clair, et remplissant des conditions de faisabilité ?
R - C'est toujours comme cela : il faut que le projet soit clair, monté mais dire cela c'est faire l'impasse sur des procédures aujourd'hui trop longues et surtout une centralisation excessive de la décision et l'objectif, vous l'avez compris, c'est à la fois, décentraliser sur le terrain en impliquant mieux les bureaux de la délégation européenne mais aussi les pays membres impliqués sur le terrain. C'est le cas de la France pour un certain nombre de pays, notamment de l'Afrique francophone, mais cela peut être le cas de la Grande-Bretagne dans un certain nombre d'autres pays qui ont des moyens spécifiques et qui peuvent se voir ainsi par délégation, confier des responsabilités, ce qui implique un partage du travail et éviter ce que l'on a trop souvent observé : une sorte de concurrence malheureusement peu féconde sur le terrain.
Q - Qu'est-ce que représente en chiffre l'aide européenne qui fait la moitié de l'aide au développement dans le monde ?
R - C'est à peu près 55 %. En 1998, dernier chiffre du développement de l'OCDE, l'aide de l'Union s'élevait à 27,5 milliards de dollars (Communauté et Etats membres). Je rappelle d'ailleurs que sur ces 27,5 milliards, 5 milliards transitent par la Commission européenne, dans le cadre du budget général de la Communauté et du FED, c'est-à-dire un peu moins de 20 % du total mais on peut considérer que cette partie-là est appelée à se développer. Il y a une tendance au multilatéralisme.
Les variations entre partenaires sont très importantes. Leur part dans le financement communautaire peut être très variable : l'Italie fait transiter par l'aide communautaire une part importante de son aide au développement (31 %), la Suède c'est seulement 6 % mais il est vrai que la Suède est en quelque sorte un jeune Etat membre européen. Pour la France, s'était en 1998, 14 % contre 11 % seulement en 1994. Donc, la part de l'aide française qui transite par l'Europe est en augmentation. Dans le FED, la part de l'aide française est particulièrement significative, puisqu'à nous seuls, nous prenons en charge presque le quart (24,3 %), du FED alors que dans le budget communautaire global, la part de la France représente 17,5 %.
Q - L'exemple du programme MEDA : le fait que dans l'enveloppe MEDA 1 seulement 26 % aient été utilisés, est-ce que cela ne relève pas des contraintes que vous avez vous-mêmes énuméré, c'est-à-dire lenteur des procédures, complexité, visibilité, information etc. et est-ce qu'on ne risquerait pas de se dire, puisque cette enveloppe a été insuffisamment utilisée, de la réduire ?
R - Il est clair que ces retards de consommation affectant des crédits pourtant engagés tirent vers le bas l'aide publique au développement. Les autorités financières, pour ne parler que d'elles, voyant cette sous-consommation, peuvent être tentées de réduire les crédits futurs. Je veux attirer votre attention sur deux choses. La première c'est que parmi les causes de mauvaise consommation, il y a aussi l'insécurité, les guerres, les violences dans un certain nombre de pays où il est à peu près impossible de mettre en place un programme de développement au motif qu'une moitié du pays est en situation de crise ouverte. La seconde observation, c'est que cette aide publique européenne est parfaitement cohérente avec les actions de lutte contre la pauvreté que l'initiative pour le désendettement des pays pauvres devrait permettre. C'est l'occasion de réaffirmer le principe d'additionalité. Il faut éviter de céder à la facilité qui consisterait à dire: puisqu'on efface la dette, on peut réduire l'aide publique au développement. C'est l'aide publique au développement qui peut donner du sens au désendettement, en venant à l'appui du programme de lutte contre la pauvreté que les pays bénéficiaires du désendettement vont pouvoir conduire parce qu'ils vont retrouver une marge de manuvre. Dans le dialogue que nous sommes en train de revivifier au travers de ce dossier "désendettement", nous devons pouvoir venir en appui des pays bénéficiaires en leur disant : "vous avez une marge de manuvre supplémentaire parce que vous n'avez plus à rembourser cette dette, donc consacrez ces moyens à un programme de lutte, que ce soit sur le plan scolaire, de la santé ou des transports, notre aide publique au développement vient l'appuyer."
Q - Pouvez-vous commenter le rôle des ONG qui passent souvent pour être plus rapides et dans certains cas plus efficaces ?
R - Bien entendu, les ONG ont un rôle important et certaines d'entre elles savent mieux que d'autres gagner la compétition organisée dans le cadre des appels d'offre. C'est l'occasion pour moi de rappeler le besoin pour les ONG françaises d'une meilleure structuration qui, leur permette de mieux profiter de ces procédures qu'elles ne le font aujourd'hui. S'il s'agit de comparer l'efficacité relative des ONG par rapport aux administrations, souvent, l'absence d'administration dans les pays bénéficiaires fait que les ONG ont, comparativement, de meilleurs outils. Ceci ne doit pas nous dispenser d'aider les Etats à continuer à se construire et la France continue à penser que le développement nécessite des Etats construits et des administrations compétentes. Il y a aussi un équilibre à trouver entre les administrations des Etats et des collectivités locales. L'encouragement à la décentralisation est une constante européenne. Nous sommes convaincus que cette décentralisation est une manière de produire de la responsabilité et d'aider au pluralisme politique.
Q - Comment comptez-vous concilier la lutte contre la pauvreté avec l'intention de vouloir favoriser l'investissement productif, n'y a-t-il pas là peut-être une contradiction ? D'autre part, il a été peu question de prévention de crises ou de programmes post crises, pour caricaturer, on pourrait dire que c'est un plan d'urbanisme sur un champ de ruine, dans certains cas. Si vous prenez le cas de la Côte d'Ivoire, après cette réforme, que pourra faire l'Union européenne de mieux qu'auparavant, pour, dans les mois à venir, stabiliser un pays qui est arrivé à un pallier de déstabilisation et qui risque de descendre plus bas. L'Union européenne auparavant, n'avait pas les moyens d'intervenir d'une façon décisive à très court terme. Est-ce qu'après cette réforme, cela sera plus facile et est-ce qu'il y a pour certains pays des programmes post crises dont le décaissement pourrait se faire d'une façon exceptionnelle ?
R - A la première question, je voudrais vous dire ma conviction qu'il ne faut surtout pas opposer lutte contre la pauvreté et investissement productif. Ce sont deux efforts qu'il faut conduire parallèlement, sachant que ce ne sont pas les mêmes moyens qui sont mobilisés pour l'un et pour l'autre.
L'investissement productif renvoie à l'investissement privé pour beaucoup. Mais il est vrai aussi que les conditions qui sont favorables à l'investissement privé comprennent des infrastructures à financement public et il ne faudrait pas que l'objectif de lutte contre la pauvreté restreigne, de manière excessive, les points d'application des programmes. L'accès à la santé, à l'éducation participent directement de la lutte contre la pauvreté mais la mise en place d'un réseau de transport est une condition aussi du développement et donc de l'investissement. Je rappelle que la sécurisation des investissements passe aussi par des organisations de systèmes judiciaires ou d'organisations fiscales, qui sont loin d'être acquises. Lorsque nous parlons d'investissement productif, nous entendons un ensemble d'actions intégrant bien cet appui institutionnel aux Etats. Je ne veux pas compliquer en disant que les investissements productifs doivent respecter les normes qui sont en train de se définir au plan social ou environnemental. C'est là, en effet, que la société civile peut jouer son rôle, y compris les consommateurs. Si nous sommes capables d'identifier des produits venant du sud et respectant les normes sociales, ils seront mieux reçus par les consommateurs du nord qui auront cette garantie. C'est un gros travail à conduire et il faut que là aussi, il y ait partenariat Nord/Sud, au niveau des pouvoirs publics comme des sociétés civiles.
S'agissant de la deuxième question, on se souvient que, parmi les difficultés qu'avait connu le Président Bédié, lors des derniers mois de sa présidence, il y avait justement cette corruption découverte autour ou à l'occasion d'une aide européenne en matière de santé. L'exercice auquel nous sommes appelés, en réformant la politique communautaire, doit à la fois intégrer ce besoin d'efficacité, de rapidité et en même temps une exigence très forte de la part des contribuables en général, de l'opinion publique, d'un meilleur contrôle pour éviter ces déviances. Il n'est pas toujours facile de concilier les deux. C'est en déconcentrant et en décentralisant la décision que nous y parviendrons.
Q - Pourriez-vous nous donner des détails concernant le contrôle pratique sur le terrain parce que vous parlez de décentralisation mais pour autant, ce n'est pas un contrôle effectif par les donateurs, est-ce qu'il y a des dispositions pour que le contrôle s'opère directement par ceux qui donnent ?
R - A partir du moment où la décision est prise de faire gérer un programme par une équipe sur place déjà (qu'elle soit communautaire ou qu'elle provienne d'un Etat membre), vous conviendrez avec moi qu'il est plus facile d'assurer ce contrôle qu'à partir d'un bureau bruxellois. Quand sur une facture, on fait apparaître le prix d'un équipement donné, il est plus facile de décaler une éventuelle disproportion avec le produit en face de soi. C'est un exemple concret. Ma conviction est que c'est ainsi que l'on changera les choses.
J'ajoute que nous entendons décentraliser la gestion des projets mais aussi la préparation des projets. Nous sommes prêts à mobiliser nos postes diplomatiques et nos experts, notamment des services de coopération et de développement qui sont sur place pour identifier les projets en partenariat avec le pays bénéficiaire. Bien entendu, la délégation européenne pourra ensuite mettre en place les projets et en assurer la gestion. La culture d'évaluation mérite aussi de passer dans les administrations européennes mais aussi dans nos propres administrations et on est encore un peu loin du compte.
Q - Est-ce que vous vous sentez un petit peu privé de moyens aujourd'hui par manque d'une affirmation de politique étrangère et de sécurité commune. Est-ce que pour vous, l'extension de la PESC est un élément prioritaire en terme d'affirmation sur le terrain même de l'aide et de l'ensemble des dispositifs que vous mettez en place dans votre ministère ?
R - Il y a une chaîne entre prévention des crises ou gestion des conflits et développement. Par exemple, la bataille du développement, c'est aussi la maîtrise des trafics d'armes légères et la pression exercée sur les producteurs d'armement pour qu'ils acceptent qu'on identifie les armes en vue de les suivre et de pouvoir, le cas échéant, sanctionner. On voit bien comment le renforcement de la PESC conforte le rôle que l'Europe peut jouer dans le cadre du développement./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2000).