Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame,
Par la voix de son Président, l'Assemblée nationale vient de saluer pour une ultime fois celui qui, à trois reprises et pendant seize années au total, aura présidé à ses travaux. A mon tour, au nom du Gouvernement, je voudrais rendre hommage à Jacques CHABAN-DELMAS.
Je le connaissais peu, personnellement. Une génération nous séparait. Nous étions engagés de part et d'autre d'une ligne de partage politique. Mais Jacques CHABAN-DELMAS ne pouvait m'être étranger car il était familier à tous les Français. Sa trajectoire personnelle avait su d'ailleurs dépasser les clivages partisans. La fonction de Premier ministre qu'il a assumée durant trente mois m'est aujourd'hui confiée. C'est à ce titre que je voudrais saluer en lui un homme de conviction qui a marqué notre vie politique.
De Jacques CHABAN-DELMAS, les Français connaissaient tous le sourire. Celui d'un général de 29 ans, dont la jeunesse conquérante avait surpris, puis aussitôt séduit, le Général de GAULLE, le 24 août 1944, sur un quai de la gare Montparnasse. Ce sourire éclairait un visage que la beauté a toujours animé, dans l'âge mûr et jusque dans la vieillesse. Jacques CHABAN-DELMAS avait du charme, de l'élégance, de l'allure.
Cette prestance n'était pas une posture. Elle n'était pas seulement un don de la nature. Elle était aussi une conquête, faite de volonté et de discipline, de travail sur soi-même et de force d'âme. Enfant fragile, Jacques CHABAN-DELMAS avait décidé de se forger un corps solide. Il y parvint. Sportif, il l'était dans toute la plénitude de ce mot. Le sport était pour lui une philosophie de la vie. Jacques CHABAN-DELMAS aimait l'effort et le dépassement de soi. Il avait le goût de la performance personnelle, le sens du collectif et la fierté de ceux qui savent faire vivre le beau jeu. Il avait chevillé au corps le respect des règles et le respect de l'autre -envisagé comme un adversaire et jamais comme un ennemi-, c'est-à-dire le respect de soi-même. C'est pourquoi il fut toujours surpris lorsque ces règles n'étaient pas respectées contre lui.
Il s'était forgé une morale pour la vie, pour sa vie, et pour la vie politique en particulier. Jusqu'au bout, Jacques CHABAN-DELMAS a conservé cette stature. Jusqu'au bout, il fut un combattant, face à la maladie, face à la douleur. Car Jacques CHABAN-DELMAS avait en lui, selon ses propres mots, un " immense appétit de vivre ".
Cette ardeur, Jacques CHABAN-DELMAS l'a mise au service de la France, cette France que sa mère lui avait appris à aimer avec passion. Cette France, qu'il n'accepta pas de voir humiliée, et encore moins trahie. Démobilisé après le désastre de 1940, Jacques DELMAS, devenu " LAKANAL " puis " CHABAN ", fut un résistant de la première heure. Les hautes responsabilités qui lui furent alors confiées par le Général de GAULLE donnent la mesure de sa résolution. Délégué national de la coordination militaire pour l'ensemble du territoire, il prit une part importante, avec les Forces Françaises de l'Intérieur et la Deuxième division blindée du Général LECLERC, à la libération de Paris.
De la Résistance, où s'étaient retrouvés des Françaises et des Français de tout bord et de toute condition, il avait conservé des amitiés inébranlables. Il gardait la reconnaissance du rôle joué, dans l'ombre, par tous ceux que la vie allait ensuite séparer. Il éprouvait ainsi pour François MITTERRAND une " fraternité obscure ", pour reprendre sa propre expression, faite d'estime et de respect.
Compagnon de la Libération, Jacques CHABAN-DELMAS était indéfectiblement attaché au Général de GAULLE. Il est resté, jusqu'au bout, gaulliste. A sa manière, souple et ouverte. Et c'est pour servir cet homme qu'il admirait et qu'il aimait que Jacques CHABAN-DELMAS est entré, pour un demi-siècle, dans la vie politique.
Député de la Gironde, maire de Bordeaux, jamais peut-être le destin d'un homme ne s'est autant confondu avec l'histoire d'une ville. Cinquante ans durant, " CHABAN ", c'était Bordeaux. Et Bordeaux, c'était " CHABAN ", au point d'y dépolitiser quelque peu les débats. Dans les rues de la ville, qu'il parcourait inlassablement, comme dans le reste de l'Aquitaine, sa silhouette était connue, reconnue et respectée. Il resta toujours un homme simple, très ponctuel, attentif aux autres, ouvert à tous.
Au sein de la République qu'il avait tant contribué à rétablir, il fut une grande figure politique. Sous la Quatrième République, il voulut être présent, entrant au parti radical, car il aimait faire bouger les lignes et ne se voyait pas enfermé dans un des camps d'une vie politique point encore bipolarisée. Il n'a momentanément quitté l'Assemblée nationale que pour exercer, en particulier auprès de Pierre MENDES FRANCE, des fonctions ministérielles importantes. Il soutint le retour du Général de GAULLE au pouvoir et travailla à l'instauration de la Cinquième République. Elu Président de l'Assemblée nationale en 1958, il n'a quitté " le perchoir " que pour devenir, en 1969, Premier ministre, à la demande du Président Georges POMPIDOU.
La France connaissait alors une situation ambivalente. Prospère, la France des " Trente Glorieuses " restait, pour Jacques CHABAN-DELMAS, une " société bloquée ". Stable, le régime de la Cinquième République ne satisfaisait pas les attentes nouvelles d'un nombre croissant de Français : attentes de libertés, de justice sociale, de modernité, d'une société plus ouverte et plus mobile. Nombreuse, la jeunesse née dans l'immédiat après-guerre voulait prendre toute sa place dans une société encore trop crispée et trop autoritaire. Elle l'avait exprimé dans le mouvement de 1968. Tout cela, Jacques CHABAN-DELMAS sut le percevoir. Il voulut le traduire en un projet.
Jacques CHABAN-DELMAS esquissa alors une vision de la France. Dans son discours du 16 septembre 1969, fidèle à ses préoccupations de dialogue, le Premier ministre qu'il était entendait dessiner les contours d'une " Nouvelle Société ". Une société plus généreuse, modernisée économiquement, sachant surmonter ses blocages et rénover ses relations sociales ; une société s'ouvrant au pluralisme de l'information ; une France aux territoires mieux équilibrés et tournée vers l'Europe ; une société qui ferait plus de place à sa jeunesse, où la culture et les loisirs deviendraient plus largement accessibles. Il sut pour cette action attirer comme collaborateurs des hommes de talent et sincères, dont certains, comme Jacques DELORS, qui n'étaient pas de sa famille politique.
Jacques CHABAN-DELMAS, s'il en avait la volonté, n'a pu conduire longtemps ce mouvement de changement. On ne lui en a pas donné les moyens. Car, sur le moment, sa vision ne fut pas partagée par ceux dont il escomptait le soutien. Il en tira les conclusions et, quelques semaines après une large confiance obtenue à l'Assemblée nationale, donna la démission qui lui fut demandée par le Président POMPIDOU. Son talent, son expérience et l'estime que lui portaient les Français l'amenèrent logiquement à être candidat, le candidat des gaullistes, en 1974, à la Présidence de la République. Là encore, il ne put atteindre son but. Il en conçut, légitimement, de l'amertume, celle des " espérances blessées ", comme il qualifiait lui même, dans ses Mémoires pour demain, cette période de sa vie politique. Mais il le supporta dignement.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame,
Les Français étaient très attachés à Jacques CHABAN-DELMAS. Pas seulement en raison de son action politique, à laquelle il fut passionnément dévoué. Mais aussi parce qu'il était un homme qui, plus encore que la politique, aimait la vie. Et la vie l'a beaucoup aimé. Jacques CHABAN-DELMAS était un homme heureux. Heureux parce qu'il était aimé, heureux parce qu'il aimait. Pour la dernière partie de sa vie, aux côtés de son épouse Micheline, il a vécu sereinement, patriarche entouré de sa famille recomposée, de ses enfants et petits-enfants.
Homme dressé contre la fatalité, entré jeune dans l'Histoire, Jacques CHABAN-DELMAS fut un grand serviteur de Bordeaux, de la République, de la Nation. Il nous a laissé un message fait de loyauté et de fidélité, de conviction et d'esprit de compromis, de modernité et de générosité. Ce message doit continuer d'inspirer les femmes et les hommes qui, au sein de cet hémicycle -qu'il aimait tant- et au-delà dans le pays, travaillent tous, dans la diversité de leurs convictions respectives, à ce que vive une France forte et juste.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2000)
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame,
Par la voix de son Président, l'Assemblée nationale vient de saluer pour une ultime fois celui qui, à trois reprises et pendant seize années au total, aura présidé à ses travaux. A mon tour, au nom du Gouvernement, je voudrais rendre hommage à Jacques CHABAN-DELMAS.
Je le connaissais peu, personnellement. Une génération nous séparait. Nous étions engagés de part et d'autre d'une ligne de partage politique. Mais Jacques CHABAN-DELMAS ne pouvait m'être étranger car il était familier à tous les Français. Sa trajectoire personnelle avait su d'ailleurs dépasser les clivages partisans. La fonction de Premier ministre qu'il a assumée durant trente mois m'est aujourd'hui confiée. C'est à ce titre que je voudrais saluer en lui un homme de conviction qui a marqué notre vie politique.
De Jacques CHABAN-DELMAS, les Français connaissaient tous le sourire. Celui d'un général de 29 ans, dont la jeunesse conquérante avait surpris, puis aussitôt séduit, le Général de GAULLE, le 24 août 1944, sur un quai de la gare Montparnasse. Ce sourire éclairait un visage que la beauté a toujours animé, dans l'âge mûr et jusque dans la vieillesse. Jacques CHABAN-DELMAS avait du charme, de l'élégance, de l'allure.
Cette prestance n'était pas une posture. Elle n'était pas seulement un don de la nature. Elle était aussi une conquête, faite de volonté et de discipline, de travail sur soi-même et de force d'âme. Enfant fragile, Jacques CHABAN-DELMAS avait décidé de se forger un corps solide. Il y parvint. Sportif, il l'était dans toute la plénitude de ce mot. Le sport était pour lui une philosophie de la vie. Jacques CHABAN-DELMAS aimait l'effort et le dépassement de soi. Il avait le goût de la performance personnelle, le sens du collectif et la fierté de ceux qui savent faire vivre le beau jeu. Il avait chevillé au corps le respect des règles et le respect de l'autre -envisagé comme un adversaire et jamais comme un ennemi-, c'est-à-dire le respect de soi-même. C'est pourquoi il fut toujours surpris lorsque ces règles n'étaient pas respectées contre lui.
Il s'était forgé une morale pour la vie, pour sa vie, et pour la vie politique en particulier. Jusqu'au bout, Jacques CHABAN-DELMAS a conservé cette stature. Jusqu'au bout, il fut un combattant, face à la maladie, face à la douleur. Car Jacques CHABAN-DELMAS avait en lui, selon ses propres mots, un " immense appétit de vivre ".
Cette ardeur, Jacques CHABAN-DELMAS l'a mise au service de la France, cette France que sa mère lui avait appris à aimer avec passion. Cette France, qu'il n'accepta pas de voir humiliée, et encore moins trahie. Démobilisé après le désastre de 1940, Jacques DELMAS, devenu " LAKANAL " puis " CHABAN ", fut un résistant de la première heure. Les hautes responsabilités qui lui furent alors confiées par le Général de GAULLE donnent la mesure de sa résolution. Délégué national de la coordination militaire pour l'ensemble du territoire, il prit une part importante, avec les Forces Françaises de l'Intérieur et la Deuxième division blindée du Général LECLERC, à la libération de Paris.
De la Résistance, où s'étaient retrouvés des Françaises et des Français de tout bord et de toute condition, il avait conservé des amitiés inébranlables. Il gardait la reconnaissance du rôle joué, dans l'ombre, par tous ceux que la vie allait ensuite séparer. Il éprouvait ainsi pour François MITTERRAND une " fraternité obscure ", pour reprendre sa propre expression, faite d'estime et de respect.
Compagnon de la Libération, Jacques CHABAN-DELMAS était indéfectiblement attaché au Général de GAULLE. Il est resté, jusqu'au bout, gaulliste. A sa manière, souple et ouverte. Et c'est pour servir cet homme qu'il admirait et qu'il aimait que Jacques CHABAN-DELMAS est entré, pour un demi-siècle, dans la vie politique.
Député de la Gironde, maire de Bordeaux, jamais peut-être le destin d'un homme ne s'est autant confondu avec l'histoire d'une ville. Cinquante ans durant, " CHABAN ", c'était Bordeaux. Et Bordeaux, c'était " CHABAN ", au point d'y dépolitiser quelque peu les débats. Dans les rues de la ville, qu'il parcourait inlassablement, comme dans le reste de l'Aquitaine, sa silhouette était connue, reconnue et respectée. Il resta toujours un homme simple, très ponctuel, attentif aux autres, ouvert à tous.
Au sein de la République qu'il avait tant contribué à rétablir, il fut une grande figure politique. Sous la Quatrième République, il voulut être présent, entrant au parti radical, car il aimait faire bouger les lignes et ne se voyait pas enfermé dans un des camps d'une vie politique point encore bipolarisée. Il n'a momentanément quitté l'Assemblée nationale que pour exercer, en particulier auprès de Pierre MENDES FRANCE, des fonctions ministérielles importantes. Il soutint le retour du Général de GAULLE au pouvoir et travailla à l'instauration de la Cinquième République. Elu Président de l'Assemblée nationale en 1958, il n'a quitté " le perchoir " que pour devenir, en 1969, Premier ministre, à la demande du Président Georges POMPIDOU.
La France connaissait alors une situation ambivalente. Prospère, la France des " Trente Glorieuses " restait, pour Jacques CHABAN-DELMAS, une " société bloquée ". Stable, le régime de la Cinquième République ne satisfaisait pas les attentes nouvelles d'un nombre croissant de Français : attentes de libertés, de justice sociale, de modernité, d'une société plus ouverte et plus mobile. Nombreuse, la jeunesse née dans l'immédiat après-guerre voulait prendre toute sa place dans une société encore trop crispée et trop autoritaire. Elle l'avait exprimé dans le mouvement de 1968. Tout cela, Jacques CHABAN-DELMAS sut le percevoir. Il voulut le traduire en un projet.
Jacques CHABAN-DELMAS esquissa alors une vision de la France. Dans son discours du 16 septembre 1969, fidèle à ses préoccupations de dialogue, le Premier ministre qu'il était entendait dessiner les contours d'une " Nouvelle Société ". Une société plus généreuse, modernisée économiquement, sachant surmonter ses blocages et rénover ses relations sociales ; une société s'ouvrant au pluralisme de l'information ; une France aux territoires mieux équilibrés et tournée vers l'Europe ; une société qui ferait plus de place à sa jeunesse, où la culture et les loisirs deviendraient plus largement accessibles. Il sut pour cette action attirer comme collaborateurs des hommes de talent et sincères, dont certains, comme Jacques DELORS, qui n'étaient pas de sa famille politique.
Jacques CHABAN-DELMAS, s'il en avait la volonté, n'a pu conduire longtemps ce mouvement de changement. On ne lui en a pas donné les moyens. Car, sur le moment, sa vision ne fut pas partagée par ceux dont il escomptait le soutien. Il en tira les conclusions et, quelques semaines après une large confiance obtenue à l'Assemblée nationale, donna la démission qui lui fut demandée par le Président POMPIDOU. Son talent, son expérience et l'estime que lui portaient les Français l'amenèrent logiquement à être candidat, le candidat des gaullistes, en 1974, à la Présidence de la République. Là encore, il ne put atteindre son but. Il en conçut, légitimement, de l'amertume, celle des " espérances blessées ", comme il qualifiait lui même, dans ses Mémoires pour demain, cette période de sa vie politique. Mais il le supporta dignement.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Madame,
Les Français étaient très attachés à Jacques CHABAN-DELMAS. Pas seulement en raison de son action politique, à laquelle il fut passionnément dévoué. Mais aussi parce qu'il était un homme qui, plus encore que la politique, aimait la vie. Et la vie l'a beaucoup aimé. Jacques CHABAN-DELMAS était un homme heureux. Heureux parce qu'il était aimé, heureux parce qu'il aimait. Pour la dernière partie de sa vie, aux côtés de son épouse Micheline, il a vécu sereinement, patriarche entouré de sa famille recomposée, de ses enfants et petits-enfants.
Homme dressé contre la fatalité, entré jeune dans l'Histoire, Jacques CHABAN-DELMAS fut un grand serviteur de Bordeaux, de la République, de la Nation. Il nous a laissé un message fait de loyauté et de fidélité, de conviction et d'esprit de compromis, de modernité et de générosité. Ce message doit continuer d'inspirer les femmes et les hommes qui, au sein de cet hémicycle -qu'il aimait tant- et au-delà dans le pays, travaillent tous, dans la diversité de leurs convictions respectives, à ce que vive une France forte et juste.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 23 novembre 2000)