Déclaration de M. Marylise Lebranchu, ministre de la justice, sur la coopération internationale pour la lutte contre la criminalité organisée, notamment grace à la convention contre la criminalité transnationale, Palerme le 12 décembre 2000.

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Circonstance : Conférence des Nations Unies sur la lutte contre le crime organisé, à Palerme du 12 au 15 décembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de m'exprimer au nom de l'Union européenne.
1 - Je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre accueil, et je remercie, à travers vous, votre gouvernement.
Je tiens aussi, dès à présent, à évoquer la mémoire, toujours vive dans les esprits des participants ici rassemblés, du juge italien Giovanni Falcone, et de son collègue français Pierre Michel, qui, il y a vingt ans, aux côtés de Giovanni Falcone, luttait contre le trafic international des drogues, en découvrant, à quelques kilomètres de cette salle, un important laboratoire clandestin de fabrication d'héroïne. Leur combat infatigable contre le crime organisé, qu'ils ont payé de leur vie, est un exemple qui doit continuer à nous inspirer.
Je remercie également l'Office des Nations unies à Vienne qui a co-organisé cette conférence. Cette invitation à venir signer à Palerme la convention contre la criminalité transnationale organisée et ses Protocoles marque la volonté profonde et sincère de la Communauté internationale de donner le jour à trois instruments fondamentaux dans la lutte contre le crime organisé. Le cadre solennel des Nations unies confère une dimension hautement symbolique à l'adoption de ces textes tant attendus.
Cette Conférence de Palerme conclut en effet un cycle entamé à Naples, en 1994, par l'adoption de la déclaration politique et du plan mondial d'action contre la criminalité transnationale organisée. Un pas avait alors été fait vers l'élaboration d'une convention juridiquement contraignante sur le crime organisé.
2 - Monsieur le Président, l'Union européenne a voulu soutenir, et participer activement, à l'élaboration d'un instrument juridique international spécifique de lutte contre la criminalité transnationale organisée.
Le constat est fait que le développement sans vergogne de ces activités illicites va de pair avec la mondialisation et l'extraordinaire progression des échanges internationaux. Cette progression constante est un défi lancé à la Communauté internationale dans son ensemble et une menace pour chacun des Etats qui la constitue. Ces éléments font que l'Union européenne est convaincue que la réponse de la Communauté internationale ne peut qu'être solidaire et qu'elle doit se situer à un niveau approprié. La vocation universelle de l'Organisation des Nations unies la désignait naturellement pour mener à bien cette entreprise.
3 - Le délai de moins de deux ans assigné par l'Assemblée générale à la négociation d'une Convention contre la criminalité transnationale organisée était exceptionnellement court pour un instrument juridique aussi complexe et d'une portée aussi vaste. Il reflétait le sentiment d'urgence des Etats membres à l'égard de la criminalité transnationale organisée, ainsi que leur détermination à se doter rapidement des outils nécessaires pour la combattre.
Cet effort et cette constance dans la démarche sont à la mesure de notre responsabilité face à nos concitoyens, d'aujourd'hui et de demain. Notre présence à tous, ici, est une marque indiscutable de notre volonté d'agir en responsables efficaces et de notre souci de traduire en actes cette volonté commune.
4 - L'Union européenne adresse ses félicitations au Comité intergouvernemental spécial et à son président, M. Luigi Lauriola, pour avoir, grâce à leur persévérance, assuré le succès de cette entreprise.
Elle exprime également sa reconnaissance à tous les Etats qui ont participé à cette négociation et qui y ont manifesté leur volonté de se doter d'un instrument dont la rigueur juridique ne sacrifie pas l'efficacité opérationnelle. L'Union européenne remercie enfin le Centre pour la prévention internationale du crime, qui a soutenu les travaux du Comité. La compétence et le dévouement de son personnel ont grandement contribué à la conclusion de la négociation dans les délais impartis.
5 - Pour l'Union européenne, la Convention contre la criminalité transnationale organisée et ses Protocoles additionnels constituent un ensemble normatif exemplaire, à un double titre.
6 - D'une part, la Convention est le premier instrument juridique mondial dont se soit dotée la Communauté internationale pour lutter contre la criminalité transnationale organisée.
Elle se caractérise, notamment, par des innovations essentielles telles que la définition juridique universellement reconnue des éléments constitutifs des infractions spécifiques à cette criminalité. Elle fait obligation aux Etats parties d'introduire dans leur droit pénal national les incriminations créées par la Convention, indiquant par là la responsabilité de chacun dans ce combat commun. Enfin, elle renforce les mécanismes de coopération judiciaire répressive et renvoie ainsi vers la criminalité sans frontières une réponse internationale et massive.
7 - D'autre part, la Convention et ses Protocoles additionnels, en prenant en compte de façon équilibrée les préoccupations d'Etats issus de régions géographiques différentes, manifestent à un degré élevé la solidarité de la Communauté internationale dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée.
Au niveau des Etats, d'abord, cette solidarité trouve son expression dans les dispositions destinées à faciliter, par la coopération répressive et l'assistance technique, la mise en uvre effective des textes.
Au niveau des individus, ensuite, la Convention affirme son engagement par une série de mesures prenant en compte les formes particulièrement graves de la criminalité organisée, telles la traite des personnes et le trafic des migrants.
8 - Pour autant, et malgré le résultat remarquable que nous sommes venus consacrer aujourd'hui, l'Union européenne ne considère pas encore ce chapitre comme clos.
En effet, elle estime essentiel que le Comité conclue avant la fin de 2001 la négociation du Protocole relatif à la fabrication et au trafic illicites des armes-à-feu.
La session d'octobre du Comité intergouvernemental spécial a accompli des progrès substantiels sur ce texte. Nous devons tout faire pour préserver la dynamique initiée, afin de parvenir sans tarder au consensus.
L'Union européenne exprime le souhait d'une reprise dans les meilleurs délais de la négociation sur cet instrument, et appelle les Etats membres à y faire preuve du même esprit de compromis que lors de l'adoption de la Convention et de ses deux autres Protocoles.
9 - L'achèvement de la négociation ne doit pas occulter les efforts qui nous attendent encore. Nous avons certes abouti à des textes satisfaisants. Nous devons, plus encore, veiller à assurer leur entrée en vigueur et leur mise en uvre.
Notre travail ne sera véritablement accompli que par la mise en pratique de nos accords. Pour finaliser ce processus et en faire l'outil efficace de lutte contre la criminalité transnationale organisée, il nous reste plusieurs étapes incontournables à franchir dans la foulée de l'adoption, par l'Assemblée générale, de la résolution les approuvant.
10 - La première étape est franchie aujourd'hui, dans cette salle, avec la signature des textes par les représentants des Etats. Afin d'assurer à ces textes l'universalité indispensable à leur efficacité, l'Union européenne invite tous les Etats à signer la Convention et ses deux Protocoles. Chacune des signatures apposées doit être comprise comme un pas de plus vers l'éradication du crime organisé et comme l'affirmation du soutien et de la sympathie de la Communauté internationale vis-à-vis de ceux qui en sont victimes et souffrent des agissements de ces organisations honteuses.
11 - La seconde étape sera l'entrée en vigueur à proprement parler de la Convention et de ses deux Protocoles. Les membres du Comité ont voulu que celle-ci intervienne après que quarante Etats auront ratifié les textes. En effet, ces textes n'auront leur pleine puissance et leur entière signification que si, dès l'origine, leur mise en uvre dépasse le cadre géographique d'un seul continent ou d'une seule région du monde. Cette dimension internationale est une donnée inhérente de leur efficacité.
L'Union européenne appelle donc tous les Etats membres de l'Organisation des Nations unies à ratifier, dans les meilleurs délais, la Convention contre la criminalité transnationale organisée et de ses protocoles additionnels.
Elle est déterminée, pour ce qui la concerne, non seulement à ce que ses propres membres ratifient rapidement ces textes, mais également à agir de façon globale pour favoriser l'entrée en vigueur aussi rapide que possible de ces instruments.
Cette volonté s'inscrit dans la démarche voulue par l'Union européenne de facilitation de l'action judiciaire sur l'ensemble de son territoire, au-delà des frontières de chacun de ses Etats.
12 - L'Union européenne attache enfin la plus grande importance à la mise en uvre effective de la Convention et de ses protocoles par tous les Etats qui y seront parties. C'est là une condition primordiale pour assurer le succès de cette démarche.
Face aux agissements constants, permanents et en perpétuelle mutation du crime organisé, nous devons opposer un réseau de solidarité et de coopération et une action sans relâche, sans faille et sans retard. C'est pourquoi le mécanisme de suivi instauré par la Convention, sous la forme d'une Conférence des Parties, contribuera de façon décisive à la réalisation de cet objectif. Il est en effet impératif, si nous ne voulons plus être dépassés par des formes nouvelles de criminalité transnationale organisée, d'assurer un suivi de ses évolutions phénoménologiques.
De même, il faudra accompagner et faciliter l'application des dispositions de la Convention relatives à la formation, à l'assistance technique et à la prévention, notamment grâce au compte mis en place à cet effet.
13 - Bien entendu, les Organes spécialisés des Nations unies devront également prendre leur part de cette entreprise.
L'Union européenne considère que les programmes de coopération du Centre pour la prévention internationale du crime relatifs à la criminalité transnationale organisée devront, à brève échéance, être réorganisés en fonction des orientations stratégiques dégagées par la Conférence des Parties. Dès lors, il convient d'entamer dès à présent une réflexion sur le mode de prise en compte de cette dimension dans les études et les programmes mondiaux spécifiques sur la criminalité transnationale organisée, ainsi que dans le programme mondial de lutte contre le blanchiment d'argent, programme actuellement mis en uvre par le programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues.
Les moyens de développer et de favoriser les synergies avec les activités d'autres agences et programmes du système des Nations unies devraient également être étudiés.
14 - L'assistance technique mise en uvre par les Etats et les Organisations régionales jouera également un rôle primordial dans l'application de ces textes. Une aide précieuse pourra ainsi être apportée aux Etats parties qui rencontreraient des difficultés à amener leurs institutions compétentes au niveau opérationnel requis. Pour sa part, l'Union européenne s'efforcera de favoriser l'application de la Convention et de ses Protocoles par l'ensemble des Etats parties, au travers de ses propres programmes de coopération juridique et institutionnelle.
15 - Monsieur le Président, en signant la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et ses Protocoles additionnels, les Etats ici représentés manifestent la détermination de la Communauté internationale à lutter, dans un esprit de coopération renforcée, contre l'une des plus graves menaces auxquelles elle est actuellement confrontée.
Ils marquent également leur volonté de protéger chacun des individus qui composent la Communauté internationale, et plus particulièrement ceux d'entre eux qui souffrent de la prolifération de ce fléau.
16 - Puisque j'ai l'honneur de me trouver à cette tribune des Nations unies, permettez-moi enfin de lancer un appel pour que soit mise en uvre le plus tôt possible la Convention de Rome instituant la Cour pénale internationale.
Actuellement, seul le quart des ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur de cette Convention a été effectué.
Faisons en sorte que la première année du vingt-et-unième siècle soit celle de la naissance d'une justice pénale de portée universelle pour empêcher que ne se reproduisent les crimes les plus odieux qui ont souillé le siècle qui s'achève !./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 décembre 2000)