Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, à RTL le 6 octobre 2000, sur la fin du pouvoir de M. Slobodan Milosevic en Yougoslavie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Alain Richard ! Tout d'abord, c'est un événement quand même, ce matin, il n'y a probablement plus sur le continent européen de régime de dictature.
ALAIN RICHARD
Oui, c'est quand même un moment heureux on ne peut pas le passer sans émotion. Je crois que la façon dont les Européens ont traité le problème yougoslave et ce que représentait cette nation dirigée par Milosevic n'était pas si mauvaise. Aujourd'hui nous sommes très près d'une situation où ce pays, cette nation avec laquelle on a tous les liens historiques et d'amitié que vous connaissez va retrouver sa sérénité et sa capacité de dialogue avec tous les Européens.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors tout d'abord quand même, l'instant, est-ce qu'il y a encore des craintes de voir l'armée yougoslave ou bien les forces spéciales de la police réagir ?
ALAIN RICHARD
Oui, on ne pourra être totalement sûr, que lorsqu'on aura localisé Milosevic, ce qui n'est pas le cas à l'instant où je vous parle et lorsque le président Kostunica aura pris l'ensemble des responsabilités qui sont les siennes et aura rétabli les chaînes de commandement. Ce qui est certain, à l'heure où je vous parle, c'est que les états-majors des armées ont déclaré leur loyauté au nouveau pouvoir. Et dans la police, c'est plus ambigu. La police c'est énorme, elle est à peu près six fois ce qu'elle est dans notre pays en taille et c'est un corps social qui était très surveillé, très encadré par le pouvoir ancien. Donc, il y a sans doute des divisions parmi eux.
De quoi tout cela est parti ? D'une élection. Même si ensuite Milosevic a essayé de manipuler les résultats, les Serbes, eux, se sont parfaitement rendu compte qu'il y avait une nette majorité qui avait basculé contre. Et donc, tous les gens qui étaient loyalistes, qui étaient dans des institutions, se sont rendu compte qu'il fallait changer.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors dans ce contexte les forces de l'OTAN et de l'ONU, parmi lesquelles se trouvent des Français qui sont, par exemple, au Kosovo, sont-elles en état d'alerte ?
ALAIN RICHARD
Non, nous n'avons pas envisagé, le président Clinton le disait hier, de prise de responsabilités militaires face à cette situation, cela n'aurait pas été adapté. Et nous nous sommes concertés pour donner tous les signes au peuple serbe, qu'en se ralliant derrière le nouveau pouvoir démocratique il allait vers une réouverture d'un autre horizon. Je crois que c'était ça, notre responsabilité.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors justement, tout n'est pas réglé d'un coup non plus, d'ailleurs monsieur Kostunica est un nationaliste, il est contre l'indépendance du Kosovo, c'est une vraie question.
ALAIN RICHARD
C'est un point d'accord. Nous nous sommes engagés sur une résolution des Nations-unies qui ne prévoit pas l'indépendance du Kosovo. Je veux souligner que c'est quand même un peu un succès la façon des Européens de traiter les dossiers. On n'a pas traité Milosevic comme Saddam Hussein, résultat : quinze mois après il est parti, alors que Saddam Hussein, il est toujours là.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors justement, vous, vous avez été le ministre qui a endossé la responsabilité de la guerre au Kosovo et ce matin, vous êtes en train, comme ça, en tant que dirigeant européen de parler aussi au peuple serbe, vous croyez que le peuple serbe peut vous entendre, alors que vous avez mené la guerre au Kosovo ?
ALAIN RICHARD
Non seulement, il peut nous entendre, mais quand on nous disait l'année dernière, vous avez eu tort au fond de ne pas aller jusqu'à Belgrade et de ne pas changer le pouvoir par la force militaire, on répondait : ça, c'est un réflexe européen. Moi j'ai entendu un général américain qui a témoigné devant une commission du Sénat, en disant : il aurait fallu qu'on pilonne Belgrade, comme Dresde. Je pense que la façon dont les Européens ont traité le problème, en disant : on arrête par la force l'épuration ethnique, mais on laisse à la population serbe la responsabilité de remettre ses affaires en ordre, c'était faire appel précisément à la nature européenne et à la tradition démocratique du peuple serbe. Il vient de répondre à nos espoirs. Les Serbes, cela fait aussi partie de notre histoire de la dernière génération, ont eu énormément d'échanges avec le reste de l'Europe. Tout le monde a connu un immigré yougoslave dans son entourage, ils n'ont jamais cessé de bien comprendre ce qui se passait en Europe. Même s'il y a eu à un moment cette espèce d'entraînement collectif qui les amenés vers un hyper-nationalisme dangereux pour le reste de l'Europe, ils ont toujours compris ce qui se passait ailleurs.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors à situation particulière, interview particulière, on a en ligne une Serbe qu'on connaît bien nous ici à RTL, qui vit à Belgrade qui a fêté toute la nuit les évènements de Belgrade, elle s'appelle Boyana vous nous entendez, qu'est-ce que vous avez envie de dire ce matin à un ministre français, au ministre français de la Défense.
BOYANA
Voilà une simple question, étant donné que la Serbie était toujours une amie et un allié de tradition de la France, pourquoi, à cause d'un seul homme, vous avez rejeté tout le peuple serbe, l'année dernière au moment des bombardements ?
ALAIN RICHARD
Madame, nous n'avons pas rejeté le peuple serbe, on l'a expliqué très fréquemment et vous savez très bien qu'on a limité énormément l'emploi de la force contre la Serbie et contre sa population. Nous devions arrêter l'épuration ethnique, l'expulsion de population par la force, qui je crois n'a rien à voir avec les traditions humanistes et démocratiques du peuple serbe.
BOYANA
Ca, je suis tout à fait d'accord avec vous, et comment vous allez aider les Serbes, maintenant pour continuer dans leur voie démocratique et d'être une part entière de l'Europe ?
ALAIN RICHARD
C'est une priorité de toute première importance pour quelqu'un comme moi et pour le gouvernement auquel j'appartiens. Grâce au courage et à la décision très ferme du peuple serbe, nous avons maintenant devant nous la possibilité d'une Europe entièrement pacifique. Donc pour nous c'est un succès inouï et nous ferons tout pour le consolider.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors cela veut dire lever des sanctions, des aides financières ?
ALAIN RICHARD
Bien sûr, c'est maintenant une affaire de jour. Et puis ensuite, il y aura un travail de reconstruction, parce que la situation économique serbe est difficile, alors qu'il y a un potentiel de talent, de dynamisme dans la population serbe qui s'est d'ailleurs souvent exprimé à l'extérieur. Donc maintenant il faut les aider à retrousser les manches, à avoir les bons outils pour reconstruire.
OLIVIER MAZEROLLE
Un mot encore, il faut penser à transférer Milosevic devant le tribunal pénal de La Haye ?
ALAIN RICHARD
Bien sûr !
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, ça c'est toujours d'actualité.
ALAIN RICHARD
On choisira le moment.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Alain Richard.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 20 octobre 2000)