Discours de M. Claude Evin, ministre de la solidarité de la santé et de la protection sociale, sur l'avenir du service public hospitalier, la nouvelle planification régionale des établissements de santé et les établissements pour handicapés, Caen le 27 avril 1989.

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Circonstance : Assemblée générale de la FEHAP le 27 avril 1989 à Caen

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs
Je suis heureux de me trouver parmi vous aujourd'hui.
Pour deux raisons :
- la première est l'importance de votre fédération dans le secteur sanitaire, le secteur social et médico-social. En effet à côté du secteur public vos établissements participent au service public hospitalier. Dans le secteur social et médico-social, votre action renforce et accompagne celle des pouvoirs publics.
- la seconde tient à l'hommage que je veux rendre à votre président Monsieur Jean LEVERT.
Monsieur Jean LEVERT, après de brillantes études de lettres, droit, sciences politiques, vous entrez à la Cour des comptes en 1930.
La seconde guerre mondiale interrompt ce début de carrière administrative. Vous êtes mobilisé comme lieutenant de chasseurs en 1939. Vous allez passer cinq ans en Autriche comme prisonnier de guerre dans des conditions difficiles.
De retour à la vie civile, vous devenez le collaborateur de deux ministres.
Les remaniements ministériels vous feront aller aux finances, au commerce, à la santé puis à la justice.
Vous retournez à la Cour en 1954, et là, vous ne vous contenterez pas d'une carrière administrative brillante :
- rapporteur à la commission de contrôle des entreprises publiques
- président d'une section de la même commission
- vous deviendrez ensuite président de chambre.
Puisqu'entre temps, vous êtes devenu administrateur de la SNCF où vous allez découvrir et exercer vos talents pour le social, dans le cadre de la Caisse de prévoyance et de la Caisse de retraites. Vous devenez président de l'hôpital Foch et de l'hôpital Saint-Michel à Paris.
Vous accédez à la présidence de la FEHAP en 1977.
Je tiens à dire combien votre action a été déterminante à la tête de cette fédération, et à vous en remercier au nom du Gouvernement.
Le thème de votre congrès : les propositions du plan dans le domaine sanitaire et social traduit bien les préoccupations actuelles notamment en matière de politique de santé :
La santé est un domaine que les Français considèrent comme prioritaire. Tout ce qui y touche est empreint de sensibilité et de suggestivité, aucune décision dans ce domaine de quelque nature qu'elle soit ne laisse les Français indifférents. Je considère donc que dans le cadre de notre système de protection sociale dont le maintien est la garantie de notre système de distribution de soins, une politique de santé doit s'articuler autour de trois axes : le service du malade, la prévention et la modernisation du système.
Nos institutions de soins doivent être tournées d'abord vers le malade, ses besoins et ses droits.
Il est temps d'ouvrir dans nos lois le sujet des droits du malade, et qu'un débat s'instaure pour les instituer.
En liaison avec le garde des Sceaux et le ministre de l'Intérieur, les droits des malades mentaux seront rénovés. Le premier progrès en ce sens sera d'ailleurs fait, dès cette année à l'occasion de la rénovation du code pénal, puis de la révision de la loi de 1838.
Plus généralement, les droits généraux des malades relatifs à leur information, à leur consentement, et leurs voies de recours feront l'objet d'un large débat en vue de soumettre au parlement un projet de loi en 1990.
Cependant je souhaiterai aujourd'hui développer devant vous les orientations du Gouvernement en matière d'hospitalisation. Vous me permettrez de parler de l'hôpital en associant dans le même mot l'hôpital public et les établissements privés participant au service public hospitalier que vous représentez ici.
Le service public hospitalier s'interroge sur son avenir :
- les conflits sociaux dans les hôpitaux ont bien exprimé au-delà des revendications catégorielles le besoin d'un dialogue social réel.
- l'évolution très rapide que connaît l'hôpital se heurte à des rigidités, et à des cloisonnements qu'il faut lever tant entre l'hôpital et l'extérieur qu'au sein même de l'hôpital.
- le service public hospitalier a contribué depuis 10 ans à la régulation des dépenses par l'encadrement de celles-ci dès 1979 dans un taux directeur et depuis 1983 dans son budget global alors que les modalités de financements des cliniques privées demeuraient inflationnistes.
Il faut prendre conscience de ce que sera l'hôpital du futur dans son environnement et dans sa manière de fonctionner. Chacun devra y retrouver des marges de manuvre dans lesquelles il puisse exercer sa responsabilité, et l'assurance que les moyens disponibles sont affectés là où leur utilité et leur efficacité est la plus grande.
Une nouvelle loi est nécessaire près de 20 ans après la loi hospitalière. Elle redéfinira les missions, les modes de gestion et la place de l'hôpital dans notre système de soins.
Un projet de loi sera déposé fin 1989 à l'issue d'une large concertation. Ce projet prendra en compte trois principales orientations.
La première concerne la position de l'hôpital par rapport à son environnement.
L'hôpital devra de plus en plus s'inscrire dans un réseau de soin diversifié. L'hébergement n'y tiendra plus une place prépondérante, le plateau technique (ou plus généralement le pôle de compétence) en sera l'élément essentiel.
L'ensemble des éléments des réseaux de soin (médecine ambulatoire, secteurs sanitaire ou médico-social) est concerné. Il faut donc créer les conditions du décloisonnement entre ces divers éléments, en favorisant leur coopération et leur articulation.
Le réseau proprement hospitalier devra poursuivre et intensifier sa restructuration selon les besoins de santé : transformation d'hôpitaux locaux en centre de médecine de proximité et d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, transformation de lits de court séjour en services de soins diversifiés autour du domicile, poursuite de la transformation des structures psychiatriques, renforcement de la coopération interhospitalière et redistribution des moyens existants pour favoriser leur utilisation rationnelle.
Les dispositifs hospitaliers d'une part, social et médico-social d'autre part verront leur cadre législatif adapté, afin de permettre une meilleure symbiose.
Enfin, médecine de ville et d'hôpital sont appelés à travailler en complémentarité : intervention de professionnels libéraux à l'hôpital, aide médicale urgente, services d'hospitalisation à domicile etc.
La seconde orientation concerne la planification et l'instauration de relations contractuelles avec les établissements.
La place nouvelle de l'hôpital, au cur d'un réseau d'initiatives diversifiées suppose une refonte de nos modes de planification. Cette planification est aujourd'hui rigide, partielle et statique.
La nouvelle planification, appuyée sur un effort prospectif accru, s'organisera dans un schéma directeur régional qui prendra en compte l'ensemble des activités de soins et sera discuté entre les partenaires en fonction des besoins et des ressources.
Dans ce cadre, des contrats d'objectifs pourront être conclus entre l'état et les établissements au sein d'une région, permettant de définir les modalités d'une bonne couverture de soins dans une ou plusieurs disciplines et d'une répartition équilibrée des missions de chacun. Les contrats pourront associer le cas échéant les établissements privés et la médecine de ville, ainsi que les organismes d'assurance maladie et les collectivités locales.
Cette réforme pourra entrer progressivement en vigueur sur une période de 3 a 5 ans.
Dans ce schéma rénové, la tutelle sur les établissements devra être aménagée pour développer un contrôle à posteriori permettant l'élimination des disparités anormales entre établissements et s'appuyant sur la réalisation d'objectifs déterminés contractuellement entre l'Etat et les hôpitaux. Ces contrats d'objectifs s'inscriront dans le cadre d'une planification régionale des activités de santé mise en uvre en concertation avec tous les partenaires.
Ainsi les établissements disposeront d'une gestion plus souple et plus autonome.
La troisième orientation s'attache à rééquilibrer les règles du jeu entre les établissements.
L'instauration du budget global dans le service public hospitalier a permis d'une part de moderniser et de rationaliser la gestion de l'hôpital, et d'autre part de maîtriser l'évolution des dépenses. Le mode de financement des cliniques privées, introduit des distorsions entre les deux secteurs. Le rééquilibrage des modes de financement est désormais nécessaire. Il doit permettre par une plus grande transparence d'étudier les évolutions des différents secteurs, d'établir des comparaisons entre des systèmes de distribution de soins qui ont un financement unique.
Je souhaiterais terminer cette partie sanitaire en vous signalant qu'en réponse à une demande de votre fédération, je proposerais lors du débat parlementaire de l'automne prochain, une disposition législative autorisant le recrutement de médecins contractuels à durée déterminée.
Mais je n'ignore pas que votre fédération regroupe en son sein un secteur social important.
Je voudrais aborder avec vous la question de l'accueil des personnes handicapées dans les foyers expérimentaux à double tarification.
Les foyers expérimentaux à double tarification, mis en place en 1986, ont pour vocation, l'accueil de personnes gravement handicapées dont l'état nécessite des soins constants. Dans ce cadre, il a semblé nécessaire de partager leur financement entre l'assurance-maladie, compétente pour prendre en charge les dépenses de soins et le département finance de l'hébergement. Dans cette première phase expérimentale, le forfait de soins a été fixé en 1986 de telle sorte qu'il ne puisse excéder 250 francs. Le montant a été bien sûr revalorisé depuis 1986, en fonction du taux directeur, d'une première estimation qui a été faite en concertation avec la Caisse nationale d'assurance maladie. Le montant de ce forfait laisse apparaître une répartition des frais de fonctionnement de ces foyers entre l'assurance-maladie à hauteur de 45 % et le département à hauteur de 55 %. Cette répartition tient compte de la vocation médico-sociale de ces structures qui requièrent un important personnel d'encadrement.
Par ailleurs, vous m'avez interrogé sur la modification de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées.
L'article 22 de la loi portant diverses mesures d'ordre social, tend à permettre la prolongation de la prise en charge des handicapés accueillis dans des établissements d'enfants au-delà de l'âge limite pour lesquels ceux-ci sont agréés.
Sa raison d'être tient à la situation dramatique dans laquelle se trouvent des familles qui ne peuvent en dépit des décisions de placement des COTOREP faire entrer leur enfant dans des établissements pour adultes, faute de place.
Malgré les circulaires autorisant à titre dérogatoire les prolongations, ces personnes handicapées ne peuvent être indéfiniment maintenues dans les établissements d'enfants qui les prenaient en charge. Le drame vécu par les familles, les lourdes contraintes qui pèsent alors sur les parents qui sont déjà avancés en âge rendent nécessaire que soient trouvées des solutions.
L'article de loi a eu d'abord pour objet de faire en sorte que les handicapés ne soient pas chassés de leurs établissements d'enfants alors qu'aucune place ne serait disponible pour eux, en institutions pour adultes.
Croyez, cependant, que je suis bien conscient des problèmes qu'il pose.
En effet, ainsi que vous le soulignez, la pérennisation du maintien dans les établissements de l'enfance aurait deux conséquences :
- celle " d'oublier " des adultes handicapés dans des établissements d'enfants, alors qu'ils devraient bénéficier d'un placement dans un établissement approprié. La politique du handicap ne saurait se résumer en effet à laisser, si je puis dire, sédimenter des tranches d'âge successives dans des établissements qui ne sont pas forcement en mesure de prendre en charge les besoins d'adultes.
Celle d'empêcher du même coup les établissements d'éducation spéciale de pouvoir accueillir les enfants que les familles et les commissions de l'éducation spéciale leur présentent.
Cet article de loi n'est donc qu'une solution palliative car il s'agit surtout de créer des établissements pour handicapés adultes qui nous manquent encore.
C'est pourquoi, mes services examinent actuellement la possibilité de mettre en place un plan pluriannuel de création de structures pour adultes handicapés, et notamment de centres d'aide par le travail. Si nous pouvons reboucher sur ce point, les contraintes budgétaires de l'état pris en compte, il appartiendra aux collectivités locales d'accompagner cet effort.
Le temps me manque pour vous parler d'autres domaines qui, je le sais, vous sont chers : personnes âgées, psychiatrie.
Plus particulièrement sur le secteur de l'accueil des personnes âgées dans les services de long séjour. Je tiens à vous dire ici que c'est un problème qui est pris en compte dans la perspective d'une augmentation très forte des besoins que nous avons à satisfaire dans les années qui viennent.
Plus généralement, lors du conseil des ministres du 12 avril, le gouvernement a défini la politique qu'il entend suivre en matière de santé et de protection sociale. Nous avons maintenant à réaliser ensemble ce projet ambitieux de modernisation de nos établissements, de rénovation de nos méthodes.
Je suis convaincu que ceci sera possible par la mobilisation de tous les acteurs. Cela passe notamment par le renforcement du dialogue social au sein même des établissements.
Je tiens enfin à conclure mon propos sur un point qui m'est particulièrement cher, celui de l'accueil des malades et de la nécessité d'accentuer des efforts de tous en vue de rendre les établissements d'hospitalisation moins angoissants.
La maladie remet plus ou moins brutalement en cause la personne. Celle-ci se trouve introduite dans un univers inconnu, de plus en plus technique. Son cheminement dans cet univers n'est pas maîtrisable par elle : il est lié à l'évolution de la maladie aux choix difficiles du corps médical : diagnostics, protocoles thérapeutiques.
Une part d'aléatoire est inévitable. L'essentiel est qu'elle soit comprise, acceptée et que l'accompagnement du malade prenne en compte son évolution psychologique.
Les établissements d'hospitalisation ne peuvent pas, ne doivent pas devenir des usines à soins.
Pour moi, et j'insiste fortement sur ce point, l'humanisation réussie est celle qui s'adapte à la psychologie du malade.
Cet objectif est à intégrer comme un fil conducteur dans notre action.
Je crois, notre histoire le montre, que nous pouvons, par notre capacité d'innovation, surmonter les contraintes, et faire évoluer nos structures pour un meilleur service de la santé et de meilleures conditions d'exercice et de travail.