Interview de M. Jean-Pierre Raffarin, vice-président de Démocratie libérale, à RMC le 20 décembre 2000, sur l'examen en procédure d'urgence de la proposition de loi organique relative à l'inversion du calendrier des élections législatives et présidentielles en 2002.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Vous êtes un sénateur de terrain et vous faites partie d'une poignée de responsable de l'opposition qui cherchent en ce moment à imaginer un programme politique pour l'opposition pour les élections à venir. Tout à l'heure, l'Assemblée Nationale va probablement approuver le projet qui va changer le calendrier des élections et qui fera donc que nous voterons pour le Président de la République avant de voter pour les députés. Si le projet peut passer, ce sera grâce à 22 députés UDF de l'opposition qui apporteront leurs voix au projet du Gouvernement. Pensez-vous que ces députés sont des traîtres à l'opposition ou bien qu'ils sont en accord avec des idées qu'ils ont défendues depuis quelques semaines ?
- " 22, peut-être 25 ou 26 députés, au fond c'est moins que je pensais, cela ne fait jamais que 10% des députés de l'opposition. 10% de gens qui veulent prolonger leur mandat de quelques mois. Finalement, ce n'est pas beaucoup ; dans toutes populations, quand vous proposez de conserver les acquis quelques temps, vous trouvez toujours cette marge de gens qui sont pour la prolongation. Je pense que globalement"
C'est la raison de leur vote ?
- "Non, je ne pense pas que c'est la raison de leur vote, mais je trouve quand même que 10% de députés de l'opposition qui choisissent la prolongation de leur mandat, ce n'est pas beaucoup. Ce que je note dans cette affaire, c'est la procédure qui est inacceptable."
La procédure ?
- "La procédure d'urgence : faire en sorte qu'on va toucher à quelque chose qui est essentiel dans la démocratie avec l'élection en urgence, à la va-vite. Jospin est à la manuvre, tout le monde le dit. Ce qui est assez extraordinaire, c'est qu'on ne va même pas avoir la navette parlementaire qu'on a d'habitude, on a une sorte de SAMU législatif. Il faut aller très très vite parce que d'un seul coup, M. Jospin vient de se rendre compte qu'il peut perdre les élections législatives. Et on voit là celui qui nous disait qu'il ne pensait pas aux élections présidentielles, qui était au Gouvernement pour s'occuper des problèmes quotidiens des Français.... Alors qu'il y a plein de problèmes, y compris dans la rue, dans les palais de justice, le Gouvernement est mobilisé sur le calendrier électoral. Et cela va durer, parce qu'une fois que l'Assemblée aura voté, on va prendre le texte au Sénat, on va l'examiner, il faut du temps. Mon pronostic est que cela ne sera pas voté avant les élections municipales. On va traîner ce débat électoral qui est en fait une manuvre de M. Jospin pour sa candidature."
Je reviens à ceux qui dans l'opposition à l'Assemblée Nationale vont approuver ce que vous appelez "la manuvre de M. Jospin", qu'est-ce que vous en pensez ?
- "Je pense qu'ils font une faute."
Politique ?
- "C'est une faute politique grave, c'est une césure importante en ce qui concerne l'opposition, je souhaite que ce ne soit pas une cicatrice pour l'avenir. J'espère que nous éviterons de créer un fossé qui nous donnerait des divisions supplémentaires pour les élections législatives. C'est une attitude grave."
Pourquoi est-ce une faute grave de voter pour une idée qu'on défend publiquement depuis des semaines ?
- "Parce que c'est une opération politique qui profite à M. Jospin, inspirée par M. Jospin, annoncée à la tribune du congrès du Parti socialiste.."
Il suffit que quelqu'un prenne en charge vos idées, pour que, pris en charge par quelqu'un d'autre, vous votiez contre ensuite ? Est-ce que c'est raisonnable de penser comme cela ?
- "Oui, c'est un comportement d'éthique. Il y a un moment où il ne faut pas se compromettre. Quand une proposition est formulée à la tribune du congrès de vos adversaires, l'éthique vous impose une certaine distance. C'est avec M. Jospin le retour de la " Mitterrandie ". L'éthique nous impose une distance vis-à-vis de ce système. Quel que soit le débat sur le fond des choses, aujourd'hui le devoir de l'opposition est d'avoir un espace de distance entre le Parti socialiste et nous, parce que le Parti socialiste conduit notre pays à des difficultés qui me paraissent majeures et nous devons faire en sorte que l'opposition se rassemble pour proposer une alternance."
Donc, le premier devoir de quelqu'un de l'opposition c'est d'être dans le rang plutôt que d'avoir des idées et de les défendre ?
- "Non, c'est d'avoir suffisamment d'estime pour ses idées pour éviter des compromissions. Je pense qu'il y a un moment où il faut garder de la distance vis-à-vis de l'adversaire parce qu'il y a des ambiguïtés. Quand on est à la manuvre comme l'est aujourd'hui Jospin, c'est pas la peine de recevoir des aides de l'extérieur."
Puisque c'est M. Bayrou qui inspire le vote des députés UDF - pour certains d'entre eux -, vous pensez qu'il tente une aventure personnelle ou qu'il est légitime de se démarquer du Président de la République, parfois ?
- "Il tente une aventure de campagne présidentielle, c'est son droit. Je regrette simplement qu'il divise à l'occasion de cette candidature. Je pense qu'on peut être candidat, on peut aujourd'hui dans l'opposition avoir plusieurs candidats aux élections présidentielles, ce n'est pas impossible. Mais il faut faire en sorte qu'il s'agisse de construire de manière distincte et non pas de diviser et d'affaiblir."
Il y aura des conséquences pour ceux qui vont voter tout à l'heure ?
- "Je ne suis pas de ceux qui veulent régler des comptes. Je pense que c'est une faute et il faut faire en sorte qu'il n'y ait pas ensuite dans l'avenir un fossé qui se creuse. Ce que nous disent ces événements, c'est que nous pouvons gagner les législatives, c'est que L. Jospin a peur de perdre les élections législatives. Il a compris que les élections législatives étaient une fragilité pour lui. Nous devrions donc tirer la leçon inverse, la leçon symétrique : on peut gagner les législatives, on les gagnera dans l'union."
Pourquoi ? La présidentielle est une fragilité pour vous, à l'inverse ?
- "Je pense que les législatives sont aujourd'hui profondément localisées, je pense que la décentralisation a fait beaucoup de choses, et qu'aujourd'hui les débats des législatives se présentent assez favorablement. Quand je regarde les circonscriptions"
Est-ce que la présidentielle est une difficulté pour vous ?
- "Je vous réponds très clairement. Vous avez vu les attaques de la presse contre J. Chirac ? Vous avez vu les Unes du Monde ? Vous avez vu toutes ces émissions contre lui ? Vous avez vu les sondages : 50/50. L. Jospin, après les rafales qu'il a fait envoyer sur J. Chirac n'est toujours qu'à 50/50, donc on n'est pas inquiets sur ce terrain. Ce qui est très important, c'est que la décentralisation a donné de la force à nos idées aujourd'hui et que nos députés et nos candidats sont en situation de gagner les législatives. C'est ce qu'a compris L. Jospin ; c'est pour cela qu'il manuvre."
Pour la énième fois, des voix s'élèvent dans votre camp pour réaliser l'union. Vous êtes d'accord pour qu'après les municipales, comme le demandent M. Balladur ou Juppé, UDF, DL, votre parti RPR, ne forment qu'un seul parti ?
- "Je pense qu'il nous faut créer une grande fédération politique."
Une union, un seul parti, un parti unique ?
- "Je suis d'accord, un seul parti constitué de courants, avec des débats et des règles. Ce qui nous manque aujourd'hui dans l'opposition, c'est une famille politique avec des procédures démocratiques. Regardez la bataille de Paris, les têtes de listes, ceci, cela : tout ceci est désordonné. Pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas de démocratie. Si c'est les militants, les structures qui désignent les candidats, si on a une vie interne démocratique, finalement les candidats sortiront de la base par des procédures légitimes et à ce moment-là on aura une vie interne respectable et respectée."
Parti unique, cela veut dire candidat unique à la présidentielle ou non ?
- "Pas forcément. Il peut y avoir des primaires, il peut y avoir des débats. Ce qu'il faut, c'est des règles. Aujourd'hui on a le désordre : n'importe quelle officine aujourd'hui peut présenter n'importe quel candidat. Nous sommes dans une situation de désordre, il n'y a plus de cohérence. Donc nous avons besoin d'une plate-forme d'idées. Nous sommes aujourd'hui les tenants de l'humanisme libéral qui s'oppose au socialisme qui nous est proposé par L. Jospin. Donc, on a une ligne politique dans l'histoire de l'humanisme libéral ; autour de ces idées, il nous faut construire notre plate-forme politique, il nous faut construire une structure pluraliste mais avec des procédures et des arbitrages."
Aujourd'hui, vous pensez, vous qui êtes membre de Démocratie libérale, que J. Chirac est le meilleur candidat de l'opposition ?
- "C'est évident qu'aujourd'hui, si nous avons des chances de gagner, c'est autour de J. Chirac."
Ce n'est pas évident pour tout le monde.
- "Je comprends bien qu'il puisse y avoir des débats, je comprends bien qu'il faille aujourd'hui du pluralisme dans l'opposition ; ce que je demande, c'est que des procédures puissent arbitrer les décisions."
Deux mots sur Paris. Est-ce que vous, comme responsable de l'opposition, vous êtes en colère devant les risques que prennent les batailles à l'intérieur de l'opposition, au risque de perdre Paris ?
- "Oui je pense que c'est une situation qui est désespérante pour les militants, les sympathisants de l'opposition. Je vois bien que nous sommes dans une situation où règne le désordre parce qu'il manque de procédures démocratiques pour la désignation des candidats. C'est cela que doit nous apporter une grande famille politique, c'est d'être capable d'arbitrer entre les ambitions. L'ambition politique, c'est quelque chose de normal, le problème, c'est l'organisation des ambitions et le travail en commun, l'esprit d'équipe, tout cela"
Je ne sais pas pourquoi mais j'ai l'impression que ce n'est pas pour demain.
- "Nous y travaillons beaucoup. J'y ai passé une partie de ma nuit."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 20 décembre 2000