Interviews de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "Les Echos" du 14 septembre 2000 et à France-Inter le 19, sur la négociation sur l'assurance chômage, la refondation sociale et l'Unédic.

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FRANCOIS BEDONNET : L'Euro plus bas, le pétrole au plus haut, la monnaie européenne continue de crever les planchers tandis que l'or noir est à son plus haut niveau depuis 10 ans. Certains spécialistes émettent des doutes sur la poursuite de la croissance en France et craignent le retour de l'inflation. Notre invité sera Ernest-Antoine Seillière, le patron des patrons.
FRANCOIS BEDONNET : Dans l'actualité économique il y a deux informations qui reviennent maintenant chaque jour comme une litanie : l'euro est au plus bas et le pétrole est au plus haut. Ce matin, par exemple, à Tokyo la monnaie européenne est tombée en dessous des 85 cents, hier soir à New York le baril de pétrole brut dépassait les 37 dollars, du jamais vu depuis l'invasion du Koweït par l'Irak, c'était il y a 10 ans. Autant de chiffres qui peuvent nous paraître bien lointains mais qui ont des conséquences directes ou indirectes sur notre vie quotidienne. Avant l'été, vous vous en souvenez, tous les indicateurs économiques étaient au vert. Aujourd'hui, avec l'automne, Regis Lachaud, ils sont en train de passer au rouge.
REGIS LACHAUD : Disons plutôt que certains sont passés à l'orange, c'est le cas de l'inflation, par exemple, poussée à la hausse par la flambée de la facture énergétique et par la chute de l'euro. Les pays européens payent leur pétrole en dollars. Second exemple, la France a enregistré en juillet son premier déficit commercial mensuel depuis 1994. La combinaison des prix du pétrole, baisse de l'euro entraîne logiquement une augmentation du coût des importations provenant du reste du monde. Parallèlement un autre facteur inquiète actuellement de nombreuses entreprises : l'apparition de tensions sur le marché du travail, notamment dans le bâtiment et l'informatique où les patrons évoquent de plus en plus des difficultés de recrutement. Une polémique liée aux 35 heures se dessine d'ailleurs entre le patronat et le gouvernement. Le MEDEF parle d'une baisse du nombre d'heures travaillées cette année malgré les créations d'emplois nouveaux. Le ministère des Finances dément, évoquant, lui, une progression de 1, 6 % de cet indicateur du volume de travail effectué dans le pays.
FRANCOIS BEDONNET : Alors Régis, quelles conséquences a un euro aussi faible sur notre vie quotidienne ?
REGIS LACHAUD : Pour les particuliers on l'a vu, la faiblesse de l'euro augmente mécaniquement le prix de tout ce que nous importons de l'extérieur de la zone euro et notamment du pétrole. Le prix des voyages à l'étranger a lui aussi subi cette inflation, on peut aussi lui attribuer les récentes hausses des taux d'intérêt décidées par la BCE qui augmentent le coût des crédits que les banques nous proposent. Cela dit, toute évolution a aussi ses avantages. Les entreprises qui exportent vers les zones dollar ou yen profitent pleinement de la baisse de l'euro. De même que les touristes américains ou japonais qui viennent en France, ce qui favorise cette fois l'activité économique du pays.
FRANCOIS BEDONNET : Face à la flambée des carburants, les Français attendent toujours les décisions de Lionel Jospin, le Premier ministre ne devrait pas s'exprimer sur le sujet avant le référendum du week-end prochain mais il est certain que les mesures qu'il annoncera resteront limitées. La conjonction de ces deux facteurs, hausse du pétrole, baisse de l'euro, a donc des conséquences fortes sur l'économie de notre pays. Pour la première fois depuis 1994 la balance commerciale est passé dans le rouge l'été dernier, le spectre d'un retour de l'inflation n'est plus totalement farfelu et les patrons revoient leur moral à la baisse. Avec nous en ligne, Ernest-Antoine Seillière, le patron des patrons. Alors tout d'abord en tant qu'entrepreneur vous-même, est-ce que vous partagez ces inquiétudes ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh, inquiétude, le mot est un peu fort mais nous avons des soucis. Nous sentons, et nous avons été les premiers à les diagnostiquer dès le printemps, un vrai pincement dans la croissance qui est la conjonction d'un certain nombre de phénomènes, il y a des phénomènes qui viennent de l'extérieur, c'est en effet la faiblesse de l'euro et le prix du pétrole, qui gênent et qui pèsent sur le coût des matières premières, sur le coût de l'énergie, mais il y a aussi des facteurs intérieurs, c'est que la croissance est bridée, vous savez comme on bride un moteur, pour l'empêcher de tourner trop vite, pour le ralentir un peu par les 35 heures, par le fait qu'il y a un ralentissement de l'offre lié au rationnement du travail. Et donc tout ceci se cumule actuellement pour donner cette impression de ralentissement de croissance qui tranche avec l'euphorie d'il y a quelques mois et c'est un phénomène important.
FRANCOIS BEDONNET : Mais Ernest-Antoine Seillière, que vous soyez très critique à l'égard d'un gouvernement de gauche, ce n'est pas très surprenant de votre part, mais plus sérieusement pensez-vous réellement que Lionel Jospin ait une marge de manuvre financière ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je reviens sur votre propos. Nous n'avons strictement aucun engagement politique et le fait qu'un gouvernement soit de telle ou telle tendance n'est pas notre affaire. Nous jugeons, nous, des situations économiques objectives et nous disons ce qu'il faudrait pour que notre économie et notre emploi continuent à progresser, c'est notre travail et toute insinuation politique dans ce domaine-là est malvenue.
FRANCOIS BEDONNET : Quels sont les points précis que vous demandez dans ce budget qui sera présenté demain par Lionel Jospin ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, nous avons, nous, à demander, nous ferons des propositions fiscales structurelles et non pas, je dirais de court terme, d'ici peu, que nous avons arrêtées en Conseil exécutif hier. Pour nous, c'est la baisse de l'impôt sur les sociétés, je vous rappelle que les Allemands, eux, vont à 25 % de baisse de l'impôt sur les sociétés, nous sommes dans la compétition fiscale, il ne faut pas que les entreprises aient tendance à quitter le territoire français pour bénéficier de conditions fiscales meilleures que chez nous. Nous sommes, nous le dirons, les champions négatifs des prélèvements sur les entreprises et sur les salariés et donc c'est ce que nous demandons et nous le demandons depuis toujours : baisse des charges, baisse de l'impôt sur les entreprises. Alors qu'est-ce qu'on fait ? On fait plaisir aux uns et aux autres. Je vous rappelle que la baisse, par exemple sur la vignette, qui coûte une quinzaine de milliards, est le type de la mesure qui flatte l'opinion mais qui ne touche à rien de sérieux sur le plan fiscal.
FRANCOIS BEDONNET : Monsieur Seillière, merci.
(source http://www.medef.fr, le 06 novembre 2000)