Interview de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, à LCI le 6 octobre 2000, sur les négociations sur l'assurance chômage, l'Unédic et le PARE, la représentativité des syndicats et le dialogue social.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


JEAN-MARC SYLVESTRE : Bonjour, le Club de l'économie avec Ernest-Antoine Seillière, le Président du MEDEF .Je vous dis merci d'avoir accepté cette invitation. Avec une actualité hyper chargée puisque vous continuez de défendre plus que jamais votre projet de convention sur l'Unedic contre un gouvernement qui n'en veut toujours pas. Avec une conjoncture économique qui commence à donner des signes de ralentissement sur fond de grogne sociale. Vous avez vu aujourd'hui que l'Insee avait légèrement révisé à la baisse ses prévisions de croissance pour cette année-là, avec une politique aussi qui manque singulièrement de visibilité. Un climat plutôt énervé. Alors sur tous ces points, merci de répondre aux questions de Christine Mital du NOUVEL OBSERVATEUR et de Eric Israelewizc du journal LES ECHOS. L'actualité plus chaude pour vous, c'est bien évidemment l'Unedic. Si je résume les précédents épisodes, je dirais que les organisations patronales, certaines organisations syndicales dont la CFDT, s'étaient mis d'accord sur un projet de convention. Que ce projet de convention vous est refusé par le gouvernement. Vous avez rencontré Martine Aubry cette semaine, c'était mercredi matin. Est-ce que vous avez le sentiment de qu'elle a mis un peu d'eau dans son vin ou pas ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que pour vous répondre de façon intéressante, il faut tout de même remettre une seconde cette affaire de l'Unedic dans la perspective de ce que nous avons lancé avec les syndicats, c'est à dire la Refondation sociale. C'est à dire un vrai effort honnête et profond pour essayer d'adapter le dialogue social aux conditions nouvelles de la vie économique qui exige l'adaptation. Et donc nous avons lancé cela et notre premier accord, c'est l'accord sur l'assurance chômage où nous avons essayé là aussi d'adapter les mécanismes de l'assurance chômage aux nécessités de l'économie, c'est à dire à la fois et la croissance et puis également beaucoup de mobilité, nécessité de beaucoup de formation et puis de la main d'uvre qualifiée qui manque etc, etcDonc un effort pour vite aider les chômeurs à retrouver un emploi. Donc cela c'est la démarche, nous sommes là dedans et nous sommes très contents d'avoir fait un accord. L'accord, nous le trouvons bon pour les chômeurs, bon pour les salariés, nous le défendons. Alors nous nous trouvons devant un gouvernement qui a, pour des raisons qui sont les siennes, essayé de bloquer cette affaire et qui, pour le bloquer, soulève sans cesse des arguments. Nous avons entendu ces arguments, nous ne les avons pas trouvés bons mais pour essayer tout de même de progresser nous avons adapté notre texte. Et puis nous sommes revenus avec un texte adapté et nous tombons maintenant sur un gouvernement qui, avec des arguments de plus en plus faibles, de plus en plus minuscules, essaye de dire : votre truc ne passe pas. Alors, ou bien quoi que l'on fasse, ils veulent sortir un décret pour étatiser l'assurance chômage et nous empêcher de faire une convention. Et à ce moment-là, il n'y a qu'à le dire et on verra les conséquences dramatiques sur le dialogue social.
JEAN-MARC SYLVESTRE : La CGT et FO n'ont pas signé cette convention.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce n'est pas un détail parce que c'est exactement le cas de la convention précédente qui n'a pas été signée ni par CGT ni par FO. Vous savez trois syndicats qui signent une convention dans la plupart des conventions collectives, c'est la convention collective, c'est l'accord qui est fait. Et donc là, on porte un particulier intérêt au fait que deux syndicats n'aient pas co-signé, pour des raisons qui sont les leurs et que je ne critique pas, mais qui n'empêchent en aucune manière la validité de la convention.
ERIC IZRAELEWICZ : Les syndicats signataires sont minoritaires.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors attendez, nous sommes 6 organisations sur 8, trois organisations patronales qui représentent des millions d'entrepreneurs, il ne faut pas oublier cela aussi et puis trois organisations sur cinq. C'est encore minoritaire ? Expliquez-moi cela !
ERIC IZRAELEWICZ : Minoritaire dans leur représentativité par rapport aux salariés si l'on prend les dernières élections.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors attendez, moi je vais vous poser une question : qu'est ce que c'est la représentativité d'un syndicat, quels sont les critères ? Je lis la loi qui dit que chaque syndicat peut engager l'accord des salariés. Et quand ils sont trois sur cinq, pour moi c'est un accord majoritaire. Mais enfin là aussi, si le gouvernement veut bloquer, il n'a pas à prendre ces arguments de mauvaise foi et il n'a qu'à bloquer et on verra la suite.
CHRISTINE MITAL : Pour revenir, non au contraire pas sur le fond, pour revenir sur une chose plus immédiate, est-ce que vous trouvez que cela vaut le coup, vous les signataires, d'essayer une fois encore avant le 17 octobre, date de départ de Martine Aubry ,ou après le 17 octobre, de présenter un nouveau texte ? Est-ce que vous allez vous remettre au travail et essayer d'apporter des réponses même minuscules ? Quelle est votre disposition d'esprit ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Les signataires, les six organisations, ce que j'appelle le bloc réformateur qui veut adapter l'assurance chômage dans le bon sens, se voient sans cesse, se parlent sans cesse. En disant mais attendez qu'est-ce qu'on nous cherche, où est la petite bête ? Alors il faut essayer de comprendre, cela ne semble pas leur plaire, voyons si nous pouvons l'adapter. Et nous essayons de l'adapter et puis nous revenons et au fond nous comprenons et qu'en réalité peut être c'est parce que j'ai un très grand nez que finalement le texte ce n'est pas possible. Autant faire de la chirurgie esthétique.
CHRISTINE MITAL : Vous allez revenir avec un autre texte, faute de pouvoir revenir avec un autre nez ? Est-ce que vous allez revenir ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, nous allons adapter notre texte dans la mesure du raisonnable, en respectant bien entendu l'esprit de notre accord qui porte novation, nous ne le nions pas un instant, c'est ce qui nous intéresse d'ailleurs, les syndicats signataires et nous- mêmes, mais nous n'avons absolument pas renoncé à l'idée que finalement notre texte soit agréé avec une adaptation sur des détails, vraiment sur ce qui est aujourd'hui des détails.
ERIC IZRAELEWICZ : Il y a deux points de désaccord en l'état actuel si je comprends bien : c'est les sanctions et l'équilibre financier. Est-ce que vous êtes prêt sur l'un ou l'autre de ces points.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui D'abord on est prêt à comprendre. Alors sur l'équilibre financier, les arguments qui nous sont opposés sont des arguments que nous ne comprenons pas. Parce que nous avons en effet énormément étudié avec les services de l'Unedic, qui ont la responsabilité du fonctionnement de cette affaire, l'équilibre financier de la nouvelle convention et nous, nous prétendons donc, et nous démontrons, qu'elle est équilibrée et que s'il y avait une diminution de croissance, une remontée du chômage, nous avons prévu dans un article parfaitement explicite qu'à ce moment là, les baisses de cotisations que nous faisons pour rendre du pouvoir d'achat aux salariés, je rappelle que c'est 10 000 francs par salarié le coût du chômage, quand on rend 20 %, c'est 2 000 francs qu'on rend par salarié et aux entreprises, c'est donc très, très important. Nous disons, nous, c'est parfaitement équilibré et on nous dit ce n'est pas équilibré et nous n'arrivons pas à comprendre et nous croyons que, là aussi, si vous voulez, on utilise des arguties pour essayer de nous empêcher de sortir notre texte. Nous demandons bien entendu à continuer sur ce débat. D'ailleurs je vous le dirais en passant, et c'est assez amusant, en même temps que l'on dit maintenant, attendez votre truc dont on nous dit sans cesse c'est très positif, madame Aubry nous dit : votre truc est bon malheureusement il y a cela qui gêne, c'est que je ne vois pas que c'est équilibré financièrement, et en même temps l'Etat nous dit : attendez il faut nous donner 10, 20, 30 milliards je ne sais pas quoi, alors si cela n'est pas équilibré comment pouvez-vous nous demander en même temps de l'argent ? On sent bien si vous voulez qu'il y a en fait une très, très grosse difficulté politique pour le gouvernement à agréer un accord de dialogue social réformateur, il préfère bloquer et il pense que le décret lui permettra de le faire, c'est évidemment un moment important de l'histoire sociale de notre pays, je comprends que tout le monde hésite mais nous avons tellement le sentiment d'être dans la bonne voie et en bonne conscience en ayant fait énormément de travail positif, que nous jugeons cette attitude de blocage négative et politique du gouvernement en la circonstance vraiment malvenue.
ERIC IZRAELEWICZ : S'il y a un décret que faîtes-vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors s'il y a un décret, si vous voulez, nous avons en réalité, moi j'ai dit, je reprends la formule volontiers, ce sera la rupture et la bagarre mais je n'ai pas défini la manière dont nous allions lutter. Mais nous le ferons certainement avec la volonté de donner pleine vie à la Refondation sociale.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Non mais attendez, il faut que vous éclairiez là, parce qu'il y a des moyens de luttes, il y a des moyens juridiques. Est-ce que vous allez attaquer en justice On peut aussi imaginer par exemple que vous incitiez les chefs d'entreprise de faire la grève des cotisations.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout ceci n'est pas au point, mais quand le décret sera sorti et que le gouvernement aura cassé le dialogue social
JEAN-MARC SYLVESTRE : Mais là vous proférez un certains nombres de menaces.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il ne s'agit pas de faire des menaces, la menace c'est le gouvernement qui veut bloquer le dialogue social par un décret, il faut dire les choses comme elles sont ! C'est ça la menace pour la vie sociale de notre pays, donc si jamais on nous impose ce coût de force cela sera un coût de force dans le dialogue social, alors là nous verrons comment nous réagirons. Le bloc des signataires réformateurs se réunira pour regarder comment il fait face à cette situation, je n'ai pas, moi, tout seul à décréter quoi que ce soit, nous sommes six signataires, nous regarderons la question en même temps.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce que n'est pas une situation un peu paradoxale et surréaliste ? Parce que le dialogue social c'est une logique de gauche. Comment expliquez-vous qu'un gouvernement de gauche veuille bloquer, selon vous, les procédures de dialogue social ou les procédures de Refondation sociale ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là je me pose complètement la question. Vous savez nous avons apporté.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Et comment se fait-il que vous, vous qui êtes dans une logique libérale de chef d'entreprise, vous défendiez aussi fort ce type de dialogue social ? Vous ^tes complètement à front renversé, là !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout ! Quand vous dîtes que ceux qui dans les entreprises sont modernes et veulent adapter la situation sans le dialogue social, cela n'existe pas ! Dans les entreprises qui fonctionnent :le dialogue social d'entreprise, dialogue social de branche existe et vous le savez très bien.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Pendant des années les chefs d'entreprises s'en sont bien passé !.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Peut-être dans le passé parce qu'ils adoraient parler avec l'Etat mais cela est terminé, nous voulons reconquérir l'autonomie du dialogue social, vous le savez, redonner vie à la démocratie sociale, nous croyons à cette méthode, nous pensons que l'Euro et l'Internet commandent des adaptations sans cesse dans la diversité
JEAN-MARC SYLVESTRE : Oh l'Internet n'a rien à voir la dedans !
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous avez vu la rapidité avec laquelle les entreprises naissent, prospèrent, doivent s'adapter, faire face etc avec des réglementations sociales d'une étroitesse totale, personne, et vous le savez, ne songe beaucoup à créer ces start-up en France. Non, nous avons besoin de diversité et de dialogue. Nous sommes porteurs, dans la Refondation sociale de ce mouvement et nous sommes, en effet de façon assez stupéfiante, devant un gouvernement de gauche, c'est son droit bien entendu, qui refuse ces approches et qui privilégie le règlement et le décret, c'est incompréhensible !
CHRISTINE MITAL : Le gouvernement de gauche, et même de droite, a forcément quelque chose à dire sur l'indemnisation des chômeurs. Le problème, c'est que vous n'arrivez pas à vous mettre d'accord avec ce gouvernement, mais sinon chacun est dans son bon droit. Vous avez des droits de proposition et le gouvernement a des droits de décision. Un gouvernement représente quand même un pouvoir démocratique élu
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous me l'apprenez
CHRISTINE MITAL : qui a une légitimité, non ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Merci mesdames et messieurs de me faire cette leçon de démocratie. Je suis aussi républicain que les uns et les autres et donc dans ce domaine-là je n'ai pas à entendre de conseils.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce que ça veut dire que le contrat est supérieur à la loi ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ca veut dire deux choses. D'abord, quand un gouvernement a le droit d'agréer ou de refuser quelque chose, il ne peut pas le faire en arbitraire. Il doit le faire en contrôle de légalité. Et quelquefois, mais ce n'est pas le cas dans notre convention d'assurance chômage, en opportunité, et qu'il peut dire de toute façon, de toute manière ça ne me plait pas. Là il y a la légalité, qu'est-ce qu'il doit vérifier ? Il doit vérifier la légalité du texte et son équilibre financier. Il a donc choisi, il a mis beaucoup de temps à se mettre sur ce terrain parce que nous avons fait des recours pour excès de pouvoir, parce que les arguments qui nous étaient opposés étaient des arguments qui portaient justement sur la philosophie et l'approche de cette affaire. Maintenant, nous sommes dans le domaine de la légalité et de l'opportunité. Et donc on essaye sur ce plan-là de nous dire : j'ai le droit de refuser votre accord parce qu'il n'est pas légal et parce qu'il n'est pas équilibré financièrement mais sur ces points-là nous sommes en discussion pour essayer de convaincre le gouvernement qu'il a tort de dire cela. Et nous devons continuer la conversation de façon à l'en convaincre. C'est tout à fait normal qu'il y ait un dialogue. Je ne vois pas du tout pourquoi d'ailleurs le 17 octobre
CHRISTINE MITAL : Est-ce que vous seriez d'accord pour nommer un médiateur ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh non, parce qu'on est assez grand, si vous voulez, pour pouvoir discuter sans avoir le recours ou alors peut-être les Nations-Unies si vous voulez ? Mais enfin, je crois que personne n'y songe. Non, nous avons besoin de temps. Et alors ce 17 octobre qu'on nous met actuellement, qu'est-ce que c'est ?
ERIC IZRAELEWICZ : La date du départ du ministre
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Attendez, ça ne nous regarde pas, ça n'a aucune espèce d'importance, nous sommes dans un dialogue social, il y aura un ministre. Que ce soit X, Y ou Z ne nous importe pas. Mais nous n'avons pas d'obligation de terminer nos négociations sur le 17 octobre le moment où soit disant on agite les mouchoirs ! JEAN MARC SYLVESTRE : Est-ce qu'il n'y a pas un problème personnel avec Madame Aubry ? Parce que l'autre soir à la télévision vous avez dit " vous savez quand elle va partir je ne sortirai pas mon mouchoir pour lui dire adieux ".C'est pas très gentil gentil quand même
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh ce n'est pas méchant non plus, il ne faut pas, écoutez
ERIC IZRAELEWICZ : S'il y a un décret, ce sera un échec du MEDEF, un échec de la Refondation sociale, est-ce que ce sera la fin de la Refondation sociale ? Ca veut dire que vous arrêterez les autres discussions ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pas du tout. Je crois que c'est pour ça, si vous voulez, que le gouvernement hésite à prendre un décret, c'est qu'il s'était dit probablement : si nous prenons un texte, nous allons casser ce mouvement de dialogue réformateur qui nous gêne parce que nous ne l'avons pas pris à notre compte. Et donc je crois que c'est ça qui est très important, que nous renforcerons notre volonté de réformer par le dialogue, d'adapter par le dialogue les réalités sociales de notre pays, quelles que soient les circonstances. Si c'est après un accord agréé, nous le ferons, si j'ose dire, de l'intérieur. Si c'est après un accord refusé, il est possible que nous le fassions, comme on dit, de l'extérieur, en faisant des propositions de l'extérieur et non pas de l'intérieur, c'est-à-dire de l'organisation, où le cas échéant nous ne serions plus. Mais la Refondation sociale, c'est quelque chose de trop important aujourd'hui et d'ailleurs c'est parfaitement su, compris et vu, peut-être pas par l'opinion qui a peut-être d'autres choses à penser actuellement, en tout cas par l'ensemble des milieux concernés.
ERICE IZRAELEWIC : Oui mais les syndicats voyant que ces négociations ne débouchent sur rien, est-ce qu'ils seront incités à poursuivre une discussion avec vous ? Puisqu'ils voient des accords qui de toute façon ne peuvent pas être mis en uvre.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous avons beaucoup discuté avec les syndicats avant de lancer la Refondation sociale et, comme vous le savez, ils ont tous été d'accord pour reconnaître que dans l'état actuel de domination par l'Etat des relations sociales dans notre pays et des systèmes sociaux, il y avait lieu de réfléchir aux manières de refonder, selon nous, de réformer, selon eux peut-être.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Votre ambition c'est d'appliquer ce type de logique au système des retraites, par exemple ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais bien entendu, surtout à la formation professionnelle. Vous savez, actuellement, il y a un énorme problème de formation professionnelle. Nous sommes impatients de proposer dans ce domaine des voies nouvelles. Nous voulons le faire dans le domaine des retraites, nous avons déjà eu un certain nombre d'idées, nous voulons le faire, bien entendu, dans la médecine du travail où il y a actuellement des négociations en cours, nous voulons également proposer la manière dont on peut rénover le dialogue social d'entreprise. Bref, nous avons énormément à proposer.
JEAN-MARC SYLVESTRE : On parlait de la représentativité des syndicats. Est-ce que c'est légitime avec des syndicats qui sont finalement assez peu représentatifs des salariés ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Attendez, c'est totalement légitime.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Est-ce que ça ne repasse pas par un redopage des syndicats ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, si les syndicats veulent se redoper par la négociation de la Refondation sociale que nous leur proposons, bien entendu nous sommes extrêmement favorables. Mais les syndicats sont les syndicats. Pour nous ce sont nos interlocuteurs, nous n'avons aucun jugement à formuler ni sur eux, ni sur leur représentativité. S'ils se posent des questions tant mieux ! Parce que nous avons, nous MEDEF, énormément travaillé sur notre propre représentativité. Nous avons été sur le terrain, au contact des petites entreprises pour vraiment nous irriguer de légitimité. Peut-être en effet les syndicats ont-ils besoin faire la même chose dans leur style.
CHRISTINE MITAL : Pour le moment sur le plan syndical, on a l'impression que la Refondation sociale a atteint un objectif : c'est une sorte de rupture entres les syndicats réformistes et les syndicats contestataires.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, ça ce n'est pas un objectif. Nous aurions voulu qu'ils soient tous réformateurs avec nous. Nous avons atteint un objectif, c'est que nous avons conclu un premier accord de Refondation sociale qui est bloqué par le gouvernement. Ca, c'est un vrai résultat, non pas qu'il soit bloqué, mais qu'il ait été conclu.
CHRISTINE MITAL : Alors est-ce qu'il ne faut pas faire revenir les contestataires dans cette négociation sur l'Unedic ? Et FO vous demande deux choses : que le Pare soit sur un base d'un peu plus de volontariat et d'autre part améliorer l'indemnisation de certains chômeurs. Vous ne pourriez pas leur donner
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous avons avec FO poursuivi toutes ces semaines dernières des contacts très approfondis. J'ai vu monsieur Blondel un nombre considérable de fois, enfin pour moi dans ma vie de négociateur, et nous avons recherché avec lui des adaptations qui feraient que très normalement FO soit dans cette affaire. Parce que, vous parlez de paradoxe, FO qui a été le champion du paritarisme et l'instigateur du paritarisme dans notre société, qui a toujours défini des relations qui font que le communisme a toujours été, je dirais pour lui, quelque chose de très distant. Et qu'il se trouve en effet aujourd'hui complètement solidaire de la CGT et avec le gouvernement qui veut mettre un terme au paritarisme, c'est assez paradoxal !
ERIC IZRAELEWICZ : Marc Blondel est inquiet du risque d'étatisation, il le dit constamment.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien si vous voulez, il est actuellement dans le camp étatiste où il défend le paritarisme avec des mots. Mais enfin, il est aux côtés du gouvernement dans une démarche qui pousse au décret. Et nous avons énormément essayé de lui faire comprendre de ne pas aller dans cette direction et nous n'avons pas du tout renoncé, d'ailleurs parce que les contacts se maintiennent, nous ne sommes pas du tout au bout de cette affaire.
ERIC IZRAELEWICZ : Donc lundi vous pourriez peut-être avoir FO avec vous ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il suffirait certainement que FO souhaite réellement prendre rang parmi les signataires réformateurs pour que nous lui fassions la place en applaudissant ce retour dans un camp et dans une perspective qui nous paraît normale.
CHRISTINE MITAL : Quitte à modifier un peu votre texte ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, bien entendu. Nous sommes tout à fait prêts à faire en sorte un texte, qu'est-ce que c'est ? C'est un état de négociation, on en voit bien l'esprit, on en voit bien les aspects fondamentaux mais également on voit très bien comment un texte peut s'adapter de façon à aller dans le sens des uns ou des autres. Nous faisons exactement cette démarche vis-à-vis du gouvernement, nous faisons cette démarche vis-à-vis de FO. Nous avons le sentiment que pour des raisons, en effet, qui sont très difficiles à analyser quelquefois, notre démarche, qui est une démarche que je crois fondamentale pour la vie sociale de notre pays suscite de très forte réticences. Mais nous ferons tout pour essayer de passer. Pause
JEAN-MARC SYLVESTRE : Pour revenir quelques secondes sur l'Unedic, on en a beaucoup parlé pendant cette première partie, est-ce que le problème essentiel ne porte pas finalement sur l'équilibre financier, sur ce que l'on appelle aujourd'hui la cagnotte, c'est-à-dire les excédents financiers de l'Unedic ? Est-ce que vous n'êtes pas en train de soupçonner le gouvernement de vouloir mettre la main sur cette cagnotte ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors, je crois que ce n'est pas un soupçon, je crois que c'est une quasi certitude que le fond de cette affaire, le non-dit porte sur l'exigence du gouvernement de pouvoir saisir une partie de l'argent qui s'accumule par excès de cotisations. Vous savez que nous avons proposé de baisser les cotisations, qu'elles devraient avoir baissé depuis le 1er juillet et qu'elles continuent à rentrer et qu'elles sont en excédent par rapport aux besoins.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Grâce à l'amélioration du marché du travail.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bien sûr, on a créé 850 000 emplois en deux ans, le chômage a beaucoup baissé et donc ces cotisations devraient baisser. Nous voulons donc les rendre aux salariés et le gouvernement, lui, dit : attendez, continuez à m'accumuler ces cotisations je les prendrai
JEAN-MARC SYLVESTRE : Pour quoi faire ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Eh bien, pour financer es 35 heures, figurez-vous, notamment, puisque nous avons depuis un, en réalité, résisté à la volonté du gouvernement.
JEAN-MARC SYLVESTRE : On dit aussi qu'ils veulent renforcer, par exemple, les moyens de l'ANPE de façon à améliorer les possibilités de retour à l'emploi.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Si c'est de cela qu'il s'agit, alors nous sommes d'accord. Et nous n'avons jamais eu de négociations sérieuses avec le gouvernement sur ce point mais nous sommes d'accord pour qu'une partie de l'excédent des recettes de l'Unedic soit affectée à améliorer la situation des chômeurs qui ne sont pas dans le régime Unedic et qui sont dans le régime de solidarité géré par l'Etat. Donc, il y a du disponible, et nous l'avons toujours dit, dans les recettes de l'Unedic pour financer, pour le compte du gouvernement de la dépense chômage de ceux qui ne sont pas dans le régime Unedic. Et comme vous le savez, il y a des fins de droit et ceux qui n'ont pas accumulé des conditions pour pouvoir rentrer dans le système Unedic qui est un système d'assurance chômage de type associatif.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Et la baisse de cotisation que vous pourriez, vous, programmer, représenterait combien ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : 75 milliards de francs en trois ans. C'est le montant des cotisations que nous souhaitons restituer à l'ensemble entreprises-salariés pour améliorer le pouvoir d'achat.
JEAN-MARC SYLVESTRE : A l'ensemble entreprises et salariés
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui parce que comme vous le savez la cotisation est en partie versée par l'entreprise
JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc quand vous dites : je veux rendre du pouvoir d'achat du salarié, vous voulez aussi en rendre à l'entreprise.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Bien entendu, bien entendu, l'entreprise est, comme vous le savez, surchargée, les charges d'entreprise sont beaucoup trop excessives, on le sait de partout, le gouvernement le premier, c'est une des manières de baisser les charges sur les entreprises.
CHRISTINE MITAL : Si le chômage baisse moins que prévu, vous baisserez moins les cotisations ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Voilà, absolument.
CHRISTINE MITAL : Alors si le chômage baisse moins que prévu, c'est un peu ce qui a l'air de s'annoncer, non ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : On n'en est pas encore là, parce que la croissance, aux alentours de 3 %, est une croissance qui est encore créatrice d'emplois et dans une condition démographique qui fait que la création d'emploi actuellement baisse le chômage. Donc nous ne sommes pas encore dans une dynamique qui dans laquelle il pourrait y avoir une remontée du chômage.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Aujourd'hui, on a une série d'indicateurs, les Français ont un peu le blues parce que la consommation pique un peu du nez et puis l'Insee a révisé à la baisse ses prévisions de croissance.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors là, nous partageons totalement ce jugement. Simplement vous m'interrogez sur l'impact sur le chômage et nous ne pensons pas qu'il y ait d'impact sur le chômage, en tout cas dans un premier temps. Mais qu'il y ait un pincement sur la croissance, est quelque chose que, nous MEDEF, nous avons annoncé dès le mois de mai, avec beaucoup d'ironie pour accueillir nos propos, mais nous avons senti dès le mois mai qu'il y avait un plafonnement de la croissance, un début d'inflexion de celle-ci et donc tout ce que nous avons entendu sur les 3,5 % comme base des hypothèses budgétaires, etc nous est apparu excessif et nous l'avons dit. Aujourd'hui, c'est curieux de voir les conjoncturistes adapter de trois mois en trois mois leurs prévisions, ça n'a pas beaucoup d'intérêt d'avoir des gens qui vous affirment quelque chose et qui trois mois après baissent de 10 %, finalement, leurs prévisions. Parce que le passage de 3,5, 3,3 à 2,9, ce sont des baisses considérables.
ERIC IZRAELEWICZ : Quelles sont les causes principales de ce pincement ? C'est l'augmentation du prix du pétrole, c'est une dégradation du climat mondial, c'est la politique économique, ce sont les goulots quelles sont les causes principales ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous, nous en voyons deux. Bien entendu l'impact sur la croissance de la hausse des prix des matières premières et de la hausse du prix du pétrole, c'est-à-dire qu'on a payé plus à l'extérieur pour obtenir la même chose
JEAN-MARC SYLVESTRE : C'est pas d'hier cela fait 18 mois
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Attendez, ça fait pas 18 mois que le prix du pétrole est parti vous avez toujours un délai, il y a les stocks, je ne vais pas vous expliquer tout ça dans le détail mais vous le savez mieux que moi. Il y a un délai pour que tout ceci s'impacte et se traduise dans les prix.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Je dis cela parce qu'on a l'impression qu'on s'est aperçu que les prix du pétrole avaient augmenté lorsque les transporteurs ont fait grève.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ah mais non, le prix du pétrole a augmenté et s'est accéléré dans son augmentation et il y a un moment où on peut prendre sur ses marges, il y a les stocks, il y a la couverture, on a fait des couvertures d'approvisionnement en énergie Les entreprises anticipent sur ces mouvements-là et donc l'impact est également un peu long à venir. Mais il est là. Donc, en réalité, il y a cet impact sur le pouvoir d'achat France qui pèse sur la consommation et sur l'investissement et rend quelquefois plus difficile l'exportation, on voit en effet que la balance commerciale commence à faiblir. Et puis il y a les pincements, je dirais de spécificité française. Et là nous avons deux choses : d'abord le retard de nos investissements qui fait que nous sommes à des coefficients d'utilisation de près de 90 % actuellement des installations françaises
ERIC IZRAELEWICZ : Les patrons ont été trop timorés, n'ont pas suffisamment investi
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oh non, non, non, ne croyez pas cela ! on leur a pris beaucoup trop d'argent, les taxes, les charges sont responsables du défaut d'investissement français, je vous en prie ! Les patrons, ils font ce qu'ils peuvent pour investir. Ne nous trompons pas là-dessus, s'il vous plait ! Et deuxièmement, il y a l'impact des 35 heures. Vous savez que quels que soient la croissance et le nombre actuellement d'augmentations de gens qui viennent travailler et la diminution des chômeurs, le nombre d'heures travaillées en France est depuis le début de l'année inférieur à ce qu'il était l'an dernier. C'est-à-dire que l'on a perdu de 5 à 6 millions d'heures de travail. C'est pas beaucoup, 5 à 6 millions d'heures de travail, compte de la masse des salariés, etc mais c'est un indicateur. L'offre française est bridée par les conditions faites par le gouvernement, alors là volontairement, c'est-à-dire en fait l'imposition des 35 heures, la réglementation, la taxation. Il y a un bridage spécifique français de la croissance qui fait que lorsque le ralentissement de croissance se concrétisera, vous verrez qu'il sera un peu plus important.
ERIC IZRAELEWICZ : La hausse des taux d'intérêt annoncée par la BCE, c'est une mauvaise nouvelle pour l'économie française ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui, ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'économie européenne. Nous ne sommes pas absolument sûrs, comme beaucoup d'observateurs, que cette diminution de taux d'intérêt est venue opportunément. Vous savez que la gestion de la baisse des taux d'intérêt est à la fois technique et très psychologique. Or, quand on relève le taux d'intérêt, et qu'il y a immédiatement une baisse de l'euro derrière, cela veut dire que sur le plan psychologique la chose n'a pas été maniée de manière opportune. Enfin, cela dit, ne jetons pas la pierre !
ERIC IZRAELEWICZ : C'est une erreur ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce n'est pas une erreur, c'est probablement une maladresse, c'est comme ça que c'est jugé d'une manière générale. Cela dit, il est certain que si nous devons faire face à une inflation qui renaît, et renaît à cause de la hausse des coûts des matières premières, énergie, réagir par la hausse de taux d'intérêt pour essayer de freiner l'inflation, nous allons ralentir la croissance en Europe. Et Europe qui souffre de beaucoup de travers vu de l'étranger, aurait là quelque chose qui viendrait encore plus peser su l'euro si on ne croyait plus à sa croissance au même rythme. Mais enfin il y a d'autres problèmes européens spécifiques.
ERIC IZRAELEWICZ : Alors, les revendications salariales. De plus en plus les salariés expriment une volonté de voir leur salaire augmenter. Alors, on les comprend, il y a de la croissance, il y a des entreprises qui font d'énormes profits, il y a la Bourse qui monte, alors les salariés se disent : pourquoi pas nous ?
CHRISTINE MITAL : Est-ce que ce n'est pas une bonne chose finalement ? Ca soutiendrait la consommation, c'est un peu la vision du gouvernement.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je crois que la revendication salariale est tout à fait normale dans les entreprises qui gagnent de l'argent et la plupart d'entre elles, d'ailleurs, s'efforcent de plus en plus de faire en sorte que les gains qu'elles font dans la croissance se partagent. Il y a une volonté de partage qui se traduit par l'actionnariat salarié, par des bonus, par de l'intéressement, par des primes, par toute sorte de techniques et bien entendu par les stock-options pour les dirigeants, les cadres ou les salariés, je dirais, les plus au centre des raisons de la croissance de l'entreprise. Mais tout ceci, pour nous, c'est dans le cadre de l'entreprise elle-même, c'est elle qui décide, qui apprécie cette situation. On n'est pas dans le cadre de la SNCF où il y a un slogan : hausse des salaires, grève générale, négociations ce n'est pas comme ça que ça se passe dans le privé, il y a 1,2 million d'entreprises qui ont toutes leurs propres équations et encore une fois j'aimerais que l'on sorte de ces visions réglementaires, globales. Voyons la diversité de ce que l'on appelle la micro-économie.
ERIC IZRAELEWICZ : A la SNCF la direction a augmenté une augmentation de 0,4 %, une prime de 1 000 francs à tous les cheminots, comment vous jugez cette décision ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ecoutez, je laisse, comme on dit, l'Etat-patron gérer sa fonction publique, il le fait dans l'ensemble très mal, nous le savons très bien, et donc nous souhaitons qu'il ne vienne pas nous donner des leçons sur la manière dont nous faisons les choses, qu'il s'occupe de ces questions. Pour l'instant, je ne jugerai pas
ERIC IZRAELEWICZ : Vous percevez ça comme un signal pour l'ensemble des entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Non, je crois que c'est une pression qui s'est exercée sur un service public et qu'il a dû le faire de façon à essayer de rééquilibrer des conditions sociales. C'est une affaire interne à la SNCF et totalement du domaine de l'Etat. Je ne la jugerai pas.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Si on revient aux 35 heures que vous critiquiez assez violemment, on s'aperçoit quand même que les 35 heures sont passées relativement bien dans les us et coutumes de l'entreprise, que la plupart des personnels y sont attachés aujourd'hui, qu'ils s'organisent pour cela et que vous ça vous a permis, dans les entreprises de modifier et l'organisation du travail et de modifier également, j'allais dire, la planification des augmentations de salaire dans la mesure où vous avez géré une stagnation du pouvoir d'achat qui a rendu grand service à l'activité, au soutien à la croissance dans les mois, dans l'année qui a précédé. C'est un peu ça, quand même ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Cette longue homélie pour célébrer les 35 heures inspire chez moi trois réactions. Premièrement, on le sait, ce sont les 35 heures qui sont l'argument général pour dire : les salaires ne peuvent pas monter. On ne peut pas à la fois donner du temps libre aux salariés
JEAN-MARC SYLVESTRE : Enfin, c'est votre philosophie
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Vous êtes à la tête d'une entreprise ? Vous avez donné quatre heures à tous vos salariés gratuitement et en plus de ça il faut que vous les payiez plus ? Tout le monde dit : attendez, on ne peut pas. Et c'est ça qui est la cause principale. Deuxièmement, les 35 heures coûtent à l'Etat 85 milliards, de l'argent des contribuables qui va être remis aux entreprises pour leur permettre de financer une partie de la baisse du temps de travail. Ces 85 milliards, pour nous, sont indues. Nous estimons que de payer 85 milliards de francs pour que l'on paye le temps des Français dans les entreprises, c'est une erreur. Et je vous rappelle qu'avec 85 milliards de francs, si on laissait les Français travailler à un rythme un peu plus soutenu, nous aurions 2,50 francs par litre d'essence de taxe de moins. C'est ça l'équation. Laissez travailler les Français, vous aurez 85 milliards dans le budget pour baisser le prix de l'essence ! Ce sont des choses profondément vraies !
CHRISTINE MITAL : Pendant des années vous avez demandé des baisses de charges sur le coût du travail
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Mais pas du tout de cette manière !
CHRISTINE MITAL : Le CNPF a demandé des baisses de coût, vous les avez eues grâce aux 35 heures, est-ce qu'il n'y a pas un moment où il faut reconnaître que
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Ce que vous appelez subvention, c'est la contrepartie voulue par l'Etat et non demandée les entreprises à la baisse du temps de travail imposé par l'Etat. Les entreprises dans tout ça ont été sujettes. On ne les a pas consultées. Ce sont également les coups de force sociaux qui font que 35 heures, comme peut-être assurance chômage, tout le monde au garde à vous, obtempérez, c'est le règlement, silence dans les rangs ! Et je crois que cette manière de faire n'est plus correcte et donc nous disons, nous disons tout à fait franchement qu'il y a 85 milliards de francs pour financer les 35 heures qu'il serait plus opportun d'utiliser pour faire baisser le prix de l'essence. Troisièmement, excusez moi
JEAN-MARC SYLVESTRE : Non, vous avez de la suite dans les idées
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Tout ceci étant vrai, j'ai assez peu de mal à le traduire. Il y a 30 000 entreprises en France qui ont mis en place les 35 heures et qui représentent sensiblement 3 millions de salariés, quand on racle les services publics, la Poste, peu importe. Et là vous avez des entreprises qui ont mis en place les 35 heures d'une manière générale parce qu'elles ont estimé que la subvention, non demandée et remise, le gel de la croissance des salaires obtenu en compensation et la flexibilité introduite grâce aux 35 heures leur donnaient globalement une situation meilleure. Et donc vous avez à mon avis actuellement 30 000 entreprises qui ont profité de cette circonstance, dans des manières qui sont très, très variables, encore que beaucoup d'entre elles, voyant le total et ne le trouvant pas mauvais, disent malheureusement la mentalité dans l'entreprise n'est absolument plus la même et donc je n'ai plus le tonus de compétition que j'avais hier. Enfin, peu importe, ces choses là ne se mesurent pas mais je les crois, quant à moi représentant des entrepreneurs, extrêmement fortes. En revanche, vous avez 1,2 million d'entreprises, dont toutes les petites et moyennes, qui n'ont strictement rien fait, je regrette de ne pas avoir apporté les 318 pages de description de la circulaire par l'UIMM, qui est un grand organisme qui a 80 000 entreprises, qui l'envoie à ses adhérents pour leur expliquer comment faire. Tout ceci est, excusez-moi de reprendre les propos de Nicole Notat, hallucinant et grotesque.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Donc vous allez remettre en cause, vous allez vous battre pour remettre en cause, réviser
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il y a un moratoire.
CHRISTINE MITAL : Laurent Fabius vous a fait une ouverture là en disant Vous la considérez comme une ouverture ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Oui je crois que c'est très important qu'un grand ministre du parti socialiste, avec de l'influence, ait reconnu dans un article très célébré qu'il y avait un vrai problème à mettre en place les 35 heures sur les entreprises petites et moyennes. C'est sur la base d'ailleurs de ce type d'observation qu nous demandons la révision de la loi et nous sommes en train de consulter nos membres de façon à pouvoir présenter une révision de loi qui portera d'ailleurs, très certainement largement sur la liberté des heures supplémentaires pouvoir faire les commandes et pouvoir payer les salariés plus quand ils veulent travailler. C'est quelque chose de fondamental et nous pensons donc en même temps que l'on ne mette pas en place le 1er janvier prochain, un nouveau tour de visse sur le temps de travail, le nouveau rationnement sur le temps de travail, ce que l'on appelle le moratoire.
ERIC IZRAELEWICZ : Vous dîtes que Laurent Fabius est un grand ministre des Finances. Est-ce que sur le budget qu'il a présenté, vous ressentez son influence, est-ce que c'est un budget favorables aux les entreprises ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Il est arrivé un peu en fin de course dans un climat politique et des problèmes qui n'étaient pas très faciles et donc il n'a pas pu, peut-être, selon ses voeux, corriger une hausse de la dépense publique. Il y a un tassement de la dette publique très minuscule et donc on ne profite absolument pas de la croissance pour en fait, faire de la réforme, réformer l'Etat, on ne touche absolument pas à tout cela, bien entendu.
ERIC IZRAELEWICZ : L'Ecotaxe, vous trouvez que la décision qui a été prise et finalement limite
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Au moment où on dit attendez c'est épouvantable, l'énergie coûte de plus en plus cher on ne pourra pas, on colle 4 milliards sur 40 000 entreprises de taxes sur leur consommations d'énergie ! Où est la logique ? Tout cela, encore une fois comme dirait Madame Notat, Mais je ne reprendrai pas
JEAN-MARC SYLVESTRE : Je trouve que vous la citez beaucoup mais enfin
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Nous nous parlons beaucoup en ce moment, c'est exact.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Dans l'actualité il y a aussi les affaires, la classe politique semble un peu embourbé dans la difficulté de solder un peu le passé quant aux financements des partis politiques même si la loi de 90 a clarifié un peu les choses. Est-ce que d'une façon générale, vous considérez que le personnel politique aujourd'hui en France est relativement correctement payé, rémunéré ? Lorsque aujourd'hui, un ministre gagne 35-40 000 francs par mois alors que Jean-Marie Messier, président de Vivendi, doit gagner entre 500 000 et 1 million de francs par mois est-ce que vous considérez que c'est équilibré et équitable ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Alors je vais vous faire une réponse que je n'ai pas préparée mais très
CHRISTINE MITAL : Est-ce que Jean-Marie Messier est trop payé ?
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Je vais vous répondre. Je trouve très honnêtement que compte tenu de leurs responsabilités, leurs capacités et de leur travail, les grands responsables politiques qui exercent des responsabilités politique, et souvent d'ailleurs pour assez peu de temps, ne sont pas assez payés. C'est tout à fait clair. Ils mériteraient d'être, et je ne sais pas s'ils le souhaitent, mais je trouve qu'il est normal de payer des champions. Et nous avons, nous dans les entreprises, des champions qui sont très payés, il y a dans la vie politique des champions, je ne vois pas pourquoi ils ne seraient pas très payés. Comme d'ailleurs les grands artistes, les grands sportifs etc Je ne vois pas tout d'un coup pourquoi un homme politique qui est ministre de ceci de cela, qui travaille 18 heures par jour, qui a des compétences extrêmes ou des chefs d'entreprises qui dirigent des dizaines, des milliers de salariés ne soient pas payés comme des champions. D'ailleurs c'est comme cela dans le monde entier et nous sommes un des rares pays qui veut rationner en effet l'argent qu'il remet à ses grands responsables politiques et qui attaque, me semble-t-il de moins en moins, la manière dont les chefs d'entreprises sont rémunérés.
ERIC IZRAELEWICZ : Martine Aubry sera très contente d'entendre le plaidoyer que vous avez fait pour son augmentation de salaire, elle part dans quelques jours, quel est en un mot le bilan que vous retirer des trois ans et demi de Martine Aubry aux Affaires sociales ?
JEAN-MARC SYLVESTRE : En un mot et cinq secondes.
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : Pour nous cela a été très dur parce qu'elle est obstinée et talentueuse. Bon, cela c'est en cinq secondes. Maintenant si vous voulez ce qui est le plus négatif, c'est qu'elle a vraiment, avec un très grand acharnement, refusé de considérer que ceux qui représentaient les salariés et les entrepreneurs et qui en ont en tâche le dialogue social avaient le droit de faire leur dialogue et de faire des accords. Et elle a voulu sans cesse imposer, pour des raisons qui sont dans sa nature, mais également dans sa vision de l'Etat, la décision d'Etat. Et cela, je crois, que c'est complètement hors jeu. La société française doit s'adapter, elle ne doit plus obéir, elle doit dialoguer, elle ne doit plus lire dans le JOURNAL OFFICIEL ce qu'elle doit faire. Et cette vision là, madame Aubry ne l'a absolument pas eue dans le sens positif où nous essayons, nous, de tirer la société économique française.
JEAN-MARC SYLVESTRE : Quel est le successeur possible de madame Aubry que vous pourriez suggérer à Monsieur Jospin ?.
CHRISTINE MITAL : Vous pourriez lui envoyer des fleurs puisque de toute façon vous avez dit que vous ne sortiriez pas votre mouchoir
ERNEST-ANTOINE SEILLIERE : J'ai passé dans ma tête une liste de noms mais vous permettrez de ne rien répondre sur ce point là qui appartient entièrement au Premier ministre.
(source http://www.medef.fr, le 12 octobre 2000)