Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la professionnalisation de l'armée et sur ses missions, Paris le 8 janvier 1999.

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Circonstance : Voeux aux autorités civiles et militaires à Paris le 8 janvier 1999

Texte intégral

Cher Collègue Jean-Pierre Masseret,
Messieurs les officiers généraux,
Mon Général,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie des voeux que vous venez dexprimer au nom de la communauté de défense tout entière en des termes qui mont paru justes, bien adaptés à la situation que nous vivons et aux actions que nous menons, que jessaye dapprécier de façon réaliste en me rendant régulièrement auprès des hommes et des femmes de la défense pendant leur mission.
Vous avez insisté sur la modernisation et le mouvement pour caractériser ces deux dernières années du siècle, et ce choix est à mes yeux le bon. Cest important de choisir délibérément le changement, den rester maître, et lannée 1998 est, je crois, une année qui a confirmé que la défense avait fait ce choix de façon ordonnée mais délibérée.
Il sagit bien dune mutation dune grande profondeur. On peut se demander si beaucoup dorganismes publics ou privés seraient capables daccomplir une telle réforme, une telle transformation dans un délai aussi bref. Donc, cest une occasion de plus pour moi de dire combien la communauté de défense, que des analyses un peu courtes ont caractérisée comme rétive au changement, a pris son parti des adaptations et les a faites siennes. Et je suis frappé, je crois que cest une des raisons pour lesquelles cette adhésion sest réalisée, par le lien historique entre labsence de changement et la défaite. Je crois que ce qui motive, ce qui mobilise beaucoup de membres de la communauté de défense, cest davoir, comme vous le disiez mon Général, vraiment le sentiment de préparer lavenir et de se tenir prêt à des hypothèses de conflit nouvelles. Cest pour cela que ma fierté, cest de maintenir le cap de cette réforme et dans ce cadre, de fortifier de mon mieux le budget de la défense, particulièrement en 1999 puisque les crédits déquipements militaires pour la première fois de cette décennie repartent à la hausse avec un peu plus de 6 % de croissance en francs courants. Donc cela aboutira, malgré le ralentissement préjudiciable de 1998, à ce que 1999 soit une année de résultats importants en matière déquipement, avec lentrée en service progressive du Charles de Gaulle, la sortie de production des premiers Rafale, des engagements définitifs de mise en production du Tigre, et, pour les gendarmes une étape qui est maintenant finale de réalisation du réseau Rubis, pour multiplier les exemples.
Jen reviens maintenant, en quelques mots, au bilan de 98, en tout cas dans les principes, sans faire évidemment un compte rendu. Cette année a bien été celle de la modernisation et de linnovation, en particulier en matière de personnels, de notre nouveau « système dhommes ».
Le mouvement de professionnalisation sest poursuivi de manière satisfaisante aussi bien pour ladaptation des effectifs de cadres, qui était un défi, dapparence hasardeux, et qui se réalise bien, dans lordre, y compris sur le plan moral, que pour le recrutement de personnels civils et militaires.
Jai repris les chiffres qui montrent que, sur la globalité de lannée 98, dans la plupart des segments des armées, le niveau de satisfaction, le niveau de remplissage des postes de personnels civils et militaires est en progrès par rapport à douze mois plus tôt.
Je précise que pour 99, leffort en matière de financement de pécule est maintenu, tout comme celui en matière de congés de conversion. Donc, nous savons que nous gardons pour cette période délicate les principes dune politique des effectifs et dune politique des tranches dâge et des qualifications qui conviennent.
Je rappelle à cet égard que les perspectives davancement des militaires à tous les niveaux et dans toutes les catégories sont à lheure actuelle en net redressement, et cétait un problème qui pesait sur létat desprit de beaucoup. Quant aux personnels civils, qui sont une composante maintenant essentielle de notre capital humain, je crois que même si nous avons encore du travail, leur insertion dans le nouveau dispositif est en bonne voie.
Des transformations structurelles accompagnent cette réorganisation opérationnelle de la défense, avec la réforme du Secrétariat général pour ladministration, qui vient maintenant dêtre mise en phase de réalisation. Et il est très vraisemblable que cest au cours de ce même trimestre, de ce premier trimestre 1999, que nous verrons aboutir cette réforme de notre administration centrale. Dans la foulée, sans doute au cours des prochains mois de lannée 1999, grâce aux efforts importants que déploie Jean-Pierre Masseret dans son département ministériel, le rapprochement des deux ministères, anciens combattants et défense, devrait franchir une étape décisive, ce qui, je crois, contribuera aussi au rayonnement moral de notre ministère. La formation, qui est un autre chantier auquel je tiens, va, comme le disait le général Kelche tout à lheure, connaître de nouveaux progrès. Je souhaite aussi que la rénovation des préparations militaires, qui sont un des éléments importants du futur lien armée-nation, notamment en ce qui concerne les jeunes, démarrent de façon significative en 1999. Je compte sur les chefs des armées pour donner limpulsion nécessaire et je crois que beaucoup de cadres sont disposés à travailler à cette tâche.
Le soutien des Français à la nouvelle défense se confirme et se consolide. Nous avons de multiples enquêtes qui létablissent. Une des plus récentes indique que 76 % des français ont une bonne ou une très bonne image de larmée. De multiples signes dintérêt et de confiance de lopinion se manifestent, en particulier dans lenvironnement local des unités. Je crois que cest en grande partie sur un plan régional ou départemental que les nouveaux canaux de la relation quotidienne, du sentiment de confiance, entre nos citoyens et la défense pourront se développer. Je signale aussi que les 350 et quelques mesures de restructurations annoncées en juillet dernier pour les années 2000 à 2002 ont suscité des controverses locales qui se comptent sur les doigts dune seule main. Je crois que cest le signe que les armées ont été remarquablement préparées, de longue date, dans les états-majors, mais aussi que nos concitoyens adhèrent, y compris avec ses inconvénients temporaires, à cette réorganisation profonde.
Les appelés des classes davant 1979 répondent à lappel et assument bien leurs missions. Et puis, depuis le 3 octobre dernier, 130.000 jeunes des classes 1980 et 1981 ont fait lexpérience de lappel de préparation à la défense. Plus de 80 %, vous avez dû le voir, indiquent leur satisfaction quant au déroulement de cette procédure et entre 23 et 24 % de ces jeunes souhaitent un contact supplémentaire, ce qui est aussi un gage de succès pour des relations plus actives entre la jeunesse et la défense. Les unités concernées par lappel sur tout le territoire méritent, je crois, un hommage, parce que ce succès est dabord le leur, et celui des relations humaines quelles ont su nouer avec les jeunes. Un dernier point me semble positif dans le bilan « humain » de lannée 1998 : les réflexions et les progrès concrets dans la concertation qui me paraissent prometteurs et que nous allons poursuivre en 1999.
Cette année 1999, on en voit bien les contours.
Il y aura dabord le projet de loi sur les réserves. Jai lintention de le soumettre au Conseil des ministres à la fin de ce mois, et malgré lencombrement du calendrier législatif - qui maintenant est un fait connu de tous - et grâce à la complicité de notre ami Daniel Vaillant, le ministre des relations avec le Parlement, qui comprend bien le problème, je pense que nous avons toutes chances de pouvoir soumettre ce projet de loi au Parlement au cours de la session actuelle, donc avant lété.
Il y a le travail sur le Titre III, qui doit partir du respect des grands objectifs opérationnels assignés aux forces armées, et qui doit donc orienter notre effort vers une étude fine des besoins, en prenant en compte la tendance dévolution des rémunérations et charges sociales dans les budgets des dernières années, et lanalyse objective des facteurs qui pèsent sur lévolution de nos dépenses de fonctionnement.
Lun des dossiers quil nous faut mener de front avec le nouveau modèle darmée, cest celui de lEurope : nous navons pas ménagé notre peine dans tous les départements du ministère pour faire progresser la capacité de défense commune des Européens qui, comme on le voit, à limage de lentrée en pratique de leuro, est un moyen virtuel de changement de léquilibre mondial. Je rappelle que la première note de proposition de Jacques Delors pour faire leuro était de lété 1989. Au 1er janvier 1999, les choses entrent en vigueur. Peut-être quun délai décennal du même ordre, qui reste une durée maîtrisable par lhomme, qui nest pas démobilisatrice, est lhorizon qui nous permet davancer de façon réaliste.
Cest sur le terrain quil faut aussi juger ces avancés. Ce terrain est aujourdhui la Macédoine où est stationnée la force de sécurisation des observateurs du Kosovo, groupement européen dans lequel notre pays joue le rôle dimpulsion, et qui, me semble-t-il - tout en reconnaissant les limites et dailleurs les risques de sa mission- représente un changement dans le type de réponse aux crises que nous avons connu au début de la décennie.
Plus largement, sur les opérations extérieures, vous avez souligné, mon général, la grande variété des missions et des contextes dans lesquels nos forces sont engagées. Cet engagement va se poursuivre en 1999 à mesure que différents points du globe, dévoilant leurs zones de conflit, auront besoin de pays comme la France qui acceptent de prendre la responsabilité dagir militairement pendant la phase de crise, et pas seulement après, en faveur de la paix de la sécurité et du respect du droit international.
Cest un élément tout à fait déterminant de notre influence mondiale, cest ce qui fait que par rapport à des pays de taille démographique et de niveau de ressources comparables, qui sont parfois nos collègues au sein du G7 ou du G8, notre capacité à peser sur les évènements politiques mondiaux est qualitativement différente.
A cet égard, les travaux dinformation parlementaires dont les conclusions viennent dêtre publiées et qui portent sur laction de notre pays au Rwanda entre 1990 et 1994 sont, et je retrouverai loccasion de lexprimer officiellement, la confirmation de la qualité du comportement des troupes françaises et du respect par linstitution militaire des valeurs de la République. Ce rapport dinformation constitue, après une période de doute et une controverse pour notre armée, une reconnaissance à mon avis essentielle à la veille de nouveaux engagements.
Je crois que nous pouvons en effet avoir une légitime fierté de tous ceux et toutes celles qui servent à lextérieur des frontières de notre pays et qui expriment toute la variété des qualités morales et professionnelles requises.
· La semaine dernière, jétais en Macédoine. Jai pu constater lextrême rusticité dans laquelle nos soldats doivent remplir leur mission. Dans ce contexte dinstabilité régionale particulièrement tendu, il leur faut montrer des qualités de maîtrise, danalyse et de bonne appréciation de la situation qui sont indispensables pour la plupart des crises récentes. Je pense par exemple aux opérations dévacuation que nous avons réussies en Afrique ces dernières années.
· Il y a aussi lexigence de la vigilance permanente, et là je repense aux Gendarmes que jai visités la semaine davant, le soir de Noël, qui veillaient sur la sécurité et la tranquilité de nos concitoyens, avec leur conscience professionnelle reconnue. Je pense aussi à la veille assurée par le groupe aéronaval autour du porte-avions, dont javais pu rencontrer léquipage quelques semaines plutôt alors quils étaient au large du Kosovo.
· Je crois quil faut ajouter à cette image rassurante de la troupe vigilante au regard des risques qui peuvent menacer notre pays, cette capacité de réactivité, dadaptation, qui permet de sintégrer au plus vite dans des opérations internationales. Lorsquavec mon collègue Daniel Vaillant et des parlementaires, nous avions visité le Foch en Adriatique, cétait vers la mi-octobre si jai bonne mémoire, les aviateurs français sétaient déployés en très peu de jours en Italie pour pouvoir participer au dispositif de surveillance aérienne en ex-Yougoslavie.
· Notre capacité à investir dans des opérations interarmées, qui est cruciale, a encore été démontrée, et dans un contexte non militaire, par laide apportée par notre pays à lAmérique centrale au moment du cyclone Mitch a été saluée par des manifestations de gratitude des pays victimes dont je veux me faire lécho. Elle a été également une démonstration de notre capacité dintervention. Je veux souligner en particulier le détournement de la Jeanne dArc avec plusieurs hélicoptères et son détachement du service de santé, qui ont apporté un soulagement particulier à ces pays en crise.
Ces opération extérieures de toute nature ne sont pas sans risques et notre pensée va bien sûr à tous ceux, soldats, gendarmes, et civils, qui ont payé de leur vie leur engagement à servir notre pays. Je souhaite que chacun à son niveau apporte son soutien à leurs proches et honore leur mémoire.
Pour terminer ces voeux, et comme une relève importante va venir souligner le passage dune année à lautre, je voudrais, en souhaitant bonne chance pour ses nouvelles fonctions au Général Crene comme chef dEtat-major de lArmée de terre, saluer comme je le ferai devant les troupes le départ du Général Mercier, qui quitte le service actif dans quelques jours avec notre reconnaissance pour une carrière tout entière consacrée au service de la France.
Je voudrais, en terminant, vous exprimer la grande estime et la satisfaction qui est la mienne dans le quotidien de mes fonctions depuis maintenant 19 mois, de travailler à vos côtés, au coeur de la communauté militaire en appréciant les qualités morales, la volonté de professionnalisme et aussi le sens du dialogue et de ladaptation que vous exprimez quotidiennement dans vos fonctions. Je crois que cest une fierté pour moi que dessayer dagir de façon adaptée pour conduire ce ministère en me situant au niveau requis par ses exigences et je voudrais vous dire de façon très amicale le sentiment de confiance et loptimisme que minspirent les capacités collectives que vous incarnez quotidiennement. Donc, à tous, dans votre vie professionnelle, dans vos ambitions et dans les missions que vous menez avec coeur, mais aussi dans votre vie personnelle, dans vos attachements, je veux souhaiter, ainsi quà lensemble de la communauté de défense à travers vous, une bonne et heureuse année 1999, qui sera aussi une année de nouvelles réussites collectives qui consolideront lattachement de notre pays à linstitution de la défense.
Merci.
(Source http://www.defense.gouv.fr)