Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "Libération" du 20 octobre 2000 et "Ouest-France" du 29, sur la procédure d'agrément de la convention Unédic sur l'assurance chômage et le PARE.

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Média : Emission Forum RMC Libération - Libération - Ouest France

Texte intégral

Hier soir, le Premier ministre a annoncé qu'il engageait " avec un préjugé favorable " la procédure d'agrément de la convention Unedic sur l'assurance chômage, officiellement signée hier après-midi par le patronat, la CFDT, la CFTC et la CGC. La secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, veut voir dans cette décision un tournant dans la politique sociale du gouvernement.
Etes vous soulagée ?
Nicole Notat. - Rassurée. C'est un dénouement qui traduit un retour à la normale dans les procédures d'agrément des accords sur l'assurance chômage. Et c'est aussi le signe d'un retour à la normale dans les relations du gouvernement avec les acteurs sociaux. Cela permet d'envisager sous les meilleurs auspices la suite du processus de refondation sociale.
L'affaire de l'Unedic va laisser des séquelles...
On ne peut pas le nier. Elle a fait des dégâts, et tout le monde a été touché. Mais il va falloir tirer les enseignements de ce qui s'est passé pendant ces sept mois de feuilleton tragi-comique. Il ne faudra pas s'enfermer dans l'amertume. Il va falloir dédramatiser, dépassionner les débats. Je trouve tout à fait respectable que d'autres organisations ne soient pas d'accord avec les choix que nous avons faits. Pas que l'on soit amené à les caricaturer, à inventer des arguments qui ne correspondent pas aux faits.
Au hasard, Force Ouvrière ?
La manière dont FO et le gouvernement se sont épaulés mutuellement dans la dénonciation tous azimuts de l'accord a été curieuse. Surtout quand il s'agissait de dire que le plan d'aide à l'emploi, le Pare, était une machine à exclure ou à déqualifier. Ça a laissé chez nous, mais ça va aussi en laisser à Force ouvrière, maintenant que le gouvernement ne fait plus cette lecture.
Et les chômeurs dans tout ça ?
Ils sont les premiers concernés et ils vont vite se rendre compte des améliorations que la convention leur apportera. Ils bénéficient de nouveaux droits pour retrouver un emploi. Tous les demandeurs y ont accès. Et avec la suppression de la dégressivité de l'allocation, ils y gagnent aussi en espèces sonnantes et trébuchantes. Les rôles respectifs de l'ANPE et des Assedic ont été clarifiés et leur coopération amplifiée pour une bonne application du Pare. Il appartient à l'assurance chômage d'organiser une meilleure correspondance entre l'offre d'emplois et les demandes de ceux qui sont en attente d'embauche. C'est nécessaire dans ce contexte de croissance, laquelle ne suffira pas, seule, à éradiquer le chômage.
Marc Blondel a aussi dit qu'il n'est pas normal que le Premier ministre joue au super délégué syndical dans la dernière phase de la négociation
Sur l'assurance chômage, c'est effectivement une première. Mais on en était arrivé à un tel niveau de polémique entre gouvernement et signataires qu'il fallait une issue. Le Premier ministre s'était engagé lui-même dans le débat, à Lyon, devant les militants socialistes. Cela rendait nécessaire qu'à un moment il fasse connaître sa position réelle.
Avez-vous douté de la possibilité d'un agrément ? Avez-vous cru que votre bras de fer avec le gouvernement allait déboucher sur un décret ?
Oui. Après l'intervention de Lionel Jospin à Lyon. Mais nous avons repris espoir début octobre, quand Martine Aubry a rouvert les discussions, affiché et prouvé sa volonté de déboucher par l'agrément.
Martine Aubry a facilité l'agrément final de l'accord, mais n'a-t-elle pas aussi créé cette situation de blocage en se montrant trop interventionniste ?
Il faudra essayer de comprendre un jour les raisons pour lesquelles le gouvernement s'est senti agressé. Pourquoi il a fait semblant de voir dans l'accord passé le 14 juin tant d'horreurs, tant de risques pour les chômeurs. Au-delà, Martine Aubry a incarné sur le champ social un choix collectif de la gauche au gouvernement : faire de l'intervention de l'Etat la clé de voûte de la réhabilitation de l'action politique, avec le volontarisme comme posture politique. Dans cette optique, les acteurs sociaux sont considérés comme des facilitateurs ou des obstacles, comme des alliés ou des adversaires. Ce choix est entré en collision complète avec la manière dont la CFDT conçoit son rôle de syndicat, comme acteur autonome dans la société. Avec ou sans Martine Aubry, la question demeure.
La semaine dernière dans Libération, Edmond Maire a dit de Martine Aubry qu'elle était " un des acteurs majeurs de la régression culturelle de la gauche "
L'analyse d'Edmond Maire est partagée sur le fond par la CFDT : elle interpelle tous les responsables socialistes. Si Edmond a concentré les critiques sur Martine Aubry, c'est peut-être à la mesure des espoirs qu'il mettait en elle et de sa déception

La rupture ne remonte-t-elle pas au 10 octobre 1997, quand le gouvernement a provoqué la démission de Jean Gandois de la présidence du CNPF, pour utiliser le patronat comme punching-ball politique ?
On ne peut rien comprendre sans se référer à cette date du l0 octobre 1997. La réorientation amorcée cette semaine est, je l'espère, le signal d'une nouvelle période plus prometteuse. C'est d'autant plus nécessaire que les thèmes de la refondation sociale concernent au plus haut point les pouvoirs publics. L'enjeu est d'assurer la performance économique en même temps que la performance sociale, une idée qui nous est chère, à la CFDT. Dans cet objectif à atteindre, les acteurs sociaux ont la responsabilité de réguler eux-mêmes leurs conflits d'intérêt. C'est une question que nous allons aborder avec Elisabeth Guigou
Vos relations avec la nouvelle ministre de l'emploi ?
Elles sont bonnes. J'aborde cette nouvelle période avec confiance.
Recueilli par François Wenz-Dumas.
(source http://www.cfdt.fr, octobre 2000)
La nouvelle convention de l'assurance chômage est pratiquement agrée par le gouvernement. Et maintenant ?
Nicole Notat - Après tant de mois de brouillage sur le contenu du plan d'aide au retour à l'emploi (Pare), le moment est venu de remettre clairement les chômeurs au centre de l'assurance chômage et de les informer à grande échelle sur ce que contient réellement la nouvelle convention. C'est ce que la CFDT va faire au travers d'une grande campagne nationale de sensibilisation, à partir notamment d'un document de quatre pages tiré à un million d'exemplaires, sur un thème très simple : " Le Pare, c'est le bon plan pour retrouver un emploi ".
Les chômeurs se demandent tout simplement ce qui va changer concrètement pour eux. En bien ou en mal. Alors ?
- Heureusement les choses sont relativement simples et le progrès du nouveau dispositif sera très vite visible pour chacun. Chaque demandeur d'emploi qui reçoit une indemnisation aura droit en même temps à des services personnalisés - bilan de compétences, formation, offres d'emploi adaptées - pour lui faciliter le retour à l'emploi. C'est cela le Pare, tout simplement : la généralisation d'une démarche de soutien individualisé à chaque chômeur. Pas de modèle standard, on fera du " sur mesure ".
On a beaucoup parlé des contraintes et des sanctions imposées aux chômeurs ?
- Soyons clairs. Il ne s'agit en aucun cas de contraindre les demandeurs d'emploi à entrer dans un plan qu'ils ne souhaiteraient pas. Chaque projet d'action personnalisée devra recevoir leur accord formel. Il appartiendra donc à I'ANPE, la cheville ouvrière du dispositif, de trouver le plan qui permette â chacun de s'y retrouver et d'avancer. Celte amplification du rôle de l'ANPE a d'ailleurs été anticipée, L'Assurance chômage a prévu de lui attribuer de nouveaux moyens financiers pour faire face. Et de les réévaluer le cas échéant
Mais les sanctions ?
- Que n'a-t-on entendu comme contres vérités ! Le Pare serait une machine à exclure le plus vite possible des chômeurs de l'indemnisation. Ils devraient accepter n'importe quel emploi. Il ne faut pas que les demandeurs d'emploi se méprennent. J'insiste : le plan d'action personnalisé ne fonctionne qu'avec leur accord. Quant aux sanctions directes, là aussi soyons clairs : elles ne sont ni adoucies ni durcies. Les sanctions existent déjà dans le code du travail. La nouvelle convention de l'Unedic ne fait que se mettre en conformité avec ce code du travail.
La réussite du plan de retour à l'emploi suppose que les employeurs jouent le jeu ?
- C'est la seconde raison de notre campagne, car l'efficacité du nouveau dispositif va aussi dépendre des comportements et des pratiques au sein des entreprises. Il convient de se mobiliser pour qu'elles ouvrent leurs portes, notamment aux demandeurs d'emplois qui ne sont pas, de leur point de vue, immédiatement prêts à remploi, à cause d'un chômage de longue durée. Voilà pourquoi l'Unedic a prévu d'aider les chefs d'entreprise qui joueront le jeu de cette réinsertion. Cette démarche peut constituer un nouvel aiguillon pour des entreprises et des branches professionnelles si promptes à se plaindre de ne pas trouver de main-d'uvre. Nous allons donc observer avec beaucoup d'intérêt la mobilisation patronale. Le Medef s'est engagé au nom des entreprises. Il leur appartient de passer à la démonstration concrète.
Martine Aubry quitte le gouvernement. L'heure du bilan ministériel ?
- Aujourd'hui la réduction du temps de travail est une réalité, une avancée irréversible, aux conséquences tout à fait importantes pour la vie quotidienne et familiale des salariés. Pour les syndicats aussi qui ont pu enfoncer un clou dans l'organisation du temps de travail, domaine complètement réservé jusque-là aux chefs d'entreprise. Négociée, la réduction du temps de travail est aussi un bon levier pour l'emploi. De même la couverture maladie universelle (CMU) est un progrès. Je suis d'ailleurs estomaquée d'entendre des professionnels de la santé parler de rationalisation des soins à l'heure de la CMU. L'ombre du bilan c'est évidemment la manière dont Martine Aubry, avec beaucoup de talent à ce niveau, a considéré que tous les progrès sociaux étaient l'apanage du gouvernement. Pour elle, l'implication des partenaires sociaux n'était pas décisive. Les relations s'en sont trouvées grippées plus d'une fois et se sont dégradées. Ce sera la tache d'Elisabeth Guigou de rétablir la confiance.
Au-delà de l'Unedic, le chantier de la refondation sociale est-il désormais sur la bonne voie ?
- Gardons-nous des envolées trop optimistes. Une hirondelle ne tait pas le printemps. J'ai l'espoir que tout le monde - gouvernement compris - a tiré les enseignements des péripéties de ces six derniers mois. Il ne faut pas lever le pied sur la poursuite des négociations. Mais il y aura encore des moments de vérité. Je suis par exemple impatiente de l'ouverture de la discussion sur la généralisation, à tous les niveaux, des négociations collectives. Pour vérifier que le patronat, si jaloux de l'autonomie des partenaires sociaux, est bien prêt à occuper partout l'espace contractuel qu'il réclame. Y compris dans les branches et les entreprises.
Concentrée sur la modernisation de la démocratie sociale, la CFDT ne serait-elle pas devenue frileuse sur le pouvoir d'achat ?
- II n'y a ni frilosité ni tabou ni attentisme. Simplement nous assumons l'idée que l'emploi est et demeure la priorité des priorités, car le chômage n'est pas encore éradiqué. Mais c'est vrai que la situation économique a radicalement changé, que les résultats des entreprises s'améliorent nettement La revendication salariale est donc, naturellement, au centre des aspirations des salariés, naturellement au centre des préoccupations de la CFDT.
Que répondez-vous au leader de la CGT, Bernard Thibault, qui vous soupçonne d'être victime du syndrome de l'avant garde éclairée ?
- Ce trait d'humour m'a beaucoup amusée. Pas fâchée. Quelles que soient les difficultés il nous faut travailler à des convergences possibles.
Recueilli par Paul Burel.

(source http://www.cfdt.fr, le 2 novembre 2000)