Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, dans "La Croix" du 26 octobre 2000, sur les négociations sur l'Unédic, l'assurance chômage et les chantiers de la Refondation sociale.

Prononcé le

Média : La Croix

Texte intégral

Quelles leçons tirez-vous de la difficile négociation sur l'assurance chômage ?
Nicole Notat : Il a eu, dans cette affaire, beaucoup d'arrière-pensées qui ont pollué la négociation. A l'évidence, l'idée que ces négociations étaient dirigées contre le gouvernement est montée en puissance. Je souhaite qu'on en finisse avec tout ça. Il faut, pour les prochaines étapes, que chacun s'attache à prendre le programme des négociations pour ce qu'il est et rien de plus. Il faut aussi redéfinir les conditions dans lesquelles les syndicats et le patronat occupent l'espace contractuel pour trouver entre eux les bons équilibres entre la performance économique des entreprises et leur performance sociale. Le gouvernement et sa majorité ne doivent donc pas voir dans ce processus une volonté de mettre à mal les prérogatives de l'Etat !
Le gouvernement et le législateur ont tout de même leur mot à dire dans ces discussions...
Mais bien sûr ! Cela est vrai dès lors qu'on touche aux règles de la négociation collective, aux règles de légitimité et de représentativité des acteurs et à leurs plus grandes responsabilités. Mais, sur le terrain purement contractuel, nous sommes clairement dans une confrontation entre syndicats et patronat. Avec l'Etat, la bonne méthode, c'est de se parler chaque fois que c'est nécessaire, mais il n'y a pas de mode d'emploi magique. Par exemple, la formation professionnelle, qui est un autre thème de négociation avec le patronat, a toujours été traitée dans une relation fine entre le gouvernement et les partenaires sociaux. Il est donc souhaitable que le gouvernement ne se méprenne pas sur les intentions des négociateurs. Le gouvernement a d'ailleurs différé son projet de légiférer dans ce domaine pour laisser à la négociation le temps d'aller à son terme.
Comment interprétez-vous l'intervention de Lionel Jospin dans l'affaire de l'Unedic ?
Comme un retour à la normale. C'est l'intervention du gouvernement pendant l'été qui n'était pas conforme à ce qui se passait habituellement en matière d'agrément des accords sur l'assurance chômage. Aujourd'hui, le gouvernement souhaite manifestement revenir à une position plus habituelle, et conforme à ses prérogatives. A mes yeux, l'intervention du premier ministre apparaît, de ce point de vue, comme un signal.
Le gouvernement ne vous paraît-il pas, sur ces dossiers-là, en déphasage avec les attentes de l'opinion ?
J'observe surtout que ce gouvernement a beaucoup compté sur l'Etat et ses instruments, sur le volontarisme au politique, pour donner de la lisibilité à son action, pour sans doute aussi participer à la réhabilitation de l'action politique. Ce qui est tout à fait utile. Il n'y a donc pas, derrière cette attitude générale, d'intention machiavélique. Mais cela étant, c'est une conception de la transformation sociale qui laisse les acteurs un peu sur le bord de la route ou, plutôt, qui ne fait pas de leur implication un élément déterminant de la réussite de ces changements.
Les militants de la CFDT, dont beaucoup sont proches du PS, ne sont-ils pas gênés que ce soit la droite qui plaide pour l'extension du domaine contractuel ?
Les militants CFDT sont d'abord des militants syndicaux avant d'être, le cas échéant, des militants politiques. Et s'il y a eu chez eux le moindre trouble, c'est celui qu'ils ont éprouvé en voyant certains membres du Parti socialiste développer des critiques qui n'étaient que des contre-vérités à propos de l'accord sur l'assurance chômage. Ça, les militants ne l'ont pas accepté !
Alors, l'axe Medef-CFDT, qui a été parfois décrit, n'existe pas...
Bien sûr que non ! Ça a été un grand procès en compromission bien orchestré. Nous sommes sereins. Signer un accord, c'est amener le patronat à des engagements. Je regrette d'avoir à rappeler que la vie contractuelle est ainsi faite qu'elle a besoin de signataires dans le camp patronal et dans le camp syndical. Faute de cela, il n'y a pas de politique contractuelle. Et pour tout dire, je préfère être dans la situation ac-tuelle que dans la situation d'il y a un an. N'oublions pas qu'à l'époque, nous étions à deux doigts de vivre la désertion du patronat dans tout ce qui relevait de la responsabilité sociale. Nous avions dit qu'il serait dramatique que le patronat se retire sur son Aventin. Manifestement, il a aujourd'hui fait un autre choix, même si la confirmation de ce choix à tous les niveaux reste à vérifier. Ce que tout le monde peut constater en tout cas, c'est qu'alors que les mérites du " tout-entreprise " étaient largement en vogue, nous en sommes aujourd'hui à organiser les systèmes de régulation à d'autres ni-veaux que ceux de l'entreprise, pour régler les conflits d'intérêt entre salariée et entreprises. Et ça, pour moi, c'est fondamental.
Vous pouvez tout de même reconnaître que le texte sur l'assurance chômage s'est amélioré entre juin et octobre...
Tous ceux qui se sont attachés à dire qu'il était mauvais au départ, évidemment, ne vont pas se priver de dire qu'il est meilleur maintenant. Mais, en réalité, il y a eu des évolutions essentiellement financières, le texte de la convention reste fidèle à l'accord du 14 juin. J'attends qu'on me fasse la démonstration précise des évolutions qui en auraient substantiellement changé la philosophie.
Les prochains volets de la refondation sociale concernent la formation professionnelle et la santé au travail. Seriez-vous prête aujourd'hui à signer de nouveaux accords, seule avec le Medef ?
Nous, nous n'avons qu'un seul but, c'est faire aboutir nos projets. Nous jugerons donc chaque fois aux résultats des négociations par rapport à nos objectifs. Nous ne rentrerons pas dans d'autres considérations. Bien sûr, nous souhaitons également aboutir à des accords les plus larges possible. Mais cela ne doit pas être artificiel. S'il n'y a pas moyen de se mettre d'accord, alors ce sont les règles actuelles qui s'appliquent et elles stipulent qu'un accord, même signé par une seule organisation, est valable. Cela étant, nous souhaitons que ces choses-là changent. Nous avons d'ailleurs fait des propositions en ce sens et je dis très clairement que nous n'abandonnons pas une virgule de ces propositions pour améliorer les conditions de la négociation collective, et mieux assurer la représentativité de ses acteurs.
Comment comptez-vous avancer avec le patronat sur les retraites, alors que le gouvernement reste dans une position d'attente ?
C'est un vrai problème. Les retraites complémentaires relèvent totalement du domaine contractuel et les retraites de base reviennent au gouvernement. Il est clair qu'il est difficile d'avancer sur les re-traites complémentaires si nous ne sommes pas assurés du cadre dans lequel les retraites de base pourront évoluer. Je n'en tire cependant pas la conclusion qu'il faut pratiquer l'attentisme.
Le gouvernement semble ac-tuellement nuancer son discours sur les 35 heures, on parlant de souplesse pour les petites et moyennes entreprises. Craignez-vous un recul dans ce domaine ?
Pour l'instant, il n'y a pas péril en la demeure. J'entends, en effet, monter une petite musique sur l'air de " il y a des problèmes qu'il convient de prendre en considération ". Je ne suis pas en désaccord là-dessus : s'il y a aujourd'hui, dans certains secteurs, des problèmes particuliers, précisément identifiés, alors il faut en discuter. Mais il ne peut y avoir de modification sur l'objectif de la réduction du temps de travail. Et nous sommes absolument opposés à l'idée d'un moratoire. Je rappelle au passage que de nombreuses PME appliquent déjà la réduction du temps de travail. Donc, il ne faut pas dire que, pour toutes les PME, les 35 heures c'est l'horreur !
Que dites-vous aux salariés qui ont accepté des mesures de modération salariale au moment du passage aux 35 heures et qui, aujourd'hui, réclament un peu plus de pouvoir d'achat ?
Je leur dis qu'ils ont bien raison ! Nous avons toujours dit que la question des salaires devait faire partie des compromis de la négociation sur les 35 heures. Et d'ailleurs, dans la quasi-totalité des cas, il y a eu une modération salariale sans perte de pouvoir d'achat. Mais, dès lors que les objectifs des accords signés ont été atteints, la question de la revendication salariale reprend toute se place. C'est dans l'ordre des choses ! D'autant plus que, dans la même période, la situation économique des entreprises s'est améliorée.
Recueilli par Florence COURET, Gérard ADAM et Jean-Marie SAFRA
(Source http://www.cfdt.fr, le 16 janvier 2001)