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LA VERITE sur les liens de la CFDT avec le patronat ; pourquoi son syndicat défend la réforme de l'assurance chômage face à l'opposition de Martine Aubry ; pourquoi il ne fera pas des salaires sa principale priorité Alors que la rentrée sociale démarre sur les chapeaux de roue, Nicole Notat, la secrétaire générale de la CFDT, fait le point pour nos lecteurs des principaux sujets du moment.
JEAN-CLAUDE GARDY. Pourquoi l'Unedic, chargée de s'occuper des chômeurs, n'en indemnise que 40% ?
Nicole Notat : Les syndicats ne sont pas responsables de cette situation. La CFDT était opposée à l'instauration de deux dispositifs différents pour indemniser les demandeurs d'emplois. Jusqu'en 1983, il y avait un seul régime, l'assurance chômage. A cette date, le patronat a estimé que les seules cotisations des salariés et des entreprises ne devaient pas servir à payer tous les chômeurs. L'idée a fait son chemin et elle a séduit le gouvernement Mauroy. La CFDT n'était pas favorable à la mise en place d'un système à deux vitesses. Le gouvernement a instauré seul ce nouveau dispositif par décret. Depuis, ce régime perdure. L'augmentation du nombre de chômeurs, l'allongement de la durée du chômage et, bien sûr, la création du RMI en 1989 ont fait basculer de plus en plus de personnes - qui perdaient progressivement leurs droits - dans le régime de solidarité. Et c'est pourquoi aujourd'hui, 60% des sans-emploi sont à la charge de l'Etat. Je trouve " amusant " que les promoteurs du système actuel nous reprochent aujourd'hui de mettre en place un système à deux vitesses.
" Martine Aubry ne peut pas être contre le Pare "
NICOLAS JAY. La nouvelle convention d'assurance chômage que vous avez signée avec le patronat - mais refusée par la CGT, FO et la CGC - va-t-elle améliorer la situation des demandeurs d'emploi ?
Je pense que le plan d'action au retour à l'emploi, le Pare, va effectivement aider de nombreux chômeurs à retrouver un emploi. Ce Pare correspond à des idées que nous défendons depuis plusieurs années à la CFDT : les politiques actives de retour à l'emploi. La première et la principale mission de l'Unedic est bien sûr d'assurer un revenu de remplacement à des gens qui n'en ont plus, mais elle doit aussi aider le demandeur d'emploi à retrouver un travail. Avec ce plan, lorsqu'un chômeur vient s'inscrire, on étudie son profil, son expérience pour lui proposer des postes qui lui correspondent réellement. On établit éventuellement un programme de formation, de remise à niveau. Tout ça devrait l'aider à redémarrer.
N. JAY. Si le Pare est tel que vous le décrivez, pourquoi le gouvernement le refuse-t-il ?
Une mise au point s'impose. Je pense que contrairement aux apparences, le gouvernement ne refuse pas le Pare. Il est seulement opposé à son application. Martine Aubry, qui a toujours mené une action en direction de l'exclusion, ne peut pas être contre le Pare. Pour elle, c'est surtout un problème de moyens à trouver Et nous les trouverons.
SAMIR MESBAHY. Pourquoi avez-vous signé avec le Medef ?
C'est le jeu de la négociation. Un syndicat doit avoir les représentants des patrons en face de lui pour pouvoir négocier, sinon il n'y a pas de compromis possible. Seulement, des deux côtés de la table, on ne représente pas les mêmes intérêts.
" La CFDT n'est ni l'alliée ni l'adversaire de personne "
LAURENT BECHAMORT. Mais cela donne de vous l'image de connivences avec le patronat ?
De sont les mauvaises langues qui parlent comme ça ! Déjà, en 1995, lorsque nous avons soutenu la réforme du système de santé d'Alain Juppé, on nous a accusés de virer à droite. Nous ne nous préoccupons pas des questions politiques. Nous sommes indépendants et nous nous déterminons en fonction de nos convictions. La CFDT n'est ni l'alliée ni l'adversaire de personne. C'est un syndicat qui discute avec l'interlocuteur qu'il a en face, avec les idées qui sont les siennes. C'est notre boulot de se " coltiner " le patronat, un ministre quelle que soit son étiquette. On ne défend plus les salariés aujourd'hui comme il y a vingt-cinq ans. Si on utilise les armes du passé, les droits de chacun vont diminuer.
NICOLAS JAY. Pensez-vous vraiment réussir à " refonder " les relations sociales comme vous en avez l'intention avec le Medef ?
Je suis confiante car tous les syndicats sont d'accord avec cette idée même si, sur la question de l'Unedic, ils se sont parfois opposés. Mais vous verrez que dans les discussions à venir, nous nous retrouverons sur certains thèmes En France, tout le monde est conscient qu'il faut moderniser les relations sociales, mais nous n'avons pas tous les mêmes objectifs. Nous sommes dans une période charnière où les choses bougent, dans la vie des salariés et dans les entreprises. Il faut que les syndicats accompagnent ce mouvement, sinon les salariés en pâtiront. Ceux qui pensent que l'on veut remettre en cause les droits des travailleurs se trompent !
JEAN-CLAUDE GARDY. Nous sommes 2,5 millions de chômeurs, mais nos associations ne sont pas représentées dans les discussions sur l'Unedic. Est-ce démocratique ?
Les chômeurs qui sont adhérents à la CFDT sont invités à venir donner leur avis dans les réunions comme nos autres syndiqués
J.-C. GARDY. Mais les associations de chômeurs que Lionel Jospin a reçues il y a trois ans ne sont toujours pas consultées !
A la CFDT, nous pensons qu'il ne faut pas se défendre catégorie par catégorie car elles vont s'opposer les unes aux autres. C'est pour cette raison que nous avons choisi, même si tout le monde n'était pas d'accord en interne, de ne pas regrouper les chômeurs entre eux dans notre organisation et de les associer avec ceux qui travaillent. C'est une première occasion de ne pas les isoler. Mais nos revendications intègrent forcément les leurs. Cela dit, je trouve tout à fait respectable que les chômeurs veulent s'organiser pour se défendre et relever la tête.
SAMIR MESBAHY. Que faites-vous pour que les gens se syndicalisent alors que la France se situe en queue de peloton des pays européens en la matière ?
Nous en sommes conscients à la CFDT depuis 1985 pour la bonne et simple raison qu'un syndicat qui veut peser doit avoir des adhérents. Nous avons également besoin des cotisations des militants pour continuer notre action, sinon nous sommes dépendants des subventions publiques. Il en faut, mais cela ne suffit pas pour garantir l'indépendance du syndicat. Depuis 1989, nous avons repris notre développement et, aujourd'hui, nous comptons 808 000 adhérents et on progresse chaque année. C'est encore insuffisant !
JEAN-MARIE LEMATHE. Mais la division syndicale n'est-elle pas un frein ?
Cela n'aide pas, c'est certain, surtout que nous ne sommes pas toujours d'accord. Les salariés ne savent plus à quel saint se vouer. En outre, lorsque les syndicats se battent dans une entreprise sur les salaires, par exemple, tout le monde en bénéficie et pas seulement les syndiqués. Cela n'incite pas non plus à prendre sa carte.
FRANÇOIS MAUBLANC. Où vous situez-vous sur l'échiquier politique ?
Si on faisait un sondage sorti des urnes pour savoir où votent nos adhérents, on constaterait qu'ils votent à 80 % à gauche. Mais le choix électoral ne suffit plus à savoir comment les gens vont penser ou se déterminer sur telle ou telle question.
NICOLAS JAY. Ne devrait-on pas arrêter de parler politique quand on parle syndicat ?
L'histoire de la CFDT, c'est une histoire de famille avec le Parti socialiste. En 1974, une partie de la CFDT s'est d'ailleurs engagée dans un mouvement d'élargissement du Parti socialiste. Lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, une partie de nos revendications ont été satisfaites, mais on s'est rendu compte qu'il fallait continuer à se battre et que l'existence d'un syndicat était en tout cas toujours nécessaire. Les salariés nous considérant comme une officine du PS, ils nous reprochaient d'être trop proches du pouvoir. En 1986, nous avons décidé de prendre du recul avec le pouvoir et, pour la première fois, nous n'avons pas donné de consignes de vote. Et, aujourd'hui, si tantôt on nous voit à droite, tantôt à gauche, tantôt au milieu, cela signifie finalement que nous sommes autonomes !
FRANÇOIS MAUBLANC. Vous avez milité pour les 35 heures. Etes-vous consciente que cela a favorisé la flexibilité, la polyvalence et le gel des salaires ?
Vous avez sans doute raison ! Quand nous avons négocié la réduction du temps de travail, nous étions dans une période de fort chômage et nous voulions, à la CFDT, qu'elle ait un effet sur l'emploi. Pour qu'il y ait des créations de postes, il fallait que l'organisation du travail change dans les entreprises afin que ces dernières puissent embaucher plus de gens, tout en préservant l'intérêt des salariés. Et pour que ceux-ci puissent rentrer dans l'entreprise, il fallait faire des sacrifices car la masse salariale n'était pas extensible à l'infini. Mais aujourd'hui, la croissance est revenue. Les entreprises vont mieux et il faut qu'elles se donnent un peu plus de marge de manuvre salariale.
JEAN-MARIE LEMATHE. Pourquoi la fonction publique ne crée-t-elle pas d'emplois avec la mise en place des 35 heures ?
La loi offre des aides seulement aux entreprises privées. C'est donc plus facile pour un négociateur dans ce secteur que dans le public où la marge de manuvre financière est moins importante.
SAMIR MESBAHY. Que pensez-vous de ces emplois jeunes qui ont participé activement à baisser le taux de chômage actuel ? Va-t-on les laisser tomber comme les CES (contrat emploi solidarité) ?
Il existe une différence essentielle entre les CES et les emplois jeunes. Ces derniers ont en effet l'assurance d'être embauchés cinq ans et sur des emplois précisément définis à la Poste, dans des associations, à l'Education nationale La CFDT a soutenu cette initiative du gouvernement Jospin. Aujourd'hui, nous avons des revendications à leur égard. Il faut d'ores et déjà réfléchir à ce que les jeunes souhaitent faire ensuite, accorder des formations à ceux qui en ont besoin, penser à intégrer ceux qui veulent rester là où ils sont comme c'est le cas à la Poste ou dans l'Education nationale. Il faut leur permettre d'intégrer les statuts normaux de ces administrations.
LAURENT BECHAMORT. Allez-vous vous associer aux revendications salariales de la CGT et de FO à la rentrée ?
Nos équipes de base se battent tous les jours pour défendre les salaires, mais ce n'est jamais au niveau confédéral que nous négocions les rémunérations...
" Les salaires, d'accord, mais il y a aussi l'emploi "
L. BECHAMORT. Mais pensez-vous, comme pour Marc Blondel (FO), que c'est une des priorités de la rentrée ?
Les salaires, d'accord, mais il y a aussi l'emploi pour tous ceux qui attendent désespérément d'en trouver un. Je ne pense pas que les revendications salariales doivent balayer toutes les autres. Bien sûr, la croissance revient. Bien sûr, les offres d'emploi se multiplient, mais il ne faut pas oublier les quelque deux millions de demandeurs d'emploi. A la CFDT, nous ne voulons pas opposer les salaires, l'emploi et la protection sociale...
FRANÇOIS MAUBLANC. Autre sujet d'actualité : les retraites. Celles du privé ont été réformées, pensez-vous qu'il faille réviser le mode de calcul des retraites dans la fonction publique ? Si les fonctionnaires veulent vraiment garantir le montant actuel de leurs pensions, il faut accepter de rediscuter de la durée des cotisations et des paramètres de calcul. Les fonctionnaires travaillent moins longtemps (37,5 ans contre 40 dans le privé) et le niveau de retraite est plus élevé.
SAMIR MESBAHY. Ça fait trente ans qu'on nous promet des baisses d'impôts, mais on ne voit jamais rien venir. Qu'en pensez-vous ?
Vous semblez sceptique, vous avez peut-être raison, mais le pire n'est jamais sûr. C'est une décision qui incombe à l'Etat mais, à la CFDT, nous avons bien sûr quelques idées sur la fiscalité et une plus grande justice en la matière, que nous serions ravis de faire partager à Laurent Fabius.
JEAN-MARIE LEMATHE. J'habite en pleine campagne et je subis la hausse du carburant... En tant que syndicaliste, ne pensez-vous pas que le gouvernement devrait baisser les taxes ?
On a beau savoir que c'est parce que le prix du pétrole augmente très fortement dans les pays exportateurs et que le gouvernement n'en est pas responsable, c'est dur à avaler quand on fait son plein !
LAURENT BECHAMORT. A quoi doit servir la cagnotte de l'Etat ? Baisser les impôts et les taxes, réduire les inégalités, les déficits publics, ou engager des réformes structurelles ?
Puisqu'on a pas mal d'argent dans les caisses, il faut peut-être faire un peu tout cela à la fois. Mais il existe bien sûr des priorités : les retraites, l'égalité des chances à l'école et mieux redistribuer les fruits de la croissance en donnant aux salariés des petites entreprises les mêmes moyens que ceux des grandes. L'argent ne résout pas tout, mais dans cette période de reprise, il ne faut pas hésiter à dégager des moyens pour réformer la société.
SAMIR MESBAHY. La CFDT est à la tête de la Cnam. Comment expliquez-vous que cet organisme soit en panne ?
Que voulez-vous dire ?
S. MESBAHY. Je pense au carnet de santé, à la carte Vitale, aux retards...
La Cnam n'est pas responsable de tout. C'est vrai que le carnet de santé a fait long feu, mais je reste persuadée que la carte Vitale est une très bonne idée car elle simplifie la vie des assurés sociaux et des médecins, mais c'est un changement important et il faut du temps pour faire évoluer les mentalités. Toutefois, ça décolle !
" Je voterai oui "
FRANÇOIS MAUBLANC. Quel bulletin dois-je mettre dans l'urne le 24 septembre pour le référendum sur le quinquennat ?
Je mettrai " oui " aux cinq ans, renouvelables, mais c'est une conviction personnelle. C'est un bon début pour moderniser la vie publique, même si ça ne suffira pas.
SAMIR MESBAHY. Puisqu'on parle d'actualité, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur le dossier corse ?
Je pense que la démarche du Premier ministre est positive car il essaie de mettre durablement fin à la violence, au terrorisme... Tous les gouvernements successifs n'y sont pas parvenus en utilisant les méthodes habituelles de la République. Lionel Jospin tente, dans ce processus de paix, car c'est de cela qu'il s'agit, de réunir autour de la table les frères ennemis. Cela mérite d'être tenté, mais ces processus dépendent énormément de la fiabilité de ceux qui s'engagent : est-ce que les interlocuteurs du Premier ministre pour la Corse le sont suffisamment pour tenir leur parole ? Le dossier corse ouvre en tout cas un autre débat, celui des relations entre l'Etat et les régions, et il faudra l'approfondir indépendamment de la situation dans l'île.
LAURENT BECHAMORT. Avez-vous conscience qu'en tant que leader syndical vous donnez une nouvelle image des femmes ?
Je ne suis pas toute seule mais, parfois, j'ai encore l'impression d'être un oiseau rare. C'est vrai qu'il y a une certaine fierté à démontrer que les femmes peuvent atteindre des niveaux de responsabilité équivalant à ceux des hommes. On a le sentiment d'être un peu pionnière, donc on n'a pas envie de se " planter ". On est attendue au tournant, mais j'avoue que je ne pense pas à ça tous les matins. Aujourd'hui, il faut se faire à l'idée que les femmes n'ont plus l'intention d'être sur un strapontin. Il n'y a qu'à voir comment elles ont réussi à se faire une place dans le monde du travail au cours des dix dernières années malgré la montée du chômage.
FRANÇOIS MAUBLANC. Etes-vous pour la parité ?
Oui, à 100 %.
(Source http://www.cfdt.fr, le 16 janvier 2001)