Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, à LCI le 20 avril 2000, sur l'enseignement professionnel, notamment le statut des enseignants des lycées professionnels et le climat politique.

Prononcé le

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Pierre-Luc Séguillon. (P-L.S.) : Jean-Luc MELENCHON, bonsoir. Vous êtes donc le nouveau ministre délégué à l'Enseignement professionnel. Vous appartenez à la gauche socialiste qui est le courant de gauche au sein du Parti socialiste vous étiez sénateur de l'Essonne. Certains se disaient : une fois que Jean-Luc MELENCHON sera au gouvernement, il va être très prudent. Apparemment, ce n'est pas le cas, en tout cas vous n'avez pas perdu votre liberté de langage. Sur une chaîne de télévision diffusée sur Internet, CANAL WEB, vous avez tapé à bras raccourcis sur ce pauvre Tony BLAIR dont le comportement à vos yeux est lamentable quand il reçoit POUTINE, qui est domestiqué par le fric, qui est une espèce de personnage pétaradant, monté sur ressorts, en train de sourire à POUTINE. Ce n'est pas un peu irresponsable, ça, de la part d'un ministre ?
J-L.M. : : Ca dépend ce que vous attendez d'un homme politique et d'un ministre ; si vous attendez que le ministre ne fasse plus de politique, alors oui, ça doit être décevant mais moi, ma réaction visait un débat qui a lieu dans l'Internationale socialiste, dans la social-démocratie, je réagissais sur une image qu'il y avait à l'écran et je qualifiais
P-L.S. : Est-ce que Tony BLAIR est domestiqué par le fric aujourd'hui ?
J-L.M. : C'est une expression ! Attendez on met déjà au point une chose pour bien répondre à l'adjectif que vous avez employé, je suis sûr, en y ayant réfléchi ça ne visait pas une analyse du gouvernement
P-L.S. : Ca venait de son comportement vis-à-vis de Vladimir POUTINE.
J-L.M. : Ca visait une idéologie qui est quand même assez dominante dans la sociale-démocratie européenne à un moment où elle joue un rôle central dans l'exercice du pouvoir et avec laquelle moi je suis en désaccord que je juge comme être un alignement sur la globalisation libérale, voilà. Et ce qui souligne la singularité française car en France, autour du gouvernement
P-L.S. : Attendez, la singularité de Jean-Luc MELENCHON ou la singularité du gouvernement français ?
J-L.M. : La singularité de Jean-Luc MELENCHON, laissons cela de côté parce que ce n'est pas le plus important dans l'affaire, mais du socialisme français et du gouvernement JOSPIN. C'est le seul endroit d'Europe où est maintenu ouvert et en équilibre un débat qui partout ailleurs est clos. Et ça se traduit dans la nouvelle composition du gouvernement parce qu'on doit tenir compte du fait qu'il y entre à la fois des hommes dont on connaît les atavismes, les préoccupations par exemple en faveur de la baisse des impôts
P-L.S. : Laurent FABIUS par exemple
J-L.M. : D'autres par exemple, il y a un communiste de plus, il y a un écologiste de plus, il y a un Jean-Luc MELENCHON, c'est-à-dire la gauche socialiste, de plus dans le gouvernement. Donc c'est-à-dire qu'il y a là une situation où le débat continue. Evidemment il est tranché à certains moments parce que l'action gouvernementale tranche bien sûr et c'est très important parce que c'est vraiment une chose formidable
P-L.S. : Donc c'est comme ça que vous l'interprétez, pour vous, c'est la signification qu'a votre présence et votre entrée dans ce gouvernement. C'est-à-dire que vous contribuez à ce que se poursuive un débat qui n'est pas clos sur ce qu'est la gauche ?
J-L.M. : Voilà, et mon rôle évidemment est d'être dans une équipe avec les solidarités que ça implique mais en même temps dans une liberté de parole que personne ne m'a interdite si vous voyez ce que je veux dire.
P-L.S. : Oui, justement je voulais le vérifier. Le Quai d'Orsay, ils ne vous ont pas appelé en vous disant que vous alliez un peu loin ?
J-L.M. : Ca n'en vaut pas la peine !
P-L.S. : Mais attendez, c'est un peu ennuyeux parce qu'alors ça signifie que la parole de Jean-Luc MELENCHON est de faible poids.
J-L.M. : Mais c'est à vous d'apprécier ces choses-là mais vous ne pouvez pas non plus à la fois passer le temps à exiger des hommes politiques qu'ils parlent clairement
P-L.S. : Très bien mais j'essaie de comprendre la signification de votre diatribe.
J-L.M. : Bien sûr, et on essaie de le faire comprendre à tout le monde. La liberté, c'est tout ça à la fois, et parler selon ses convictions tout en respectant des règles de solidarité, c'est cet équilibre-là qu'il s'agit pour moi de trouver parce que c'est une chance d'arriver à rendre le débat possible.
P-L.S. : Alors en vous découvrant comme ça, parlant sur Tony BLAIR sur Internet, je me suis demandé ce que vous alliez dire dans quelques semaines, peut-être quelques mois, en tout d'ici à l'été, lorsque Vladimir POUTINE va être reçu à Paris par Lionel JOSPIN, par Jacques CHIRAC, l'invitation de Jacques lui étant transmise par Hubert VEDRINE.
J-L.M. : C'est de BLAIR que je parlais, pas de POUTINE.
P-L.S. : Oui, mais c'est de BLAIR recevant POUTINE.
J-L.M. : Je pense que très vraisemblablement je ne dirai rien ; il me semble que dès lors que nous avons un hôte chez nous, il faut que la parole officielle soit portée par ceux dont c'est le devoir de la porter, c'est-à-dire le ministre des Affaires étrangères, le président de la République, le Premier ministre. Ce n'est pas de même nature. Moi je n'ai pas un débat avec monsieur POUTINE de même nature qu'avec monsieur BLAIR. Monsieur BLAIR est membre de la même Internationale que moi ; donc c'est normal que l'échange ait lieu.
P-L.S. : Je me suis demandé un petit peu aussi si vous n'étiez pas un peu jaloux de monsieur BLAIR qui est en train de réussir sa réforme de l'Education nationale, qui a réussi la fameuse flexibilité, qui a réussi la coopération entre le secteur public et le secteur privé, qui a instauré une gestion extérieure sous contrat des professeurs, avec des obligations de résultats
J-L.M. : Oui, et alors ? Et vous appelez ça quoi ? Une réussite ?
P-L.S. : Il est en train de renouveler l'Education nationale.
J-L.M. : A sa manière
P-L.S. : Et de lui rendre une certaine qualité qu'elle avait perdue, vous êtes d'accord ?
J-L.M. : Oui, la question se poserait alors de savoir pourquoi elle l'avait perdue et pourquoi elle avait cessé d'être une priorité. Nous, les Français, nous ne sommes pas du tout dans cette situation-là. Nous avons mis des sommes considérables dans l'Education nationale
P-L.S. : C'est ce qu'a rappelé Claude ALLEGRE à propos de Lionel JOSPIN.
J-L.M. : Oui, nous avons un service public de très haut niveau, moi j'aimerais quand même qu'on sorte un peu de la sinistrose dans ce domaine. Nous avons un consensus autour de notre service public qui n'existe pas dans d'autres pays ; je fais remarquer qu'en dépit de tout ce qui a pu nous arriver au cours des vingt dernières années, notre niveau de formation n'a pas baissé, donc on a quand même quelques raisons d'être fier. Et surtout je voudrais vous dire une chose : il faut tourner la page d'une série de problèmes et pas pour des raisons politiciennes.
P-L.S. : Alors comment est-ce que vous tournez la page Claude ALLEGRE ? Je vous demande ça parce que j'imagine que quand on arrive dans un ministère, qu'on succède avec Jack LANG à un prédécesseur, on essaie de comprendre ce qui s'est passé. Claude ALLEGRE, lui, a une interprétation : Lionel JOSPIN a baissé sa culotte, il a eu peur.
J-L.M. : Non, mais ça
P-L.S. : C'est ce qu'il dit ! Alors vous, quelle est votre interprétation ?
J-L.M. : Attendez, il y a deux aspects. Moi j'analyse ces propos comme les propos d'un homme blessé. Tout le monde sait qu'ALLEGRE est d'une grande intelligence, un scientifique de haut niveau, donc par conséquent il doit être plus que d'autres traumatisé par ce qui s'est passé parce qu'il croit à la vertu de l'expérience. Quand l'expérience échoue, je pense que ça l'interpelle. Voilà. Il n'y a aucune raison de prolonger une discussion qui n'a pas lieu d'être. Il dit, lui, ce qu'il a envie de dire.
P-L.S. : Vous ne partagez pas son jugement sur les syndicats.
J-L.M. : Du tout.
P-L.S. : Leur conformisme
J-L.M. : Du tout, du tout.
P-L.S. : Leur archaïsme
J-L.M. : Non, je ne suis pas d'accord.
P-L.S. : Et leur comportement stalinien, c'est ses termes
J-L.M. : Pas du tout. Je pense que c'est une imagerie qui résulte d'une situation de tension mais qui ne correspond pas à la réalité. Moi je n'ai pas rencontré un enseignant qui me dise : tout va tellement bien qu'il ne faut toucher à rien.
P-L.S. : Bon, très bien. Alors vous arrivez dans ce ministère, vous faites un peu le bilan de ce qui s'est passé pendant trois ans. Il ne s'est rien passé ?
J-L.M. : Il s'est passé beaucoup de choses
P-L.S. : Non, mais je veux dire : est-ce qu'on peut dire que le réformisme entre guillemets, bruyant de Claude ALLEGRE, fait qu'on repart à la situation où on était il y a trois ans ?
J-L.M. : Non. Non, la vie avance et surtout voyez-vous il s'est passé quelque chose dont il faut tirer toutes les leçons, c'est la nouvelle donne. Ecoutez, ça change tout ! La nouvelle donne, je ne parle pas du remaniement ministériel, je parle de ce qui se passe dans l'économie, ça change tout pourquoi ? Parce qu'on est en situation maintenant de croissance, donc maintenant, c'est l'économie qui se tourne vers l'appareil public de formation et qui dit : nous avons besoin de 130.000 personnes dans le bâtiment, des milliers de jeunes cadres formés. Et regardez bien que ça change tout parce que ce n'est plus une situation de pénurie, ce n'est plus une situation de concurrence, ce n'est plus une situation où sur l'éducation, on peut imaginer qu'on va pouvoir réaliser je ne sais quelle marchandisation du secteur, parce que ce n'est pas ça l'attente de l'économie aujourd'hui. Et quand vous regardez ce qu'ils demandent par exemple aux jeunes cadres, aux jeunes diplômés, c'est-à-dire ceux qui sortent de nos universités, vous voyez que la demande s'est élargie : là où hier on ne demandait que de l'élève sorti de grandes écoles de commerce, on élargit ; on en veut qui sortent de l'université, on en veut qui sortent des écoles d'ingénieurs. Et qu'est-ce qu'on leur demande en particulier ? On nous dit même : on est plus intéressé par le profil de chaque jeune que seulement par son diplôme. Qu'est-ce qu'on lui demande ? Regardez dans le détail ; on lui demande d'être alerte, de savoir s'adapter à de nombreuses situations professionnelles différentes etc. Autrement dit qu'est-ce qu'on nous demande ? Des gens éduqués et pas seulement qualifiés, des gens qui ont une richesse intérieure.
P-L.S. : D'accord
J-L.M. : Où voulez-vous obtenir ça autrement que dans le service public ? !
P-L.S. : Alors précisément ce service public, il y avait un débat quand vous êtes arrivé, autour de la réforme du statut des professeurs des lycées professionnels. Ce débat était interminable, des professeurs sont descendus dans la rue ; vous arrivez, quinze jours après, le statut, nouveau texte, ça passe. Sauf qu'entre temps, vous avez abandonné l'annualisation, la globalisation, la pondération, la flexibilité.
J-L.M. : Oui. Et alors ?
P-L.S. : Eh bien vous abandonnez tout ce sur quoi se battait Claude ALLEGRE.
J-L.M. : Non, il se battait sur d'autres choses. Enfin moi je ne m'occupe pas de faire le bilan de Claude ALLEGRE. Ecoutez, demandez-lui à lui ! Moi je m'occupe de ce dont je suis responsable.
P-L.S. : C'est-à-dire que vous avez donné satisfaction sur toute la ligne aux organisations syndicales.
J-L.M. : Aux organisations syndicales la situation était un petit peu plus complexe que ce que vous en avez retenu ; et surtout aux enseignants ; on ne peut pas changer les méthodes de travail sans l'accord de ceux qui travaille, Monsieur SEGUILLON, nous sommes dans une société civilisée. On ne fait pas marcher les gens à coups de pied ! Bien. J'obtiens le résultat pédagogique, c'était ça qui était au cur de l'affaire. Le résultat pédagogique, c'était de pouvoir mettre en place des projets pédagogiques à caractère professionnel qui soient pluridisciplinaires. Ca, ça va se mettre en place. Mais cessez de croire que tant qu'on n'a pas prononcé le mot flexibilité, globalisation etc, on n'a pas dit les mots sacrés.
P-L.S. : Bon, on va laisser les grands mots.
J-L.M. : Oui, mais c'est vous qui avez commencé !
P-L.S. : Non, ce n'est pas moi qui ai commencé, c'est dans le texte. C'est dans le texte !
J-L.M. : C'est dans le texte de mes déclarations.
P-L.S. : Absolument, donc ce n'est pas moi qui ai commencé.
J-L.M. : Eh bien moi je vous dis
P-L.S. : Je vous cite
J-L.M. : Bien sûr, nous ne sommes pas dans une polémique, j'éclaire mon propos. Je dis : les objectifs pédagogiques vont être atteints ; je ne permets pas qu'on dise que ça ne marchait pas avant, je dis " ça va marcher mieux ; ça marchait, ça va marcher mieux " par rapport à une nouvelle donne et je réussis à le faire avec Jack LANG sans globalisation, sans flexibilité, sans pondération. Qu'est-ce que vous voulez de plus ? Et en faisant un progrès social. C'est bien, non ?
P-L.S. : Ca va coûter 544 millions de francs.
J-L.M. : Oui, en année pleine, oui. Eh bien écoutez, si vous trouvez que l'Education
P-L.S. : Non, non, je vous pose la question : est-ce qu'il faut toujours donner davantage à l'Education nationale ?
J-L.M. : Voilà, eh bien il faut savoir
P-L.S. : Je ne trouve rien, moi, je vous pose la question !
J-L.M. : Oui, mais je réagis parce que vous savez bien que c'est mon tempérament de réagir. Bien. Ceux qui trouvent que l'Education coûte trop cher, n'ont qu'à essayer l'ignorance. C'est une phrase de LINCOLN et je la répète aujourd'hui. Oui, il faut de l'argent. Si vous croyez que nous allons pouvoir former les milliers de jeunes dont ce pays a besoin à haut niveau de qualification et que ça ne coûtera rien, vous rêvez et par conséquent, c'est pourquoi je suis un homme cohérent, entre ce que je fais comme ministre et ce que je dis comme animateur d'un courant politique dans le mouvement socialiste, il y a une cohérence c'est la raison pour laquelle
P-L.S. : Je crois d'ailleurs me souvenir que vous aviez fait des communiqués soutenant les manifestants.
J-L.M. : Oui, bien sûr, mais au-delà si vous voulez dans le débat de fond sérieux, moi je dis à tous ceux qui proposent de réduire l'impôt qu'il va falloir à un moment donné qu'on en tire la conséquence ; donc ça veut dire de la dépense publique de moins. Où et à quel endroit ? Moi ce que je vois, c'est un fantastique besoin d'une dépense publique bien sûr maîtrisée, bien sûr envoyée dans la bonne direction avec le souci de la rentabilité de ce qu'on donne mais on en a besoin, Monsieur SEGUILLON. FIN DE LA PREMIERE PARTIE-
LCI L'INVITE Le 20/04/2000 à 18H46
DEUXIEME ET DERNIERE PARTIE
P-L.S. : Donc ce statut des professeurs des lycées professionnels, c'est une chose qui est réglée maintenant ?
J-L.M. : J'espère, oui.
P-L.S. : Vous avez eu l'accord de la majorité des syndicats, les autres se sont abstenus ou n'ont pas voté ; vous avez simplement eu Force Ouvrière qui a voté contre
J-L.M. : Oui, oui, non mais les syndicats en majorité ont voulu trouver une manière de conclure un compromis qui était un compromis honnête par rapport à leurs revendications de départ.
P-L.S. : Vous l'avez expliqué, ça suppose de mettre davantage d'argent ; ça suppose aussi davantage de professeurs, je crois création de 300 postes ?
J-L.M. : Oui, ça c'est pour les chefs de travaux. En réalité, nous avons là aussi quelque chose qui va d'ailleurs bientôt apparaître aux yeux du public qui pour l'instant est entraîné dans des polémiques qui n'ont aucun sens, c'est que nous avons un défi fantastique : d'abord, nous avons une baisse démographique du nombre de jeunes alors qu'on en a besoin de plus dans la production ; deuxièmement, nous avons un problème de démographie du corps enseignant avec de nombreux départs qui sont programmés et troisièmement, nous avons une masse de contractuels et nous n'arrivons pas à trouver dans un certain nombre de branches les enseignants dont nous avons besoin. Donc vous voyez, les anciens débats n'ont plus leur place. Aujourd'hui, le vrai débat, c'est celui que je viens de vous présenter. Comment on fait pour stabiliser tout ce personnel précaire que nous avons dans l'Education nationale et en particulier dans le secteur dont j'ai la charge
P-L.S. : Alors justement sur la précarité, qu'est-ce que vous allez rapidement proposer au corps enseignant ?
J-L.M. : Il faut qu'on se mette autour d'une table et qu'on regarde tout parce qu'il y a un petit volant nécessaire de mouvement parce qu'il y a des spécialités professionnelles dans lesquelles les débouchés sont étroits, et pourtant les débouchés sont essentiels à remplir, où le nombre d'enseignants éventuel disponible n'est pas très grand. Donc là on peut avoir du mouvement. Mais il y a d'autres endroits où ce n'est pas normal. Quand on reconduit pendant huit ans quelqu'un qui est déjà au contact des jeunes les plus remuants du pays et que tous les mois de juin, cet homme ou cette femme se demande si en septembre il va ravoir du travail et s'il va pouvoir, lui, avoir une vie normale. Franchement, Monsieur SEGUILLON, est-ce que c'est une situation acceptable ? Non, ça ne l'est pas.
P-L.S. : Donc vous allez proposer l'intégration.
J-L.M. : Lionel JOSPIN a expliqué ça très clairement, donc moi je ne peux faire que des commentaires autour, lorsqu'il a proposé de mettre en place un plan pluriannuel de développement du service public et il a évoqué un seul secteur, l'Education nationale. Donc à la fois il faut être économe de nos deniers, vous savez, moi je suis un élu local, je n'ai pas une tradition de dépensier
P-L.S. : Econome de vos deniers mais vous l'avez dit il y a un instant : il faut savoir surtout en période de croissance, mettre les moyens nécessaires pour ce que l'on veut et notamment pour l'Education nationale et pour la formation professionnelle.
J-L.M. : Oui, bien sûr.
P-L.S. : Et vous disiez : il faut que l'on arrête peut-être de brandir toujours le " moins d'impôts "
J-L.M. : Moi je crois qu'il faut que ce débat ait lieu dans ce pays. Il ne peut pas avoir lieu simplement avec des caricatures.
P-L.S. : Il va avoir lieu bientôt, le 25 avril, il va y avoir un séminaire entre le gouvernement, le Parti socialiste pour
J-L.M. : Alors vous voyez, on n'attendra pas trop longtemps pour savoir.
P-L.S. : On ne va pas attendre trop longtemps mais vous allez peut-être m'aider à en savoir davantage : il circule un certain nombre d'idées sur la réduction des impôts, d'abord est-ce que Laurent FABIUS est l'aile libérale de ce gouvernement ?
J-L.M. : Non, moi je ne veux pas dire des mots qui fâchent parce que pour qu'un débat puisse avoir lieu sereinement, il ne faut pas mépriser ses contradicteurs.
P-L.S. : Ce n'est pas mépriser
J-L.M. : Attendez, pour un homme de gauche, se faire traiter de libéral, figurez-vous que ce n'est pas un compliment ! Ce n'est pas les mots que j'emploierais moi. Je pense qu'il y a une vision du développement de la société qui est une vision de gauche ; ce n'est pas un problème français, c'est un problème de toute la social-démocratie européenne.
P-L.S. : Alors restons sur la social-démocratie française pour le moment. Projets : baisser les impôts par exemple, une idée qui court, qui venait venir au jour, qui serait de supprimer l'abattement de 20 % pour les salariés, ce qui conduirait mécaniquement à abaisser les tranches et notamment la tranche supérieure de 54 à 44, 42
J-L.M. : C'est un beau débat très technique là
P-L.S. : Non, mais attendez
J-L.M. : Je résume je comprends bien sûr ce que vous êtes en train de me dire
P-L.S. : Oui, mais ceux qui nous écoutent, ils se demandent s'ils vont bien comprendre ce n'est pas si technique que ça quand vous payez vos impôts
J-L.M. : Quand on remplit sa feuille d'impôt, c'est un peu compliqué quand même.
P-L.S. : Quand on la paie, c'est encore plus compliqué !
J-L.M. : Quand on est un salarié, on ne peut pas y échapper
P-L.S. : Alors oui, oui, au fait ! Il faut baisser ?
J-L.M. : Moi je pense que c'est une vision simpliste du problème ; la question est de savoir qui paie, quoi et combien. On a un besoin de dépenses, alors comment on met à contribution d'une manière juste la nation et chacun d'entre nous. Ca pour moi, c'est le bon débat. Qui va payer quoi ? Alors est-ce qu'on considère que, par exemple, j'ai vu ça sur toutes les chaînes de télévision, nous avions ces pauvres malheureux qui s'exilent en Angleterre ou je ne sais où puisque maintenant on peut faire de ses turpitudes un bon droit
P-L.S. : Apparemment ce n'est pas des pauvres malheureux mais ils sont bien heureux quand ils vont payer moins d'impôts ailleurs.
J-L.M. : Bien sûr et tout le monde trouve normal qu'on vienne s'afficher en disant : écoutez, moi j'aime mieux mon fric que mon pays. Moi d'abord je suis moralement révulsé par cette attitude là. Alors est-ce que c'est ça cette petite poignée, ce petit millier de personnes qui nous intéresse ? Ou bien est-ce que c'est la façon dont ce pays qui est quand même fabuleusement riche, qui n'a jamais été aussi riche de toute son histoire, trouve le moyen de répartir sa richesse de telle sorte qu'il ait un niveau de développement qui d'ailleurs, vous remarquerez, le rend extrêmement attractif pour les investissements étrangers. Donc il faut quand même bien penser à un moment ou un autre que ce n'est pas le goulag ici puisque même l'argent américain vient s'investir chez nous de préférence.. Alors qu'est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire que quand vous avez une famille, quand vous avez des enfants, il vaut mieux être en France parce qu'on y est soigné, parce qu'il y a une Sécurité sociale, parce qu'il y a une école de haut niveau, parce que vous avez des crèches et tout ça, voilà ! La compétitivité, c'est un fait global, voyez-vous.
P-L.S. : Bon. Et par exemple, pour savoir qui paie quoi et comment payer, vous, vous êtes plutôt partisan d'alourdir la fiscalité des stock-options par exemple ?
J-L.M. : Evidemment, et celle du capital, évidemment, donc il y aura un débat entre nous. Et vous l'avez dit, il y a une rencontre qui a lieu le 25, on va échanger des arguments, il y aura aussi des discussions
P-L.S. : Et alors Lionel JOSPIN dans tout ça, c'est le point d'équilibre ?
J-L.M. : Oui, je crois. Et un point d'équilibre, c'est une occasion assez formidable en Europe. Il n'y a qu'un endroit où ça existe, c'est en France, parce que, autour de cet homme qui tâche de construire en fonction de ce que lui apprécie, c'est sa synthèse, d'ailleurs il n'a demandé à personne de partager la responsabilité ; c'est sa synthèse, il essaie de construire une politique de gauche qui tienne compte de l'état des rapports de force dans la société. Donc pour un homme comme moi, ça veut dire une chose : fais tes preuves !
P-L.S. : Bien. Mais vous n'avez pas peur d'être trompé ? Je lisais dans L'EXPRESS un article de Paul THIBAULT (phon), qui est un homme de gauche, l'ancien directeur d'ESPRIT et qui dit de Lionel JOSPIN dont il dit que c'est un homme sans vision : il invoque toujours les valeurs de gauche mais il se soumet toujours au principe de réalité.
J-L.M. : Ce n'est pas un défaut de se soumettre au principe de réalité ; je ne sais pas ce qu'il voulait dire par là le principe de réalité, c'est quel est l'état de ce que cette société est capable d'absorber en matière de réformes. Moi je pense qu'elle peut en absorber beaucoup mais la démonstration reste à faire. Et j'ai envie de vous dire
P-L.S. : En deux mots parce qu'on arrive à la fin
J-L.M. : Ce qu'il y a de nouveau, c'est qu'il y a une radicalité qui monte du pays et moi, mon projet politique, c'est de faire que cette radicalité, elle devienne une réalité gouvernementale et pas qu'elle s'isole, qu'elle se marginalise
P-L.S. : Qu'elle se fasse entendre au sein du gouvernement.
J-L.M. : Oui, qu'elle se matérialise, qu'elle trouve un débouché politique, oui bien sûr ; et c'est mon rôle, l'empêcher de se marginaliser.
P-L.S. : Jean-Luc MELENCHON, merci beaucoup.
(source http://www.gauche-socialiste.com, le 18 janvier 2001)