Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur les relations entre les sciences et la société, la recherche scientifique et la science publique et citoyenne, Paris le 1er décembre 2000.

Prononcé le 1er décembre 2000

Intervenant(s) : 

Circonstance : Clôture du colloque international "Science et société" à la Sorbonne le 1er décembre 2000

Texte intégral

Ayant pris connaissance avec beaucoup d'intérêt des rapports émanant des Tables rondes et des interventions de mes collègues ministres de la Recherche, je voudrais, en clôture, exprimer mon point de vue sur l'objet de ce colloque "Science et société".
Longtemps a prévalu la confiance dans les sciences et les techniques, dans le progrès qu'elles apportaient nécessairement à la société.
Le scientisme du XIXème siècle
Le XIXème siècle, dans sa seconde moitié, a été le siècle du scientisme. Le siècle de la confiance absolue dans la Science, magnifique, exaltée, censée pouvoir apporter des solutions à tous les problèmes de l'humanité.
Portés par le progrès rapide des connaissances, les savants apparaissaient alors comme les dépositaires de la raison et de la vérité. Comme les servants du progrès.
Siècle du rationalisme triomphant, le XIXème siècle considérait la science comme le vecteur essentiel du progrès humain.
C'est l'attitude même d'Alfred Nobel quand il rédige le 27 novembre 1895 son testament et quand il créé les prix Nobel, annuellement "attribués à ceux qui auront rendu les plus grands services à l'humanité".
Le postulat, c'est que les découvertes de la science ne peuvent apporter que des bienfaits concrets à la société.
Certains étaient allés encore plus loin dans cet éloge de la science. Comme par exemple Ernest Renan dans L'Avenir de la science. Considérant que la religion devait être remplacée par une science de l'humanité. Son objectif : "organiser scientifiquement l'humanité."
Les savants était presque considérés comme les apôtres de ce nouveau culte, de cette nouvelle religion de remplacement, substitut fonctionnel des croyances défuntes.
La fin du XIXème siècle, c'était "la mort de Dieu" annoncée par Nietzsche, et l'avénement du culte de la Science.
Le XXème siècle : une attitude ambivalente face à la science
Cette confiance dévote dans la science et ses vertus n'a plus cours au XXème siècle, qui exerce son droit d'inventaire par rapport aux découvertes scientifiques.
Désormais, la société a une attitude ambivalente face à la science, dont les applications sont considérées comme sources tantôt de bienfaits, tantôt de méfaits.
Auparavant, la science n'avait que des avocats. Désormais, elle a aussi ses procureurs, souvent excessifs, qui requièrent contre ses risques et ses dangers.
Parmi les bienfaits de la science, bien sûr, les progrès dus à la médecine et à l'hygiène, c'est-à-dire l'amélioration de la santé et l'allongement de la durée de vie.
Le Pr Maurice Tubiana le rappelait récemment : "Jamais la santé dans notre pays n'a été meilleure et elle continue à s'améliorer". L'indicateur de l'espérance de vie en témoigne. En 1900, l'espérance de vie moyenne était seulement de 45 ans. Aujourd'hui, elle dépasse 78 ans et elle continue de s'accroître au rythme de deux mois tous les ans.
Le Pr Etienne-Emile Baulieu le souligne aussi : "La moitié des fillettes qui naissent aujourd'hui atteindront 100 ans." Désormais, l'on vit plus longtemps et en meilleure forme.
Le XXème siècle a fait reculer la maladie et la mort. Du prix Nobel décerné en 1945 à Alexander Fleming pour l'invention de la pénicilline aux thérapies cellulaires et géniques, si prometteuses, qui marquent la dernière décennie.
Pourtant, là aussi, une réaction ambivalente se fait jour face aux développements de la génomique et de la post-génomique, perçus à la fois comme facteur de progrès et comme facteur d'inquiétude.
D'un côté, on voit bien les chances de mise au point de nouvelles thérapies, de nouveaux médicaments. Mais, de l'autre, on appréhende les risques de manipulation de la substance vivante, avec le clonage reproductif, ou de commercialisation, de "marchandisation" de l'humain.
Car on dresse aussi la liste des risques, des dangers, voire des méfaits de la science, avec sa capacité à intervenir au cur même des mécanismes de la matière et du vivant. Désormais, la science peut modifier la matière, le monde vivant et même la nature humaine.
Dès les années 1950, les spécialistes de l'atome et de la physique nucléaire, comme Albert Einstein, Robert Oppenheimer ou Frédéric Joliot-Curie, avaient pris conscience des risques impliqués par leurs travaux et s'en étaient publiquement alarmés. En s'interrogeant sur le rôle de la science dans le monde contemporain.
A son tour, le nucléaire civil allait provoquer inquiétude et polémiques, concentrées aujourd'hui autour du devenir des déchets radioactifs.
Au-delà du risque nucléaire, la fin du XXème sicèle est marquée par d'autres interrogations, doutes et craintes, qui concernent surtout la santé, la sécurité alimentaire et l'environnement : OGM, "vache folle" (ESB) et nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, émission de gaz à effet de serre, changements climatiques et réchauffement de la planète, devenir des déchets radioactifs...
Désormais, plutôt que de rappeler les progrès dus à la science (et notamment à la recherche thérapeutique), on met parfois l'accent sur ce qu'on pourrait appeler "les infortunes du progrès" scientifique et technologique.
L'aventure du savoir provoque moins de réactions positives que de doutes et de craintes. Naguère, l'image du savant était celle du savant bienfaiteur de l'humanité, tel Louis Pasteur. Aujourd'hui, revient parfois le mythe du Dr Frankenstein, comme dans le roman de 1817 de Mary Shelley, "Frankenstein ou le Prométhée moderne".
L'image du savant bienfaiteur commence à être supplantée par celle de l'apprenti-sorcier, qui défierait inconsidérément les lois de la nature, en démiurge mal inspiré ou irresponsable.
La science est désormais en procès. Elle suscite rarement l'enthousiasme de naguère, et parfois le scepticisme, l'anxiété voire l'hostilité.
Dans ce procès fait à la science, les doctrinaires de l'écologisme -que je confonds pas avec les défenseurs de l'environnement- sont souvent en première ligne. On sacralise, on mythifie la nature. Celle-ci est toujours jugée préférable à l'invention humaine, dans un réflexe au fond très conservateur. Face à l'écosystème, investi d'une valeur intrinsèquement supérieure, l'homme est présenté comme un prédateur nuisible, parfois animé d'une barbarie destructrice.
La grande peur de l'an 2000
D'après les mémorialistes, "l'an mil" a été marqué par de grandes frayeurs collectives, liées à l'entrée dans un nouveau millénaire.
Avec l'an 2000, on retrouve presque ces grandes peurs millénaristes, orchestrées par de nouveaux prophètes, prompts à dresser un tableau apocalyptique d'un futur qui serait menacé par la montée des périls.
Dans ce climat de désarroi ou d'anxiété collective, certains cultivent le recours à l'irrationnel. Il ne s'agit pas de convaincre par des arguments logiques, d'expliquer, d'informer. Il s'agit, au contraire, de miser sur l'émotion, voire de cultiver des fantasmes.
Cette culture de l'irrationnel donne la priorité à l'émotion sur la raison. On quitte le domaine de la pensée organisée, rationnellement construite, logiquement exprimée pour le registre des impressions et des sentiments subjectifs, des passions et des peurs.
Le scientisme excessif de 1900 va-t-il être remplacé en 2000 par un nouvel obscurantisme, par le refus des nouveaux savoirs, des nouvelles connaissances, des nouvelles techniques ? Va-t-on se situer désormais à l'opposé des valeurs héritées des Lumières et faire l'apologie de l'anti-science pour soutenir que le progrès scientifique et technologique apporterait non le bonheur, mais le malheur de l'humanité ?
Va-t-on passer de l'esprit de l'Encyclopédie, va-t-on passer de Diderot au Rousseau du Discours sur les sciences et les arts, présentant celles-ci comme forgeant le malheur de l'homme, qui se serait éloigné de la nature ?
Le sondage " Les Français et la recherche scientifique"
Il était donc nécessaire d'interroger les Français eux-mêmes, pour savoir ce qu'ils pensent véritablement aujourd'hui de la science. C'est ce qu'a fait en ce mois de novembre la SOFRES à la demande du Ministère de la Recherche dans un sondage intitulé "Les Français et la recherche scientifique".
En réalité, ce qui ressort de cette enquête, c'est que nos concitoyens se font une image largement positive de la science :
90 % estiment que la recherche doit être une priorité, dont 30 % estiment qu'elle doit être "une des principales priorités du pays".
65 % estiment que la part du budget de l'Etat consacrée à la recherche scientifique et technologique doit être augmentée. Deux tiers des sondés accordent donc du prix à la recherche et désirent que le budget, alimenté par leurs impôts, lui consacre des crédits accrus.
Il y a donc une très bonne conscience chez nos concitoyens de l'importance primordiale de la recherche scientifique et technologique, matrice des nouvelles connaissances et moteur principal de la compétitivité, de la croissance et de l'emploi.
A la question, "compte tenu du progrès scientifique et technologique, avez-vous le sentiment que l'on vit mieux qu'il y a 20 ans ?",
67% répondent oui.
Ce pourcentage élevé traduit une très forte confiance dans le progrès scientifique et technologique, dans ce qu'il apporte comme bienfaits, comme contributions positives et concrètes à la vie quotidienne.
10% des sondés estiment que l'on vit "pareil" qu'il y a 20 ans et 21 % seulement "moins bien".
Brefs, les Français n'ont pas peur du progrès. Ils le plébiscitent presque, sans verser dans les grandes peurs fantasmatiques développées par certaines contempteurs du progrès.
Cette foi optimiste dans la science se manifeste aussi par la conviction que celle-ci pourra toujours continuer à avancer.
70% pensent que "la connaissance scientifique pourra toujours continuer à progresser", contre 26% seulement qui estiment que celle-ci "finira par se heurter à des obstacles insurmontables."
Par ailleurs, quand on leur demande quelles doivent être les deux priorités de la recherche :
84 % choisissent la recherche médicale et 54 % la recherche environnementale (biodiversité, pollution, réchauffement climatique).
La recherche la plus appréciée est donc celle qui porte sur la santé et sur l'environnement. Ce qu'on apprécie d'abord dans la recherche, c'est sa capacité à sauver des vies humaines et à sauvegarder l'environnement.
La recherche s'humanise et se met "à l'échelle humaine ". Les enjeux de la recherche quitte le monde des machines, privilégié dans les années 1950 à 1970, pour le monde du vivant et de la nature.
Cette confiance dans la science et ses réalisations s'accompagne d'une confiance dans les scientifiques.
A la question "pour contrôler le progrès scientifique et technologique et s'assurer de son respect des questions éthiques, à qui feriez-vous le plus confiance ?"
53 % répondent "les scientifiques".
Ce pourcentage monte même à 55 % chez les 18-24 ans.
Pour veiller à la sauvegarde de l'éthique par la recherche, les Français font donc spontanément confiance aux scientifiques eux-mêmes. En les percevant comme des femmes et des hommes de science et de conscience tout à la fois. Des femmes et des hommes de raison et de sagesse, de responsabilité, jugés les mieux placés pour concilier eux-mêmes science et éthique.
Le scientifique donc inspire confiance à ses concitoyens.
De même, le métier de chercheur est valorisé :
84 % le jugent "attirant pour un jeune"
59 % le jugent "ouvert sur le monde et la société ".
Pour une science publique
Il faut conforter ce sentiment positif à l'égard de la science par des mesures concrètes.
En ouvrant hier ce colloque, j'ai souligné qu'à mon sens, la science doit être une science publique et une science citoyenne.
La science ne peut vivre isolée de la société. Repliée dans une tour d'ivoire ou dans une forteresse du savoir académique. Elle ne peut cultiver l'hermétisme et communiquer seulement avec un petit cercle d'initiés. Elle ne peut séparer le savoir et le faire-savoir.
Il faut améliorer la connaissance de la science par les citoyens. Le public doit pouvoir connaître les résultats de la recherche et se faire une opinion sur l'état des ses avancées.
Dans ce but, il faut renforcer le système d'évaluation de la recherche et sa publicité. Il faut développer la communication scientifique, afin que les chercheurs défendent publiquement leurs projets de recherche.
Surtout, il faut développer la culture scientifique et technique par tous les moyens disponibles : journaux et revues, émissions scientifiques sur les radios et les télévisions, films, expositions des musées scientifiques, festivals, journées portes ouvertes dans les universités et les organismes de recherche, "semaine de la Science", etc.
C'est l'objet même de la "Fête de la science", que le Ministère de la Recherche vient d'organiser du 16 au 22 octobre : créer un sentiment de proximité et de familiarité avec la science. Une science qui doit être proche de tous.
La science doit aller à la rencontre du public et "descendre dans la rue". Elle doit être une science désanctuarisée. Elle doit être une science publique, une science vivante et conviviale. Bref, une science partagée par la société.
Ce qui est en jeu, c'est le droit de savoir, pour disposer du pouvoir de décider.
Cela pose le problème des médias face à la science.
63% des personnes sondées par la SOFRES en novembre 2000 ne s'estiment "pas suffisamment informées sur les découvertes scientifiques". Ce pourcentage monte même à 74% chez les 18-24 ans.
D'où vient ce déficit d'information ? Des médias, surtout audiovisuels. "Diriez-vous qu'il y a suffisamment ou pas suffisamment d'information scientifiques ?". Pour la presse écrite, la réponse est presque équilibrée : "suffisamment" : 44%, "pas suffisamment" 42%. En revanche, pour la télévision et la radio, la réponse " pas suffisamment " l'emporte très nettement avec respectivement 62% et 58%.
Enfin, les sondés estiment que les médias en général rendent plutôt mal compte des découvertes scientifiques (47%), des applications pratiques des innovations scientifiques (51%) et des sujets sur lesquels les chercheurs travaillent (60%).
Ce désir de connaissance, cette volonté d'être informé et de disposer du droit de savoir se heurte donc à une fonction d'information scientifique mal assurée par les médias, surtout audiovisuels.
Je souhaite que les dirigeants des grands médias audiovisuels s'interrogent face à ces réponses et exercent mieux leurs responsabilités, en cessant de réduire la science à la portion congrue dans leurs programmes.
Alors que la science a occupé une part importante dans les programmes télévisés jusqu'aux années 1975, celle-ci a de moins en moins de place sur les chaînes françaises et à même disparu de certaines dont les écrans sont vides d'émissions sur la science.
Il serait regrettable que, pour la science, la télévision devienne le monde du silence.
Une science citoyenne
Nous devons aussi développer une science citoyenne. Une science au contact direct des citoyens et de leurs interrogations.
Il faut rapprocher science et société. Il faut "repolitiser la science", c'est-à-dire lui faire retrouver sa place dans la Cité, dans le débat civique et politique. Comme il importe en démocratie.
Celle-ci ne peut s'arrêter aux portes de la science et de la technologie. Les citoyens ne veulent plus qu'on évacue du débat politique ce qui relève des sciences et des techniques. Ils veulent avoir leur mot à dire. Bref, ils veulent davantage de démocratie.
L'attention de nos concitoyens se porte très légitimement vers des questions essentielles comme les applications de la génomique et de la post-génomique, les thérapies géniques et cellulaires, les recherches sur les cellules souches embryonnaires, l'ESB et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, les OGM, l'effet de serre ou le devenir des déchets radioactifs.
Par ailleurs, la science est largement absente du débat public et des programmes politiques. Jaurès ou Mendès France parlaient de la science. Aujourd'hui, les partis politiques n'en parlent plus guère.
Les enjeux scientifiques doivent faire leur entrée -ou plutôt leur retour- dans les programmes des partis politiques. Ceux-ci doivent sortir de leur mutisme sur ces sujets, sinon les crises à chaud, comme celle de la "vache folle" risquent de se multiplier. Dans l'urgence.
S'il y a aujourd'hui crise de la représentation et une certaine perte de confiance dans les institutions politiques, c'est notamment parce que le Parlement, qui devrait être le lieu naturel des grands débats de société, est parfois devenu le lieu de débats convenus et traditionnels, qui paraissent hors du temps présent.
Il appartient donc au Parlement de débattre davantage des choix scientifiques et technologiques, en organisant périodiquement des débats d'orientation qui leur soient spécifiquement consacrés.
Pour favoriser le développement du débat, l'on pourrait aussi s'inspirer des nouvelles formes de dialogue en usage au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Scandinavie : c'est-à-dire les "conférences de citoyens" ou les "conférences de consensus".
Ces nouvelles procédures de consultation et de discussion peuvent contribuer utilement au débat et à la prise de parole des citoyens. Une fois en possession de tous les éléments d'information, des citoyens ordinaires peuvent mener un dialogue de qualité avec les experts, poser à ceux-ci des questions judicieuses, émettre des jugements équilibrés et parvenir à un consensus raisonnable.
Une expérience de ce type a eu lieu en France à propos des OGM, à l'initiative de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui, d'ailleurs, produit des travaux de grande qualité.
Etre informés, pouvoir débattre et, enfin, participer à la décision. Soit par une révision constitutionnelle visant à élargir le champ du référendum. Soit par une nouvelle attitude des candidats et des partis politiques, qui inscriraient les choix scientifiques et technologiques dans les programmes qu'ils soumettent aux électeurs pour les législatives et les présidentielles, comme cela vient de se faire pour la campagne présidentielle américaine.
A cet égard, si l'on veut que les électeurs puissent ressaisir le pouvoir de décider sur ces enjeux, la campagne présidentielle et législative de 2002 devra faire une place nettement accrue aux grands choix scientifiques.
C'est le devoir des partis politiques, qui, sur ces sujets, paraissent aujourd'hui inopérants.
"Pour empêcher la mise en uvre d'un choix scientifique qui vous paraît avoir des conséquences dangereuses pour l'homme ou la nature (par exemple dans le domaine de l'énergie, de l'alimentation ou de la santé), à quoi seriez vous prêt ?" ; signer une pétition (56%), boycotter un produit (54 %), participer à une manifestation (42%), réclamer un référendum (39%), adhérer à une association (30%) et, enfin, militer dans un parti politique : 5% seulement.
Il est grand temps que les formations politiques réintègrent les enjeux scientifiques dans leur discours et leur projet.
La politique est l'affaire de chacun. Elle doit donc englober aussi la science, qui concerne chacun.
Notre démocratie est politique, sociale et économique. Elle doit devenir aussi une démocratie scientifique.
Dix propositions
Pour rapprocher science et société, pour développer une science publique et citoyenne, je propose donc 10 mesures concrètes, concernant plus particulièrement la France.
Favoriser l'éducation civique à la science, en renforçant dans les programmes d'éducation civique des collèges et lycées la place consacrée au rôle des citoyens et des institutions représentatives en matière de grands choix scientifiques et technologiques.
Renforcer le système d'évaluation par des rapports publics portant à la connaissance de tous les résultats (avancées et, dans certains cas, lacunes) de la recherche scientifique et technologique. Pour assurer la pleine transparence sur l'état de la recherche.

Agir auprès du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour renforcer les obligations incombant, dans leurs cahiers des charges, aux sociétés audiovisuelles en matière de diffusion de l'information scientifique et technique.
Créer une chaîne thématique consacrée à la science, qui serait une chaîne européenne, cofinancée par les Etats et la Commission européenne.
Apporter une aide financière aux associations scientifiques qui contribuent à la diffusion du savoir scientifique et à leurs publications.
Créer dans tous les organismes de recherche (EPST et EPIC) des comités d'éthiques consultatifs saisis pour avis sur les recherches effectuées quand celles-ci peuvent poser des problèmes particuliers (OGM, nucléaire civil, etc.).
Organiser périodiquement au Parlement des débats d'orientation spécifiquement consacrés aux choix scientifiques et technologiques.
Renforcer les moyens dont dispose l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques.
Envisager d'élargir le champ de référendum, pour que les recours à celui-ci devienne possible sur ces grands choix.
Engager les partis politiques à inscrire les enjeux scientifiques et technologiques dans les programmes qu'ils soumettent aux électeurs pour les élections présidentielles et législatives.
Mondialiser la science
Ces mesures concernent plus particulièrement la France, mais je pense qu'elle pourrait sans doute susciter des solutions équivalentes dans d'autres pays d'Europe, voire du monde.
Nos problèmes sont les mêmes. Nos interrogations sont les mêmes. Nos espoirs et nos doutes sont les mêmes.
Désormais, les problèmes d'un pays sont aussi ceux des autres. L'ensemble de l'humanité est exposée simultanément aux mêmes défis et aux mêmes risques. On le voit bien avec les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique de la planète.
Comme le disait Paul Valéry, "le temps du monde fini commence". Avec le transport supersonique, avec les médias internationaux (comme CNN), avec l'Internet, le monde ressemble de plus en plus au "village planétaire", dont parlait déjà Marshall Mac Luhan, et reprend conscience de son unité.
Notre société du XXIème siècle sera une " World Society ", une société mondiale.
L'unité du genre humain n'est jamais apparue aussi clairement. Nous sommes devenus des habitants du "village planétaire", des "citoyens du monde". La Terre devient notre patrie et nous sommes ses citoyens.
La science du XXIème siècle sera mondiale. Elle sera fondée sur quoi ? Sur la mobilité croissante des chercheurs. Sur la rapidité et l'intensité de leurs échanges à travers Internet. Sur l'interconnexion à travers l'Europe, puis le monde, des réseaux d'enseignement supérieur et de recherche.
Louis Pasteur disait : "La science n'a pas de patrie." Il le disait pourtant au XIXème siècle. Il le disait au cur d'un monde hérissé de frontières qui étaient souvent des cicatrices de l'histoire.
Le XXIème siècle, qui commence dans 30 jours, validera-t-il cette vision prémonitoire ? Et confirmera-t-il cette conviction profonde des femmes et des hommes de science ? La conviction que l'humanité est une et qu'elle peut retrouver son unité perdue.
On dira que c'est utopie. Mais, l'utopie, c'est souvent la vérité de demain.
Demain sera ce que vous le ferez. En femmes et hommes de science et de conscience. Décidés à bâtir ensemble un monde de progrès. Résolus à construire ensemble une société humaine, une société qui donne confiance, enfin confiance, dans l'avenir du bonheur.
(Source http://www.education.gouv.fr, le 5 décembre 2000)