Interview de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à Europe le 17 novembre 2005, sur le succès du lancement de la fusée Ariane, la coopération avec l'Italie pour la contruction de frégates et avec l'Agleterre pour un porte-avions, et sur rôle du futur service civil volontaire.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach - Bonjour Madame Alliot-Marie !
Michèle Alliot-Marie - Bonjour !
Jean-Pierre Elkabbach - Je viens de voir que le président de la République, à l'instant, salue la mission réussie de la fusée ARIANE, la réussite du lanceur lourd, parce que cela va développer la capacité de l'Europe avec une politique spatiale complète. C'est une bonne nouvelle ce matin ?
Michèle Alliot-Marie - C'est une excellente nouvelle. Cela montre l'excellence technologique de l'Europe et de la France tout particulièrement. C'est très prometteur en matière économique, puisque nous avons aujourd'hui le lanceur le plus puissant et aussi le plus précis, puisqu'il y a trois semaines, un lanceur de type ARIANE également a mis sur orbite des satellites, dont un satellite militaire, avec une précision telle que ces satellites ont gagné trois ans de vie : lorsqu'ils ont été mis sur une orbite très précise, ils utilisent en effet très peu de carburant pour se repositionner et cela leur donne donc une ?vie' supplémentaire. C'est une très très bonne nouvelle pour la France et pour l'Europe et cela met peut-être fin aussi à toutes ces critiques et à ce dénigrement systématique qui consiste à dire que la France ou l'Europe seraient en retard sur d'autres pays dans le domaine technologique.
Jean-Pierre Elkabbach - Il est à peine 8h20, le président de la République a réagi. Il travaille si tôt ?
Michèle Alliot-Marie - Le président de la République appelle parfois très tôt. Il suit l'actualité et il est toujours à l'écoute de ce qui peut se faire. Il m'arrive effectivement de recevoir des appels à 8 heures du matin.
Jean-Pierre Elkabbach - Maintenant plus tôt qu'avant. Ce n'est pas parce qu'il a des insomnies ?
Michèle Alliot-Marie - Non, le président de la République va très bien ; il est simplement comme les gens très actifs, comme vous Jean-Pierre Elkabbach d'ailleurs, et il se lève très tôt.
Jean-Pierre Elkabbach - Alors Jacques Chirac est resté silencieux, puisque l'on en parle, comme absent avant son intervention radio télévisée de lundi. La presse et l'opinion se sont interrogées. Est-ce qu'il est en forme ? Et pourquoi il ne porte plus les verres de contact ?
Michèle Alliot-Marie - Le président de la République est tantôt sans lunettes, parfois avec. Je pense que c'est quelque chose de tout à fait accessoire. Ce qui est très important en revanche, c'est que dans cette affaire, et contrairement aux critiques que j'ai pu entendre, le président de la République a été totalement dans son rôle. Je rappelle encore une fois que, dans des évènements, les premiers à être sur le terrain doivent être les ministres. C'est le rôle du gouvernement. Le président de la République est là au moment où il le juge opportun, pour remettre un certain nombre de choses en perspective. Il n'est pas là pour agir à la place du gouvernement ; il est là pour donner des orientations. Et je crois justement que son intervention, qui a d'ailleurs été très largement saluée, a permis de bien mettre les choses en perspective. En rappelant deux exigences, d'une part, le retour au calme et la nécessaire fermeté pour assurer ce retour au calme, et d'autre part, la nécessité de traiter un certain nombre problèmes au fond et avec une continuité qui, dans le passé, a parfois manqué dans les politiques à l'égard des zones difficiles.
Jean-Pierre Elkabbach - Vous voyez, quand on vous interroge, il ne faut jamais oublier que vous êtes une éminente politique aussi. On reviendra sur la politique. Je voulais vous interroger sur le service civil?
Michèle Alliot-Marie - Vous savez, la politique, ce n'est pas simplement des combats de personnes ou de partis politiques. Je crois que la politique, c'est aussi ce qui oriente la vie de nos pays, la vie des Français. C'est une façon de poser des problèmes.
Jean-Pierre Elkabbach - C'est la vision la plus noble de la politique ?
Michèle Alliot-Marie - C'est la seule chose qui m'intéresse !
Jean-Pierre Elkabbach - Cela fait aussi les polémiques, les controverses, les ambitions, les querelles personnelles.
J'ai vu que vous avez signé un accord avec l'Italie pour construire des frégates multimissions et vous avez l'air de vous en réjouir. Pourquoi ?
Michèle Alliot-Marie - D'abord parce que c'est le plus gros programme naval européen qui ait jamais existé. Pour commencer, c'est un programme qui représente une capacité de renouvellement des navires de surface de notre marine nationale - ils en avaient bien besoin, car ils ont beaucoup vieilli - et nous avons besoin de nous protéger contre les terrorismes, contre les trafics, contre l'immigration clandestine. Deuxièmement, c'est un programme qui donnera de l'emploi pendant douze ans à des milliers de salariés, notamment les salariés de DCN Lorient, mais également de DCN Brest, DCN Toulon, etc. C'est un programme qui donnera également de l'emploi à des salariés d'autres sociétés comme Thales ou MBDA. C'est donc une participation de la Défense extrêmement importante à l'économie de notre pays et à l'emploi dans notre pays. C'est également, et à cette époque c'est important, une avancée pour l'Europe.
Jean-Pierre Elkabbach - Assez, assez !
Michèle Alliot-Marie - On a beaucoup dit que l'Europe était en panne. Avec ce contrat, nous montrons que la Défense européenne avance et qu'elle contribue aux avancées de l'Europe.
Jean-Pierre Elkabbach - Et ces navires, on les verra en ?
Michèle Alliot-Marie - Les premiers, nous les verrons en 2011, et cela se prolongera pendant de nombreuses années. La base du contrat est franco-italienne et nous y travaillons depuis trois ans. Mais d'autres pays nous ont montré leur intérêt ; ce qui veut dire que c'est aussi un programme qui va pouvoir s'exporter.
Jean-Pierre Elkabbach - Et le porte-avions avec les Anglais, c'est pour bientôt ? Ou faut-il leur tirer les oreilles pour qu'ils aillent plus vite ?
Michèle Alliot-Marie - Non. Je dois dire qu'il y a aujourd'hui, une parfaite mobilisation notamment de la part de mon collègue britannique. Nous avançons sur la définition de tout ce que nous allons pouvoir faire en commun. Ce qui nous permettra dans un premier temps, de faire des économies sur chacun des porte-avions disponibles, et dans un deuxième temps, de faire avancer le travail dans les entreprises françaises et britanniques.
Jean-Pierre Elkabbach - Michèle Alliot-Marie, vous vouliez depuis longtemps un service civil. Vous l'avez. Est-ce que c'est un service militaire sans uniforme ?
Michèle Alliot-Marie - Non, ce n'est pas un service militaire sans uniforme. Le service civil volontaire, c'est d'abord une réponse à des besoins qui concernent les jeunes. Des besoins, pour un certain nombre d'entre eux, de formation qui leur permettent d'aller vers un emploi, alors qu'ils ont un certain nombre de difficultés. C'est également un besoin de cohésion, parce que c'est une façon de faire mieux se connaître, et travailler ensemble dans une même mission, des jeunes qui viennent d'horizons très différents.
Jean-Pierre Elkabbach - Est-ce qu'il n'y a pas un regret d'avoir supprimé le service national ou le service militaire. Est-ce que ce n'était pas, avec le recul, même si on ne peut pas remonter le temps une bévue, ou une gaffe ?
Michèle Alliot-Marie - Je ne le crois pas et pour une raison très simple : c'est que, si nous avions encore le service militaire, nous n'aurions pas une armée professionnelle avec les qualités et je dirais, le caractère très remarquable de ce qu'elle peut faire aujourd'hui. Or aujourd'hui, nous sommes dans un monde où le risque terroriste et la multiplication des crises impliquent pour la protection de nos concitoyens, mais également pour le rôle que la France entend jouer en tant que puissance, d'avoir une armée qui soit capable d'agir. Or, on ne peut pas faire les deux. On ne peut pas avoir une très bonne armée professionnelle, et en même temps une armée qui encadre des jeunes.
Jean-Pierre Elkabbach - L'armée les forme, peut-être dans des casernes, d'anciennes casernes, je ne sais pas, elle leur apprend la vie. Est-ce qu'elle leur trouve à la fin au bout des 6 mois, un an etc, un emploi aussi ?
Michèle Alliot-Marie - Dans le service civil volontaire, il y a effectivement parmi les acteurs, le programme ?Défense deuxième chance' à côté des cadets de la République - qui concernent eux, la police, la gendarmerie, les pompiers - et d'autres actions également qui seront menées. Pour parler de ?Défense deuxième chance', il s'agit effectivement de s'adresser à des jeunes que nous décelons lors de la Journée d'appel et de préparation à la Défense, journée qui regroupe garçons et filles. Nous décelons un certain nombre de jeunes qui sont en grande difficulté scolaire, en échec scolaire, qui sont également, en échec professionnel et en échec social. Ce que nous faisons, c'est que nous les prenons en internat ; nous leur faisons une remise à niveau scolaire ; nous leur apprenons également à prendre des initiatives ; et nous leur faisons une remise à niveau comportemental. Un certain nombre d'entre eux n'ont jamais appris à se lever le matin, notamment parce qu'ils sont issus de familles où il y a beaucoup de chômage et où les parents eux-mêmes ne se lèvent pas le matin.
Jean-Pierre Elkabbach - Des familles polygames, comme diraient un certain nombre de députés de votre majorité ?
Michèle Alliot-Marie - Des familles qui ont des difficultés. Et il y en a dans notre pays ; c'est donc ce que nous leur réapprenons. Puis, il y a un apprentissage et le but que nous rechercherons effectivement, en utilisant notamment le réseau des réservistes mais également d'autres unités, c'est d'aller jusqu'à leur réinsertion professionnelle dans l'entreprise. C'est aussi un rôle méconnu de la Défense, mais la Défense continue de jouer un rôle de cohésion dans notre société et d'aide aux jeunes.
Jean-Pierre Elkabbach - Mais qu'est-ce que vous êtes passionnée et qu'est-ce que vous portez vos sujets. Vous allez donc remplir presque à vous toute seule la Défense, l'objectif avancé l'autre jour par Jacques Chirac à propos du service civil, en décembre?
Michèle Alliot-Marie - Non, nous ne le faisons pas tout seul, mais nous allons effectivement y jouer un grand rôle.
Jean-Pierre Elkabbach - Allez, jouez la modeste ! En décembre, vous allez inaugurer le deuxième centre de la deuxième chance à?
Michèle Alliot-Marie - Le troisième centre, à Montlhéry, puisque nous en ouvrons un par mois.
Jean-Pierre Elkabbach - Est-ce que vous les accélérez pour avoir à terme 20 000 jeunes ?
Michèle Alliot-Marie - Absolument. Le but, c'est d'avoir à terme 20 000 jeunes, peut-être même un peu plus. Mais ce que nous allons faire, c'est essayer d'accélérer ces ouvertures. Mon but serait d'obtenir l'ouverture d'au moins 20 centres à la fin de 2006. C'est-à-dire de passer de un par mois à deux ou trois ouvertures par mois. Ceci implique d'avoir des locaux pour les accueillir. Vous parliez tout à l'heure des casernes : il y a effectivement d'anciennes casernes, d'anciennes bases. Il y a également d'anciens CREPS, des locaux qui servaient pour la préparation aux sports. Il y a aussi des bâtiments mis à notre disposition par des collectivités territoriales qui sont très intéressées par cette façon d'aider les jeunes dans leur région.
(?/?)
Jean-Pierre Elkabbach - Merci.(Source http://www.defense.gouv.fr, le 1er décembre 2005)