Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur le développement de la coopération européenne dans le domaine de la construction navale militaire, à Paris le 18 novembre 2005.

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Circonstance : Colloque "Naval de défense en Europe : quels besoins pour quelles missions ?", à Paris, Assemblée nationale, le 18 novembre 2005

Texte intégral

Monsieur le député Lemière,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Messieurs les officiers généraux,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens tout d'abord à remercier le député Jean Lemière pour l'organisation de ce colloque.
Avec sa deuxième édition, il devient un rendez-vous annuel reconnu sur les questions du
secteur naval militaire.
Je salue les nombreuses personnalités étrangères présentes ; je sais que certains d'entre
vous sont venus de très loin.
Je concentrerai aujourd'hui mes propos sur l'importance que j'attache à la coopération
industrielle en Europe.
Volontairement, je ne m'exprimerai pas sur DCN-Thales à ce stade des négociations. Il y a eu
à ce jour trop d'indiscrétions et de fuites sur ce dossier.
Vous comprendrez toutefois à travers mes propos que ce projet s'intègre tout à fait dans mon
ambition d'une véritable industrie de dimension européenne.
Notre industrie de défense doit avoir un horizon résolument européen
C'est une exigence politique :
Notre ambition de construire une véritable défense européenne s'accompagne obligatoirement
de l'ambition d'avoir une industrie européenne de défense qui garantisse notre indépendance,
notre interopérabilité et nous permette de jouer pleinement le rôle qui doit être le nôtre
dans le monde
Pour le naval, comme pour les autres domaines d'équipement militaire, le premier enjeu est
de permettre aux Européens de disposer des bâtiments capables d'évoluer de concert dans des
opérations communes.
C'est ainsi que nous pourrons constituer une capacité navale européenne cohérente et de ce
fait démultiplier la capacité de nos forces.
C'est une exigence économique :
Favoriser les rapprochements et les programmes communs au niveau européen est une source de
diminution importante des coûts, et donc par voie de conséquence des coûts pour les
acheteurs que nous pouvons être.
C'est une évidence.
C'est une exigence industrielle :
Face à une concurrence agressive et dynamique ? notamment dans le secteur naval comme cela
est le cas avec l'Asie du Sud-Est ? et compte tenu de l'impact économique et social du
budget de la Défense, j'entends donner les moyens à la Défense d'être au c?ur de la
politique industrielle rénovée de la France.
Ainsi nous concilierons économie de marché et vision stratégique. Pour y parvenir, j'entends
placer la recherche et l'innovation au c?ur de son action et j'ai fait les choix financiers
en conséquence. L'avance que nous nous donnerons dans le domaine de la recherche
technologique nous permettra de soutenir celle que nous voulons sur le plan économique.
Cette politique n'a de sens que si elle se donne un horizon européen, doublée d'une ambition
mondiale.
Il existe beaucoup de réflexes nationalistes, de toute part : je ne peux me satisfaire d'une
telle manifestation de repli national.
Quand j'ambitionne pour DCN une aventure européenne, il ne s'agit pas de dominer, mais de
s'allier pour être ensemble plus forts : j'ai parfaitement conscience ce sera un processus
long, mais ce sera un processus mais vertueux.
Il faut mobiliser nos entreprises pour permettre à l'Europe de construire sa propre
politique industrielle dans une perspective de long terme. Ce n'est pas une vision
protectionniste, niant les réalités économiques.
C'est bien plutôt une ambition dynamique pour l'Europe.
J'ai fait depuis mon arrivée au ministère de la Défense le choix de la coopération : certes,
c'est une voie difficile mais c'est la voie du succès.
Ces dernières semaines, j'ai entendu l'expression de beaucoup de scepticisme, de doute,
beaucoup de critiques et de propos défaitistes à propos des frégates multi-missions ou du
projet franco-britannique de porte-avions.
Ne me proposait-on pas il y a quelques jours encore de sortir de la coopération
franco-italienne, dénoncée comme artificielle, voire pénalisante, au risque de retarder un
programme nécessaire pour notre marine ?
Ne me proposait-on pas de retirer des autorisations d'engagement et des crédits de paiement
au deuxième porte-avions ? On reprochait aux Britanniques de ne pas vouloir coopérer et de
pénaliser notre propre projet.
Concernant le PA2, nous devrions franchir des étapes importantes avant la fin de l'année. Là
encore c'est la volonté politique qui a permis de surmonter les blocages.
Les « Cassandre » parlent d'un programme enlisé. Je vous dis aujourd'hui que nous avons les
moyens d'aller de l'avant.
Les autorisations d'engagement sont incluses dans le budget dès 2006.
En ce qui concerne la coopération avec la Grande-Bretagne, nous avons regardé le design
britannique, et il est désormais acquis qu'il peut répondre à l'essentiel du besoin
français, après prise en compte de quelques adaptations bien identifiées.
Le nouveau calendrier côté britannique nous offrait une opportunité.
Je l'ai saisie en proposant que les deux pays mènent en équipe intégrée, aux niveaux aussi
bien industriel qu'étatique, une phase de conception détaillée.
Cette étude nous permettra d'approfondir les options de coopération et d'en évaluer les
apports techniques, industriels et économiques.
A partir de cette étude, nous pourrons alors décider des conditions précises de réalisation
de la phase de construction.
J'en parlerai dès lundi prochain avec mon homologue britannique à Bruxelles.
Voilà la réponse que j'ai à donner aux pessimistes qui pensent que les coopérations sont
impossibles.
La démarche de coopération confortera le programme, à la fois sur le plan du besoin
opérationnel, mais aussi des coûts et délais, tout en créant une solidarité des deux pays.
Les FREMM sont emblématiques des succès possibles des coopérations européennes.
Le programme FREMM remonte à une initiative commune de juillet 2002. Nous avons fait le pari
de la coopération en tirant les leçons du programme de frégates Horizon.
Certes, il y a eu de nombreux aléas, c'est le charme des négociations ! Ils ont toujours pu
être surmontés parce qu'il y avait une volonté politique de coopération constante et ferme,
de faire aboutir ce programme.
Après trois ans de travail intense, le plus grand programme naval jamais réalisé en Europe
est désormais lancé.
Le contrat a été notifié par l'OCCAR mercredi matin. C'est un pas décisif pour cet
organisme, dont c'est le premier contrat Marine mais aussi le deuxième contrat en valeur
après celui de l'A400M.
C'est un contrat historique, un véritable « Airbus » naval. Il permettra de renouveler la
plus grande partie de la flotte de surface de notre marine nationale.
Avec plus de 11 milliards d'euros, il correspond à 17 navires français, dont 8 en commande
ferme, et 10 navires italiens.
C'est aussi une réelle perspective pour plusieurs milliers de salariés.
C'est aussi pour la première fois un produit de série, qui a tout pour devenir un produit de
référence à l'export, sur un marché « haut de gamme ». D'ores et déjà nous savons qu'en
Europe et hors d'Europe certains manifestent leur intérêt pour ce projet.
Je tiens le cap !
Et je le tiendrai parce que c'est une exigence.
J'ai d'autant plus de raisons de le faire que le secteur naval s'appuie déjà sur un tissu
dense de coopérations, y compris transatlantiques, ce qui témoigne de la reconnaissance des
compétences européennes dans ce domaine à l'heure où les spécialistes du dénigrement ne
parlent que de gap industriel et technologique.
Je pense au sous-marin SCORPENE issu de la coopération franco-espagnole, qui est aussi un
succès à l'export.
Notre succès collectif en Inde n'aurait jamais eu lieu, si Français et Espagnols, si DCN,
Navantia et Thales ensemble, n'avaient rassemblé leurs compétences et leurs forces.
Je pense à d'autres programmes de démonstrateur de véhicule anti-mines développé avec la
Norvège, de démonstrateur de drone de surface avec les Etats-Unis, de sonar avec le Canada.
Les choix que nous faisons aujourd'hui pour l'industrie de défense de la France, pour les
programmes d'armement naval, seront déterminants pour faire face au contexte stratégique de
demain.
Il est évident qu'il nous faut privilégier les programmes communs et le rapprochement des
industries européennes. On sait d'expérience que c'est un des moyens de regrouper les
besoins opérationnels et de mieux y répondre.
L'avenir de l'Europe de la défense passe par cette coopération en matière d'armement.
Elle prend une nouvelle ampleur avec l'Agence européenne de défense, qui nous permettra de
mieux préparer l'avenir collectivement, non seulement en termes de capacités mais aussi ? et
c'est un point essentiel car c'est une des faiblesses de l'Europe ? d'efforts de recherche.
C'est ainsi que nous préserverons une base industrielle et technologique compétitive en
Europe et que nous défendrons notre autonomie stratégique.(Source http://www.defense.gouv.fr, le 24 novembre 2005)