Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur le rôle des militaires francophones dans les opérations de maintien de la paix, notamment des troupes françaises, à Antananarivo le 22 novembre 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : 21ème Conférence ministérielle de la Francophonie, à Madagascar les 22 et 23-débat sur la disponibilité d'effectifs francophones dans les opérations de maintien de la paix, à Antananarivo le 22 novembre 2005

Texte intégral


Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
C'est avec beaucoup d'intérêt que je participe aujourd'hui au débat sur la présence francophone dans les opérations de maintien de la paix (OMP). En effet, la préservation de la paix, de la stabilité et de la démocratie dans l'espace francophone constituent des questions à mon sens prioritaires pour l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF).
Depuis le début de la décennie, force est de constater une augmentation rapide du nombre et des effectifs des opérations de maintien de la paix de l'ONU.
Cette évolution a plus particulièrement touché les pays francophones depuis 2004. Ainsi, trois nouvelles OMP ont été créées en l'espace de quelques mois : l'ONUCI en Côte d'Ivoire, la MINUSTAH en Haïti, l'ONUB au Burundi. Parallèlement, la MONUC en République démocratique du Congo s'est considérablement renforcée pour devenir, avec plus de 16.000 casques bleus, la plus importante opération en cours dans le monde en termes d'effectifs.
Au total, ce sont ainsi 37.000 soldats et policiers qui se trouvent aujourd'hui déployés au sein de ces 4 opérations de maintien de la paix en place dans des pays francophones, ce qui représente plus de la moitié des effectifs de casques bleus déployés dans le monde.
Or, seuls 6.000 casques bleus - soit moins de 10 % de l'effectif total - sont originaires de pays francophones. Il convient à cet égard, sans oublier les autres contributeurs naturellement, de saluer l'effort exceptionnel consenti par le Maroc (1.700 casques bleus) et le Sénégal (1.600).
Par ailleurs, il est rare que les officiers d'état-major et les officiers des pays contributeurs de troupes non-francophones déployés dans les pays francophones maîtrisent le français, voire même disposent de bases dans notre langue.
Or, une bonne connaissance de la langue du pays par les personnels des Nations unies, ou du moins les personnels d'encadrement, est essentielle pour l'établissement d'un rapport de confiance avec la population et la mise en ?uvre des missions de maintien de la paix, qui sont de plus en plus des tâches de proximité.
La maîtrise de la langue locale est particulièrement nécessaire pour les forces de police civile. Dans ce domaine, un effort a été consenti et la situation est un peu meilleure avec 1.000 Francophones sur un total de 6.000 engagés dans des OMP, mais cela reste très insuffisant.
Face aux difficultés croissantes éprouvées par les Nations unies à répondre à ces besoins, le Secrétaire général des Nations unies a lancé à plusieurs reprises un appel pressant à la communauté internationale.
Dans ce contexte, l'OIF et ses Etats membres doivent se mobiliser davantage pour soutenir les OMP en pays francophones. Il faut agir vite pour consolider la paix tant en République démocratique du Congo qu'en Haïti, en Côte d'Ivoire ou au Burundi. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de me rendre tout récemment sur place, en Haïti et en Côte d'Ivoire, et j'étais encore hier à Kinshasa : je peux donc témoigner ici de la réalité des besoins et des attentes sur le terrain.
En tant que membres de l'OIF, nous avons le devoir de soutenir nos partenaires francophones en difficulté. Ce soutien passe d'abord par le renforcement de notre contribution directe aux OMP. Dans ce domaine, nous pouvons et devons faire plus, sur tous les volets, qu'il s'agisse de l'envoi de militaires, de policiers, de gendarmes, ou encore d'experts civils.
Notre action doit aussi reposer sur le développement d'une coopération entre pays membres de la Francophonie, en vue du renforcement des capacités des Etats francophones en développement, particulièrement africains, en matière de maintien de la paix. Les pays disposant de ressources doivent développer leurs activités de formation et d'appui technique vers les pays francophones qui souhaitent contribuer plus, mais n'en ont pas toujours les moyens.
Au-delà de ses Etats membres, l'OIF elle-même, pour laquelle l'action en matière de paix, démocratie et justice constitue un champ prioritaire, a aussi un rôle à jouer. Je salue à cet égard l'action du Secrétaire général de la Francophonie, qui a ouvert la voie par son implication personnelle au soutien des opérations de maintien de la paix, non seulement en Afrique francophone mais aussi en Haïti.
La France propose donc que l'OIF développe des programmes de coopération visant à renforcer la capacité des Etats membres, notamment africains, à participer aux opérations de maintien de la paix des Nations unies. Ces programmes devraient naturellement se concentrer sur le volet civil du maintien de la paix (police civile, experts en matière de justice, Etat de droit).
L'OIF a enfin un rôle de sensibilisation, au sein même de l'ONU, sur l'exigence de maîtrise de la langue française qu'il convient d'avoir vis-à-vis des casques bleus qui sont envoyés dans les pays francophones. L'adoption par le Conseil de sécurité, le 17 octobre dernier, de la résolution 1631 sur le renforcement de la coopération entre l'ONU et les organisations régionales en matière de maintien de la paix, crée à cet égard un cadre favorable pour que l'OIF fasse valoir ses préoccupations en la matière.
A plus long terme, il est aussi nécessaire de promouvoir la formation en français au sein de l'encadrement militaire et policier des grands pays contributeurs de troupes non-francophones. Je pense notamment aux pays d'Asie méridionale, aux contributeurs africains non-francophones, à la Jordanie ou même la Chine, mais aussi aux latino-américains, très engagés en Haïti.
Bien entendu, la France entend assumer toute sa part dans la contribution à apporter aux opérations de maintien de la paix dans les pays francophones.
Parmi les grands pays industrialisés, la France est déjà le premier contributeur en troupes. Et plus de la moitié des contingents français déployés sous casques bleus le sont dans les quatre opérations de maintien de la paix francophones. Il s'agit surtout pour nous d'apporter les compétences spécifiques dont les OMP ont le plus besoin, par exemple en terme de logistique ou de renseignement.
A cela s'ajoute l'appui apporté par des contingents français agissant, sous commandement national ou européen en vertu d'un mandat des Nations unies, en soutien des OMP francophones. Il s'agit du dispositif Licorne en Côte d'Ivoire, qui constitue la force de réaction rapide de l'ONUCI, de l'opération Artemis conduite en 2003 dans un cadre européen en soutien de la MONUC en République Démocratique du Congo, ou encore de l'intervention au sein de la Force multinationale intérimaire en Haïti en prélude au déploiement de la MINUSTAH.
La France est aussi, avec une quote-part de 7,26 % du budget total, le 5ème contributeur financier aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. De ce fait, l'augmentation rapide du nombre de ces opérations au cours des dernières années, avec notamment la création de trois missions en pays francophones, a entraîné pour mon pays une très forte augmentation des dépenses liées à ces opérations. Celles-ci se montaient à 201 millions d'euros en 2004, et augmenteront fortement en 2005.
Au-delà, la France contribue encore au maintien de la paix par ses actions de coopération, à titre bilatéral ou dans le cadre européen. Il s'agit pour nous de renforcer la capacité des pays francophones en développement à conduire des opérations de paix, sous casques bleus ou sur la base d'un mandat du Conseil de sécurité de l'ONU.
Nous avons ainsi développé le concept "RECAMP" (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), pour répondre à la volonté des Africains de s'approprier leurs questions de sécurité. Ce programme s'inscrit désormais dans le cadre d'un double partenariat, avec l'Union africaine et avec l'Union européenne.
Par ailleurs, nous apportons notre soutien au réseau des Ecoles nationales à vocation régionale (ENVR), qui regroupe en Afrique francophone 14 écoles réparties dans 8 pays.
A cet égard, nous accordons une importance particulière au développement de trois établissements que nous considérons comme prioritaires. Je veux parler tout d'abord de l'Ecole de maintien de la paix de Bamako, qui s'installera fin 2006 dans des nouveaux locaux, mieux adaptés à sa montée en puissance. Un autre axe prioritaire est le renforcement du centre de maintien de l'ordre d'Awaé au Cameroun, qui a vocation à devenir pilote en matière de formation des gendarmeries africaines aux opérations de maintien de la paix. Enfin, la France soutient le développement de l'ENVR de Ouidah au Bénin, spécialisée dans le déminage humanitaire.
Naturellement, la France inscrit son action dans le cadre de l'ONU, et elle coopère avec le Secrétariat général des Nations unies sur cette question, notamment dans la perspective de l'élaboration d'un projet de formation élaboré par le Département des opérations de maintien de la paix de l'ONU, et destiné aux policiers et gendarmes des pays d'Afrique candidats au départ en OMP.
Au niveau européen, la France contribue aussi à la Facilité de paix en faveur de l'Afrique et aux autres actions menées dans le cadre de la Politique étrangère de sécurité et de défense, et dans le cadre de la gestion civile des crises.
Par ailleurs, la France consent un effort croissant en matière d'enseignement du français en milieu militaire, notamment en direction des principaux contributeurs de troupes non-francophones.
Toutes ses actions ont aussi vocation à s'inscrire dans le cadre de la Francophonie. Elles impliquent d'ores et déjà de nombreux partenaires francophones. Sur ces différents volets, la France est donc tout à fait disposée à envisager avec ses partenaires de la Francophonie des actions communes en vue du renforcement de l'efficacité des opérations de maintien de la paix dans les pays francophones en crise.
Tel est donc le message important que je souhaitais vous adresser à l'occasion de notre réunion ministérielle.
Je vous remercie.(Source http://Diplomatie.gouv.fr, le 29 novembre 2005)