Texte intégral
Q - Madame la Ministre, quelles leçons la France tire-t-elle de la révolte des jeunes des banlieues ?
R - La première nécessité était le respect de la loi et le retour au calme. Ensuite, nous ne construirons rien de durable sans le respect mutuel et sans combattre les discriminations, car le devoir de la République est d'offrir partout et à chacun les mêmes chances. Le gouvernement est à l'oeuvre et a pris des décisions importantes pour l'éducation, le logement, la formation et la lutte contre les discriminations. Il s'agit d'un long effort. Nous ne changerons pas les choses en profondeur sans l'engagement de chacun.
Q - La France a d'abord soutenu l'adhésion turque. A présent, elle se montre réticente et a annoncé la tenue d'un référendum. A quoi tient ce changement d'opinion ?
R - L'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie le 3 octobre dernier prouve la constance des autorités européennes et françaises vis-à-vis de ce pays. C'est le résultat des engagements pris à son égard et des progrès réalisés. C'est le début d'un chemin long et difficile qui lui donnera la possibilité de se réformer en profondeur, pour prouver sa capacité à partager un jour le projet européen. L'élargissement de l'Union européenne est une question à laquelle les opinions publiques européennes sont sensibles et l'Europe a besoin du soutien des peuples pour se construire. La France a introduit dans sa Constitution il y a bientôt un an, une disposition soumettant à référendum tout nouveau traité d'adhésion d'un pays à l'Union européenne. Les Français auront ainsi le dernier mot sur l'entrée de la Turquie si les négociations débouchent sur la perspective d'une adhésion.
Q - L'Autriche est favorable à une adhésion rapide de la Croatie. Pour quand envisagez-vous l'entrée d'autres pays des Balkans dans l'Union européenne ?
R - Avec l'Autriche et les autres Etats membres, la France a décidé l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Croatie le 3 octobre dernier. Dès le Sommet de Zagreb en 2000, les pays de l'Union européenne ont affirmé la perspective européenne pour les Balkans, mais il ne peut y avoir de calendrier prédéterminé. Tout dépendra de l'évolution politique et économique de ces pays. Il n'y a pas de raccourci vers l'Union européenne. Les pays qui veulent nous rejoindre doivent poursuivre leur transformation et respecter les conditions requises, comme l'ont fait tous les pays aujourd'hui membres de l'Union européenne. La poursuite d'une coopération pleine et entière avec le TPIY est ainsi une condition essentielle du bon déroulement des négociations d'adhésion. Le transfert de Gotovina à La Haye est en particulier un objectif de court terme.
Q - Les citoyens européens ont de moins en moins confiance dans l'Union européenne. Que doit faire la politique pour mettre fin à cette crise de confiance ?
R - Je préfère parler d'une période de doutes et d'incertitudes durant laquelle il est essentiel de réaffirmer la nature du projet européen. C'est un devoir vis-à-vis des citoyens, qui veulent savoir où nous allons. En France, l'échec du référendum du 29 mai dernier nous conduit à nous interroger sur la façon dont nous avons pratiqué l'Europe et dont nous l'avons présentée aux citoyens. Nous devons bâtir un nouveau consensus sur l'Europe en expliquant mieux et davantage les enjeux des négociations à Bruxelles, les priorités que nous défendons, les objectifs que nous nous assignons. Il faut associer davantage au processus de décision européen le Parlement, les partenaires sociaux, la société civile, démontrer aux citoyens les bénéfices de notre appartenance à l'Union et privilégier les actions concrètes répondant aux préoccupations de nos concitoyens. C'est ce que nous avons décidé de faire.
Q - La France et l'Allemagne sont considérées comme le moteur de l'Europe. Le nouveau gouvernement de Berlin va-t-il y changer quelque chose ?
R - Mme Merkel et son gouvernement sont attachés, comme nous, à la coopération franco-allemande au service de l'Europe. Je lui renouvelle mes félicitations pour son accession au poste de chancelière et tous mes voeux de réussite. L'histoire des cinquante dernières années est claire : quel que soit le gouvernement d'un côté ou de l'autre, nos deux pays ont été un moteur de la construction européenne. Il en ira demain comme hier. On ne fait pas l'Europe à deux, ce n'est pas une relation exclusive : il faut être capable d'entraîner les autres, nous le savons. Selon les sujets, on le fait plus spontanément avec un partenaire ou un autre, ou plusieurs. La défense européenne a débuté avec la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Il y a de multiples exemples, cela dépend des domaines. Il faut pouvoir entraîner et convaincre.
(Source http://www.diplomatieGouv.fr, le 29 novembre 2005)