Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur la situation au Proche Orient et la nécessaire réalisation des "droits nationaux du peuple palestinien", à l'occasion du départ de Leila Shaïd, représente de l'autorité palestinienne à Paris, pour Bruxelles où elle représentera l'Autorité palestinienne auprès de l'Union européenne, à Paris le 2 novembre 2005.

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Très chère Leila,
L'annonce de ton départ pour Bruxelles a suscité beaucoup d'émotion. Leila quitte la France !? Cette nouvelle n'était pas crédible, pas acceptable pour tous tes amis, pour tous les combattants de la cause palestinienne !
Lors du dîner avec le Président Abou Abbas auquel tu m'as conviée, chaque intervenant interpellait ce dernier, comme si notre amicale pression avait pu changer sa décision. Mais le président qui mesure ce que tu as réalisé ici à Paris au nom de l'OLP puis de l'Autorité palestinienne mesure aussi la portée de ton action dans un lieu aussi stratégique que l'Union européenne. Et s'il y a quelqu'un qui ce soir est heureux, c'est Francis Wurtz qui imagine déjà toutes les initiatives qu'il va construire avec toi.
Oui, Leila, nous comprenons les raisons de ton départ mais rien y fera : nous avons du mal à nous faire à cette idée, tellement ta présence, ta personnalité, la façon dont tu as assumé ta fonction ont marqué la vie et le débat politique en France, et pas seulement sur la question de Palestine.
Je te le dis sincèrement, Leila, nous aurions aimé que tu restes avec nous.
D'abord par amitié. Au cours de ces 12 années, des liens se sont créés. Solidarité et complicité militantes de manifestations en manifestations, espoirs mais aussi déceptions, joie à chaque avancée de la paix, à chaque étape démocratique dans la construction de l'Etat palestinien, moments intenses auprès du Président Arafat? Nous avons tout partagé ; sauf peut être le découragement car toi Leila tu nous montres toujours la détermination dans ce combat. Ce combat, tu ne l'as jamais isolé des autres luttes émancipatrices. Ainsi en est-il, par exemple, de ton engagement féministe, ta vision d'une société de liberté et du respect de tous les droits pour toutes les femmes, les femmes palestiniennes mais aussi les femmes algériennes auprès desquelles tu t'es engagée. L'état du monde te mobilise et ta voix porte contre la marchandisation des activités humaines, la mise en concurrence des peuples, la domination des Etats-Unis. Tu réfutes la vison d'une planète où au nom d'une certaine vision du bien et du mal, on provoque la guerre.
Ton combat politique repose sur des valeurs, sur des principes fondamentaux qui ancrent sa légitimité. C'est ainsi que tu as formidablement réussi à rassembler autour du peuple palestinien.
Tu es la représentante officielle d'une Autorité nationale, celle du peuple palestinien, en quête de paix, de justice, d'un Etat souverain. C'est ce qui a fait ta force. Mais tu as rendu encore plus incontournable le combat des Palestiniens et Palestiniennes pour leurs droits, et la finalité nationale et libératrice de leur lutte, en l'inscrivant dans une éthique de la politique, dans une vision progressiste du monde et de la société.
Leila, ce que je viens de dire n'est pas formel. Je voulais absolument te rendre cet hommage. Tu nous aides à redonner du sens à la politique, de la portée aux actes et au discours politique. Une démarche politique qui est faite de courage, d'ambition dans ses buts. Il faut savoir « ramer à contre-courant » lorsque c'est nécessaire, faire face aux vents médiatiques et politiciens qui sont souvent loin d'être favorables.
Il faut savoir s'écarter du « politiquement correct » pour dire les faits tels qu'ils sont. Tu le sais mieux que nous, ce qui pour nous va de soi, je parle des droits du peuple palestinien et du droit international, a été présenté par d'autres comme excessif, voire illégitime. La violence et la mauvaise foi n'ont jamais manqué. La façon ignoble dont a été souvent traité le Président Arafat, que nous n'oublions pas, l'a montré crûment.
Il y a un an dans ce lieu, après l'hommage officiel qui lui fut rendu par la France, nous nous étions retrouvés pour lui rendre hommage, entre militants, entre amis.
Mais contre vents et marées, tu as expliqué, démontré, convaincu. Je crois qu'aujourd'hui une majorité de notre peuple a conscience qu'il ne peut pas y avoir de paix sans justice, c'est-à-dire sans la réalisation des droits nationaux du peuple palestinien.
Cela s'exprime, bien sûr, avec plus ou moins de clarté ou de détermination. C'est un acquis qui a ses fragilités dans un contexte politique français où la voix de la France n'est plus toujours aussi claire, où l'on cherche à opposer, à diviser. Mais c'est un fait. C'est le résultat des avancées de l'OLP et de l'Autorité palestinienne, c'est aussi, Leila, ton résultat. Notre combat de solidarité aurait été plus difficile si le tien n'avait pas été si efficace.
C'est parce que nous avons tellement gagné ensemble, sur les mêmes valeurs, que nous avons tant de mal à te voir t'éloigner un peu. Je dis un peu car il n'y a pas de capitale européenne qui soit plus proche de Paris que Bruxelles? Et ce que tu feras là-bas, pour d'évidentes raisons, nous concernera aussi. Et de près.
Nous agissons, en effet, pour que l'Union européenne soit à l'initiative pour un règlement politique du conflit israélo-palestinien, dans la justice, le droit et dans la sécurité pour tous.
Chère Leila,
Pour poursuivre ton combat en France, pour accompagner celui que tu vivras à Bruxelles, nous allons porter partout ce message : il n'y aura pas de paix au Proche-Orient sans l'application par Israël du droit international et des résolutions de l'ONU bafouées depuis trop longtemps.
Nous voulons que le peuple israélien vive en sécurité. Mais nous savons que la sécurité ne s'obtient pas par la logique de guerre. Au contraire. Celle-ci nourrit une violence que nous condamnons. La sécurité s'obtient pas l'effort et par la volonté politique conduisant à la reconnaissance des droits de l'autre, et en l'occurrence la reconnaissance du droit des Palestiniens à édifier un Etat indépendant, dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale. Et nous allons partout dire qu'il faut qu'Israël reconnaisse le droit au retour des réfugiés palestiniens ?qui constituent la moitié du peuple palestinien-, quitte à en négocier les conditions d'application concrètes, comme les dirigeants palestiniens l'ont à maintes fois rappelé.
Un droit est un droit. Le droit à l'Etat, le droit à la souveraineté, le droit au retour appartiennent en propre au peuple palestinien. Nul ne pourra les en déposséder.
Chacun sait que la coexistence et la paix, la paix sur le terrain, la paix dans les c?urs et dans les têtes, ne peuvent s'installer durablement que s'il y a aussi reconnaissance de la blessure infligée à l'autre.
Il est temps de reconnaître enfin la blessure historique faite au peuple palestinien par sa dépossession, par la colonisation et l'occupation. Il est temps pour la Communauté internationale, pour la France, pour les Européens notamment, d'en tirer les conséquences et d'agir vraiment pour l'application du droit.
Ce droit, le Président Mahmoud Abbas l'a rappelé à l'occasion de son voyage en France. D'abord, l'application de la Feuille de route. Israéliens et Palestiniens doivent faire la part du chemin qui leur revient. Les Palestiniens ont fait la leur. Mais la volonté des autorités israéliennes de continuer la colonisation et la répression, de refuser la libération des prisonniers ?je pense à Marwan Barghouti notamment- de bloquer toute avancée dans la négociation ne fait que rendre la situation plus complexe et plus dangereuse. Cette attitude, qui en dit beaucoup sur la signification réelle du retrait de Gaza, alimente les réactions les plus dures. Cette situation pèse au quotidien sur les Israéliens et rend insupportable la vie des Palestiniens.
Oui, les deux peuples souffrent et nous avons besoin de dire notre plus grande solidarité avec les Israéliens du camp de la paix, ceux qui s'opposent à l'occupation, les anticolonialistes, les « refuzniks », les pacifistes, dans leur grande diversité.
Certains, certaines sont venu(e)s ce soir à notre invitation. Je veux leur dire ceci : vous n'êtes pas seulement les bienvenus. Nous avons besoin de vous !.. Nous nous tiendrons à votre côté dans le combat que vous conduisez. Nous savons à quel point, en Israël votre combat est difficile. C'est une raison de plus de marcher ensemble et d'agir en convergence pour la justice et pour la paix.
Je vous invite, vous en particulier, mais, bien sûr, vous toutes et tous, à venir ici même, le 28 novembre prochain, pour l'inauguration d'une exposition d'art contemporain qui réunira 4 artistes israéliens et 4 artistes palestiniens.
Chère Leila,
Si tu es encore parmi nous ce 28 novembre, tu nous feras honneur en participant à cette initiative qui, à sa façon, rappelle qu'il ne peut y avoir de mur entre les peuples : ni à Ceuta et Mellila, ni à la frontière du Mexique et des Etats-Unis, ni à Gaza et Ramallah. « Il faut faire tomber les murs ! Tous les murs », comme le dit la campagne qu'ensemble, Leila, nous avons lancée.
Ma chère Leila,
J'ai choisi cette rencontre en ton honneur pour aller un peu plus loin, dans mes propos, que l'affirmation de l'amitié des communistes français. Je crois, en effet, que nous vivons une période dure mais cruciale. L'idée que la paix au Proche-Orient dépendra de l'édification d'un Etat palestinien totalement souverain vivant en coexistence pacifique avec Israël ne pourra pas rester éternellement une abstraction politique, une promesse pour demain, ou pour plus tard. Cette idée doit s'imposer comme la condition d'une paix durable. C'est dire tout le travail, tout le chemin qui reste à faire.
Ce chemin, c'est celui de la libération et de la justice. Il passe par Paris, par Bruxelles, par Jérusalem? Nous sommes tous et toutes sur le même chemin.
Ma chère Leila,
Je te souhaite bonne chance dans toutes tes prochaines nouvelles fonctions. Sache que cette maison est la tienne et que tu y seras toujours accueillie, comme la représentante de l'autorité palestinienne, la militante, la camarade de combat, l'amie très chère.
(Source http://pcf.fr, le 29 novembre 2005)