Conférences de presse conjointes de M. Hubert Védrine, avec M. Shlomo Ben-Ami, ministre israèlien des affaires étrangères, à Tel-Aviv le 14, et avec M. Amr Moussa, ministre égyptien des affaires étrangères, au Caire le 14 décembre 2000, et entretien avec les radios françaises le même jour, sur la relance du processus de paix entre l'Autorité palestinienne et Israêl.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Tournée de M. Hubert Védrine au Proche-Orient les 14 et 15 décembre 2000

Texte intégral

Point de presse avec M. Shlomo Ben-Ami :
Mesdames et Messieurs,
Je suis venu au Proche-Orient effectuer une visite de quatre étapes, dans le cadre de la Présidence française de l'Union européenne. Je suis venu dire à mes interlocuteurs que les Européens sont très disponibles et très soucieux d'une part de voir la situation se normaliser sur le terrain, la tension retomber, les affrontements cesser, les engagements pris à Charm El-Cheikh pouvoir véritablement et complètement et durablement être mis en oeuvre et respectés. D'autre part, je suis venu apporter le souhait et l'espérance de l'Union européenne que les discussions et une vraie négociation politique sur les vrais problèmes de fond puissent reprendre au plus tôt sans aucun préalable car il me paraît clair que le fait qu'il n'y ait plus eu pendant un certain temps de perspective politique a été en soi seul un facteur de tension et d'aggravation. Voilà le message de l'Union européenne qui, à l'égard des protagonistes dans cette situation tragique, est un message d'amitié, un message d'espérance. Je suis venu à la fois pour écouter et en même temps pour faire un certain nombre de suggestions et retirer des idées nouvelles dont nous reparlerons après ma visite entre Européens, au sein de l'Union européenne, pour voir quelle suite concrète et utile surtout nous pouvons donner à ces contacts. J'ai été très heureux de retrouver à cette occasion Shlomo Ben-Ami avec lequel j'ai un contact intense depuis qu'il a été nommé ministre. Il l'a dit lui-même tout à l'heure.
Q - Monsieur Védrine, on dit que la France soutient les Palestiniens dans ce conflit. Etes-vous d'accord avec cette affirmation ?
R - Je pense que la France soutient la paix, qu'elle soutient les efforts de tous ceux qui recherchent la paix, la vraie paix, à partir d'un règlement juste et complet qui donnera naissance à une paix durable permettant justement la création d'un Etat palestinien viable, dans l'intérêt de tout le monde, et répondant aux intérêts légitimes de sécurité, aux droits complets des uns et des autres. Cette vraie paix ne peut être faite que par les Israéliens et les Palestiniens. Les autres pays peuvent aider, peuvent les soutenir, les encourager, ils peuvent faire des suggestions, ils peuvent faciliter, ils peuvent le moment venu apporter des garanties si on le leur demande, mais ils ne peuvent pas se substituer à la responsabilité historique des dirigeants israéliens et palestiniens et comme nous pensons que, sans faire de pronostic précis qui ne serve à rien, le moment des choix historiques approche pour fonder la vraie paix, nous les encourageons de toutes nos forces./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 décembre 2000)
Entretien avec les radios françaises :
Q - Monsieur le Ministre, vous avez rencontré Yasser Arafat, Shlomo Ben-Ami et le président égyptien, Hosni Moubarak. Quelle contribution peut apporter l'Europe à la relance du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens et à l'arrêt de la violence ?
R - L'Union européenne a souhaité exprimer à travers la visite de la présidence que j'effectue en ce moment son extrême préoccupation - chacun le sait - mais surtout un très vif désir de voir les uns et les autres appliquer complètement, sérieusement et sans délai supplémentaire les engagements pris à Charm el-Cheikh notamment pour rétablir sur le terrain une situation à peu près normale, calme et pour faire disparaître les affrontements et les tensions. Il y a aussi, d'autre part, l'espérance européenne, de voir reprendre des dialogues politiques conduisant à nouveau à de vraies négociations pour relancer le processus de paix. Voilà ce que je suis venu dire au nom de l'Europe, en rappelant que l'Europe est prête à faciliter et à encourager, qu'elle est disponible pour tout ce qui serait utile mais nous savons bien que fondamentalement, ce sont les Israéliens et les Palestiniens seuls, qui peuvent prendre les responsabilités historiques de choix aussi difficiles.
Je suis parti avec une impression extrêmement préoccupante, il me semblait que la situation était bloquée et à travers mes contacts mon impression est un peu différente, comme si, sur le plan du dialogue politique en tout cas, par différents tâtonnements, un nouveau climat était en train de s'instaurer, comme si les uns et les autres recherchaient les voies d'une reprise du dialogue.
Q - Sentez-vous qu'il y a aujourd'hui une opportunité nouvelle ?
R - Oui, il me semble qu'il y a quelque chose de différent, qui tient - j'imagine - à des analyses qui sont faites du côté israélien et du côté palestinien, qui tient peut-être au calendrier politique et électoral, qui tient sans doute à l'analyse que les uns et les autres font des conséquences de cet affrontement qui dure depuis des semaines et qui a déjà fait un si grand nombre de morts, qui tient à une réflexion stratégique à plus long terme, qui est que ces deux peuples sont là, côte à côte, ils le seront toujours et il n'y a pas d'alternative à la négociation et à la discussion pour trouver les modalités justes et donc durables de cette coexistence et de ce voisinage. Peut-être que tout cela, une fois passées l'extraordinaire douleur, la rancoeur et la violence des dernières semaines, va redonner naissance à la recherche d'une solution politique négociée. C'est ce que l'Europe soutient de toutes ses forces.
Q - Sentez-vous qu'ils ont envie de se parler ?
R - Je le sens. Je l'ai constaté. Je souhaite simplement que la nécessité de se reparler puisse redonner naissance à un vrai dialogue, à une vraie négociation abordant les sujets de fond. On sait qu'à Camp David des idées nouvelles importantes avaient été avancées par les Israéliens mais qu'elles n'étaient pas encore suffisantes pour permettre un accord durable et définitif. Peut-être y a-t-il une autre façon d'approcher ces questions et de compléter ce qui avait été présenté. En tout cas, c'est ce que nous souhaitons.
Q - Etes-vous optimiste ?
R - S'agissant du Proche-Orient, je ne suis jamais optimiste ou pessimiste. Je suis simplement opiniâtre et persévérant.
Q - Mais, ce soir, vous avez une pointe d'optimisme ?
R - Disons que je suis un petit peu plus encouragé par ce que j'ai entendu et constaté sur place que par l'analyse que je faisais depuis Paris jusqu'à hier sur la base des informations dont je disposais.
Q - Si les contacts politiques israélo-palestiniens en cours devaient déboucher sur une reprise en bonne et due forme des négociations de paix, est-ce que l'Europe participerait d'une manière ou d'une autre à ces négociations pour garantir, par exemple, que les résolutions de la légalité internationale soient la base des pourparlers.
R - D'abord, on n'en est pas là. Je crois, de plus, que nous sommes dans une phase où c'est aux Israéliens et aux Palestiniens eux-mêmes de décider ce qu'ils veulent faire par rapport à leur avenir et par rapport à la responsabilité des dirigeants devant ces deux peuples. Cela, ils ne peuvent le faire qu'eux-mêmes. On peut les aider, les encourager, faciliter mais on ne peut pas le faire à leur place. Pour le reste, évidemment, l'Europe est disponible pour tout ce qui doit être utile et serait souhaité pour les protagonistes./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 décembre 2000)

Point de presse avec M. Amr Moussa :
Chers Amis,
Je suis venu au Proche-Orient au nom de la présidence en exercice de l'Union européenne et je commence cette tournée rapide par une étape au Caire en raison du rôle particulier que joue l'Egypte, de l'importance des positions, des propositions et des conseils du président Moubarak et de M. Moussa sur la question du processus de paix. Les quinze pays membres de l'Union européenne sont disposés à apporter tout leur soutien à tout ce qui peut permettre de faire disparaître la tension et les affrontements dans les territoires occupés. Ils sont disposés à aider, sous toutes les formes possibles, à la mise en oeuvre réelle, durable et complète des accords et des engagements pris à Charm el-Cheikh. Les Quinze encouragent, comme le disait M. Moussa il y a quelques minutes, la reprise d'une véritable négociation politique sur le fond car il est certain que l'absence de négociation, l'absence de perspective politique, est en soi un facteur de désespoir et d'affrontement. Le fait que la mission Mitchell d'établissement des faits ait pu commencer à travailler dans la région et que ses visites se soient bien passées est un facteur encourageant, même si cela ne suffit pas naturellement à traiter tous les problèmes qui se présentent. En tout cas, l'Union européenne - c'est à dire la présidence en exercice, M. Solana, notre Haut-représentant pour la politique étrangère commune, et M. Moratinos, dont chacun connaît la persévérance -, l'Union européenne est disposée à aider de toutes les façons possibles à l'amélioration de la situation et à la recherche d'une vraie solution.
Q - Monsieur Védrine, dans le passé, le forum euro-méditerranéen a fait l'objet de critiques, notamment pour le rôle joué par l'Europe... (inaudible) ... dans cette période de vide politique aux Etats-Unis...
R - Je pense qu'on est assez injuste envers l'Union européenne. D'abord, en ce qui concerne la réunion de Marseille, l'enjeu était de savoir si nous avions préservé ou non le cadre de la coopération euro-méditerranéenne. L'Union européenne n'a jamais prétendu régler à Marseille les problèmes du processus de paix. Ce qui était important à Marseille, c'était de savoir si on préservait ou non le cadre de Barcelone, si nous préservions ou non le nouveau programme MEDA. Nous savions bien, et au nom de la présidence, je le savais particulièrement bien, que malheureusement ça tombait dans un contexte extrêmement difficile et c'est la raison pour laquelle je suis très reconnaissant au nom de la présidence, aux pays arabes qui sont venus, presque tous d'ailleurs, parce que pour eux la coopération avec l'Europe est un enjeu stratégique à long terme qui ne doit pas être sacrifié à la tragédie immédiate. A Marseille, nous nous sommes parlé avec une particulière franchise, les Européens, les Arabes, le ministre israélien, le ministre turc et d'autres encore. A un certain moment, nous avons eu le sentiment qu'il se disait des choses, qui ne s'étaient jamais dites avec une telle netteté, une telle passion, une telle conviction. Je pense d'ailleurs que ce qui a été dit à Marseille a contribué à convaincre les Européens d'adopter le 20 novembre, dans un Conseil Affaires générales, et ensuite à Nice, des textes sur le Proche-Orient qui comportent des innovations majeures par rapport à ce qui s'était dit jusque là. L'Union européenne est composée de quinze pays, donc ses positions sont fondées sur ce sur quoi les quinze pays sont d'accord. La présidence en exercice, M. Solana et M. Moratinos doivent travailler à l'intérieur de ce mandat. Il n'empêche que l'Union européenne a des textes de référence très importants comme la déclaration de Berlin, qu'elle était présente à la réunion de Charm el-Cheikh en la personne de M. Solana, que M. Moratinos poursuit son travail inlassablement et que la présidence est là non seulement pour écouter mais pour faire des suggestions et des propositions, et aider à ce que les choses évoluent. Après cette tournée, je me retournerai vers les quatorze autres pour voir ce que nous pouvons faire ensemble pour faire évoluer la situation actuelle qui est tout à fait tragique.
Q - Y a-t-il du nouveau à propos du rôle européen dans le processus de paix dans la région ? Avez-vous des propositions à faire, y a-t-il une nouvelle initiative, éventuellement au nom de la France ou au nom de l'Union européenne, ou bien est-ce une visite consacrée uniquement à l'exploration du terrain ? ...
R - Je crois que j'ai déjà répondu, en fait, dans ma réponse à la question précédente. Après cette visite avec mes 4 étapes de cette tournée, je vais analyser les conclusions, je vais voir avec les quatorze autres pays de l'Union européenne, sur quels points nous pouvons faire éventuellement des propositions nouvelles, des suggestions, mettre en avant des idées ou des méthodes pour avancer, soit sur le premier aspect que j'ai cité, c'est-à-dire la situation sur le terrain, la question des tensions et des affrontements, de la violence, soit sur le deuxième aspect c'est à dire la reprise d'une véritable négociation politique redonnant une perspective d'avenir. Sur ces deux points, je ne peux pas répondre au début de ma tournée, c'est à l'issue que je répondrai.
Q - Le Premier ministre israélien a démissionné, il y a des idées européennes, il y a des idées arabes, jordaniennes, égyptiennes, mais la question est de savoir que peut offrir Barak à la région ? Est-ce que Clinton pense venir ou envoyer des émissaires dans la région et quelle serait l'initiative de Bush en la matière ?
R - Cela fait beaucoup de questions. A la plupart de ces questions, personne ne peut répondre. Par exemple, ce que fera la nouvelle administration américaine. Attendons, on verra bien, personne ne sait. Dans l'immédiat je crois qu'il faut se concentrer sur les chances, sur l'augmentation des chances d'obtenir une relance d'une négociation politique véritable permettant d'aboutir à un accord entre les dirigeants palestiniens et les dirigeants israéliens dans des délais courts. Pour cela, il faut que les contacts reprennent entre les Israéliens et les Palestiniens. Ils ont repris d'une façon ou d'une autre. Il faut qu'ils redeviennent une vraie négociation. Quel que soit le nom du texte qui est recherché, il faut qu'il porte sur les vrais sujets. Et il faut que les responsables israéliens arrivent à faire des propositions que les responsables palestiniens soient en mesure d'accepter. Tous les autres peuvent aider, je dirai même que les autres ont le devoir d'aider cette recherche. Mais aucun pays extérieur, aussi proche ou aussi ami qu'il soit, ne peut se substituer au bout du compte à la responsabilité historique des dirigeants israéliens et palestiniens.
Q - J'ai une question sur ce que vous pensez des conséquences de l'élection de George W. Bush comme président des Etats-Unis sur la situation actuelle au Proche-Orient ?
R - Je voudrais souhaiter bonne chance au nouveau président des Etats-Unis. Mais je pense que ce serait une erreur de penser que, d'ici à la mise en place de la nouvelle administration américaine, il ne peut plus rien se passer. Je crois que la situation est tellement tragique que nous avons le devoir chaque jour inlassablement de faire tout ce qui est possible de faire, même si nous connaissons tous très bien les innombrables difficultés./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 décembre 2000)