Déclaration de M.Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur le déséquilibre de l'épargne mondiale et les enseignements pour la France et l'Europe des pratiques de la Chine et des Etats-Unis, Paris, le 1er décembre 2005.

Prononcé le 1er décembre 2005

Intervenant(s) : 

Circonstance : Forum Dauphine - Euronext Cercle des économistes à Paris, le 1er décembre 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je veux d'abord vous dire que je suis très heureux d'être ici ce soir pour échanger avec vous sur un thème qui tient naturellement à coeur au ministre de l'Économie que je suis. Les mouvements de l'épargne mondiale, son allocation, mais aussi ses déséquilibres sont pour moi essentiels à au moins 2 titres :
- D'abord, les déséquilibres de balances courantes que nous connaissons aujourd'hui, ce sont des déséquilibres de l'épargne mondiale. Même s'ils ne concernent ni la France ni la zone euro, ils influencent très largement notre conjoncture, française comme européenne : d'une part, ces déséquilibres jouent sur les taux de change et sont donc déterminants pour nos exportations ; d'autre part, ils jouent bien sûr sur les taux d'intérêt et donc sur l'investissement de nos entreprises.
- Ensuite , à l'observation des niveaux très disparates de l'épargne mondiale, on peut légitimement se poser la question structurelle du bon niveau d'épargne pour la France et pour la zone euro ? C'est en effet crucial essentiel pour notre investissement et donc pour notre croissance potentielle, dont vous savez qu'elle n'est pas, à mon sens, suffisante.
1. la Chine et les États-Unis : la cigale et la fourmi
Permettez-moi d'entamer mon propos par une comparaison qui me paraît particulièrement bien adaptée : deux situations extrêmes cohabitent aujourd'hui dans l'économie mondiale :
- D'un côté, nous avons la cigale américaine qui consomme une très grande partie de son revenu et qui a l'un des taux d'épargne les plus faibles au monde.
- De l'autre la fourmi pourrait être l'Asie émergente qui au contraire présente des taux d'épargne qui peuvent paraître démesurément élevés. Par exemple, pour la Chine, il serait autour de 50 % en 2005.
Entre les deux, l'Europe, elle, est en équilibre extérieur avec des taux d'épargne entre ces deux extrêmes? Je reviendrai in fine sur les enseignements et conséquences pour l'Europe des niveaux d'épargne observés dans les deux autres grands blocs. Mais regardons rapidement la situation aux États-Unis d'abord.
En 15 ans, les États-Unis ont connu une double révolution :
- Une révolution technologique d'abord, qui a permis un accroissement considérable de la croissance, mais aussi un accroissement de la rémunération des investissements, qui dépasse celle des autres pays développés (à titre illustratif, selon le FMI, entre 1994 et 2003, le rendement moyen d'un investissement aux États-Unis s'élevait à 9,7 % contre 7,7 % dans les pays du G7) ;
- Les États-Unis ont aussi connu une révolution financière : à ce titre, les dernières années ont montré combien la souplesse des mécanismes de financement moderne pouvait permettre de soutenir la croissance même dans une situation difficile. C'est en particulier le cas de la capacité des ménages à tirer profit de la valeur de leur logement pour réaliser d'autres dépenses. C'est aussi la capacité des banques à diffuser le risque lié à ces crédits dans l'ensemble de l'économie mondiale ; d'où une réduction des marges d'intermédiation, accroissant l'intérêt pour un investisseur international à confier son argent au système financier américain.
Ces deux facteurs, en élevant le rendement de l'investissement et en abaissant les coûts de transaction, ont contribué à attirer une partie de l'épargne mondiale vers les États-Unis.
Tournons-nous maintenant vers l'ASIE : compte tenu de la diversité des situations, j'en resterai à ce que l'on observe en Chine. Ce pays fait face à une triple contrainte :
- Une contrainte externe d'abord : après la crise de 1997 l'ensemble des pays de la région a souhaité s'assurer contre les crises de balance des paiements en accumulant des excédents sans précédents. La Chine aujourd'hui détient 800 Md$ de réserves, les pays d'Asie 2000 Md d'euros ;
- Ensuite, il ne faut pas oublier que les ménages chinois eux-mêmes ont une forte propension à épargner, en raison notamment de l'inadaptation du système social actuel face aux problèmes du vieillissement. On peut estimer que cette épargne de précautionest responsable de près de 10 points du taux d'épargne chinois ;
- Enfin, la Chine connaît bien sûr encore de nombreux obstacles à l'investissement : l'accès aux financements reste difficile pour les projets nouveaux et la gouvernance d'entreprise est très défaillante, ce qui naturellement limite l'envie d'investir en Chine.
Ces éléments permettent d'expliquer pourquoi les pays émergents d'Asie épargnent effectivement beaucoup.
MAIS outre que cette situation n'est pas conforme à la logique du rattrapage économique des pays d'Asie, elle N'EST PAS NON PLUS SOUTENABLE : car les investisseurs asiatiques aux États-Unis ne financent pas de nouveaux investissements productifs mais financent de la consommation. Comment imaginer par exemple que :
- d'une part, le monde non américain veuille indéfiniment financer la consommation des ménages américains ?
- d'autre part, les ménages des pays d'Asie émergente puissent accumuler encore longtemps de l'épargne dans des titres émis en dehors de la zone alors qu'ils rapportent moins que des investissements chez eux ?
2. Alors comment améliorer l'allocation de l'épargne mondiale ?
Je ne crois pas beaucoup à un retour automatique à l'équilibre. Nous ne sortirons pas de cette situation sans des mesures volontaristes pour réduire ces déséquilibres, qui, je le répète, concernent aussi directement l'Europe, dont la conjoncture pourrait être affectée en cas de corrections trop brutales et non maîtrisées : c'est précisément l'une des questions auxquelles j'essaie de répondre avec mes collègues du G7. Les solutions que nous préconisons depuis maintenant presque 2 ans pour restaurer la soutenabilité du système et améliorer l'allocation de l'épargne sont bien connues :
- pour les États-Unis, cela consiste d'abord et avant tout à réduire le déficit public : en pesant sur les revenus des ménages, cela devrait limiter la consommation totale. Mais le durcissement des conditions monétaires, en rendant plus attractive l'épargne des Américains, peut peser sur la progression des prix de l'immobilier qui sert de collatéral pour financer une partie de la consommation. Les États-Unis se sont déjà engagés dans cette action, mais malheureusement sans grand résultat jusqu'à présent ;
- pour la Chine et les pays d'Asie émergente, corriger les déséquilibres passe d'abord par un renforcement du système de protection sociale afin de réduire l'épargne de précaution. Il est ensuite indispensable de permettre aux entreprises d'accéder au marché du crédit là où aujourd'hui elles sont obligées de recourir massivement à l'autofinancement. Pour cela une réforme profonde du secteur financier est urgente.
3. Quels enseignements pour l'Europe et la France ? Notamment, quel niveau d'épargne?
Ainsi, si nous résumons, nous avons d'un côté des États-Unis qui n'épargnent pratiquement pas, mais dont la croissance est forte (les derniers chiffres sortis hier le confirment). D'un autre côté, l'Asie émergente dispose d'une épargne élevée, mais bénéficie également d'une croissance forte.
Entre les deux, force est de constater que l'Europe a une épargne moyenne? et une croissance moyenne. Une conclusion très simpliste pourrait donc être que l'Europe devrait soit accroître fortement son taux d'épargne, soit le réduire fortement? !
Mais ce n'est pas ma solution : Il ne nous faut pas plus d'épargne, mais une meilleure épargne !
Et ce dans 2 directions :
- D'abord, nous devons nous attacher à mieux répondre aux besoins des « consommateurs d'épargne » : il nous faut adapter les produits aux objectifs d'épargne des ménages :
- C'est le PERP pour que chacun puisse mieux préparer sa retraite pendant sa vie active ;
- C'est le prêt viager hypothécaire : pour ceux qui possèdent un bien immobilier et qui veulent accroître leurs ressources en fin de vie ;
- Ce sont enfin les crédits hypothécaires rechargeables : pour rendre l'accès au crédit plus souple.
- Ensuite, nous devons faire en sorte que cette épargne soit plus productive : il nous faut réorienter l'épargne pour en renforcer le contenu en actions. J'y ai travaillé récemment avec :
- des mesures permettant de transformer plus facilement les contrats d'assurance-vie en euro ? qui sont principalement investis en titres obligataires ? vers des contrats en Unité de Compte ? qui sont davantage investis en action ;
- l'exonération des plus values d'action à partir de la 6e année de détention, devrait également renforcer l'attractivité de l'épargne en action ;
- la fiscalisation des Plans d'Épargne Logement de plus de 12 ans, afin de limiter les encours d'épargne peu productive.
Mais ces chantiers ne sont pas clos ; je reste à l'écoute des bonnes idées, de vos idées, pour progresser encore dans ces deux directions.
Je vous remercie
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 6 décembre 2005)